Les syndicats canadiens se sont précipités au secours du gouvernement libéral fédéral dirigé par Justin Trudeau, alors que la crise sanitaire et socio-économique sans précédent déclenchée par la pandémie de coronavirus montre qu’il est un pur instrument des grandes entreprises et l'ennemi mortel de la classe ouvrière.
Les libéraux réagissent à la pandémie avec des politiques fondées sur la subordination de la société au profit des entreprises, ce qui aura un impact dévastateur sur les travailleurs, notamment en multipliant de plusieurs fois le coût de la pandémie en vies humaines.
Le gouvernement libéral remet des fonds pratiquement illimités aux banques et aux grandes entreprises afin de protéger leur richesse et leurs profits. Quelque 550 milliards de dollars de soutien ont déjà été annoncés. En attendant, les travailleurs dont les revenus sont dévastés par la pandémie et ses retombées économiques doivent être mis en rationnement. De même, les fonds et les ressources que le gouvernement mobilise pour lutter contre l'urgence sanitaire sont cruellement insuffisants.
Le soutien des syndicats au plan de réponse économique COVID-19 du gouvernement consiste à aider à tromper le public quant à son objectif et à son importance. Ils sont complices de la tentative du gouvernement de vanter un ensemble de mesures de 82 milliards de dollars annoncé le 18 mars comme la pièce maîtresse de sa réponse économique d'urgence, dissimulant les sommes beaucoup plus importantes qui ont été mises à la disposition des banques et des grandes entreprises.
Le Congrès du travail du Canada (CTC) a répondu à l'annonce du 18 mars par une déclaration officielle saluant les nouvelles mesures qui, selon lui, «aideraient» les travailleurs et «aideraient les familles canadiennes à faire face aux bouleversements majeurs» produits par la COVID-19.
En réalité, les mesures du gouvernement, qui ont été élaborées en étroite consultation avec le président du CTC, Hassan Yussuff, et les représentants des grandes entreprises, comme l'ancien ministre conservateur et chef de la Chambre de commerce Perrin Beatty, n'offrent aux travailleurs qu'une bouchée de pain.
Que contient le plan d’urgence soutenu par les syndicats?
La part du lion des 82 milliards de dollars, soit 55 milliards de dollars, est réservée aux reports d'impôts qui profiteront en grande partie aux grandes entreprises, aux riches et aux super-riches. Il n'y a que 27 milliards de dollars pour soutenir les Canadiens à faible revenu et ceux qui sont forcés de s'absenter du travail à cause du virus ou qui ont vu leur emploi disparaître.
Quiconque ne bénéficie pas de congés de maladie payés par l'employeur et doit s'absenter du travail parce qu'il a contracté le virus, qui doit se mettre en quarantaine volontaire ou s'occuper d'un membre de la famille touché par la pandémie recevra une prestation de soins d'urgence de seulement 450 $ par semaine. C'est à peine suffisant pour couvrir les paiements de loyer dans une grande ville, sans parler des besoins de base de la vie.
Ceux qui perdent leur emploi et n'ont pas accès au système d'assurance-emploi (AE) appauvri du Canada doivent recevoir une prestation de soutien d'urgence qui, comme l'AE, leur versera tout au plus 55% de leur salaire normal jusqu'à un maximum de 573 $ par la semaine. Cet avantage est censé représenter une protection pour les 1,7 million de travailleurs à l’emploi précaire et irrégulier, les autres travailleurs à court terme et les indépendants. Cependant, le gouvernement s'est engagé à n'y consacrer que 5 milliards de dollars en plein raz de marée de mises à pied et de fermetures. Mardi, il a été signalé que 929é000 nouveaux chômeurs, soit l'équivalent de 5% de la population active totale du Canada, ont demandé des prestations d'assurance-emploi la semaine dernière.
Les allégements fiscaux pour les sociétés ne sont que la pointe de l'iceberg. Grâce à une multitude d'initiatives, notamment un programme de rachat d'hypothèques de 50 milliards de dollars et la réduction de moitié des exigences de capitalisation bancaire, le gouvernement libéral, divers organismes de la Couronne et la Banque du Canada ont consacré bien plus de 500 milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises.
Pendant ce temps, le gouvernement fédéral injecte seulement 1 milliard de dollars dans le système de santé canadien, qui, avant même le déclenchement de la pandémie de coronavirus, était gravement débordé en raison de pénuries de fournitures, d'équipement et de personnel. Alors que les libéraux ont ouvert les vannes pour les grandes entreprises au cours des deux dernières semaines, les professionnels de la santé ont émis des avertissements toujours plus urgents selon lesquels le Canada atteindra bientôt une situation de style italien, où les médecins et les infirmières surmenés sont obligés de déterminer qui vivra et qui mourra par manque de matériel médical.
On pouvait s'y attendre, les syndicats justifient leur collaboration accrue avec le gouvernement et les grandes entreprises en affirmant que «l'unité nationale» est nécessaire en temps de crise. Yussuff, s'exprimant au nom de l'ensemble de la bureaucratie syndicale, a appelé à un «front collaboratif» avec le gouvernement et les entreprises.
Alors que le CTC prêche «l'unité» et la «collaboration», les actions du gouvernement libéral soulignent que l'élite dirigeante intensifie sa guerre de classe dans le but de faire porter aux travailleurs le coût de la crise socio-économique et d'exploiter les bouleversements qu'elle cause pour remodeler davantage les relations de classe en sa faveur. À une échelle encore plus grande que ne l'a fait le gouvernement conservateur Harper lors de la crise financière mondiale de 2008-2009, le gouvernement libéral Trudeau intervient pour transférer de grandes quantités de richesse du bas vers le haut.
Le «front collaboratif» de Yussuff équivaut donc à une alliance pour protéger la richesse des super-riches du Canada tout en refusant au système de santé et aux travailleurs les ressources dont ils ont un besoin urgent.
Il vise également à dissimuler la responsabilité criminelle de l'élite dirigeante et de ses représentants politiques pour l'impact dévastateur de la pandémie. Les libéraux fédéraux et divers gouvernements provinciaux ont dilapidé une période de deux mois au cours de laquelle la gravité du risque pour la santé était déjà claire en raison de l'impact mortel de la COVID-19 en Chine. Aucune mesure préparatoire n'a été prise, comme l'achat de fournitures et d'équipements médicaux essentiels, même si l'Organisation mondiale de la santé et d'autres experts ont mis en garde à maintes reprises contre la menace imminente.
Puis, alors que les cas de coronavirus montaient en flèche au cours de la deuxième semaine de mars, Ottawa et les provinces ont commencé à annoncer une série de mesures improvisées à la pièce. Alors que la fermeture des écoles et des entreprises non essentielles et des quarantaines est nécessaire, en l'absence de tests de masse et de la mobilisation des ressources de la société, actuellement monopolisées par les grandes entreprises et les riches, pour renforcer le système de santé, elles ne peuvent pas arrêter la propagation de la pandémie et prévenir les décès de masse.
Un autre facteur crucial dans la crise actuelle est les décennies de mesures d'austérité imposées par tous les partis de l'establishment, des libéraux et conservateurs au NPD, au Parti québécois et à la Coalition Avenir Québec. Ils ont laissé le système de santé publique en ruine, dans lequel les médecins, les infirmières et les autres travailleurs de la santé se démènent pour faire face aux pénuries de personnel, de lits et d'équipement, même en temps normal.
Le partenariat des syndicats avec les libéraux
Un avertissement urgent doit être lancé aux travailleurs. Les syndicats reprennent le rôle qu'ils ont joué pendant la crise financière de 2008-2009, lorsqu'ils ont soutenu la tentative de porter au pouvoir un gouvernement de coalition libéral-néo-démocrate engagé à offrir 50 milliards de dollars en réductions d'impôts sur les sociétés, la «responsabilité fiscale» et à faire la guerre en Afghanistan, et de connivence avec les grandes entreprises en imposant des réductions massives d'emplois, de salaires et de pensions. Au nom de la «sauvegarde d'emplois», le prédécesseur d'Unifor (le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile) a soutenu le «renflouement» des trois constructeurs automobiles de Detroit, qui a rendu l'industrie automobile rentable pour les investisseurs en réduisant les salaires et les avantages sociaux, et en créant une main-d'œuvre à plusieurs niveaux de rémunération. La norme établie dans l'industrie automobile est rapidement devenue la référence pour les travailleurs industriels à travers le pays.
Ayant joué un rôle indispensable dans la défense de la propriété privée bourgeoise et des profits des entreprises au milieu de la plus grande crise capitaliste depuis la Grande Dépression, les syndicats ont saboté la résistance des travailleurs à la campagne d'austérité du gouvernement Harper après 2010 et à son assaut sans cesse croissant contre les droits des travailleurs. Cela a culminé avec l'organisation d'une campagne «N’importe qui sauf les conservateurs» lors de la campagne électorale fédérale de 2015 qui a ouvert la voie au retour au pouvoir des libéraux, le parti traditionnel du gouvernement de la classe dirigeante canadienne.
Après l'arrivée au pouvoir de Trudeau, les dirigeants syndicaux, y compris Yussuff et le président d'Unifor, Jerry Dias, ont développé un partenariat étroit avec le gouvernement, servant de conseillers sur les initiatives clés. Cela a notamment aidé à façonner l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA), une version mise à jour de l'ALENA qui vise à transformer l'Amérique du Nord en un bloc de guerre commerciale dirigé par les États-Unis qui peut faire avancer les intérêts de l'impérialisme américain et canadien contre leurs rivaux communs d’outre-mer, en particulier la Chine.
Les libéraux ont également augmenté massivement les dépenses militaires et intégré davantage le Canada dans les principales offensives militaro-stratégiques de Washington, dans le Moyen-Orient riche en pétrole et contre la Russie et la Chine dotées d'armes nucléaires.
Les alliés politiques traditionnels des syndicats au sein du Nouveau Parti démocratique (NPD) ont pleinement approuvé leur promotion des libéraux en tant que parti «progressiste» et allié dans la lutte contre la droite conservatrice. Pendant et après les élections fédérales d'octobre dernier, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a plaidé pour une coalition ou une autre forme d'alliance gouvernementale avec Trudeau et ses libéraux. Et comme les syndicats, le NPD a réagi à la pandémie de coronavirus en proposant de collaborer encore plus étroitement avec le gouvernement et en applaudissant ses programmes misérables d'aide aux travailleurs.
La «collaboration» que prêchent les syndicats, au moment même où l'élite des entreprises pille les deniers publics à hauteur de centaines de milliards de dollars pour la deuxième fois en un peu plus d'une décennie, découle de leur objectif principal: réprimer la lutte des classes et maintenir le système de profit capitaliste. Au Canada comme partout dans le monde, les deux années précédant le déclenchement de la pandémie de coronavirus ont été caractérisées par une contre-offensive mondiale croissante de la classe ouvrière contre des décennies d'austérité, de guerres impérialistes et d'aggravation des inégalités sociales. Le mois dernier, plus de 200.000 enseignants et employés de soutien scolaire de l'Ontario se sont joints à une grève à l'échelle de la province pour s'opposer au démantèlement de l'éducation publique par le gouvernement populiste de droite du premier ministre Doug Ford.
Les appareils syndicaux procapitalistes sont terrifiés à l'idée que les crises sanitaires, économiques et sociales combinées déclenchées par la pandémie de COVID-19 serviront de catalyseur à l'éruption de l'opposition massive de la classe ouvrière. Ces dernières semaines, une vague de grèves des travailleurs a déferlé pour protester contre l'échec de leurs employeurs à prendre des mesures élémentaires de prévention pour empêcher la propagation du coronavirus. Cela comprend un arrêt de travail d'une journée à l'usine de montage géante de Fiat-Chrysler à Windsor, et de plus débrayages par des travailleurs de la Toronto Transit Commission et des travailleurs de la construction du Québec.
Alors que les travailleurs s'efforcent de faire valoir leurs intérêts de classe, les syndicats cherchent désespérément à démobiliser la classe ouvrière. Les syndicats d'enseignants de l'Ontario ont invoqué les conditions exceptionnelles créées par le coronavirus comme excuse pour conclure des accords de concession à guichet fermé avec le gouvernement Ford ou suspendre indéfiniment toute action sur le lieu de travail. Au Québec, les syndicats de la santé représentant 130.000 infirmières et techniciens médicaux ont accepté la demande du gouvernement de droite de la CAQ de négocier des contrats «d'urgence» de trois ans qui perpétueront la sous-dotation et d'autres conditions de travail dangereuses et stressantes.
Si les travailleurs veulent contrer les actions rapaces et désastreuses de l'élite capitaliste et affirmer leurs intérêts de classe au milieu d'une urgence sanitaire et d'une crise économique sans précédent, ils doivent construire de nouvelles organisations de lutte, indépendantes des syndicats procapitalistes et en opposition à eux. Les travailleurs doivent former des comités d’action dans les lieux de travail et les quartiers pour lutter pour leurs demandes urgentes, y compris des centaines de milliards de dollars pour fournir des tests universels et facilement accessibles, renforcer le système de santé et garantir un revenu sûr et décent pour tous les travailleurs touchés par la crise. L'adoption de telles mesures, qui sont urgentes si l'on veut protéger la vie de centaines de milliers de personnes, nécessite un assaut frontal sur la propriété privée capitaliste afin que les vastes sommes accumulées par les super-riches soient déployées dans le combat contre la pandémie de COVID-19 et pour offrir une solution à l’effondrement du système capitaliste.
(Article paru en anglais le 25 mars 2020)