Le 31 janvier, le New York Magazine a publié un article du journaliste d’enquête Sean Campbell («Le mystère BLM: où est passé l’argent?») détaillant les allégations de longue date des sections locales et des militants contre la violence policière à l’endroit de la Black Lives Matter Global Network Foundation (BLMGNF) concernant la mauvaise gestion financière et le manque de soutien, financier et autre.
Parmi les principales révélations:
- En novembre 2020, 10 chapitres du BLMGNF ont publié une déclaration demandant une plus grande imputabilité financière. La déclaration dénonçait l’absence de «transparence interne quant au nombre inconnu de millions de dollars donnés au BLMGNF, qui ont certainement augmenté pendant cette période de pandémie et de rébellion.»
- Trois mois plus tard, le BLMGNF a publié, pour la première fois, quelques informations sur ses finances. Il a indiqué que BLMGNF avait recueilli plus de 90 millions de dollars en 2020, engagé 8,4 millions de dollars de dépenses de fonctionnement, distribué 21,7 millions de dollars de subventions à plus de 30 organisations et conservé quelque 60 millions de dollars.
- En mars 2021, deux mères de victimes de violences policières, Lisa Simpson, la mère de Richard Risher, 18 ans, tué par la police de Los Angeles en 2016, et Samaria Rice, la mère de Tamir Rice, 12 ans, tué par la police de Cleveland en 2014, ont publié une déclaration [article en anglais] demandant que BLMGNF cesse d’exploiter la mort de leurs enfants pour gagner de l’argent.
- Elles ont écrit: «Nous ne voulons pas et n’avons pas besoin que vous paradiez tous dans les rues pour accumuler des dons, des plateformes, des contrats de cinéma, etc. en vous servant de la mort de nos proches, alors que les familles et les communautés sont laissées désemparées et brisées. Ne dites pas le nom de nos proches, point final! C’est notre vérité!»
- Le mois suivant, en avril 2021, la cofondatrice et alors directrice générale de BLMGNF, Patrisse Cullors, a publiquement dissocié l’organisation d’une manifestation locale organisée en opposition à un rassemblement de suprémacistes blancs dans le comté d’Orange, en Californie. Au lieu de cela, elle a exhorté les partisans de BLM à se joindre à une soirée dansante «worldwide electric slide» commanditée par la société de bottes UGG, qui se tenait le même jour.
- Le même mois, le New York Posta révélé que Cullors et sa femme avaient acheté quatre propriétés d’une valeur d’environ 3 millions de dollars entre 2016 et 2021.
- Cullors a démissionné de son poste de directrice générale du BLMGNF moins de deux mois plus tard, déclarant vouloir se concentrer sur d’autres projets, notamment des livres et un accord de production avec Warner Bros. Dans son article, Campbell cite l’activiste local du comté d’Orange qui a été désavoué par Cullors disant: «Ils se sont enrichis sur mon dos.»
- Melina Abdullah, professeur d’études panafricaines à la California State University Los Angeles et cofondatrice de Black Lives Matter LA, a récemment été la vedette d’une campagne de marketing «Beauty of Becoming» de Levi’s jeans. Dans l’article du New York Magazine, Campbell note qu’un sous-traitant de Levi’s a travaillé pour tuer un projet de loi sur le salaire minimum en Haïti.
- En février 2017, le BLMGNF comptait 25 sections locales. Cette liste a été réduite à 19 chapitres en 2019. Depuis lors, la liste des chapitres locaux a été retirée du site Internet de l’organisation.
Les faits qui émergent démontrent que Black Lives Matter est en grande partie une création des grands médias et du Parti démocrate, et non l’expression authentique d’une opposition populaire à la brutalité et aux inégalités sociales omniprésentes dans la société américaine. Les révélations illustrent les couches sociales vénales et privilégiées dont les intérêts s’expriment par l’élévation de la race, plutôt que de la classe, comme ligne de division essentielle de la société.
L’argent de la grande entreprise et le capitalisme noir
En 2016, la Fondation Ford s’est engagée à verser 100 millions de dollars sur six ans à plusieurs organisations associées au «Movement for Black Lives.» En 2017, One United Bank, la plus grande banque américaine appartenant à des Noirs, s’est associée à #BlackLivesMatter pour lancer la carte de débit Visa «Amir» dans le cadre d’une campagne de promotion du capitalisme noir.
Les dons des entreprises ont explosé à la suite du meurtre de George Floyd par la police en mai 2020, qui a déclenché des protestations impliquant des millions de jeunes et de travailleurs aux États-Unis et dans le monde. Parmi les donateurs de divers groupes «antiracistes» liés au Parti démocrate, on trouve Google, Facebook, Amazon et Apple, qui engrangent des bénéfices records ou quasi records, soutenus par des milliards de dollars de subventions gouvernementales dans le cadre du projet de loi CARES sur l’aide pandémique. Des milliardaires comme Jeff Bezos et Bill Gates ont vu leur fortune doubler alors que le marché boursier s’envolait parallèlement à l’augmentation du nombre de décès, résultat voulu du fait de faire passer les profits avant les vies humaines.
Étant donné le caractère nébuleux de BLM en tant qu’organisation et son manque total de redevabilité financière, la question se pose: pourquoi des sections puissantes de la classe dirigeante et l’un de ses deux principaux partis ont-ils si lourdement financé et promu politiquement la marque de commerce Black Lives Matter?
Il est nécessaire de replacer la proéminence soudaine de l’organisation dans le contexte de la crise politique et sociale croissante du capitalisme américain.
Ce qui allait finalement devenir connu sous le nom de Black Lives Matter n’était guère plus qu’un «hashtag» circulant sur les médias sociaux après l’acquittement en 2013 de George Zimmerman, le «justicier» qui a tué Trayvon Martin. Les cofondateurs du groupe (Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi) n’avaient ni passé politique ni auditoire populaire.
Ce sont les événements entourant le meurtre de Michael Brown par la police en août 2014 à Ferguson, dans le Missouri, qui ont propulsé Black Lives Matter sur le devant de la scène nationale.
Survenant dans la foulée du meurtre d’Eric Garner par la police à New York, le meurtre de Brown a déclenché des manifestations de colère et de militantisme dans la banlieue ouvrière de St. Louis. En quelques heures, les autorités locales et de l’État, dont le gouverneur démocrate Jay Nixon, ont inondé la ville de policiers antiémeute lourdement armés, de troupes de la garde nationale, d’hélicoptères militaires et de véhicules blindés, instaurant de facto la loi martiale. Des centaines de manifestants ont été emprisonnés et des journalistes ont été menacés et détenus par des policiers brandissant des armes de type militaire.
Des millions de personnes aux États-Unis et dans le monde entier ont assisté, horrifiées, à la transformation de la ville en zone de guerre par le gouvernement. Six ans après le début de l’administration Obama, les événements de Ferguson ont mis en lumière l’état réel des relations sociales aux États-Unis. Les politiques de guerre sans fin à l’étranger et de militarisation de la société sur le territoire national, ainsi que l’augmentation constante des inégalités sociales alimentée par le renflouage des entreprises et l’«assouplissement quantitatif», n’ont fait que s’intensifier sous Obama.
L’arrivée d’un Afro-Américain à la tête de l’impérialisme américain à la place du méprisé George W. Bush visait à donner un nouveau visage politique au capitalisme américain. Cela n’a rien changé pour la classe ouvrière, noire ou blanche.
Particulièrement alarmante pour la classe dirigeante a été la réponse des jeunes manifestants aux charlatans de longue date des «droits civils» tels que Jesse Jackson et Al Sharpton, qui ont été accueillis par des huées ou de l’indifférence lorsqu’ils ont été envoyés à Ferguson pour désamorcer les manifestations et canaliser une fois de plus l’opposition derrière le Parti démocrate.
Les journalistes du World Socialist Web Site à Ferguson ont été chaleureusement accueillis par les jeunes manifestants lorsqu’ils ont souligné les problèmes de classe fondamentaux qui unissent toutes les sections de la classe ouvrière et le gouffre social qui sépare les travailleurs et les jeunes noirs de toutes les sections de l’establishment politique et de ses deux partis de droite.
C’est dans ces conditions que des médias alignés sur le Parti démocrate, comme le New York Times et le Washington Post, ont proclamé que Black Lives Matter, pratiquement inconnu avant Ferguson, était la véritable voix de l’opposition au racisme et à la brutalité policière. Profitant de la naïveté politique et du manque de connaissances historiques au sujet de la lutte des classes parmi les travailleurs et les jeunes, produits de décennies de réaction et d’attaques contre l’histoire et la science, la classe dirigeante a promu BLM afin de cadrer la lutte contre le racisme et les meurtres policiers entièrement en termes raciaux, afin de mieux canaliser la résistance croissante derrière des plans futiles de «réforme» de la police et la rhétorique des politiciens démocrates.
Les principaux représentants de Black Lives Matter se sont rendus à plusieurs reprises à la Maison-Blanche en 2015 et 2016. Le président Obama a prodigué des éloges à BLM, déclarant qu’il était convaincu qu’il allait «amener l’Amérique vers de nouveaux sommets» avec un nouveau mouvement pour les droits civiques.
Pendant ce temps, Obama a rejeté les demandes visant à mettre fin au programme d’acheminement de milliards de dollars d’équipements militaires aux services de police locaux, et son administration s’est opposée aux efforts visant à freiner légalement la police, plaidant devant les tribunaux fédéraux en faveur de l’«immunité qualifiée» et d’autres prétextes juridiques pour tolérer la répression policière.
En 2016, le Parti démocrate a doublé sa promotion de la politique raciale et de genre dans la campagne électorale de la va-t’en guerre de droite Hillary Clinton. Choqué par le large soutien apporté à Bernie Sanders lors des primaires démocrates par les travailleurs et les jeunes qui ont pris son discours sur le socialisme et une «révolution politique» contre la «classe des milliardaires» pour du concret, l’establishment du Parti démocrate a promu avec encore plus d’insistance la politique raciale et identitaire pour occulter les questions de classe fondamentales liées aux inégalités sociales.
La campagne de Clinton a ouvertement encouragé BLM, dont les dirigeants lui ont rendu la pareille en s’efforçant de canaliser l’opposition sociale derrière sa campagne, comme l’a fait Sanders lorsqu’il n’a pas obtenu l’investiture. L’hostilité à peine dissimulée de Clinton envers la classe ouvrière et la promotion de la politique identitaire ont fait le jeu de la campagne fasciste de Donald Trump, élevant cette personnification de la criminalité du patronat et de la réaction à la Maison-Blanche.
Comme l’a expliqué le WSWS, l’éruption de la pandémie de COVID-19 a été un événement déclencheur historique, aggravant toutes les contradictions et les crises du capitalisme américain et mondial. Les élections de 2020 se sont déroulées sous l’impact de la pandémie et du refus de la classe dirigeante de prendre les mesures nécessaires pour la contenir, parallèlement à une rébellion émergente dans la classe ouvrière contre les syndicats propatronaux.
Le Pfarti démocrate a sauvé la campagne quasi moribonde de Joe Biden en lançant un appel sur la base de la race lors de la primaire de Caroline du Sud, à la fin février 2020. Sous le parrainage d’une figure de longue date des démocrates noirs au Congrès, James Clyburn, l’establishment du parti a pu renverser la vapeur et assurer la nomination d’un représentant de l’aile droite du parti.
Le meurtre de George Floyd par la police en mai 2020 a déclenché les plus grandes manifestations de l’histoire des États-Unis. Elles étaient multiraciales et multiethniques. La majorité de ceux qui ont défilé et se sont rassemblés contre le racisme et la violence policière était blanche. Les manifestations ont eu lieu non seulement dans les grands centres urbains, mais aussi dans les petites villes et dans certaines régions du Sud profond. Elles se sont rapidement propagées dans le monde entier.
Elles étaient alimentées non seulement par le dégoût pour le nombre quotidien de meurtres commis par la police et l’indignation contre le racisme, mais aussi par les questions de classe fondamentales que sont la pauvreté, l’inégalité sociale et la réponse incompétente et meurtrière du système capitaliste à la COVID-19.
Les manifestations ont été immédiatement définies comme des manifestations «Black Lives Matter» afin de contrer la croissance de la solidarité de classe et la prise de conscience du caractère international de la lutte contre tous les maux du capitalisme.
Une analyse récente du Washington Post a révélé que les entreprises ont fait don de 50 millions de dollars à divers groupes de «justice raciale» après la mort de Floyd. L’augmentation du financement s’est accompagnée de l’encouragement d’attaques rétrogrades de la droite, fondées sur des notions de racisme blanc inaltérable contre des figures véritablement révolutionnaires de l’histoire des États-Unis. Il s’agissait notamment de la profanation et de la suppression des monuments de personnalités telles que Thomas Jefferson, George Washington, Ulysses S. Grant et Abraham Lincoln.
Comme le WSWS l’a expliqué le 11 juin 2020, après les funérailles de George Floyd :
Les manifestations ont exprimé un puissant désir de changement fondamental. Au sein de ce mouvement, un nombre croissant de personnes reconnaissent que la brutalité policière est une manifestation de maux sociaux plus profonds qui sont enracinés dans la structure économique de la société et l’extrême concentration des richesses au sein d’un petit segment de la population. Cette prise de conscience croissante, qui tend inévitablement vers le socialisme et le rejet explicite du capitalisme, effraie la classe dirigeante. Elle fait donc tout son possible pour détourner le mouvement de masse vers des canaux politiquement gérables. C’est la fonction du récit racial qui domine toute discussion officielle sur la brutalité policière et le meurtre de George Floyd.
Un bilan politique
À la suite de la victoire de Biden en 2020, le BLMGNF a publié un communiqué officiel déclarant que «les Noirs – en particulier les femmes noires – ont sauvé les États-Unis» en votant Biden.
Vraiment? Quel est le bilan?
L’administration Biden a adopté la politique d’«immunité collective» de Trump, exposant la population à l’infection et à la mort de masse, les décès dus au COVID-19 devant bientôt atteindre 1 million.
Elle entraîne le peuple américain et le monde entier dans une guerre contre la Russie qui menace de déclencher un holocauste nucléaire.
Elle a déclenché une inflation incontrôlée, plongeant les travailleurs dans une pauvreté encore plus grande, le coût de la vie dépassant largement les augmentations de salaire.
Rien n’est fait pour contrer l’assaut républicain contre le droit de vote. Tous les mirages de la réforme sociale se sont évaporés. Les modestes mesures d’aide adoptées aux premiers stades de la pandémie ont été éliminées et de nouvelles mesures sociales ont été abandonnées.
Quant à la réforme de la police, Biden a encouragé les États à utiliser les centaines de milliards de dollars de l’aide pandémique pour augmenter le financement de la police locale, tandis que des projets de loi symboliques sur la réforme de la police ont été abandonnés.
Le déchaînement de la violence policière et des meurtres se poursuit sans relâche, les meurtres par des policiers continuant à dépasser les 1.000 par an.
Trump est autorisé à poursuivre sans entrave la construction de son mouvement fasciste, tandis que les démocrates s’emploient à couvrir la conspiration visant à renverser la Constitution, en appelant à l’«unité» avec les «collègues» républicains qui ont cautionné la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021.
Black Lives Matter et d’autres mouvements identitaires représentent la bourgeoisie et une couche privilégiée de la classe moyenne qui cherchent à s’enrichir personnellement par la promotion de la politique de la race et du genre. Sous Obama, les inégalités sociales chez les Afro-Américains ont augmenté plus rapidement que dans l’ensemble de la population. Au cours de sa présidence, de 2007 à 2016, les 1% d’Afro-Américains les plus riches ont vu leur part de la richesse totale détenue par les Noirs aux États-Unis passer de 19,4% à 40,5%.
La pseudo-gauche joue un rôle essentiel dans la promotion de cette marque de commerce politique. Elle va de pair avec le soutien au Parti démocrate, l’un des deux partis de Wall Street et de la CIA, et ses tentatives de soutenir la bureaucratie syndicale pro-entreprise détestée. Elle a longtemps servi d’arme idéologique à la classe capitaliste pour diviser la classe ouvrière.
La lutte contre la brutalité policière et le racisme ne peut être gagnée que par l’abolition du système capitaliste et la lutte pour le socialisme.
(Article publié en anglais le 24 février 2022)