La FIQ fait entériner par les infirmières du Québec une entente remplie de reculs

En dépit d’une forte opposition des infirmières à l’aggravation des conditions de travail, qui s’est exprimée ces derniers mois par de nombreux «sit-in» et gestes de protestation, la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) a réussi à faire entériner l’entente de principe globale, pleine de reculs, qu’elle avait conclue en juin avec le gouvernement du Québec. 

Cette entente – en accordant des hausses salariales de 2 pour cent par année (moins que le taux d’inflation de 3,5 pour cent), en excluant toute mesure sérieuse pour combattre la pénurie de personnel, en perpétuant le temps supplémentaire obligatoire, et en maintenant les décrets ministériels qui donnent au gouvernement des pouvoirs extraordinaires dans l’organisation du travail – constitue un nouvel assaut sur les salaires et conditions de travail des infirmières.

Manifestation de travailleurs de la santé contre les dures conditions de travail, y compris le manque de protection et le temps supplémentaire obligatoire, durant la première vague de la pandémie au printemps 2020

De nombreuses questions entourent les votes des 4 et 5 août derniers – confusion sur le processus de vote, non-communication à certains membres du code d’électeur, présence sur la page de vote d’une vidéo publicitaire claironnant des gains majeurs, etc.

Malgré ces méthodes douteuses de la FIQ, proches de la manipulation, l’entente a été rejetée dans plusieurs régions, dont Lanaudière et Montréal. Elle n’a été finalement acceptée qu’à une faible majorité de 54 pour cent.

Bien que la FIQ refuse toujours de divulguer le taux global de participation, plusieurs infirmières ont publié les résultats de leurs sections locales sur Facebook, faisant état de taux parfois inférieurs à 50 pour cent, et frôlant dans certains cas les 30 pour cent. 

Combinés, ces chiffres démontrent que la nouvelle convention collective n’obtient l’appui que d’une faible proportion des 76.000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes de la FIQ. Cela représente, en fin de compte, un vote de non-confiance envers la FIQ, qui a mené une véritable campagne de démobilisation tout au long des négociations collectives.

Après l’annonce des résultats, la colère grondait sur les réseaux sociaux. Plusieurs travailleurs ont remis en question le processus et le dépouillement du vote. «La FIQ ne m’a jamais répondu pour me donner mon code pour voter, alors que mes infos étaient à jour et que j’avais signé ma carte de membre», a écrit une travailleuse. Une autre demande: «Est-ce normal qu’autant de gens doutent du résultat? À lire tous les commentaires avant le vote, tout le monde semblait contre, et pouf! C’est un oui qui semble sortir de nulle part».

Contrairement à ce que prétend la direction de la FIQ, l’entente ne comprend pas des avancées majeures, mais des mesures dérisoires combinées à de nouvelles attaques sur les conditions de travail.

Dans un contexte où la pandémie de Covid-19 a mis à nu l’extrême fragilité du réseau public de la santé, déjà saigné à blanc par des décennies de coupes budgétaires, les 1.500 postes promis dans certaines unités ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. Ce sont des dizaines de milliers d’infirmières et travailleurs de la santé qu’il faudrait embaucher, et des milliards de dollars neufs qu’il faudrait investir, pour soulager un personnel à bout de souffle et offrir un niveau adéquat de soins à une population qui en a été trop longtemps privée.

Mais l’entente vise un tout autre objectif: forcer le personnel existant à travailler davantage, pour quelques miettes de plus – sous la forme de faibles primes, non incluses dans le calcul des pensions et pouvant être annulées à la prochaine convention. 

Dans une mesure qui aura pour effet d’augmenter – et non réduire – la charge de travail, les postes à temps complet passeront de 35 à 37,5 heures par semaine, tandis que les postes à temps partiel verront le nombre minimum de jours de travail par quinzaine passer de 4 à 7. Et rien ne sera fait pour éradiquer le TSO (temps supplémentaire obligatoire), qui a poussé des milliers d’infirmières à l’épuisement ou à l’abandon du métier. 

À cela, s’ajoute l’absence de toute mesure sérieuse pour protéger les travailleurs de la santé, alors que des milliers d’entre eux ont été contaminés par le Covid-19. 

La responsabilité pour cette défaite que constitue l’adoption d’une entente pourrie repose en premier lieu sur la FIQ. 

Alors que les infirmières étaient déterminées à lutter et avaient un grand appui populaire, la FIQ a refusé de lancer un appel à tous les travailleurs du secteur public en vue d’une contre-offensive pour défendre les programmes sociaux et les conditions de travail de tous. 

Elle a tout fait pour démobiliser, isoler et diviser les infirmières. Même si les travailleurs dans tous les secteurs, peu importe leur genre ou origine ethnique, font face aux mêmes attaques patronales, la FIQ a présenté les infirmières comme des victimes du «sexisme systémique» – et non de l’austérité capitaliste. 

Et elle a cherché à conclure une entente séparée (supposément plus avantageuse) avec le gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec), coupant ainsi les infirmières des autres travailleurs du secteur public sous le prétexte qu’elles formaient un «cas spécial».

La FIQ a ainsi laissé les infirmières s’essouffler alors que les autres syndicats du secteur public (FTQ, CSN, CSQ, FAE) semaient eux aussi la division et trahissaient leurs membres en signant leurs propres ententes pourries avec le gouvernement. 

En supprimant ainsi les luttes ouvrières, la bureaucratie syndicale a permis au gouvernement de droite de François Legault de maintenir la ligne dure et d’y aller d’une menace à peine voilée de loi spéciale – au cas où la colère montante des membres de la base échappait au contrôle des appareils syndicaux. 

Plusieurs infirmières expérimentées ont dû avoir eu fraîche en mémoire l’expérience de 1999 quand le gouvernement a utilisé une loi-matraque pour mater leur mouvement de grève. Sans doute, un facteur ayant poussé des infirmières à voter pour l’entente était qu’elles ne voyaient pas comment répondre à une menace similaire, dans un contexte où la FIQ et les centrales syndicales ne montraient aucune volonté, ni stratégie viable, pour mobiliser la classe ouvrière contre les lois anti-grève.

Lors de leur débrayage en 1999, les infirmières avaient défié courageusement les ordonnances gouvernementales de retour au travail et mené plusieurs jours de grèves dites illégales. Malgré un fort appui populaire pour les infirmières, la FIQ (FIIQ à l’époque) a alors isolé ses membres, refusant de faire appel aux centaines de milliers de travailleurs du secteur public pour l’organisation de grèves de solidarité. Au même moment, les grandes centrales syndicales qui, comme la FIIQ,  avaient endossé les brutales coupes budgétaires menées par le gouvernement péquiste Bouchard-Landry au nom du «déficit zéro», ont refusé de lever le petit doigt pour défendre les infirmières. Ces dernières ont été finalement contraintes d’accepter un retour au travail, avec d’importantes concessions et le maintien des sanctions prévues par les lois spéciales.

Plus de vingt ans plus tard, la FIQ et l’ensemble des centrales syndicales adoptent la même posture face aux menaces de loi spéciale de la CAQ. Les représentants syndicaux y sont même allés de leur propre campagne d’intimidation pour forcer l’acceptation des concessions, comme en témoigne ce commentaire d’un délégué syndical sur Facebook: «Refuser l'entente, c'est de partir en grève? C'est la possibilité de se faire décréter des conditions moindres». 

Les infirmières qui veulent combattre la menace de loi spéciale brandie par l’État capitaliste, et rejeter la lâche soumission des appareils syndicaux à cette menace, doivent associer la défense de leurs conditions de travail à une perspective plus large, basée sur la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière.

Elles doivent rejeter le programme nationaliste de la bureaucratie syndicale qui sert à diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada et du monde. Elles doivent plutôt se tourner vers l’ensemble des travailleurs du secteur public, et toute la classe ouvrière canadienne, pour bâtir un vaste mouvement d’opposition à l’austérité capitaliste, aux inégalités sociales grandissantes et aux lois spéciales anti-démocratiques. 

Face à une quatrième vague de Covid-19 qui risque d’être pire que les précédentes, le gouvernement Legault, avec la pleine complicité du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, enlève toute mesure de restriction afin «d’ouvrir l’économie», c’est-à-dire rétablir le flot ininterrompu des profits au détriment de la santé publique et des vies humaines.

Pour s’opposer à cette gestion criminelle de la pandémie, dont elles sont les premières victimes, les infirmières doivent bâtir des comités de sécurité de la base, indépendants de la FIQ et de tous les syndicats pro-capitalistes.

Ces comités réunis dans un réseau pancanadien, auront pour tâche d’unir les infirmières et les travailleurs de la santé au-delà des limites provinciales imposées par la classe dirigeante et ses alliés syndicaux. Ils travailleront à mobiliser toute la force collective de la classe ouvrière contre les coupes sociales et les lois spéciales anti-démocratiques, et pour la défense des emplois, des salaires et des services publics.

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