Les funérailles de George Floyd à Houston, au Texas, ont eu lieu mardi, après deux semaines de puissantes protestations qui ont éclaté contre les violences policières suite à la diffusion de la vidéo de son meurtre aux mains de quatre policiers de Minneapolis.
Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue dans tous les États américains et dans des dizaines de villes du monde entier. Ces manifestations spontanées ont rassemblé des manifestants de toutes origines ethniques et couleurs de peau, et sont motivées non seulement par un sentiment écrasant d’indignation et de dégoût face au meurtre d’un Noir désarmé par les policiers, mais aussi par une colère plus générale face à la brutalité, à l’injustice et à l’inégalité qui règnent dans la société américaine.
C’est l’expérience de masse de millions de jeunes et de travailleurs ordinaires avec la brutale réalité américaine qui explique la réponse explosive à l’agonie finale de Floyd.
Les manifestations ont exprimé un puissant désir de changement fondamental. Au sein de ce mouvement, un nombre croissant de personnes reconnaissent que la brutalité policière est une manifestation de maux sociaux plus profonds qui sont enracinés dans la structure économique de la société et l’extrême concentration des richesses au sein d’un petit segment de la population. Cette prise de conscience croissante, qui tend inévitablement vers le socialisme et le rejet explicite du capitalisme, effraie la classe dirigeante. Elle fait donc tout son possible pour détourner le mouvement de masse vers des canaux politiquement gérables. C’est la fonction du récit racial qui domine toute discussion officielle sur la brutalité policière et le meurtre de George Floyd.
Il est utile de passer en revue les différentes étapes de la réponse de la classe dirigeante à ce meurtre.
La réponse initiale au meurtre de Floyd a été la dissimulation typique de chaque meurtre perpétré par la police. Aucun des officiers impliqués n’a été inculpé ou arrêté. La vidéo de sa mort s’est répandue sur les médias sociaux et a fait éclater le récit selon lequel ce n’était qu’un autre décès survenu en détention policière et a déclenché une éruption de colère qui s’était accumulée juste sous la surface.
Une fois l’establishment politique remis de son choc initial face à la réaction au meurtre de Floyd, où des protestations éclataient nuit après nuit, d’abord dans les rues de Minneapolis puis dans tout le pays, la classe dirigeante a réagi avec toute la force de l’État. La police a battu et mutilé les manifestants, tiré volée après volée de gaz lacrymogène, de grenades fumigènes, de balles en caoutchouc, de «beanbags» et de gaz poivré. Les manifestants pacifiques ont été calomniés et traités d’émeutiers et de pillards, et la police a ciblé les journalistes dans ses agressions et arrestations. Plus de dix mille personnes ont été arrêtées, la plupart d’entre eux pour avoir violé les couvre-feux fixés par les maires démocrates. La police a blessé des centaines de personnes et en a tué plusieurs lors de ses assauts. La Garde nationale a été déployée dans des dizaines d’États pour aider à la répression.
Le point culminant de la répression s’est produit à Washington, DC, où le président Donald Trump a tenté de déclencher un coup d’État militaire. Ce plan a échoué – du moins pour le moment – non pas à cause de l’opposition du Congrès (il n’y en avait aucune), mais parce que certaines sections de l’armée craignaient que son intervention prématurée ne déclenche une résistance violente et une guerre civile pour laquelle le Pentagone n’était pas encore suffisamment préparé.
Dans cette situation instable, le Parti démocrate, les médias traditionnels et les grandes entreprises ont passé à la vitesse supérieure de leur tentative de détourner le mouvement, pour transformer les enjeux qui ont motivé les jeunes et les travailleurs à se tourner vers la rue afin de les canaliser dans une voie plus acceptable pour la classe dirigeante. Ainsi, on a amplifié le rôle que le racisme joue dans la violence policière pour noyer toutes les autres questions sociales.
Si les funérailles de Floyd ont permis à sa famille et au public qui s’est rallié à leur cause d’exprimer leur chagrin de manière authentique, elles ont été cyniquement manipulées par cette couche de l’establishment politique et de la bourgeoisie noire qui se spécialise dans la désorientation et le désarmement de l’opinion publique en colère.
Le candidat présumé des démocrates à la présidence, l’ancien vice-président Joe Biden, et le colporteur politique Al Sharpton ont mené la danse lors de la cérémonie pour présenter la violence policière comme un problème fondamentalement racial qui peut être résolu par de légères réformes. Ils n’avaient rien à dire sur le fait que le président Trump et une partie importante de l’État avaient profité des manifestations pour préparer un coup d’État visant à renverser la Constitution.
Sharpton a affirmé malhonnêtement que si la victime à Minneapolis avait été blanche et les policiers noirs, on n’aurait eu aucune hésitation à arrêter les policiers et à porter des accusations. Biden a déclaré que le meurtre de Floyd était le résultat d’«abus systémique».
Si quelqu’un représente l’abus systémique, c’est bien Biden, dont la carrière politique sur une période de près de 50 ans est marquée par la criminalité, l’indifférence et la réaction. Il a joué un rôle majeur dans la structure du pouvoir du Parti démocrate, en rédigeant la loi de 1994 sur le contrôle des crimes violents et l’application de la loi, qui a aggravé l’incarcération massive d’hommes, principalement afro-américains, et a étendu la peine de mort. En tant que vice-président de Barack Obama pendant huit ans, Biden a fait partie d’une administration qui a acheminé des milliards de dollars de matériel militaire à la police et a blanchi les meurtres policiers les uns après les autres.
Rejetant les appels à «couper le budget» de la police, Biden propose plutôt de fournir 300 millions de dollars de financement fédéral supplémentaire pour «revigorer» la police et aider à mettre en œuvre des changements limités, comme plus de caméras corporelles, une norme nationale pour l’utilisation de la force et l’embauche de plus de policiers issus des minorités. Il demande également d’intégrer les prestataires de services sociaux à la police lorsqu’il s’agit de répondre à des appels d’urgence concernant la santé mentale, la consommation de drogue ou les sans-abri. Cela obligerait ainsi les travailleurs sociaux à agir comme une division de la police.
L’ancien adversaire de Biden lors des primaires du Parti démocrate, Bernie Sanders, a adopté la même position. Dans une interview publiée dans le New Yorker mardi, Sanders s’est opposé aux appels à «abolir» ou «couper le budget» de la police, demandant plutôt plus de financement et plus de formation. Dans sa longue interview, Sanders a évité toute mention de «révolution politique» (son ancien slogan de campagne) ou de la «classe des milliardaires». Ses positions sont désormais indissociables de celles de Biden.
Toute référence à la réalité qui motive à la fois la brutalité de la police et l’éruption massive de protestations populaires est laissée de côté dans tous les commentaires des grands médias et de l’establishment politique.
On n’a même pas mentionné le fait que la police tue plus de 1.000 personnes chaque année, soit une moyenne de trois meurtres par jour, dont la majorité n’est pas afro-américaine. On n’a pas mentionné non plus le sort des travailleurs hispaniques et autres qui sont arrêtés par milliers dans le cadre de la guerre fasciste de Trump contre les immigrés. Nul ne parle du niveau historique de chômage qui frappe le pays en raison de la pandémie de COVID-19. On ne parle pas non plus des 114.000 morts dues aux politiques meurtrières menées par le gouvernement Trump et les administrations des États.
Les guerres sans fin des États-Unis à l’étranger et la relation entre ces guerres et la violence policière militarisée dans le pays sont également mises de côté. Un fait qui était largement compris dans les années 1960 – à savoir que la violence de l’impérialisme américain à l’étranger était liée à la violence de l’État dans le pays – est ignoré. La relation bien documentée entre la police, l’armée et les préparatifs de la répression de masse est elle aussi passée sous silence.
Alors qu’il est facile pour des expressions telles que «suprématie blanche» et «racisme systémique» de sortir de la bouche de ces politiciens bourgeois, un mot ne peut être prononcé: capitalisme. On ne doit pas examiner les processus sociaux et économiques plus profonds, les immenses niveaux d’inégalité sociale accumulés au cours des décennies qui ont créé les conditions de la mort de Floyd et de tant d’autres travailleurs comme lui. Au lieu de cela, les appels à des réformes creuses qu’on ne cesse d’entendre depuis 50 ans résonnent une fois de plus.
Le but des démocrates et de leurs alliés dans les médias, la pseudo-gauche et le monde universitaire est de chloroformer l’opinion publique avec des platitudes selon lesquelles il faille affronter la «fragilité blanche», en s’assurant que la relation entre la violence policière et le système social et économique au sens large ne soit évoquée de manière significative. L’objectif des arguments sophistiques développés par les universitaires de la classe moyenne – et maintenant déployés par les démocrates – est d’absoudre le système capitaliste de toute faute et de présenter la violence policière comme le résultat d’une société irrémédiablement raciste: incarnée en particulier par les travailleurs blancs.
Les manifestations de ces deux dernières semaines, qui ont été multiraciales et multiethniques et ont balayé toutes les régions du pays, ont fait voler en éclats les arguments selon lesquels les États-Unis sont une société fondamentalement raciste.
Témoignant hier devant le Congrès, Philonise Floyd, le frère de George Floyd, a éloquemment attiré l’attention sur le mouvement uni et international qui a émergé à la suite de sa mort: «George a appelé à l’aide et il a été ignoré. Veuillez écouter l’appel que je vous adresse maintenant, les appels de notre famille, et les appels qui résonnent dans les rues du monde entier. Des gens de tous les milieux, de tous les sexes et de toutes les races se sont rassemblés pour exiger le changement».
Les travailleurs et les jeunes doivent reconnaître que le récit racial déployé par la classe dirigeante n’explique rien aux problèmes fondamentaux auxquels la classe ouvrière est confrontée aux États-Unis et dans le monde entier.
Le Parti de l’égalité socialiste cherche à relier la lutte contre la violence policière et la défense des droits démocratiques à un mouvement politique indépendant de toute la classe ouvrière contre l’inégalité, la pauvreté, la guerre et le système capitaliste. La construction d’un mouvement socialiste offre aujourd’hui un énorme potentiel. Mais la radicalisation politique des masses de travailleurs et de la jeunesse doit être transformée en une lutte révolutionnaire consciente pour le socialisme.
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(Article paru en anglais le 11 juin 2020)