Le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping ont tenu leur premier sommet officiel sous forme d’une réunion virtuelle de trois heures et demie, lundi soir. L’événement, mis en scène alors que Washington fait monter le risque de guerre entre les deux pays comme jamais dans l’histoire, n’a rien résolu.
Alors que Biden, dans la salle Roosevelt de la Maison blanche, et Xi depuis le Palais de l’Assemblée du Peuple à Pékin s’adressaient l’un à l’autre, la discussion n’a jamais dépassé le stade des formalités rigides et traduites. Les tensions entre les deux puissances étaient si vives – et Washington en particulier si intransigeant – que le sommet s’est terminé sans aucune annonce majeure, voire même de déclaration commune, l’indication la plus sûre de l’échec historique d’un sommet.
Au moment où les deux puissances foncent tête baissée vers la guerre, ce sommet n’a été qu’un geste impuissant et ritualisé où l’on prononce des paroles de retenue et se livre à des manœuvres diplomatiques. Les classes dirigeantes des États-Unis et de la Chine sont poussées vers un conflit par les contradictions inhérentes au capitalisme. L’économie capitaliste est un ensemble mondial intégré, mais la classe capitaliste exerce sa domination par le biais de l’État-nation. L’incitation à la guerre exprime la lutte des nations capitalistes rivales pour rediviser l’économie mondiale par des moyens militaires.
Depuis plus d’une décennie, Washington serre systématiquement la vis à Pékin, cherchant par la menace militaire et les sanctions économiques à contenir l’essor de la Chine et à la subordonner aux intérêts du capitalisme américain. Tant le «pivot vers l’Asie» du gouvernement Obama que les mesures de guerre commerciale du gouvernement Trump poursuivent cet objectif commun.
Durant l’année passée, le gouvernement Biden a poussé ces tensions latentes jusqu’à un doigt d’un conflit ouvert. Washington a délibérément visé l’aspect le plus sensible des relations étrangères chinoises: la revendication de Pékin sur Taïwan. Biden a déclaré publiquement que les États-Unis s’engageaient à défendre Taïwan contre la Chine continentale. La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a confirmé que Washington avait déployé des troupes sur l’île pour organiser des exercices d’entraînement avec les forces taïwanaises. Ces mesures ont effectivement sapé ce qui avait été un principe fondamental de la stabilité géopolitique du dernier demi-siècle – la politique d’une seule Chine.
Taïwan est crucial pour les intérêts économiques et géostratégiques de la bourgeoisie montante en Chine, et le régime du Parti communiste chinois (PCC) qui représente leurs intérêts a clairement indiqué qu’il s’agissait là d’une ligne rouge. Xi a déclaré à Biden que les démarches des «autorités taïwanaises visant à rechercher le soutien des États-Unis pour leur programme d’indépendance, ainsi que l’intention de certains Américains d’utiliser Taïwan pour contenir la Chine» étaient «extrêmement dangereuses et reviennent à jouer avec le feu». «Quiconque joue avec le feu», a-t-il averti de manière inquiétante, «se brûlera».
La classe capitaliste en Chine a ses propres intérêts économiques mondiaux. Ces intérêts débordent et empiètent sur les intérêts établis des grandes puissances impérialistes, en particulier ceux des États-Unis. Le PCC cherche, par le biais de la diplomatie, des investissements et du déploiement militaire, à étendre et à renforcer la classe bourgeoise en Chine.
La montée en flèche du nombre de victimes de la pandémie de COVID-19, l’inflation galopante et l’émergence explosive de luttes de classe ouvertes aux États-Unis n’ont fait qu’ajouter à l’irresponsabilité géopolitique de Washington. Cherchant à trouver un moyen de réorienter et de supprimer la lutte des classes, le capitalisme américain vise la Chine.
Dans le numéro de novembre-décembre de Foreign Affairs, John Mearsheimer, spécialiste en vue des relations internationales, souligne combien le danger d’une guerre mondiale est avancé. Il écrit: «La Deuxième Guerre froide est déjà là et quand on compare les deux guerres froides, il devient évident que la rivalité entre États-Unis et Chine a plus de chances de déboucher sur une guerre ouverte que ne l’était celle entre États-Unis Union soviétique». Il ajoute: «Non seulement une guerre entre grandes puissances est plus probable dans la nouvelle guerre froide, mais l’usage du nucléaire l’est aussi.»
Washington et Pékin sont conscients des enjeux mortels, mais aucune des parties ne peut faire marche arrière. Elles sont poussées à la confrontation. Les formalités ritualisées du sommet de lundi expriment l’incapacité fondamentale des classes capitalistes à repartager le monde pacifiquement. L’évolution de la situation économique de Washington et de Pékin les pousse à la guerre.
Dans ce conflit croissant, l’impérialisme américain est l’agresseur. Biden a fait la leçon à Xi ; il a accusé la Chine du changement climatique et critiqué le bilan de Pékin en matière de «droits de l’homme» au Xinjiang, à Hong Kong et au Tibet.
L’hypocrisie de Biden est stupéfiante. Pas plus tard que ce week-end, le New York Times a révélé que les forces américaines avaient commis un crime de guerre majeur en Syrie ; elles ont incinéré au moins 80 femmes et enfants non armés et enterré les corps sous des décombres pour cacher le crime. Washington est couvert de sang. Quand Biden dit s’inquiéter des droits de l’homme, ce n’est que pour fournir un prétexte pour des crimes encore plus grands.
À propos de la pandémie, Xi a rappelé à Biden que «la réponse à toute maladie majeure doit être basée sur la science» et a déclaré que «la politisation des maladies ne fait aucun bien, mais seulement du mal.» Plus de 780.000 personnes sont mortes du COVID-19 aux États-Unis, une nation de 330 millions d’habitants; moins de 5.000 sont mortes en Chine, une nation de 1,4 milliard d’habitants. Là où Pékin a mené une politique scientifique d’élimination, les gouvernements Trump et Biden, de manière calculée et criminelle, ont donné la priorité au profit sur les vies humaines et le résultat a été un meurtre de masse.
L’opposition de Xi à la «politisation des maladies» était une référence voilée au mensonge du ‘laboratoire de Wuhan’, l’affirmation sans fondement répandue par les médias américains, en particulier le Washington Post, et traitée comme crédible par la Maison-Blanche de Biden. Selon ce mensonge, le COVID-19 provient d’un laboratoire de Wuhan et la Chine est responsable de la pandémie.
L’échec abject du sommet Biden-Xi, incapable de produire ne serait-ce qu’un document de synthèse, exprime avant tout la belligérance de Washington. CNN a cité ainsi un haut responsable du gouvernement Biden résumant l’événement: «Je ne pense pas que le but était particulièrement d’apaiser les tensions, ou que cela soit le résultat. Nous voulons nous assurer que la concurrence est gérée de manière responsable, que nous avons les moyens de le faire. Le président a été très clair sur sa volonté de s’engager dans cette concurrence acharnée».
Là où Xi a parlé de «coopération», Biden a répondu par «concurrence» et a appelé à la mise en place de «garde-fous de bon sens» pour «garantir que la concurrence entre nos pays ne dérive pas vers un conflit, que ce soit intentionnel ou non».
La bureaucratie du PCC, dont Xi Jinping est le chef, n’a aucune réponse au danger de la guerre. Le PCC stalinien a usurpé la direction de la révolution chinoise et lorsque sa perspective nationaliste a atteint une impasse, il a supervisé la restauration du capitalisme. Il a réprimé la classe ouvrière chinoise et a profité de la vente de son travail au capital financier international. Il représente les intérêts de la bourgeoisie chinoise qui cherche à jouer un rôle sur la scène mondiale.
Des secteurs du régime liées à l’armée publient des éditoriaux belliqueux dans le Global Times, menaçant d’un conflit armé au sujet de Taïwan. Le gouvernement cultive délibérément un sentiment de nationalisme, préparant ainsi la base idéologique pour une mobilisation de masse et pour la guerre. Les autres secteurs qui craignent la guerre espèrent vainement un nouveau rapprochement avec Washington.
Dans sa course au conflit de grandes puissances avec la Chine, l’impérialisme américain n’a pas de grand plan, pas de stratégie gagnante. Il n’a aucune solution à la pandémie, à l’inflation, aucune réponse à la montée de la lutte des classes, sauf la répression et la guerre.
Biden a parlé d’établir des «garde-fous» pour éviter le danger de «dériver» vers un conflit, mais la guerre ne sera pas une sortie de la trajectoire actuelle des États-Unis et de la Chine. C’est la fin à laquelle ils sont conduits par la logique objective du capitalisme.
La classe ouvrière peut et doit mettre un terme à cette marche irresponsable vers la guerre mondiale. Les travailleurs chinois et américains ont les mêmes intérêts ; ceux-ci ne peuvent être défendus que par une stratégie socialiste internationale commune pour mettre fin au capitalisme et à la menace de guerre impérialiste. Telle est la perspective du trotskysme qui est organisé au sein du Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article paru d’abord en anglais le 17 novembre 2021)