Un changement notable s’est produit dans la campagne en vue des élections provinciales du 1er octobre au Québec. Les appels anti-immigrants de la Coalition Avenir Québec (CAQ), le parti populiste de droite qui mène dans les sondages, n’ont pas suscité l’engouement escompté dans la population. Et le seul parti à avoir enregistré une hausse marquée dans les intentions de vote, c’est Québec solidaire (QS) avec ses propositions de réformes sociales limitées.
La montée de QS dans les sondages est l’expression déformée de l’appétit des travailleurs et des jeunes pour un rejet des politiques d’austérité capitaliste – autant au niveau fédéral que provincial – qui ont miné les salaires, précarisé l’emploi et dévasté les réseaux publics de la santé et de l’éducation.
Mais les espoirs générés par QS seront cruellement déçus. Ce parti des classes moyennes aisées, que les médias et la classe politique traditionnelle décrivent comme étant «de gauche», ne propose que de timides mesures sociales, telles que le salaire minimum à $15 de l’heure, l’assurance dentaire jusqu’à 18 ans, ou des transports publics à moitié prix.
Non seulement ces mesures sont-elles dérisoires devant la catastrophe sociale créée par l’assaut anti-ouvrier de la grande entreprise et le démantèlement des services publics par les libéraux et le Parti québécois (PQ). Elles sont basées sur l’acceptation du «cadre financier» existant, c’est-à-dire le système capitaliste mondial qui traverse aujourd’hui sa plus grave crise depuis les années 30 avec une explosion des guerres commerciales et le réarmement massif des grandes puissances dans un contexte de tensions géopolitiques extrêmes.
Toute véritable transformation de la société, qui garantirait des emplois de qualité ainsi qu’une vaste expansion des programmes sociaux, est impossible sans briser le monopole qu’exerce la classe capitaliste sur les moyens de production. Seul un assaut direct sur la propriété privée par la classe ouvrière internationale peut libérer l’économie du carcan du profit individuel et l’orienter dans une direction fondamentalement différente – la satisfaction des besoins sociaux de la grande majorité.
Loin de prôner le renversement du capitalisme et du système des États-nations au sein duquel il s’est historiquement développé, Québec solidaire cherche plutôt à s’intégrer à l’establishment dirigeant afin de jouer un rôle direct dans l’imposition de nouvelles attaques contre les travailleurs – y compris en entrant au gouvernement.
Manon Massé devant la Chambre de commerce
La semaine passée, Manon Massé, principale porte-parole de QS lors des élections, a fait une apparition remarquée devant la Chambre de commerce de Montréal. Devant cet auditoire de gens d’affaires, Massé s’est voulue rassurante. Repoussant la suggestion (à caractère provocateur) que QS était un parti «révolutionnaire socialiste», la dirigeante de QS a tracé une distinction entre le programme de QS – qui parle de nationaliser partiellement certains secteurs de l’économie – et ses engagements électoraux à court terme. «Si on me dit "nationalisation des banques", je dis non», a-t-elle insisté. «Dans un premier mandat, il n’est pas question de ça».
Au même moment, Massé a pris une posture radicale en se disant «révolutionnaire, certes», dans une tentative d’imiter la performance de Bernie Sanders aux élections américaines de 2016, que QS cite régulièrement comme modèle. En tant que candidat aux primaires démocrates, Sanders s’est présenté comme «un socialiste démocrate» qui dénonçait la domination de la politique américaine par «les millionnaires et les milliardaires» et parlait même de «révolution politique». En fin de compte, sa principale fonction politique a été de neutraliser le fort courant de radicalisation qui se développait parmi une section importante de travailleurs et de jeunes, et de ramener ces derniers dans le giron du parti démocrate, instrument de longue date de l’impérialisme américain – et plus spécifiquement derrière Hillary Clinton, la candidate de Wall Street, de la CIA et du Pentagone.
L’appel de Massé aux gens d’affaires de Montréal, y compris l’assurance que le secteur privé a un rôle important à jouer dans l’économie, n’est que le plus récent des nombreux signaux envoyés par QS à la classe dirigeante pour prouver qu’il ne pose aucun danger à l’ordre existant. La liste est longue: propositions d’alliance électorale avec le PQ; acceptation du «déficit zéro» comme objectif louable mais à un rythme plus modéré; légitimité accordée au débat sur la «laïcité» qui sert de couverture au chauvinisme anti-musulman; et offre récente de QS de soutenir, s’il détenait la balance du pouvoir, un gouvernement minoritaire du PQ ou même de la CAQ en échange d’une promesse de changer le mode de scrutin.
QS suit ainsi les traces de son «cousin» grec, Syriza (Coalition de la gauche radicale), qui a été élu en 2015 grâce à des promesses de mettre fin aux mesures d’austérité ayant ravagé la Grèce, mais qui les a vite reniées en imposant des coupes sociales encore plus drastiques. Des mouvements similaires sont apparus ailleurs dans le monde – en Espagne avec Podemos, en Allemagne avec le Parti de gauche ou en France avec Jean-Luc Mélenchon.
Dans un contexte où la «gauche» traditionnelle – le stalinisme, la social-démocratie, la bureaucratie syndicale – est de plus en plus discréditée à cause de sa complicité dans les guerres impérialistes et l’assaut patronal contre les travailleurs, des éléments privilégiés des classes moyennes, largement issus de cette vieille «gauche», s’en sont détachés formellement pour mettre sur pied de nouvelles formations politiques qui adoptent un discours «anti-austérité» comme Syriza, ou promettent à l’occasion de «dépasser le capitalisme» comme Québec solidaire dans ses premières années d’existence.
L’objectif fondamental commun de ces partis de la «nouvelle gauche» est de tendre un nouveau piège politique à la classe ouvrière, en continuant à la subordonner à la même politique nationaliste et procapitaliste qui a mené au cul-de-sac actuel. C’est exactement le rôle que joue QS depuis sa formation il y a plus de dix ans.
Ancré dans le provincialisme, QS reste généralement silencieux sur les questions internationales. Mais à plusieurs reprises, il a donné un appui ouvert ou tacite aux interventions impérialistes dans le monde – que ce soit en Afghanistan, en Libye ou en Syrie – et semé des illusions dans le Canada (et un éventuel Québec indépendant) en tant que force agissant pour la paix et la réconciliation dans le monde.
Dès le début, QS s’est positionné en tant qu’«aile gauche» du PQ, qui forme depuis plus de 40 ans l’autre parti de gouvernement de l’élite dirigeante québécoise après les Libéraux. Sa fonction essentielle est de faire renaître les illusions dans le programme réactionnaire de l’indépendance du Québec, c’est-à-dire la formation d’une république capitaliste du Québec.
Ce programme reflète les intérêts d’une section de la classe dirigeante québécoise qui réclame plus de pouvoirs pour l’État québécois, pouvant aller jusqu’à la séparation d’avec la fédération canadienne, afin de faire valoir ses propres intérêts de manière encore plus implacable – notamment une «compétitivité» accrue des entreprises basées au Québec par le démantèlement de ce qui reste des programmes sociaux et un assaut intensifié sur les travailleurs. La promotion de la «souveraineté du Québec», conjointement avec le nationalisme canadien brandi par les sections dominantes de la classe dirigeante canadienne, sert à diviser les travailleurs francophones, anglophones et immigrés du Canada selon des lignes linguistiques et à les isoler de leurs frères et soeurs de classe des États-Unis et d’outremer.
Les prétentions de Québec solidaire à représenter le véritable «changement», avec des promesses comme «une éducation gratuite du CPE au doctorat», doivent être jugées à l’aune de sa réponse aux luttes sociales qui ont éclaté pour la défense de l’éducation et des programmes sociaux en général – une réponse qui démontre son hostilité à la lutte des classes par les travailleurs.
QS soutient la bureaucratie syndicale et rejette la lutte des classes
Lorsque la grève étudiante québécoise de 2012 a menacé de s’étendre à la classe ouvrière et de poser un défi à toute la politique d’austérité de la classe dirigeante, les centrales syndicales québécoises, avec la complicité du NPD et des syndicats du Canada anglais, sont intervenues pour détourner le mouvement de contestation sociale des jeunes derrière un soutien électoral pour le PQ, à l’aide du slogan «de la rue aux urnes». Cette manœuvre a reçu le plein soutien de QS qui a proposé en juin un pacte électoral avec le PQ et promis en septembre, s’il détenait la balance du pouvoir, de soutenir sans conditions un gouvernement péquiste minoritaire pendant au moins un an.
Et trois ans plus tard, lorsqu’un mouvement militant a éclaté parmi plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public québécois contre les concessions drastiques qu’exigeait l’actuel gouvernement libéral de Philippe Couillard, Québec solidaire a appuyé les efforts de la bureaucratie syndicale pour étouffer la colère de leurs membres, isoler leurs luttes et imposer une entente de principe qui trahissait toutes leurs revendications.
QS a joué un rôle particulièrement pernicieux dans les efforts de la classe dirigeante pour détourner l’attention de la profonde crise sociale causée par l’austérité capitaliste en faisant des immigrants des boucs-émissaires. Lorsque cette campagne fut lancée il y a quelques années au Québec sous le prétexte de mettre fin aux «accommodements» dits «excessifs» accordés aux minorités religieuses et culturelles, QS l’a qualifiée de «débat légitime».
Il a pris une position similaire en 2013 en accueillant la controverse suscitée par la «Charte des valeurs québécoises» du gouvernement péquiste minoritaire, qui ciblait la minorité musulmane en proposant d’interdire à tous les employés de l’État le port du voile islamique et d’autres signes religieux ostentatoires – mais pas la croix chrétienne jugée suffisamment discrète. Insistant sur la nécessité d’un débat vigoureux sur la «laïcité», QS a seulement déploré le fait que le PQ était allé trop loin avec sa Charte.
Et tandis que la campagne électorale actuelle a été dominée au début par un discours anti-immigrants – la CAQ proposant de déporter les nouveaux arrivants qui échouent après trois ans un test de français et de «valeurs», et le PQ de leur refuser tout bonnement l’entrée sur le sol québécois s’ils ne maîtrisent pas le français –, QS a adopté une position d’indignation morale.
Il prend grand soin à n’établir aucun lien entre la montée du chauvinisme québécois, l’agitation anti-immigrants et anti-réfugiés qui se répand partout dans le monde et les mouvements populistes de droite qui sont encouragés par la classe dirigeante afin de préparer des méthodes autoritaires et répressives pour faire face à la montée de la lutte des classes et au mouvement général des masses vers la gauche.
Lors d’un face-à-face télévisé avec le chef de la CAQ, Manon Massé a déclaré à François Legault: «Je vous crois quand vous dites que vous n’avez rien contre les immigrants». Après s’être ainsi portée à la défense de Legault qui faisait face les jours précédents à des accusations méritées de racisme et de xénophobie, Massé a mis son projet d’expulser des immigrants sur le compte d’une simple manœuvre électorale pour obtenir des voix.
Il faut aussi rappeler la position ambivalente de QS envers le projet de loi 62 des libéraux de Couillard, qui visait à bloquer l’accès des femmes voilées aux soins de santé, à l’éducation ou au transport en commun. Loin de dénoncer cette attaque flagrante sur les droits démocratiques, QS s’est y opposé sur la seule base qu’une telle loi serait «inapplicable».
Les jeunes et les travailleurs qui recherchent une organisation engagée dans une lutte intransigeante contre l’austérité et la guerre ne la trouveront pas en Québec solidaire. Le rôle de QS est plutôt de détourner le sentiment anti-capitaliste grandissant derrière une perspective nationaliste québécoise, afin de bloquer toute lutte commune des travailleurs français, anglais et immigrés du Canada pour l’égalité sociale.
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