L'assassinat du général Qassem Suleimani, considéré comme la deuxième personnalité la plus puissante du gouvernement iranien, a été planifié plus de six mois avant que lui et neuf autres personnes ne soient assassinées lors d'une frappe de drone américain le 3 janvier à l'aéroport international de Bagdad, a rapporté lundi NBC News.
La révélation de ces plans de longue date pour tuer le chef de la force Quds du Corps des gardiens de la révolution islamique et un architecte clé de la politique iranienne au Moyen-Orient a révélé comme mensonges délibérés les affirmations de l'administration Trump selon lesquelles l'assassinat a été perpétré en réponse à une menace «imminente» contre les vies et les installations américaines dans la région.
Selon le reportage, la décision d'assassiner Suleimani a été prise en représailles de l'abattage, en juin dernier, d'un drone espion RQ-4 Global Hawk de la marine que Téhéran avait été accusé de violer son espace aérien près du stratégique détroit d'Ormuz. Il a alors été révélé que Trump avait ordonné, puis annulé avec un préavis d'à peine 10 minutes, des frappes aériennes américaines contre des installations de missiles et de radars iraniens.
Selon NBC, le secrétaire d’État de Trump, Mike Pompeo, et son conseiller à la sécurité nationale de l'époque, John Bolton, qui prônait depuis longtemps une guerre totale contre l'Iran, avaient préconisé l'attaque de l'Iran pendant plus de dix ans, invoquant comme prétextes le prétendu soutien iranien à la résistance aux occupations américaines en Irak et en Afghanistan et la nécessité d'arrêter la quête inexistante de l'Iran pour avoir une bombe nucléaire en «bombardant l'Iran». Bolton s'est réjoui depuis edu meurtre de Suleimani, exprimant son espoir que c'est la première étape du changement de régime en Iran.
Quand Trump a signé l'ordre d'assassinat, il a imposé deux conditions, selon les responsables cités par le réseau d'information. Il a exigé qu'un tel «assassinat ciblé» soit effectué uniquement en réponse à l'assassinat de citoyens américains, et que lui-même approuve l'opération.
Le tir de missiles sur la base aérienne irakienne K-1 près de Kirkouk le 27 décembre, qui a coûté la vie à un agent de sécurité privé américain, suivi de frappes américaines qui ont tué des dizaines de membres de la milice iranienne et de la réponse des manifestants irakiens qui ont pris d'assaut l'ambassade américaine à Bagdad, a servi de prétexte à l'assassinat par drones le 3 janvier, bien qu'aucune preuve n'ait été produite pour relier Suleimani à l'un de ces événements.
Il a été assassiné après être arrivé ouvertement à Bagdad à bord d'un avion de ligne commercial et avoir passé la douane avec son passeport diplomatique. Le Premier ministre irakien Adel Abdul Mahdi a insisté sur le fait que le général iranien était venu dans la capitale irakienne pour le rencontrer afin de discuter des efforts visant à apaiser les tensions dans la région entre l'Iran et l'Arabie saoudite. A ses côtés, Abu Mahdi al-Muhandis, le commandant en chef des Forces de mobilisation populaire (FMP), la puissante coalition de milices à prédominance chiite qui constitue une branche des forces armées irakiennes, a été assassiné avec huit autres Iraniens et Irakiens.
Le reportage de la NBC est arrivé alors que les tentatives de l'administration Trump pour justifier l'assassinat comme une réponse à une menace imminente s'effondraient déjà. Elle n'a toujours pas fourni, ni publiquement, ni lors de séances d'information à huis clos au Congrès américain, l'ombre d'une preuve à l'appui de ces affirmations.
Jeudi dernier, le secrétaire d'État Pompeo a déclaré sur Fox News, à propos de la prétendue menace iranienne, «Nous ne savons pas exactement quand et nous ne savons pas exactement où, mais elle était réelle.»
Lors de la même émission, vendredi, avec l'animatrice de droite de Fox Laura Ingraham, Trump a feint de fournir des informations privilégiées sur les raisons de l'assassinat. «Je peux révéler que je crois que ce sont probablement quatre ambassades» qui auraient été attaquées, a-t-il dit.
Dans les talk-shows des journaux télévisés du dimanche, le secrétaire américain à la Défense Mark Esper a toutefois reconnu que, s'il «partageait» le point de vue de Trump sur les attaques d'ambassades, «le président n'a pas cité de preuve spécifique» pour étayer cette affirmation. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait vu une seule information à l'appui de ce prétexte, M. Esper a admis: «Je n'en ai pas vu une concernant quatre ambassades».
Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, Robert O'Brien, a répondu de la même façon: «Nous savions qu'il y avait des menaces pour les installations américaines, que ce soit des bases, des ambassades, vous savez, c'est toujours difficile jusqu'à ce que l'attaque ait lieu.»
Dans une tentative d'étayer les mensonges de l'administration, le procureur général des États-Unis William Barr a été amené devant les micros lundi pour dire aux journalistes que le meurtre de Suleimani était un «acte légitime d'autodéfense».
«Le ministère de la justice a été consulté et, franchement, je ne pense pas que c'était imminent», a dit Barr. «Je pense que le président avait clairement l'autorité d'agir comme il l'a fait sur de nombreuses bases différentes. Nous avions une situation où les Iraniens avaient déjà entrepris une série d'actions violentes croissantes contre nos alliés, contre le peuple américain, contre nos troupes, dans le but avoué de nous chasser du Moyen-Orient.»
Bien que constituant un argument en faveur d'une politique de guerre impérialiste criminelle, les déclarations de Barr ne fournissent aucune justification légale à ce qui est inaltérablement un crime de guerre et un acte de guerre d'agression, punissable en vertu du droit international et américain.
Les médias capitalistes américains ont attiré l'attention sur les incohérences des affirmations de l'administration Trump, mais ont presque entièrement éludé la question du caractère criminel de l'assassinat de Suleimani. Cet assassinat a été perpétré non pas en réponse à une menace imminente - une soi-disant frappe préventive - mais plutôt comme un acte de vengeance, non seulement pour l'accusation non prouvée de lien iranien avec la mort de l'agent de sécurité privé américain lors d'une frappe de missile irakien, mais aussi pour les revers subis par l'impérialisme américain en Irak, en Syrie et plus largement au Moyen-Orient.
Comme le reportage de la NBC l'indique clairement, cet acte de guerre n'est pas simplement le résultat de l'imprudence de Trump, mais plutôt d'une intensification délibérée de la poussée à la guerre avec l'Iran dans une tentative désespérée de compenser l'échec de trois décennies de guerres menées au Moyen-Orient pour atteindre l'objectif stratégique de l'impérialisme américain d'hégémonie sur cette région géo-stratégiquement vitale et riche en pétrole. Cette tentative désespérée est sous-tendue par la préparation d'une guerre contre les «grande puissances» rivales de Washington, en premier lieu la Chine, qui dépend de la région du Golfe persique pour ses approvisionnements énergétiques et qui considère l'Iran comme un maillon clé de son Initiative de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) visant à intégrer la Chine beaucoup plus étroitement à l'Eurasie.
Au fur et à mesure que les mensonges justifiant l'assassinat de Suleimani se sont avérés faux, la Maison Blanche a eu recours à une défense de plus en plus éhontée de ce meurtre d'État. Dans un tweet lundi matin, Trump a dénoncé «les faux médias et leurs partenaires démocrates» pour avoir mis en doute l'«imminence» d'une prétendue menace de la part de Suleimani. Il a répondu que «ça n'a pas vraiment d'importance à cause de son horrible passé.» S'adressant aux journalistes sur la pelouse de la Maison Blanche, il a insisté sur le fait que l'assassinat aurait dû être perpétré «il y a 20 ans.»
Il a ensuite retweeté une image retouchée de la présidente de la Chambre des États-Unis Nancy Pelosi en hijab et du leader de la minorité au Sénat Chuck Schumer en turban, superposée sur un drapeau iranien avec la légende «les démocrates corrompus font de leur mieux pour venir au secours de l'Ayatollah.»
Interrogé sur les images incendiaires et islamophobes, l'attachée de presse de la Maison-Blanche, Stephanie Grisham, a fait une déclaration préparée à l'avance sur l'escalade de l'attaque: «Je pense que le président a clairement indiqué que les démocrates ont repris les points de discussion iraniens et ont presque pris le parti des terroristes et de ceux qui voulaient tuer les Américains. Je pense que le président a fait remarquer que les démocrates semblent le détester tellement qu'ils sont prêts à se ranger du côte des pays et des dirigeants des pays qui veulent tuer des Américains.»
Ces accusations incendiaires sont lancées alors que les dirigeants démocrates de la Chambre des représentants des États-Unis s'apprêtent à envoyer au Sénat des articles de mise en accusation centrés sur la décision de Trump de retarder temporairement un envoi massif d'armes vers l'Ukraine dans le cadre de l'intensification de la guerre contre la Russie.
«Tout ce qu'il a fait, que ce soit en Syrie vis-à-vis des Turcs, que ce soit en Ukraine en termes de refus d'assistance alors qu'ils tentent de combattre les Russes, son déni de leur rôle dans notre élection à l'époque et maintenant - tous les chemins mènent à Poutine», a déclaré dimanche Pelosi dans une interview sur ABC. «Et parfois je me demande aussi à propos de Mitch McConnell, qu'est-ce qu'il [...] pourquoi il est complice de tout ça.»
Que chacun des principaux partis capitalistes aux États-Unis, le centre de l'impérialisme mondial, porte des accusations de trahison les uns contre les autres est symptomatique d'une crise économique, sociale et politique insoluble qui menace d'entraîner l'humanité dans les horreurs de la guerre et de la dictature. La réponse à ce danger réside dans la lutte pour unifier les luttes croissantes de la classe ouvrière internationale par la construction d'un mouvement anti-guerre uni, international et socialiste visant à mettre fin au capitalisme.
(Article paru en anglais le14 janvier 2020)