Le gouvernement indien du Parti Bharatiya Janata (BJP) dirigé par Narenda Modi est l’instigateur de violentes attaques de la police et des justiciers autoproclamés contre les opposants à sa loi antimusulmane sur la citoyenneté (CAA).
Dans la période précédant les élections à l'assemblée de Delhi de samedi dernier, les dirigeants du BJP ont dénoncé ceux qui protestaient contre la CAA, les accusant d'être de connivence avec le Pakistan, et ont à plusieurs reprises mené leurs partisans en scandant «abattez-les!». La conséquence directe de cette incitation n’a pas tardé à se faire sentir. Dans l’espace de quatre jours à partir du 30 janvier, au moins trois tireurs ont ciblé des manifestants anti-CAA.
Les forces de police de Delhi, qui sont sous le contrôle direct du principal homme de main de Modi, le ministre de l'Intérieur Amit Shah, continuent d’être prises d’une folie furieuse. Dans le dernier affront, une manifestation pacifique anti-CAA des étudiants de l'Université Jamia Millia Islamia a été brutalement attaquée par la police lundi.
Le gouvernement du BJP a été ébranlé par l'opposition de masse à la CAA, qu'il a faite passer en force au Parlement et promulguée en décembre dernier.
La CAA fait de la religion un critère pour déterminer l’accès à la citoyenneté pour la première fois dans l'histoire de l'Inde indépendante. Elle ouvre une voie pratiquement automatique vers la citoyenneté à tous ceux qui ont migré en Inde depuis le Bangladesh, le Pakistan et l'Afghanistan avant 2015, à l'exception des musulmans.
La CAA fait partie d'une vague d'actions gouvernementales, y compris le coup d'État constitutionnel d'août dernier contre le Jammu-et-Cachemire, le seul État à majorité musulmane de l'Inde, visant à transformer l'Inde en un rashtra hindou ou un État hindou, dans lequel les musulmans vivent tout juste tolérés.
Face à une crise économique et à une opposition populaire croissante contre ses mesures d'austérité et à d'autres politiques «pro-investisseurs», le BJP attise le communautarisme anti-musulmans afin de mobiliser ses partisans suprémacistes hindous comme troupes de choc contre la classe ouvrière et de détourner la colère sociale vers la politique réactionnaire et du militarisme.
Alors que les étudiants et les jeunes musulmans de Delhi, de l'Uttar Pradesh et du Bengale occidental avaient lancé l'agitation anti-CAA, elle a rapidement englouti toutes les régions du pays, traversant les clivages religieux, ethniques et de caste que l'élite dirigeante indienne a systématiquement cultivé afin de diviser la classe ouvrière.
Ébranlé par l'émergence soudaine d'une opposition de masse, le BJP a répondu par une répression étatique massive, suspendant l'utilisation d'Internet et imposant des interdictions générales sur toutes les manifestations à travers de vastes zones et ordonnant une répression meurtrière de la police. Au moins 25 personnes ont été tuées en décembre, dont 20 dans l'Uttar Pradesh, où Modi et Shah ont installé comme ministre en chef un mahant hindou (grand prêtre), Yogi Adityanath, déjà mis en examen pour avoir incité à des attaques contre des musulmans.
Ces dernières semaines, le BJP, ses mentors idéologiques dans le mouvement RSS fascisant et leurs alliés suprémacistes hindous sont devenus encore plus haineux et menaçants dans leurs dénonciations des manifestations anti-CAA.
Dimanche dernier, Raj Thackeray, le chef de l'extrême droite du Maharashtra Navniman Sena, a conclu un rassemblement de masse pro-CAA à Mumbai avec des menaces de violence de masse. «Les pierres rencontrerons des ripostes de pierres et les épées rencontrerons des ripostes d’épées», a-t-il tonné, ajoutant que certaines régions du Maharashtra sont devenues «la plaque tournante des immigrants illégaux du Pakistan et du Bangladesh, qui doit être nettoyée.»
L'une des principales cibles du vitriol du BJP est le sit-in pacifique que des centaines de femmes musulmanes ont monté jour et nuit à un carrefour majeur dans le quartier pauvre et à prédominance musulmane du sud de Delhi, Shaheen Bagh, depuis que la CAA a été adoptée par le Parlement le 11 décembre dernier.
La manifestation à Shaheen Bagh est devenue un symbole de l'opposition à la CAA à l'échelle nationale, exaspérant le gouvernement. La direction du BJP est particulièrement préoccupée par le fait que les manifestantes de Shaheen Bagh soulèvent des problèmes sociaux, tels que le chômage de masse, la hausse des prix et la sécurité des femmes, et plus généralement la convergence entre l'opposition à son programme communautariste antidémocratique et l'agitation croissante de la classe ouvrière à travers l'Inde contre les privations économiques.
Dans la période précédant les élections à l'Assemblée du 8 février à Delhi, les dirigeants du BJP ont dénoncé les manifestantes de Shaheen Bagh, les comparant à des traîtres et terroristes pro-pakistanais. S'exprimant lors d'un rassemblement électoral le 3 février, Modi a affirmé que le sit-in de Shaheen Bagh était une «conspiration politique pour détruire l'harmonie du pays». Deux jours plus tôt, lors d'un autre rassemblement électoral, le ministre en chef de l'Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, avait tenté de lier les principaux opposants électoraux au BJP à Delhi au sit-in, tout en insinuant que les manifestantes de Shaheen Bagh étaient des terroristes. Il a dénoncé le gouvernement du Parti Aam Aadmi de Delhi, affirmant qu'il «fournit des biryani» (plats de curry) aux manifestants de Shaheen Bagh, tandis que Modi et le BJP ont «identifié tous les terroristes et les ont nourris de goli (balles) au lieu de biryani».
Le 28 janvier, Anurag Thakur, le ministre délégué aux finances dans le gouvernement central du BJP, a été filmé en train de diriger un rassemblement électoral en scandant «abattez-les» - un cri de guerre hindou de droite qui a gagné en usage après que le chef BJP du Bengale occidental, Dilip Ghosh, ait réprimandé le ministre en chef de l'État, Mamata Banerjee, «pour ne pas avoir ouvert le feu et ordonné une charge au lathi ( à la matraque) sur ceux qui protestaient contre la CAA. «Nos gouvernements d'Uttar Pradesh, d'Assam et du Karnataka», a-t-il poursuivi, «ont abattu ces gens comme des chiens».
Sur la vidéo, le ministre du BJP Thakur, parlant en hindi, déclare, desh ke gaddaron ko («Traîtres qui trahissent le pays»), auquel la foule répond avec enthousiasme «goli maaro saalo ko» («abattez- les»).
Encouragé par ces incitations à la violence contre les opposants à la CAA, un jeune homme a tiré sur des manifestants anti-CAA à l'Université Jamia Millia Islamia (JMI) le 30 janvier, blessant un étudiant. Dans une vidéo, partagée par l'agence de presse ANI, le tireur peut être vu marchant et agitant un pistolet tandis que des dizaines de policiers en tenue anti-émeute restent immobiles. Ce n'est qu'après qu'il ait ouvert le feu que la police est intervenue. Pendant qu’il est emmené, le tireur criait Delhi police Zindabad («Vive la police de Delhi»).
Moins de 48 heures plus tard, le 1er février, un deuxième tireur a tiré deux balles en l'air sur le sit-in de Shaheen Bagh et a crié: «Aucune autre communauté n'aura son mot à dire dans ce pays. Seuls les hindous le feront.» Le troisième tir en quatre jours a été signalé le 2 février, lorsqu'un assaillant non identifié a tiré à l'extérieur du campus du JMI.
En décembre dernier, la police a illégalement pris d'assaut le campus du JMI et agressé des étudiants avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des matraques. Plus d'une cinquantaine d'étudiants étaient hospitalisés, dont beaucoup avec des fractures et d'autres blessures graves. Depuis lors, la police a harcelé et attaqué à plusieurs reprises les manifestations anti-CAA dirigées par des étudiants du JMI.
Lundi, lorsque des étudiants du JMI ont essayé de marcher sur le Parlement, ils ont rencontré un cordon de masse de policiers lourdement armés. Lorsque les étudiants ont cherché à faire valoir leur droit de manifester, ils ont été brutalement attaqués par la police de Delhi. En conséquence, certains étudiants ont eut besoin de soins médicaux.
S'adressant à la chaîne India Today TV, des médecins ont déclaré que «plus de 10 étudiantes ont été frappées (par la police) sur leurs parties intimes. Nous avons trouvé des blessures infligés par des armes contondantes sur certains des manifestantes». Une étudiante du JMI a déclaré à India Today: « L'une des policières a enlevé ma burqa et m'a frappée sur les parties intimes avec une matraque.»
Malgré la répression et les menaces du BJP, l'opposition à la CAA et aux plans du BJP d'utiliser le registre national de la population (NPR) de 2020 et, finalement, un registre national des citoyens de toute l'Inde (NCR) pour organiser une chasse aux sorcières anti-immigrés, dans laquelle les pauvres musulmans seront les principales victimes - continue de croître. Le 29 janvier, Bhubaneswar, la capitale d'Odisha, connut ce que les médias ont qualifié de l'une des plus grandes manifestations de son histoire, alors qu'une grand partie de sa population, de toutes couches confondues, est descendue dans les rues pour s'opposer à la CAA, la NPR et la NCR.
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(Article paru en anglais le 14 février 2020)