Le gouvernement libéral du Canada dirigé par Justin Trudeau réduit considérablement l'aide financière apportée aux millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie de COVID-19. Jeudi, Chrystia Freeland, la nouvelle ministre des Finances, a annoncé que la Prestation d'urgence du Canada (PCU) sera supprimée à la fin du mois de septembre, et que l'aide financière pour la grande majorité des plus de 4,5 millions de travailleurs sans emploi qui dépendent maintenant de la PCU pour leur subsistance sera réduite de 20 %.
Cette attaque contre les travailleurs et leurs familles est au cœur de la campagne meurtrière de l'élite au pouvoir pour le retour au travail et à l'école, qui vise à forcer les travailleurs à retourner sur des lieux de travail dangereux afin de générer des profits pour les grandes entreprises et les investisseurs.
La majorité de ceux qui reçoivent actuellement la PCU, qui paie un misérable 500 dollars par semaine, sera transférée à l'assurance-emploi (AE). Ce changement se traduira dans la plupart des cas par une réduction de 20 % de leur aide hebdomadaire, qui passera de la somme de 500 dollars à seulement 400 dollars.
Par des mesures qui ne font que souligner à quel point le programme d'AE s'est appauvri après des décennies de coupes des libéraux et des conservateurs, le gouvernement a temporairement réduit le nombre d'heures de travail nécessaires pour obtenir des prestations et a augmenté le montant minimum du versement hebdomadaire.
Toutefois, dans l'ensemble, les conditions d'admissibilité restent beaucoup plus strictes que pour la PCU. Les prestataires d'assurance-emploi peuvent être tenus à tout moment de prouver qu'ils recherchent activement un emploi. Tout manquement à cette obligation peut entraîner des sanctions, notamment la perte de toutes les prestations.
En vertu des règles de l'assurance-emploi, même s'ils ne trouvent pas de travail, bon nombre des personnes actuellement au chômage seront menacées, après seulement 26 semaines, de perdre toutes leurs prestations d'assurance-emploi et de se retrouver dans le dénuement.
Tout cela aura pour effet, et a pour but, de pousser les chômeurs à rivaliser pour obtenir des emplois précaires et mal rémunérés.
La détermination du gouvernement à réduire considérablement l'aide aux personnes sans emploi ou incapables de travailler en raison de la pandémie est mise en évidence par les modestes sommes que le gouvernement a budgétées pour ses programmes d'aide aux travailleurs après le PCU. Seuls 15,3 milliards de dollars sont injectés dans l'assurance-emploi, tandis que 22 milliards de dollars ont été mis de côté pour trois nouvelles prestations de fortune, qui ne dureront toutes qu'un an. La prestation de relance du Canada (CRB) fournira 400 dollars par semaine pendant un maximum de 26 semaines aux travailleurs sans emploi non éligibles à l'AE, principalement les travailleurs indépendants et ceux qui ont des emplois précaires, «sur demande». Les mêmes conditions d'accès à l'assurance-emploi, y compris la nécessité de rechercher activement un emploi, s'appliqueront à la CRB.
L'indemnité de maladie et l'indemnité de soins de rétablissement du Canada (Canada Recovery Caregivers Benefit) remplacent à bon marché d'autres éléments du programme CRB. L'indemnité de maladie fournira 500 dollars par semaine pendant deux semaines aux travailleurs qui tombent malades ou doivent s'isoler, mais uniquement si leur employeur ne leur accorde pas de congé de maladie payé.
La prestation pour les personnes soignantes apportera un soutien financier aux parents ou aux membres de la famille qui doivent rester à la maison pour s'occuper d'un enfant ou d'un autre parent pendant la pandémie. Toutefois, le gouvernement a clairement indiqué que cette prestation ne sera versée qu'en cas de fermeture causée par le COVID-19. Les parents qui souhaitent garder leurs enfants à la maison par crainte d'être infectés dans des écoles surpeuplées et manquant de ressources ne pourront pas bénéficier de cette prestation. En outre, seul un membre adulte d'un ménage peut demander le versement hebdomadaire de 400 dollars.
La présentation du nouveau train de mesures post-PCU du gouvernement libéral a été précédée par des semaines de querelles internes qui ont abouti à la «démission» – en réalité, au départ forcé – de lundi dernier du ministre des Finances Bill Morneau, un ancien PDG de société qui entretient des liens étroits avec Bay Street.
Dans les semaines qui ont précédé l'annonce de la démission de Morneau, les médias d'entreprise ont fait état de désaccords entre le bureau de Morneau et le personnel de Trudeau sur divers aspects de la politique gouvernementale. Parmi ceux-ci, la décision d'augmenter la subvention salariale versée aux employeurs pour aider à couvrir les salaires des travailleurs de 10 à 75 %, et la question de savoir si la PCU était «trop généreuse» et «dissuasive pour le travail». Ces conflits entre factions soulignent l'aggravation de la crise du gouvernement minoritaire Trudeau, qui subit une pression croissante de la part des grandes entreprises pour accélérer l'assaut sur la classe ouvrière afin de lui faire payer le sauvetage des banques et des marchés financiers, à hauteur de 650 milliards de dollars, par le gouvernement Trudeau et la Banque du Canada.
Dans ces conditions, et alors que Morneau est de plus en plus discrédité par le scandale de l'organisme WE Charity, Trudeau a conclu qu'un nouveau visage ayant le poids politique nécessaire pour imposer des mesures profondément impopulaires était nécessaire. Pendant la semaine qui a précédé la démission de Morneau, le personnel du cabinet du premier ministre a divulgué au Globe and Mail et à d'autres publications un flot continu de détails embarrassants sur les désaccords entre le ministre des Finances et Trudeau.
Trudeau a également annoncé mercredi qu'il prorogeait le Parlement jusqu'au 23 septembre. Cette manoeuvre antidémocratique vise à étouffer d'autres révélations embarrassantes sur les liens incestueux et corrompus des libéraux avec WE Charity, et à permettre au gouvernement de reprendre l'initiative politique.
Lorsque le Parlement se réunira à nouveau, le gouvernement présentera un discours du Trône, dévoilant ses plans pour la prochaine étape de la «reprise». Le discours du Trône et le nouveau soutien financier réduit pour les travailleurs touchés par la pandémie devront être approuvés par le Parlement, ce qui signifie que l'un des trois principaux partis d'opposition devra voter avec le gouvernement.
Les libéraux et les médias ont fait grand cas du fait que Freeland est la première femme ministre des Finances du Canada. La vraie raison de sa nomination est qu'elle est notoirement de droite et une va-t-en-guerre, présentée par les médias comme une «alliée sûre», qui, selon Trudeau, peut apaiser ses critiques de la grande entreprise et superviser l'accélération du retour au travail.
Dans ses fonctions précédentes, Freeland a été le fer de lance du programme de réarmement du gouvernement, de sa campagne de séduction de Trump dans le cadre de la renégociation de l'ALENA et, depuis l'élection de l'automne dernier, de son «travail de proximité» auprès des gouvernements provinciaux de l'Alberta, de Saskatchewan et de l'Ontario, tous des partisans de la droite. Comme on pouvait s'y attendre, le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, qui a été un des premiers à applaudir la nomination de Freeland au poste de ministre des Finances, l'a qualifiée d'«incroyable» et de «formidable». Ford, dont le gouvernement a imposé des coupes sauvages dans les dépenses sociales et des réductions de salaires réels à un million de travailleurs du secteur public, a ajouté: «Je vais l’appuyer. Je l'aiderai de toutes les manières possibles».
Dans ses remarques annonçant la fin de la PCU, Freeland a clairement indiqué que le gouvernement libéral réduisait et supprimait progressivement les mesures, même limitées, qu'il avait prises pour atténuer l'impact de la pandémie sur les travailleurs, et qu'il se concentrait désormais sur la garantie de la «reprise économique», c'est-à-dire sur l'augmentation de la rentabilité des entreprises. «Alors que nous passons de notre réponse initiale d'urgence à une relance sûre et prudente, alors que nous apprenons à vivre avec le COVID-19», a déclaré Freeland, «notre approche doit également évoluer». Soulignant que le gouvernement prévoit de dévoiler un large éventail de mesures favorables aux entreprises lorsque le Parlement se réunira à nouveau, Freeland a ajouté que la fin de la PCU ne constitue que la première étape du plan de relance des libéraux.
Il n'y a rien de «sûr» ou de «prudent» dans les politiques menées par l'élite dirigeante canadienne. Le gouvernement libéral a été le fer de lance de la campagne téméraire de retour au travail, qui a été mise en œuvre de manière très agressive par les gouvernements provinciaux de droite au Québec, en Ontario et en Alberta. Les règlements de sécurité sur le lieu de travail ont été systématiquement ignorés ou violés, et la grande majorité des plaintes déposées par les travailleurs concernant des conditions dangereuses ont été rejetées sans ménagement par les commissions du travail provinciales et fédérales.
L'insistance de Freeland pour que les travailleurs apprennent à «vivre avec le COVID-19» est conforme aux demandes de l'administration Trump et des démocrates aux États-Unis, qui ont permis au virus de se répandre. Alors que le nombre de décès aux États-Unis approche rapidement la barre des 200.000, une campagne bipartite est en bonne voie pour rouvrir les écoles du pays, soumettant les enseignants, les parents et les élèves à des conditions potentiellement mortelles. Cette campagne criminelle est justifiée par la nécessité de revenir à des conditions «normales» et d'apprendre à «vivre avec le COVID-19».
Les syndicats et le Nouveau Parti démocratique jouent un rôle central dans la mise en œuvre du programme de retour au travail de l'élite au pouvoir. Depuis le début de la pandémie, les syndicats ont mis un terme à toutes les manifestations d'opposition de la classe ouvrière, y compris les grèves des enseignants en Ontario et les protestations des travailleurs de la santé et d'autres personnes concernant le manque d'équipements de protection individuelle.
Dans le même temps, les syndicats ont renforcé leur partenariat de longue date avec le gouvernement libéral et les grandes entreprises, comme le montre leur participation à une série de réunions à huis clos avec des groupes de pression du monde des affaires et des représentants du gouvernement pour préparer la «reprise économique». Une déclaration commune publiée à l'issue de l'une de ces consultations en avril a promis que les participants s'emploieraient à créer les conditions nécessaires pour que «les entreprises canadiennes puissent revenir en force» après la crise.
Pour sa part, le NPD a apporté un soutien parlementaire essentiel au gouvernement libéral. En mai, il a soutenu la décision du gouvernement Trudeau de suspendre les séances parlementaires régulières jusqu'en septembre.
Avec l'annonce de type «Québec d'abord» par le Bloc Québécois qu'il votera contre le discours du Trône, le NPD s'est empressé de signaler qu'il peut être «persuadé» de venir une fois de plus à la rescousse des libéraux.
Malgré cela, l'état de crise du capitalisme canadien est tel qu'il n'est pas exclu que le soutien parlementaire au gouvernement Trudeau s'évapore soudainement. Alors que certains secteurs du grand capital continuent de croire que le gouvernement libéral, en raison de son image «progressiste» bidon et de son partenariat avec les syndicats, reste le meilleur véhicule pour imposer leur programme de lutte des classes, d'autres sont mécontents de ce qu'ils considèrent comme des retards inadmissibles dans la réduction du soutien financier aux travailleurs et l'utilisation de la crise pour intensifier l'exploitation capitaliste.
Cette dernière faction doute que le gouvernement Trudeau, affaibli par une série de scandales et de plus en plus discrédité aux yeux de la population, soit capable de mettre en œuvre les attaques contre la classe ouvrière qu'elle considère comme essentielles dans les mois à venir. Comme l'a déclaré Dan Kelly, président de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, à propos de la proposition du gouvernement libéral de transférer la plupart des demandeurs de la PCU à l'assurance-emploi, «la barre est trop basse pour que les nombreux travailleurs à temps partiel retournent à leur emploi d'avant la PCU».
Avec le choix de leur nouveau chef par les conservateurs de l'opposition officielle le week-end dernier, des forces puissantes au sein de l'élite pourraient rapidement se rallier à la volonté d'amener au pouvoir un gouvernement encore plus réactionnaire pour mettre en œuvre des mesures d'austérité de grande envergure.
(Article paru en anglais le 24 août 2020)