Alors que Macron réquisitionne les grévistes pour essayer de casser la grève des raffineries, une profonde colère sociale se développe parmi les travailleurs et les jeunes. La marche contre la vie chère organisée le 16 octobre à Paris, à l’appel de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) dirigée par Jean-Luc Mélenchon, a rassemblé 140,000 personnes selon les organisateurs, 30,000 selon la police.
Des journalistes du WSWS sont intervenus lors de cette marche pour distribuer des tracts et interviewé les manifestants.
La manifestation était surtout caractérisée par un gouffre de classe qui la traversait. D’un côté, la Nupes est une coalition politique liée à Macron et au pouvoir. Elle inclut Mélenchon et son parti, la France insoumise (LFI), ainsi que le PS bourgeois de François Hollande. Or, le PS a mené non seulement la guerre en Syrie et au Mali mais aussi les profondes attaques sociales, comme la loi travail de Hollande, qui ont débouché sur l’élection de Macron.
Comme pour souligner ces liens, Mélenchon a accordé une entrevue à Ouest-France le jour avant la marche, pour répéter qu’il était prêt à servir de premier ministre à Macron. Mélenchon a déclaré qu’il «faut sortir de la pagaille actuelle» et, interrogé s’il était toujours poste au candidat de premier ministre sous Macron, a répondu: «Je suis en tête de liste, oui, si c’est dans six mois.»
De l’autre côté, toutefois, une colère croissante contre les politiques d’inflation et de guerre animait des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui participaient à la marche. Ces sentiments soulignent la nécessité d’une rupture politique avec la Nupes et toutes les appareils politiques et syndicaux pro-capitalistes qui négocient avec Macron.
Kamal, qui travaille dans une entreprise de logistique à Strasbourg, était venu manifester contre «la politique de Macron, la politique des riches, ras le bol.» Il a souligné son opposition au projet de réforme des retraites voulue par Macron, avec passage à une retraite à 65 ans avec 40 annuités voire plus: «Ça va ramener nos jeunes à travailler à 70, 72 ans. … Je suis pour une retraite à 60 ans, qu’on parte en pleine forme. On a travaillé toutes nos vies, qu’on profite de nos retraites, de nos enfants et de nos petits-enfants.»
Il a fait part de sa colère contre la réquisition par Macron de grévistes dans les raffineries Esso et Total: «C’est inadmissible. Le droit de grève existe en France.» Il a critiqué la décision de Total de n’accorder que des augmentations en-deçà de l’inflation, «quand on a Total qui a fait plus de 10 milliards de bénéfices sur les six premiers mois de l’année. Derrière on réquisitionne des grévistes pour casser le mouvement de grève. C’est juste une insulte.»
Morgane, une graphiste venue à la manifestation, a souligné que les grévistes à Total et Esso sont en lutte non seulement pour eux-mêmes, mais pour tous les travailleurs en tant que classe: «De toute façon cette grève, c'est pour tous les salariés de Total, mais c'est aussi pour le monde entier, cette grève ce n'est pas que pour nous. Je ne vois pas l'intérêt de les forcer à venir travailler, la grève est un droit constitutionnel … Tout le monde à un droit à une revalorisation» salariale.
Plusieurs jeunes à la manifestation ont souligné les difficultés économiques auxquelles ils doivent faire face, et leur opposition aux inégalités et à la guerre.
Antoine a dit qu’il était venu parce que «C’est la casse à l’Éducation nationale, c’est la casse à l’hôpital. … Depuis quelques semaines il y a des mobilisations à la SNCF, à la RATP, chez les raffineurs et chez Total, etc. Venir ici, montrer qu’on est nombreux, c’est une façon de faire monter la température.»
Il a poursuivi, «Les APL n’ont pas suivi la hausse des prix, les bourses n’ont pas suivi la hausse des prix. … Les étudiants ont de plus en plus de mal à acheter des pâtes, les prix ont quasiment augmenté de 40 pour cent. L’électricité augmente, on a vu l’année dernière des étudiants qui faisaient la queue devant les aides alimentaires.»
Pour les jeunes, a dit Coline, l’inflation «c’est sur notre niveau de vie que ça se joue. On n’est pas forcément au point de ne plus pouvoir manger, mais on mange mal, on ne peut pas forcément bien se chauffer. Pour les transports parfois il va falloir faire des trajets à pied». Elle a ajouté: «Je suis foncièrement contre la guerre, ça n’a pas de sens de se battre quand on est censé se souder contre les vraies problématiques qui sont l’écologie et la justice sociale.»
Tanguy a souligné la nature internationale des luttes à mener, que ce soit sur l’économie ou contre le danger de guerre: «La situation est de plus en plus critique. Je soutiens toutes les grèves … Pendant que certain se gavent, il y a de plus en plus de Français dans la précarité, et c'est une situation généralisée dans le monde. On voit se qu'il se passe au Sri Lanka, on voit ce qu'il se passe en Angleterre, donc nous on est dans la rue pour montrer que c'est important.»
Il a ajouté, «Les guerres, c'est toujours les peuples qui en pâtissent, on envoie de la chair à canon au front pour les décisions des puissants qui n'en subissent pas les conséquences. … Quand je vois ce qui se passe en Ukraine, je suis atterré de voir que les leaders mondiaux ont décidé de déclencher une guerre comme ça.»
Plusieurs manifestants interviewés par le WSWS ont fait part à la fois de leur profonde opposition à la guerre en Ukraine et de leur étonnement face à l’absence d’un large mouvement anti-guerre face au danger d’une escalade militaire désastreuse entre l’Otan et la Russie.
Antoine a dit: «On ne peut pas soutenir ce qu’a fait Vladimir Poutine quand il a envahi l’Ukraine. En même temps, on ne peut pas tomber dans une sorte d’Otanophilie béate comme ce que font beaucoup de gens sur les plateaux de télé, dans la bourgeoisie. … C’est un choc qui va être payé par les classes populaires de Russie et de l’OTAN, surtout en Europe. On est devant une inflation qui est là, devant une augmentation des prix de l’énergie qui est là. La politique va régler: qui va payer le prix de l’inflation, le monde du travail ou le patronat, les actionnaires?»
Clément, qui s’était mobilisé «pour défendre la cause des travailleurs, de l'urgence écologique et globalement du socialisme», a commenté la lien entre la guerre en Ukraine et la grève: «C’est la guerre en Ukraine qui a causé ce problème d’approvisionnement et pétrole et en gaz naturel, et (les grévistes) essaient de faire rempart aux pratiques de Total par rapport au prix des carburants.»
Kamal a dit: «Quand j’entends M. Macron qui vient à la télé nous expliquer qu’il va donner 100 millions d’euros pour financer l’armement qui va aider l’Ukraine à aller se battre contre la Russie, et que personne ne réagit, je reste ahuri. Ma voisine, à la fin du mois, elle compte ces centimes pour manger. … La France, les grandes puissances, on a toujours de l’argent pour de l’armement, pour aller massacrer des gens, mais pour les classes populaires, les démunis, on n’en a jamais.»
Il a ajouté: «C’est la faute à l’Otan qu’on est arrivé là. Les Russes n’avaient pas demandé à l’Ukraine que les bases de l’Otan ne soient pas installées sur son territoire? On a fait du forcing pour le faire, quand même. Ça veut dire qu’on était dans de la provocation, on a créé cette situation. Il n’est pas tout rose, M. Poutine, mais les pays occidentaux ne le sont pas, non plus. … On a laissé les Occidentaux piller les pays africains. Ensuite, quand on avait créé la misère dans ces pays-là, on est venu créer de la misère dans les pays occidentaux, les grandes puissances.»