Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s’est rendu à Téhéran durant le week-end et y a signé un traité d’une durée de 25 ans avec son homologue iranien Javad Zarif. Les termes de ce traité n’ont pas été divulgués. Toutefois, les médias américains ont noté qu’une version antérieure du traité, obtenue par des responsables américains qui l’ont montrée au New York Times, comportait 400 milliards de dollars d’investissements chinois en Iran en échange d’exportations de pétrole iranien, ainsi qu’une alliance stratégique.
Pékin défie les sanctions économiques imposées par l’ancien président américain Donald Trump après avoir unilatéralement déchiré le traité nucléaire iranien de 2015, et que le nouveau président américain Joe Biden n’a toujours pas supprimées. En février, Biden avait soudainement bombardé une milice soutenue par l’Iran en Syrie, tuant au moins 17 personnes.
La décision de Pékin de signer ce traité avec Téhéran fait suite à un sommet sino-américain désastreux au début du mois en Alaska. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait parlé à la presse avant que le sommet ne commence afin de sermonner publiquement Wang. La Chine devait accepter un «ordre international fondé sur des règles» établies par Washington sinon elle aurait à faire à «un monde beaucoup plus violent et instable». Ensuite, le commandant de la flotte américaine du Pacifique, l’amiral John Aquilino, a menacé d’une guerre entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan, une guerre «bien plus proche de nous que la plupart ne pensent».
En signant un traité avec Téhéran, Pékin signale qu’il a conclu qu’il devait faire ses propres préparatifs contre un gouvernement Biden qui sera agressif et implacablement hostile. Pékin est sans aucun doute conforté dans son opinion par la propagande de guerre continue et sans fondement, démentie par les scientifiques, des politiciens américains qui allèguent que le COVID-19 a été fabriqué dans un laboratoire chinois.
Lors de la conférence d’Anchorage, Wang avait opposé face à Blinken l’engagement de la Chine en faveur du droit international à la politique étrangère de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. «Nous ne croyons pas à l’invasion par le recours à la force, ni au renversement d’autres régimes par divers moyens, ni au massacre de la population d’autres pays non plus, car tout cela ne ferait que provoquer des troubles et de l’instabilité dans ce monde. Et au bout du compte, tout cela ne servirait pas bien les intérêts des États-Unis.»
Avant de se rendre à Téhéran, Wang a accueilli son homologue russe Sergei Lavrov pour des entretiens dans la ville chinoise de Guilin, peu après que Biden ait dénoncé de manière provocante le président russe Vladimir Poutine comme un «tueur» qui n’avait pas «âme humaine».
Lors de la signature du traité, les responsables iraniens et chinois ont tous deux critiqué avec force les menaces de Washington. Zarif a qualifié la Chine d’«ami des jours difficiles», ajoutant: «nous remercions et louons la position de la Chine durant les sanctions oppressives.»
Wang a répondu: «Les relations entre nos deux pays ont désormais atteint un niveau stratégique, et la Chine cherche à promouvoir des relations inclusives avec la République islamique d’Iran… La signature de la feuille de route pour la coopération stratégique entre les deux pays montre la volonté de Pékin de promouvoir des liens au plus haut niveau possible.»
Selon le journal d’État chinois Global Times, Wang a déclaré aux responsables iraniens que «la Chine est prête à s’opposer à l’hégémonie et à l’intimidation, à sauvegarder la justice et l’équité internationales. Nous allons faire respecter les normes internationales avec le peuple iranien et les autres pays.»
Le traité, discuté pour la première fois entre le guide suprême iranien Ali Khamenei et le président chinois Xi Jinping en 2016, approfondit des liens économiques avec le Moyen-Orient que Pékin cherche depuis longtemps à développer par son programme d’infrastructure de la «Nouvelle route de la soie». Citant l’ambassadeur iranien en Chine Mohammad Keshavarz-Zadeh, le Tehran Times écrit que le traité «précise les capacités de coopération entre l’Iran et la Chine, notamment dans les domaines de la technologie, de l’industrie, des transports et de l’énergie.» Les entreprises chinoises ont construit en Iran des systèmes de transports en commun, des chemins de fer et d’autres infrastructures clés.
Bien que Washington n’ait pas encore réagi publiquement au traité Iran-Chine, les responsables américains l’ont précédemment dénoncé comme un défi fondamental aux intérêts de Washington, mêlant la propagande de «guerre contre le terrorisme» aux tentatives de raviver l’anti-communisme de la Guerre froide.
En décembre dernier, alors qu’on spéculait sur la signature du traité, le directeur du personnel de planification politique du Département d’État américain Peter Berkowitz l’a dénoncé sur Al Arabiya. Il a affirmé que l’adoption du traité serait «une très mauvaise nouvelle pour le monde libre». L’Iran semait « le terrorisme, la mort et la destruction dans toute la région. Le fait qu’il est renforcé par la République populaire de Chine ne fera qu’intensifier la menace».
Les trois décennies écoulées depuis la guerre du Golfe des États-Unis contre l’Irak et la dissolution de l’Union soviétique par le régime stalinien en 1991 ont démasqué ce genre de rhétorique. L’élimination de l’Union soviétique comme principal contrepoids militaire aux puissances impérialistes de l’OTAN n’a pas conduit à la paix et l’Iran n’a pas non plus été la principale source de «mort et de destruction». Pendant trois décennies, Washington et ses alliés impérialistes européens ont dévasté des pays comme l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie. Ils ont tué des millions de personnes sur la base de mensonges tels que l’assertion que l’Irak cachait des «armes de destruction massive».
Les dénonciations de l’Iran et de la Chine par Berkowitz sont liées à l’inquiétude croissante de Washington qui craint de perdre sa position hégémonique mondiale en raison des débâcles de ses guerres, de l’affaiblissement de son poids industriel et économique et maintenant de sa gestion désastreuse de la pandémie.
Depuis que les puissances de l’OTAN ont lancé en 2011 une guerre de changement de régime en Syrie, soutenant d’abord les milices islamistes puis les milices nationalistes kurdes, l’Iran, la Russie et de plus en plus la Chine, sont intervenus pour soutenir le président syrien Bachar el-Assad. Avec le traité Chine-Iran, il est désormais clair que ces guerres de l’OTAN portent en elles, comme au XXe siècle, les germes d’un conflit mondial pour le contrôle des marchés mondiaux et l’avantage stratégique.
Le poids industriel croissant de l’Asie et plus particulièrement de la Chine en tant qu’atelier de production pour les sociétés transnationales a intensifié ces conflits géopolitiques. Le commerce de la Chine avec le Moyen-Orient a atteint 294,4 milliards de dollars en 2019, dépassant le commerce américain de 2010 avec le Moyen-Orient. Pékin est le premier partenaire commercial de Téhéran et prévoit de développer davantage les infrastructures qui relient, dans le cadre de son initiative de «la Nouvelle route de la soie», la Chine à ses principaux marchés d’exportation en Europe, via le Pakistan, l’Iran et la Turquie.
Le sort du traité Chine-Iran est très incertain. Il fait certainement face à une puissante opposition interne en Iran où de larges sections de la classe dirigeante ont cherché en vain à développer des liens avec l’Europe face aux sanctions américaines. L’ancien président Mahmoud Amhadinejad s’était engagé à ce que «la nation iranienne ne reconnaisse pas un nouvel accord secret de 25 ans entre l’Iran et la Chine» lorsqu’on avait annoncé le traité pour la première fois en juin.
Les médias chinois se sont efforcés de démentir les allégations américaines selon lesquelles le traité visait Washington. Le Global Times s’est plaint de ce que le traité Chine-Iran fût «interprété par certains médias occidentaux dans une perspective de compétition géopolitique… pour dépeindre la coopération bilatérale entre la Chine et l’Iran, qui s’approfondit normalement, comme un défi des États-Unis».
Pékin et Téhéran ne cherchent pas la guerre avec Washington mais l’impérialisme américain a clairement fait savoir qu’il se réservait le droit de bombarder ou d’envahir tout pays qu’il considérait comme un défi à son hégémonie. Les régimes chinois et iranien — qui oscillent entre la recherche d’un accord et le défi aux puissances impérialistes — n’ont finalement aucune solution progressiste à ce danger croissant de guerre, dont l’origine se trouve dans la faillite du système capitaliste mondial. En dernière analyse, éviter une guerre nécessite la mobilisation internationale de la classe ouvrière.
Le traité Chine-Iran montre à quel point la redistribution du poids économique et industriel dans le monde a sapé les alliances internationales et les alignements géopolitiques existants. La contradiction qui selon les grands marxistes du 20e siècle a conduit à la guerre mondiale — entre l’économie mondiale et le système dépassé de l’État-nation — réapparaît avec une force énorme. La question cruciale qui se pose est de mobiliser la classe ouvrière sur un programme socialiste international contre la guerre.
(Article paru d’abord en anglais le 30 mars 2021)