La décision prise par le gouvernement équatorien du président Lenín Moreno d'inviter la police britannique dans son ambassade de Londres à enlever Julian Assange, ouvrant la voie à l'extradition du fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis, constitue une violation flagrante du droit international et un honteux nouveau chapitre de la lâcheté et de la soumission de la bourgeoisie de l'Amérique latine à l'impérialisme américain.
Le gouvernement équatorien a non seulement ouvert les portes de son ambassade au peloton d’intervention policière britannique, mais il a annoncé jeudi que le jour précédent, sans notification à Assange ni à ses avocats, le ministère des affaires étrangères du pays avait sommairement déchu le journaliste de sa citoyenneté équatorienne, qui lui avait été accordée en 2017 dans le but d’obtenir sa liberté de l'ambassade sous couverture diplomatique.
Des responsables gouvernementaux ont affirmé que la décision d'octroyer la citoyenneté à Assange avait été entachée «d'irrégularités» non spécifiées. Le motif de l'abrogation de la décision était clair: la constitution équatorienne interdit l'extradition des ses citoyens et exige qu'ils soient jugés pour tout crime en conformité avec ses propres lois.
Le président Lenín Moreno a annoncé son sale marché avec l'impérialisme américain et britannique dans une vidéo publiée sur son compte Twitter, dans laquelle il affirmait avoir obtenu la garantie de Londres que Assange ne serait pas extradé vers «un pays où il pourrait être torturé ou condamné à mort». Ce mensonge a été immédiatement contredit du fait que le ministère américain de la Justice ait publié un acte d'accusation, et les autorités britanniques ont clairement indiqué qu'elles attendaient de mettre à exécution l’extradition d’Assange vers un pays où la peine de mort est en vigueur et qui pratique la torture à l'échelle internationale.
L'avocat équatorien d'Assange, Carlos Poveda, a dénoncé les actions arbitraires, antidémocratiques et extrajudiciaires du gouvernement. «Au minimum, nous aurions dû être informés afin que nous puissions exercer le droit de la défense», a-t-il déclaré. Il a insisté sur le fait que la loi stipule que tout arrêt d'asile doit d'abord être examiné avec le demandeur d'asile, qui a le droit de plaider sa cause.
Le ministre des affaires étrangères d'Équateur, Jose Valencia, s'est présenté jeudi devant l'Assemblée nationale du pays pour justifier l'acte illégal commis par le gouvernement visant à priver Assange sommairement de son asile.
La présentation de Valencia, qui a été interrompue par des cris de «traître» et de vendepatria, de la part des législateurs de l'opposition, comprenait neuf points, composés de mensonges et d'absurdités.
Il a affirmé qu'Assange, qui avait été détenu dans des conditions de plus en plus draconiennes dans l'ambassade, en grande partie coupé du monde extérieur, s'était livré à «d'innombrables actes d'ingérence dans les affaires intérieures d'autres États», s'était mal comporté envers les représentants de l'ambassade et avait «proféré des menaces insultantes» contre le gouvernement équatorien, y compris l'accusation «infâme et diffamatoire» selon laquelle il «agissait sous la pression de pays étrangers».
Ce même Valencia avait, la semaine dernière, dénoncé l'avertissement « insultant » de WikiLeaks selon lequel son gouvernement était parvenu à un accord avec les autorités britanniques pour confier Assange à la police britannique.
Valence alla jusqu'à prétendre que la remise d'Assange avait été effectuée en partie pour préserver sa santé. Il s’est ensuite plaint des dépenses considérables que l'ambassade avait encourues pour sa nourriture, ses frais médicaux et sa lessive.
Le contexte immédiat de l'action du gouvernement équatorien est un scandale de corruption qui fait rage et qui implique le président Moreno et sa famille. Les «papiers INA», un vaste ensemble de documents, courriels et autres communications via les médias sociaux, ont impliqué Moreno dans des crimes allant de la corruption officielle au parjure en passant par le blanchiment d’argent.
Au centre du scandale se trouve un projet dans lequel la société chinoise Sinohydro, qui a construit un barrage hydroélectrique en Équateur, a versé 18 millions de dollars de pots de vin à une société offshore, qui a ensuite transféré les fonds à un ensemble de 10 sociétés-écran comprenant INA Investments Corp, appartenant à Edwin Moreno, le frère du président. Le nom de la société est tiré de la syllabe commune aux noms des trois filles du président, Irina, Cristina et Karina.
Le législateur de l'opposition Ronny Aleaga, qui a déclaré avoir reçu le dossier anonymement, a insisté pour que les documents établissent que la société avait été placée sous la direction de prête-nom afin de dissimuler les liens du président avec la combine.
Les documents ont été publiés pour la première fois en février 2019, suscitant une enquête du Congrès. Le 26 mars, le compte Twitter de WikiLeaks a attiré l'attention sur l'enquête, citant un reportage du New York Times selon lequel Moreno était en discussion avec l'administration Trump - via un voyage à Quito en mai 2017 de l'ancien président de la campagne de Trump, Paul Manafort - de la remise d’Assange en échange d'un allégement de la dette.
Le ministre des affaires étrangères, Valencia, a réagi immédiatement au tweet, le traitant «de mensonge absurde afin de porter atteinte à la dignité de notre pays», et a juré que le gouvernement prendrait des mesures.
Par la suite, Moreno et ses subordonnés ont tenté de déformer le tweet des informations de Wikileaks, déjà diffusées et bien éventées en Equateur comme la preuve qu’Assange, dans l’isolement quasi-total à l'ambassade de Londres, était personnellement responsable du piratage du téléphone et des courriels du président.
Dans les deux jours qui ont suivi le tweet de WikiLeaks, l'Assemblée nationale équatorienne, dans laquelle le parti de Moreno et les autres partis de droite détiennent la majorité, a adopté une résolution appelant le ministère des affaires étrangères à exercer des représailles contre Assange à propos la fuite des papiers INA.
Le président équatorien a mené une campagne cynique, affirmant qu'il était victime d'une atteinte à la vie privée et que les documents de l'INA comprenaient des «photos privées» de lui-même et de sa famille, dans le but de détourner l'attention du public des nombreuses preuves de sa corruption sans bornes.
A travers l'expulsion d'Assange de l'ambassade de Londres, le gouvernement de Moreno a intensifié sa campagne. Maria Paula Romo, ministre équatorienne de l'Intérieur, a déclaré qu'Assange et WikiLeaks étaient impliqués dans un complot visant à «déstabiliser» le gouvernement Moreno, qui impliquait prétendument deux «pirates informatiques russes» travaillant en Équateur, Ricardo Patiño, ancien ministre équatorien des affaires étrangères, et éventuellement, le gouvernement vénézuélien du président Nicolas Maduro. Elle a affirmé que les preuves de ce complot seraient bientôt transmises aux procureurs équatoriens.
Tout cela est un tas de mensonges destinés à détourner l'attention des accusations de corruption portées contre Moreno et à détourner la colère populaire croissante contre son gouvernement de droite. Les sondages récents ont placé sa popularité à peine 17 pour cent.
Moreno a clairement indiqué son intention de trahir Assange dès son entrée en fonction en 2017. Il a qualifié le journaliste né en Australie de «pirate informatique», de «problème hérité» et de «cailloux dans notre chaussure».
Le précédent gouvernement du président Rafael Correa avait accordé l'asile à Assange en 2012 en raison des preuves évidentes de ses persécutions politiques pour avoir révélé les crimes de guerre impérialistes du gouvernement américain, la surveillance de masse et les complots antidémocratiques perpétrés par Washington, d'autres gouvernements et des sociétés transnationales.
Lorsque le gouvernement de Quito a décidé d'accorder l'asile à Assange dans son ambassade à Londres, son ministre des affaires étrangères de l'époque, Ricardo Patiño, déclara que la vendetta de Washington contre le journaliste «pourrait mettre en danger sa sécurité, son intégrité et même sa vie». Il continua : «Les preuves montrent que si M. Assange est extradé aux États-Unis, il ne bénéficiera pas d'un procès équitable. Il n’est absolument pas impossible qu’il puisse être soumis à des traitements cruels et dégradants et condamné à la réclusion à perpétuité ou même à la peine capitale.»
Qu'est-ce qui a changé depuis presque sept ans qu'Assange s'est retrouvé pris au piège dans l'ambassade équatorienne? L'administration Trump n'a fait qu'expliciter les menaces qui pèsent sur le journaliste. L'ancien directeur de la CIA et secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré que WikiLeaks était un «service de renseignement non-étatique hostile» dont les activités ne sont pas protégées par le premier amendement de la constitution. L'ancien procureur général Jeff Sessions a insisté sur le fait que ramener Assange aux États-Unis enchaîné pour faire face à un procès truqué était une «priorité» pour le ministère de la justice des États-Unis.
Le changement ne réside pas dans la menace qui pèse sur Assange, mais plutôt dans le virage à droite brutal du gouvernement de Lenín Moreno, qui fait partie d'une vague de réaction qui a accompagné le reflux de la fameuse marée rose dans toute l'Amérique latine.
Nulle part cela n'a été plus évident que dans les politiques suivies par Moreno, successeur trié sur le volet par l'ancien président Correa qui s'était déclaré partisan de la «révolution bolivarienne» et du «socialisme du XXIe siècle».
Moreno a poursuivi une politique visant à subordonner l'Équateur aux banques et institutions financières internationales sur le plan économique et à l'impérialisme américain sur le plan politique. Plus tôt cette année, il a conclu des accords avec le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d'autres institutions financières internationales pour un crédit de 10 milliards de dollars en échange de la mise en œuvre de mesures d'austérité draconiennes qui ont entraîné la suppression de plus de 10.000 emplois dans le secteur public, ainsi que la moitié des ministères du gouvernement, ainsi que la réduction des impôts sur les riches, la destruction du droit de travail et la suppression des subventions aux prix du carburant.
Ces politiques ont provoqué des manifestations de masse et une grève générale contre le gouvernement Moreno.
En même temps, Moreno a sollicité l'approbation du département d'État américain et du Pentagone, devenant l'un des partisans les plus enthousiastes du coup d'État impulsé par les États-Unis au Venezuela et du prétendu «président par intérim» Juan Guaidó.
Correa, l'ancien président de l'Équateur, a condamné l'action du gouvernement Moreno. «Lenín Moreno, le plus grand traître de l'histoire de l'Équateur et de l'Amérique latine, a autorisé la police britannique à pénétrer dans notre ambassade à Londres pour arrêter Assange», a-t-il déclaré. Moreno, a-t-il ajouté, «a démontré son manque d'humanité devant le monde en rendant Julian Assange - non seulement un demandeur d’asile, mais aussi un citoyen équatorien - à la police britannique», ce qui a mis à la fois sa vie «en danger» et a «humilié l’Équateur».
De même, l'ancien ministre des affaires étrangères équatorien, Guillaume Long, a publié jeudi une déclaration dans laquelle il dénonçait cette arrestation. «La reddition de Julian Assange, traîné par la police britannique après être entrée dans notre mission diplomatique pour l’enlever, est une honte nationale et une erreur historique qui laissera une marque profonde sur l'Équateur pendant longtemps», a-t-il déclaré.
Long a ajouté que la décision du gouvernement violait les décisions des Nations Unies et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et que «les générations futures d'Équatoriens s’en souviendront comme un acte infâme, de servilité, et de dégradation éthique.»
La trahison d'Assange fait partie intégrante du virage à droite du gouvernement Moreno et de l'adaptation à l'impérialisme américain, qui a jeté les bases d'une attaque frontale contre la classe ouvrière équatorienne. La défense d'Assange et des droits démocratiques fondamentaux dépend de la lutte pour unifier la classe ouvrière en Équateur, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et dans le monde entier dans la lutte contre le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 12 avril 2019)