Dans une déclaration en hommage au dictateur fasciste espagnol Francisco Franco, 181 officiers de haut rang en retraite de l‘armée espagnole ont fait savoir leur soutien à la politique d‘assassinats de masse conduite par celui-ci pour écraser l‘opposition de la classe ouvrière. C‘est là un avertissement aux travailleurs non seulement en Espagne mais en Europe et au plan international. Sur fond de colère sociale et de grèves montantes contre les mesures d‘austérité et le militarisme en Europe, la classe dirigeante, au désespoir, complote une guerre civile pour réprimer l‘opposition sociale.
Le manifeste du 31 juillet intitulé « Déclaration de respect au Général Francisco Franco Bahamonde, soldat d‘Espagne », signée par un groupe de généraux en retraite, de colonels, d‘amiraux et de capitaines de frégate, dont l‘ancien chef de l‘armée de terre espagnole jusqu‘en 2016, le Général Juan Enrique Aparicio, est sans équivoque. Publiée par l’AME (Asociación de Militares Españoles) pro-franquiste, elle approuve comme sauveur de l‘Espagne un dictateur fasciste ayant massacré des centaines de milliers de travailleurs durant la guerre civile puis fonda une dictature brutale qui dura 40 ans.
Les signataires critiquent la tentative cynique du nouveau gouvernement minoritaire du PSOE (Parti socialiste) soutenu par Podemos, d’obtenir le soutien de travailleurs et de jeunes par quelques critiques impuissantes de Franco et un projet pour retirer la dépouille de Franco du mausolée de la ‘Vallée de ceux qui sont tombés’. Ils savent parfaitement bien que le gouvernement pro-austérité du PSOE est profondément impopulaire et qu‘il ne tient qu‘à un fil.
Critiquant l‘hypocrisie du PSOE, ils font remarquer que sa campagne anti-Franco promeut « un faux progressisme qui cache la réalité de l‘effondrement territorial de la nation et de l‘inégalité manifeste parmi les Espagnols ».
Ils dénoncent « les attaques constantes de la personne du Général Franco depuis sa mort, qui effacent lentement mais sûrement toutes les traces de son œuvre pour l‘Espagne dans les moments historiques où il a du vivre ». Ils rendent responsable la « gauche politique » de déclencher « une campagne sans précédent qui est incompréhensible si on oublie son ardeur viscérale pour effacer un demi-siècle de notre histoire, à travers la tentative finale de supprimer le principal architecte ayant empêché cette histoire de disparaître ».
Ils portent aux nues le « commandement unique par Franco d’une Espagne assaillie et assiégée par le
communisme international et contrôlée par le Front populaire.».
Les infâmes réalisations de Franco sont bien connues. Il a mené un coup d’État fasciste en 1936, qui a plongé l‘Espagne dans une guerre civile de trois ans, dévastant des villes dans tout le pays et conduisant au meurtre de 200 000 opposants politiques, intellectuels de gauche et travailleurs militants. 400 000 personnes de plus furent jetés dans des prisons et des camps de concentration, où beaucoup moururent de malnutrition ou de famine. Un demi-million de personnes fuirent l‘Espagne en tant que réfugiés politiques.
Pendant les quatre décennies du régime de Franco, des milliers de personnes furent arrêtées, torturées et tuées par la police secrète. Les grèves, les partis politiques et les syndicats furent interdits et les libertés civiles abolies. Les journaux et les livres furent censurés et l‘éducation supérieure ne fut accessible qu‘aux privilégiés.
Le fait qu‘un pan entier du corps des officiers espagnols considère cela comme un exemple positif, est un avertissement. Le fascisme n‘était pas un accident politique du 20e siècle, mais une émanation inévitable du capitalisme. Après un quart de siècle de guerres de plus en plus nombreuses et de militarisme depuis la dissolution stalinienne de l‘Union soviétique, et une décennie d‘austérité profonde depuis le crash de Wall Street, les milieux dirigeants envisagent à nouveau une telle politique alors qu’ils font face à une population de plus en plus hostile et en colère.
L‘Union européenne (UE) s’est déplacée très à droite et les forces d’extrême-droite influencent de plus en plus ouvertement son programme politique. Cet été, l‘UE a accepté d‘intensifier drastiquement sa politique anti-réfugiés avec le plan de boucler hermétiquement la Forteresse Europe, déporter les réfugiés en masse vers les zones de guerre du Moyen-Orient et d’Afrique et construire un vaste réseau de camps de concentration dans toute l’Europe et la Méditerranée. Ces camps, comme en a averti le WSWS, seront inévitablement utilisés contre l‘opposition politique de la classe ouvrière.
La décision du corps des officiers espagnols d’exalter le régime de Franco confirme que ces politiques réactionnaires mettent en mouvement une marche vers la guerre civile en Europe même.
En même temps, surtout cette année, la lutte des classes s‘est fortement intensifiée à l‘international. Il y a eu de puissantes grèves des enseignants aux Etats-Unis, des métallos en Allemagne et en Turquie, des cheminots en Angleterre et en France. En Espagne, 8 millions d‘heures de travail ont été perdues du fait des grèves au premier trimestre de cette année; 51 pour cent de plus que sur la même période l‘an dernier. Les travailleurs d‘Amazone ont fait grève le mois dernier. Des grèves chez les pilotes, le personnel au sol et les aiguilleurs du ciel ont atteint des niveaux historiques en Espagne.
Alors que la classe dirigeante loue le fascisme et la guerre, l‘alternative est la construction de l’avant-garde de la classe ouvrière. La question clé est la mobilisation des classes ouvrières espagnoles et européennes en lutte, sur un programme révolutionnaire et socialiste. Pour cela, la classe ouvrière a besoin de construire des sections du Comité International de la Quatrième internationale (CIQI) en Espagne et dans toute l‘Europe.
Des leçons cruciales doivent être tirées. Si l‘armée se sent encouragée à célébrer l‘assassinat de masse de la classe
ouvrière par Franco, cela est avant tout du au rôle réactionnaire joué par le PSOE, les forces staliniennes au sein de Podemos et la faction pabliste de Podemos, composée d‘alliés du NPA (Nouveau parti anticapitaliste) en France. Podemos et une large strate de partis petits bourgeois anti-trotskystes agissant à sa périphérie sont complètement en faillite et hostiles à la classe ouvrière.
Le gouvernement PSOE soutenu par Podemos met à présent en œuvre un budget d‘austérité tout en faisant passer en force les plus fortes dépenses militaires depuis la mort de Franco il y a plus de 40 ans.
Durant la violente répression du referendum d‘indépendance catalan par Madrid l‘an dernier, qui a fait un millier de blessés alors que les électeurs tentaient de protéger les urnes de la police, le PSOE a soutenu la répression brutale du gouvernement droitier du Parti populaire (PP). Avec Podemos, il a ensuite soutenu l‘imposition d‘un gouvernement non élu en catalogne, l‘emprisonnement des dirigeants nationalistes catalans sur de fausses accusations et la tenue de rassemblements nationalistes à Barcelone.
Le pacte « oubli et pardon » passé par le PSOE et des staliniens avec les franquistes durant la transition du gouvernement dictatorial à la démocratie parlementaire dans les années 1970 pour bloquer une prise révolutionnaire du pouvoir par la classe ouvrière, est démasquée comme entièrement pourri. Malgré l‘opposition de masse au fascisme, le PSOE et les ancêtres politiques de Podemos ont conclu un accord qui a sauvé l‘ensemble de l‘appareil de Franco. A présent, les généraux en retraite qui ont grandis dans les dernières années du franquisme et ont soutenu l‘attaque de masse contre des électeurs catalans pacifiques, se tournent à nouveau vers l‘héritage de la répression fasciste.
En effet, la publication de cette lettre pointe quelques-unes des façons grâce auxquelles la Transition a permis aux fascistes de survivre. Après des décennies de gouvernement PSOE depuis 1978, l‘AME a toujours ses bureaux dans les casernes de l‘armée, reçoit des subsides et publie le journal Militares (soldats) qui est distribué gratuitement parmi les soldats espagnols.
Beaucoup des signataires de la déclaration de l‘AME ont été promus sous des gouvernements PSOE successifs. Ils fondent leur défense de Franco sur l‘Article 21 des Ordonnances royales pour les Forces Armées, approuvées en 2009 sous un premier ministre PSOE, José Luis Rodríguez Zapatero. Elles stipulent que « les membres des Forces armées se sentiront les héritiers et les dépositaires de la tradition militaire espagnole. C’est leur devoir de payer tribu aux héros ayant forgé la tradition militaire espagnole et à tous ceux qui ont donné leur vie pour l‘Espagne et une raison d‘encourager la continuation de cette œuvre ».
Dans le contexte d‘une crise sociale et économique sans précédent, les mesures « anti-fascistes » cyniques et purement symboliques du PSOE et de Podemos, comme le déplacement de la dépouille de Franco de son mausolée, n‘ont fait qu‘enhardir les fascistes. Au moment d‘écrire cet article, le PSOE et Podemos ont continué de garder un silence lâche et assourdissant sur la déclaration des généraux.
Ces événements sont une confirmation historique de la signification durable de la lutte de Trotsky contre le fascisme, les sociaux-democrates et les staliniens, qui ont réprimé en Espagne les luttes de la classe ouvrière durant la Guerre civile.
La seule force luttant pour une perspective politique trotskyste, pour que la classe ouvrière prenne le pouvoir, est le CIQI. Rejetant l’étranglement stalinien des luttes de masse contre les franquistes dans les années 1970 et l‘adaptation à cela des pablistes, le mouvement trotskyste lutte pour armer la classe ouvrière d’un programme socialiste et internationaliste contre l‘inégalité sociale, le militarisme et l‘adoption de formes autoritaires de gouvernement. La voie vers l‘avant dans la lutte contre un État policier et les forces fascistes, est la construction du CIQI en Espagne et à l’international.