La frégate Bayern (Bavaria), l'un des plus grands navires de guerre allemands, est en route pour la région Inde-Pacifique depuis le 2 août.
Avec un trajet total de plus de 30.000 miles nautiques, cette opération est l’une des plus complètes de la marine allemande depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Bayern a traversé la mer du Nord et la Manche avant de traverser l’Atlantique Nord-Est, puis le détroit de Gibraltar et la mer Méditerranée. De là, il poursuivra sa route par le canal de Suez et la mer Rouge, traversera l’océan Indien et atteindra le Pacifique occidental, qui devrait être atteint à l’automne.
La partie la plus explosive politiquement et militairement du voyage c’est le trajet de retour. C’est à ce moment que la frégate traversera la mer de Chine méridionale et le détroit de Malacca. Ce dernier, en raison de son importance économique et géostratégique, est considéré comme «l’aorte de la région Inde-Pacifique».
La mer de Chine méridionale est au cœur du renforcement militaire américain dirigé contre la Chine. Sous la direction du président Biden, Washington a intensifié ses opérations provocatrices de «liberté de navigation» dans les eaux revendiquées par la Chine en mer de Chine méridionale et se prépare à installer des missiles offensifs le long des côtes de plusieurs îles densément peuplées de la région, entre autre au Japon, à Taïwan et aux Philippines.
L’intervention de l’Allemagne dans l’Inde-Pacifique non seulement accroît le danger de guerre dans la région, elle ouvre une nouvelle étape dans le retour du militarisme allemand.
Dans son discours à l’occasion du départ du Bayern à Wilhelmshaven, la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer a déclaré explicitement que le but de la mission était de faire valoir les intérêts géostratégiques et économiques de l’impérialisme allemand dans la région. «En tant qu’acteur majeur du commerce et de l’exportation dans la région, nous avons fortement intérêt à sécuriser les routes commerciales libres», a-t-elle déclaré.
Bien que Kramp-Karrenbauer ait affirmé que l’engagement de l’Allemagne dans l’Inde-Pacifique n’était «pas contre quelque chose ou quelqu’un», son discours était une attaque directe de la Chine. «Le message est clair, nous hissons le drapeau pour nos intérêts et nos valeurs», a-t-elle déclaré. C’était «important», car c’était «une réalité pour nos partenaires de l’Inde-Pacifique que les mers sont restreintes et que les voies maritimes ne sont plus sûres.» L’expérience montrait que «les revendications territoriales se [faisaient] sur la base de la loi du plus fort.»
Elle a directement menacé Pékin: «Nous coopérerons avec la Chine là où nous le pouvons et nous riposterons là où nous le devons. Parce que nous résisterons fermement à quiconque tente d’ignorer le droit international et de nous imposer ses propres et nouvelles règles de jeu, à nous et à nos partenaires.» Bien que les vents contraires «se durcissent, nous savons comment hisser nos voiles contre eux. Nous ne nous laisserons pas détourner de notre cap».
Kramp-Karrenbauer a ouvertement indiqué en quoi consistait ce «cap». Avec cette mission, «les soldats mettent en œuvre de manière pratique et visible ce que le gouvernement allemand a défini dans sa doctrine pour l’Inde-Pacifique», a-t-elle déclaré.
Le document stratégique publié par le ministère des Affaires étrangères en septembre 2020 déclarait que l’Inde-Pacifique était «la clé pour façonner l’ordre international au XXIe siècle». Il formule clairement la revendication allemande de jouer un rôle de leader dans la région. «L’Himalaya et le détroit de Malacca peuvent sembler bien loin. Mais notre prospérité et notre influence géopolitique dans les décennies à venir dépendront en particulier de la manière dont nous coopérons avec les États de l’Inde-Pacifique.» En tant que «nation commerciale active au niveau mondial», l’Allemagne ne peut «se contenter du rôle de spectateur.»
Le discours ‘grande puissance’ de Kramp-Karrenbauer s’est achevé par cette déclaration, «De Wilhelmshaven à l’océan Indien, en passant par la Méditerranée, la mer de Chine méridionale et le Pacifique, l’IPD [ Déploiement Inde-Pacifique] est un exemple de comment l’Allemagne prend ses responsabilités.» La «signification plus fondamentale de la mission» allait «au-delà des sept mois à venir». Elle représentait «l’engagement actif de l’Allemagne en faveur de l’ordre fondé sur des règles et l’importance stratégique accrue de la mer.»
Les plans mégalomanes de Berlin pour affronter une Chine dotée de l’arme nucléaire dans la mer de Chine méridionale et à se réaffirmer en tant que puissance navale et mondiale sont dans la continuité des guerres de l’impérialisme allemand.
Le 27 juillet 1900, l’empereur Guillaune II tenait son fameux «discours des Huns» à Bremerhaven. À l’occasion du départ de la compagnie allemande d’extrême Orient, mobilisée pour réprimer brutalement la rébellion des Boxers en Chine, il a affirmé que l’armée allemande s’était au cours de «trente années de travail fidèle pour la Paix».
L’empereur allemand a accusé la Chine d’avoir «renversé le Droit des nations», d’avoir «bafoué le caractère sacré de l’ambassadeur et insulté les devoirs de l’hospitalité d’une manière jamais vue dans l’histoire du monde…». Guillaume II a alors proféré sa fameuse menace, que puisse le nom des Allemands en Chine être comme celui des Huns jadis en Europe «pendant mille ans affirmé de telle manière qu’aucun Chinois n’osera plus jamais regarder un Allemand de travers.»
Cette agression fut le prélude à la Première Guerre mondiale. L’intervention contre la rébellion des Boxers, initialement lancée comme une opération conjointe, a intensifié les conflits entre les puissances impérialistes, culminant à partir d’août 1914 dans ce qui était jusque là le plus grand massacre de masse de l’histoire mondiale. L’Empire allemand avait lancé un programme de réarmement massif au cours des années précédentes visant, avec les «lois sur la flotte», en particulier la marine.
La classe dirigeante y travaille à nouveau. Le rapport actuel du gouvernement fédéral sur l’armement prévoit l’achat de plusieurs navires de guerre. Cela comprend la construction de quatre navires polyvalents de classe 180, une option pour l’achat de deux autres, la mise en service d’une frégate de classe Bade-Wurtemberg 125, cinq corvettes de classe 130 et deux sous-marins de classe 212 ‘Common Design’.
Le coût de ce réarmement est gigantesque. Rien que pour l’achat des quatre navires polyvalents, 5,27 milliards d’euros ont été prévus. Il s’agit du plus grand projet de la marine depuis l’effort massif d’armement naval de la Seconde Guerre mondiale, et ce n’est que le début. En mars 2019, Kramp-Karrenbauer et la chancelière allemande Angela Merkel s’étaient prononcés pour un projet de construction d’un porte-avions allemand.
Dès 2014, le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) a analysé les forces objectives sous-tendant le retour du militarisme allemand et a mis en garde dans une résolution contre ses implications. Quelques mois à peine après que l’ancien ministre des Affaires étrangères et actuel président allemand, Frank-Walter Steinmeier, ait déclaré à la Conférence sur la sécurité de Munich que l’Allemagne était «trop grande et trop forte économiquement pour commenter la politique mondiale depuis la touche», nous avions écrit:
«L’histoire revient en force. Près de 70 ans après les crimes des nazis et sa défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, la classe dirigeante allemande adopte à nouveau la politique impérialiste de grande puissance de l’empire du Kaiser et d’Hitler… La propagande de l’après-guerre – selon laquelle l’Allemagne avait tiré les leçons des terribles crimes des nazis, était “arrivée à l’Occident”, avait adopté une politique étrangère pacifique et s’était développée en une démocratie stable – est démasquée comme un mensonge. L’impérialisme allemand se montre à nouveau comme il est apparu historiquement, avec toute son agressivité à l’intérieur comme à l’extérieur».
Sept ans plus tard, il est clair que cette évaluation était correcte. Malgré les crimes innommables qu’elle a commis au cours de deux guerres mondiales, il n’y a au XXIe siècle pour l’élite dirigeante allemande aucune limite à la poursuite de ses intérêts impérialistes. Après avoir sacrifié des dizaines de milliers de gens sur l’autel du profit dans la pandémie de COVID-19, elle se prépare maintenant, avec ses alliés impérialistes, à des conflits militaires majeurs.
La menace d’une troisième guerre mondiale catastrophique confère une énorme urgence à la construction d’un mouvement anti-guerre de la classe ouvrière internationale dont le but est d’en finir avec la source de la guerre – le système de profit capitaliste – et d’établir une société socialiste mondiale.
Le SGP condamne dans les termes les plus forts l’envoi par l’Allemagne de la frégate dans la région Inde-Pacifique. Dans la campagne électorale fédérale, nous lutterons de plus belle pour armer d’un programme socialiste l’opposition généralisée des travailleurs et des jeunes au militarisme, au fascisme et à la guerre. Tandis que le Parti de Gauche et les Verts s’apprêtent à soutenir l’effort de guerre allemand dans un gouvernement, le SGP revendique dans sa déclaration électorale «L’arrêt immédiat de toutes les interventions étrangères! Dissolution de l’OTAN et de l’armée allemande! Des milliards pour l’éducation et la santé au lieu du réarmement et de la guerre».
(Article paru d’abord en anglais le 7 août 2021)