Québec solidaire a voté à une majorité de plus de 80 pour cent à son congrès de début décembre pour joindre ses forces à celles d’Option nationale – un petit parti nationaliste de droite formé en 2011 à l’initiative d’ex-députés péquistes qui accusaient le Parti québécois d’être trop mou dans la promotion de l’indépendance du Québec.
Confirmée une semaine plus tard par un vote de 90 pour cent des membres d’Option nationale, la fusion entre QS et ON fait partie des efforts de longue date de Québec solidaire pour rassembler la «famille souverainiste». Le porte-parole masculin et député de QS au parlement provincial, Gabriel Nadeau-Dubois, était euphorique. «Nous allons inviter les Québécoises et les Québécois à reprendre le Québec et à rejoindre la grande famille des nations indépendantes dès un premier mandat du parti unifié», a-t-il déclaré.
La «famille souverainiste» de Québec solidaire n’a rien de nouveau ni de progressiste. C’est la même coalition réactionnaire de bureaucrates syndicaux, universitaires, militants nationalistes, petits entrepreneurs et autres éléments des classes moyennes qui évolue depuis des décennies dans l’orbite du PQ. Son objectif a toujours été de diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs du reste du Canada, des États-Unis et d’outremer afin de les subordonner à la faction de l’élite dirigeante québécoise qui veut renforcer les pouvoirs de l’État québécois pour en faire un levier jugé plus apte à maintenir son emprise politique sur les travailleurs, accélérer le démantèlement de l’État-providence et défendre ses intérêts géostratégiques.
Les relations entre QS et ON n’ont pas toujours été chaleureuses. Le premier chef d’Option nationale, Jean-Martin Aussant, est un ex-député péquiste et banquier d’affaires qui préconisait l’austérité capitaliste et accusait QS d’un accent exagéré sur la «question sociale» au détriment de la «question nationale». Selon Nic Payne, autre membre fondateur d’ON qui fut président de son conseil national et s’opposait à la fusion, «de nombreux indépendantistes continueront de voir en ce parti [QS] une gauche parfois doctrinaire et déconnectée».
Pour QS, la fusion avec ON fait partie d’un tournant nationaliste visant à convaincre la grande entreprise qu’il est prêt à occuper un rôle de premier plan au sein de l’establishment – y compris en entrant dans un gouvernement capitaliste.
Dans un contexte où libéraux et PQ, les deux partis traditionnels de gouvernement au Québec, sont de plus en plus discrédités aux yeux des travailleurs après des décennies passées à imposer un programme commun de coupes budgétaires, suppressions d’emplois et lois anti-grève, QS cherche à monnayer auprès de l’élite dirigeante sa réputation non-méritée «de gauche».
Alors que le danger de guerre impérialiste, l’assaut sur les droits démocratiques et la hausse des inégalités sociales ont provoqué partout dans le monde une radicalisation politique et une poussée vers la gauche des jeunes et des travailleurs, QS veut convaincre la classe dirigeante que sa posture «progressiste» fait de lui un outil idéal pour bloquer toute menace révolutionnaire au système de profit – à la manière de Syriza en Grèce, Podemos en Espagne ou La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
Comme gage de fidélité à l’ordre social existant, QS est prêt à abandonner ses quelques vagues promesses «sociales» pour adopter une formulation plus explicitement à droite du programme de l’indépendance du Québec.
Fusion autour d’un programme de droite
Même si Option nationale est de loin le plus petit des deux partis, tant par le nombre d’adhérents que par l’influence électorale (moins de 1 pour cent du vote et aucun député élu aux dernières élections québécoises, contre plus de 7 pour cent pour Québec solidaire et 3 députés élus), la fusion s’est faite largement selon ses propres conditions.
ON a exigé et obtenu que QS mette plus d’accent sur l’indépendance du Québec sur la base d’un programme taillé sur mesure pour la grande entreprise québécoise. Sommé de mettre de côté ses phrases pseudo-démocratiques sur l’indépendance en tant que «projet social» d’un peuple «libre», QS a accepté de parler plus ouvertement au nom de la faction du grand capital qui voit la construction d’une république capitaliste du Québec comme un meilleur garant des intérêts du Québec Inc.
Sous le prétexte de barrer la voie aux libéraux de Philippe Couillard et aux populistes de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) aux prochaines élections provinciales de 2018, QS prépare la deuxième phase que serait une alliance électorale avec le PQ – ce parti de la grande entreprise qui a mis la hache dans les dépenses sociales, répandu un virulent chauvinisme anti-immigrants et soutenu avec son parti frère sur la scène fédérale, le Bloc québécois, toutes les opérations impérialistes menées par le Canada dans le monde aux côtés des États-Unis et de l’OTAN.
En prélude à la fusion, les dirigeants de Québec solidaire et Option nationale ont soumis à leurs membres respectifs une entente de principe, «à prendre ou à laisser», qui se lit comme le texte d’une véritable OPA (offre publique d’achat) politique où la prise de contrôle est fixée dans tous les détails, y compris:
* l’adoption de pans entiers du programme d’Option nationale («Le congrès qui suivra l'élection de 2018 portera sur la révision de l'ensemble du programme, notamment … dans une optique d'arrimage avec le programme d'ON»);
* l’engagement à maintenir un régime fiscal pro-patronal («Le parti unifié présentera … un portrait financier démontrant la viabilité financière d’un Québec indépendant»);
* la mise au rancart des timides revendications sociales de QS au profit d’un discours axé sur le nationalisme («Parmi les sources d’oppression dénoncées par le parti unifié, … le régime colonial canadien sera placé au même niveau d’importance que le néolibéralisme»);
* le renforcement des liens politiques avec le PQ par le biais des OUI-Québec, la coalition de partis souverainistes que domine ce dernier («Le parti unifié poursuivra sa participation aux OUI-Québec lors de la reprise des travaux»);
* la promesse de tenir un discours nationaliste pro-patronal en reconnaissant ON comme club politique au sein de QS avec un statut privilégié et en procédant «à la réimpression et au développement du Livre qui fait dire oui».
Cette dernière condition fait référence à un pamphlet politique produit par ON qui met en lumière le véritable contenu de classe du programme de l’indépendance du Québec. On y retrouve la conception historiquement associée à Jacques Parizeau, l’ex-premier ministre péquiste qui a organisé en 1995 le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec et qui était jusqu’à sa mort en 2015 le chef de file des «purs-et-durs» du PQ ainsi que le parrain semi-officiel d’Option nationale. C’est la conception d’un État devant «défendre ses intérêts stratégiques, c’est-à-dire les avantages concurrentiels qu’il possède par rapport aux autres États dans certaines industries», tel qu’expliqué dans le Livre qui fait dire oui.
Ce dernier contient un autre passage significatif. «Avec les économies générées par l’indépendance», peut-on y lire, «notre marge de manœuvre sera plus importante, ce qui nous permettra des choix. Un gouvernement plus interventionniste pourra investir dans nos secteurs stratégiques, par exemple. Un gouvernement plus à droite pourra baisser nos taxes et nos impôts, alors qu’un gouvernement plus à gauche pourra réinvestir en santé et en éducation.»
Le dernier scénario, celui d’un gouvernement «à gauche» prêt à «réinvestir en santé et en en éducation», n’est que de la poudre aux yeux, surtout dans le contexte d’un effondrement du système capitaliste mondial. Le Québec indépendant envisagé par Option nationale – et maintenant de manière explicite par Québec solidaire – aurait pour objectif principal d’intimider politiquement les travailleurs québécois afin de maintenir la fiction qu’ils ont plus en commun avec leurs patrons francophones qu’avec les travailleurs anglophones et immigrés qui subissent les mêmes attaques sur leurs emplois, salaires et conditions de vie.
Cela créerait un terrain politique propice à un démantèlement des réseaux de la santé et de l’éducation, et de tout ce qui reste des services publics acquis de haute lutte par les générations précédentes de travailleurs. Les «économies» ainsi «générées» donneraient une «marge de manœuvre» à un gouvernement «interventionniste» de «droite» pour accorder des milliards en subventions aux fleurons «stratégiques» de l’industrie québécoise (les Bombardier, Quebecor et Cie) et réaliser une baisse massive de «nos» taxes et impôts, c’est-à-dire ceux de la grande entreprise et du 1 pour cent le plus riche.
Vers une alliance avec le PQ
QS a été préparé pour la récente fusion avec ON par toute son évolution depuis sa fondation il y a plus de dix ans par des activistes communautaires, féministes, syndicaux et pseudo-marxistes qui ont fait cause commune pour raviver le programme discrédité de l’indépendance du Québec et empêcher la classe ouvrière de tirer des conclusions socialistes révolutionnaires de l’émergence du PQ comme pire ennemi des travailleurs et champion de l’austérité capitaliste. Sa composition sociale et les axes principaux de son développement – l’esprit provincial le plus étroit, la vénération de la bureaucratie syndicale, le nationalisme économique et l’orientation vers le PQ – l’ont littéralement jeté dans les bras d’ON et son nationalisme québécois explicitement de droite.
La question des rapports entre QS et le PQ, en particulier, fait l’objet de commentaires continuels dans les grands médias. «À quel point vous voyez-vous offrir à la population une alternative au PQ», a demandé un journaliste à un porte-parole de QS peu avant la fusion avec ON. «Notre objectif n'est pas de donner une alternative au Parti québécois», a répondu un Gabriel Nadeau-Dubois visiblement soucieux d’éviter tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, à une critique du PQ. «C'est les libéraux qui sont au pouvoir, c'est la CAQ qui est en tête des sondages», a-t-il insisté, «c'est une alternative à ces partis-là qu'on propose».
Québec solidaire a essentiellement évité au congrès de décembre de mentionner le PQ même de nom, alors qu’à son congrès de mai dernier, les membres avaient repoussé la proposition de la direction de conclure une alliance électorale avec le PQ. C’était une décision tactique motivée par la crainte d’être politiquement discrédité en s’associant ouvertement à un parti de la grande entreprise largement détesté par les travailleurs à cause de ses féroces mesures d’austérité et de ses appels xénophobes. Le congrès de décembre a dégagé la forte impression que la direction de QS a interdit toute critique du PQ au moment où elle jetait un pont politique vers ce dernier en fusionnant avec Option nationale.
L’un des principaux architectes de la fusion QS-ON, et adepte au congrès de mai dernier d’une alliance électorale avec le PQ, Nadeau-Dubois, a malgré son jeune âge une longue expérience en matière de subordination politique des travailleurs et des jeunes au PQ. En tant que principal porte-parole de l’association étudiante (CLASSE) qui s’est retrouvée à la tête de la grève étudiante québécoise de 2012, il a aidé la bureaucratie syndicale à détourner ce mouvement derrière l’élection du PQ, précisément au moment où il menaçait de s’étendre aux travailleurs et de poser un défi à tout le programme d’austérité de la classe dirigeante au Québec et au Canada. Pendant ce temps, dans une autre des nombreuses offres de collaboration qu’il a faites au PQ au fil des élections, QS s’engageait d’avance, s’il détenait la balance du pouvoir dans un gouvernement péquiste minoritaire, à le soutenir sans condition pendant au moins un an.
Autre fait saillant du congrès de décembre, Nadeau-Dubois a blâmé les travailleurs pour la montée des populistes de droite dans les sondages en pointant du doigt le «désespoir» des gens «qui ne fait pas toujours prendre bonnes décisions». C'est une position frauduleuse. En tant qu’allié de la bureaucratie syndicale et du PQ, Québec solidaire porte une lourde responsabilité dans la montée de forces droitières comme la CAQ qui profitent – au Québec comme en Europe, aux États-Unis et ailleurs – de la faillite des partis sociaux-démocrates ou associés à la gauche officielle comme le PQ.
QS facilite la montée du chauvinisme et du nationalisme dont se nourrissent les forces les plus à droite par son tournant vers un nationalisme plus musclé et son accueil du discours xénophobe du PQ et de toute la classe dirigeante québécoise et canadienne. QS a qualifié de «légitime» le débat sur les «accommodements raisonnables» supposément excessifs envers les minorités religieuses. Et il a gardé un silence complice en octobre dernier après que les libéraux ont adopté la loi 62 qui vise les femmes musulmanes en privant celles qui portent le voile intégral de services publics essentiels comme la santé, l’éducation ou le transport en commun.
QS porte une responsabilité additionnelle comme complice de la bureaucratie syndicale dans l’étouffement de la lutte des classes qui laisse le champ libre à la droite et à l’extrême-droite. En 2015-16, par exemple, plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public québécois s’étaient mobilisés pour de meilleures conditions de travail et de meilleurs services publics, dans une lutte qui avait le potentiel de déclencher une contre-offensive ouvrière contre l’assaut patronal. QS a alors adopté la même ligne que les centrales syndicales pro-capitalistes en les aidant à enfermer les travailleurs de la base dans un processus bidon de négociations à l'intérieur du cadre budgétaire fixé par le gouvernement.
En tant que parti nationaliste petit-bourgeois regroupant des couches privilégiées des classes moyennes, QS a montré au congrès de décembre, une fois de plus, un manque total d’intérêt pour toute question dépassant les frontières du Québec. Alors que les tensions géopolitiques dans le monde atteignent un niveau explosif et que Washington menace de rayer la Corée du Nord de la carte, QS n’avait rien à dire sur les préparatifs du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau pour participer à cette entreprise criminelle et les liens étroits qu’il entretient avec l’administration Trump sur les questions militaires et de sécurité.
Après avoir soutenu la campagne «n’importe qui sauf Harper» des syndicats en faveur des libéraux aux élections fédérales de 2015, puis accueilli le retour au pouvoir du parti de gouvernement préféré de la classe dirigeante canadienne, QS a observé un silence tout aussi complice sur la hausse drastique du budget militaire canadien par les libéraux de Trudeau, la contribution accrue du Canada aux guerres américaines dans le Moyen-Orient et son rôle de premier plan dans la mobilisation militaire de l’OTAN aux frontières de la Russie.
Soutien au nationalisme catalan en faillite
La seule intrusion de la crise capitaliste mondiale au congrès de QS a été sous la forme de la CUP (Candidatures d’unité populaire), la supposée aile «gauche» au sein du mouvement séparatiste de la Catalogne. Ses deux déléguées ont exprimé toute la faillite du nationalisme catalan – la lâcheté politique devant la féroce répression de l’État espagnol, le refus de mobiliser les travailleurs espagnols et européens contre les méthodes dictatoriales du gouvernement Rajoy, les appels pitoyables à une Union européenne qui appuie fermement Madrid.
Elles ont fait appel à leur arrivée au Canada, non pas aux travailleurs canadiens, mais au gouvernement québécois anti-ouvrier de Philippe Couillard. «J’espère que nous aurons la chance», ont déclaré Anna Gabriel et Eulalia Reguant de la CUP, «de rencontrer le premier ministre du Québec pour échanger sur le rôle que peuvent jouer les démocraties occidentales pour protéger la démocratie au sein même de l’Europe».
Québec solidaire a pris une position similaire. Non seulement refuse-t-il de condamner le soutien d’Ottawa pour la répression brutale du référendum catalan par le gouvernement espagnol. Il fait aussi passer pour des garants de la démocratie les libéraux qui forment le gouvernement à Ottawa et Québec – les mêmes forces fédéralistes qui ont préparé le terrain légal pour leurs propres mesures répressives et anti-démocratiques contre la menace d’une sécession du Québec en adoptant la «loi sur la clarté référendaire» après le référendum de 1995.
«M. Trudeau et M. Couillard», a déclaré la porte-parole féminine et députée de QS Manon Massé, «doivent sans attendre faire leur devoir de démocrates en faisant pression sur Madrid afin que soient abandonnées les procédures judiciaires qui pèsent sur [des] figures indépendantistes catalanes».
Dans leur exposé devant le congrès de QS, les déléguées de la CUP ont défendu la décision de soutenir un gouvernement nationaliste catalan dominé par la droite et de voter en faveur de son budget en 2017 – sans mentionner que ce gouvernement a attaqué les travailleurs en imposant des mesures d’austérité et en brisant des grèves de conducteurs de métro et d’employés aux aéroports. La fusion avec Option nationale ne laisse aucun doute que Québec solidaire s’apprête à jouer un rôle semblable à celui de la CUP.