Le gouvernement libéral du Québec a demandé une séance de l'Assemblée législative lundi afin de criminaliser la grève de six jours parmi les 175 000 travailleurs de la construction.
Le projet de loi «spéciale» antigrève du gouvernement, qui a officiellement été adopté mardi par le Parlement, menace les travailleurs de sanctions sévères s'ils ne se présentent pas au travail aujourd'hui, à l'heure de commencement habituel de leur quart de travail.
La loi 142 rend aussi illégal tout ralentissement de travail ou «toute diminution ou altération» des «activités normales» des travailleurs. Sous la menace de sanction légale, les responsables syndicaux doivent dire publiquement à leurs membres d'obéir à la loi et le prouver par écrit au ministère du Travail dans un affidavit.
Avant même que les travailleurs de la construction n'abandonnent leur poste de travail la semaine dernière, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a montré clairement que son gouvernement criminaliserait la grève. Lundi, la ministre du Travail, Dominique Vien et le président du Conseil du Trésor, Pierre Moreau, ont déploré l'«impact majeur» de la grève sur l'économie. «Pensez-vous vraiment, a demandé Moreau, que le Québec peut se permettre de perdre 45 millions $ par jour? La réponse est clairement non.»
Sous la loi 142, le gouvernement se donne des pouvoirs radicaux afin d'encadrer le processus d'arbitrage qui va déterminer les clauses de travail si la médiation échoue à résoudre le conflit d'ici le 30 octobre.
Cela inclut le droit de choisir le ou les arbitres, de déterminer quelles questions iront en arbitrage, de sélectionner la méthode d'arbitrage et de choisir les critères sur lesquels le ou les arbitres vont baser leurs décisions.
Autrement dit, le gouvernement libéral de la grande entreprise, qui s'est affairé pendant les trois dernières années à imposer des coupes sociales massives et à couper dans les retraites des travailleurs municipaux, tente maintenant de biaiser le processus d'arbitrage qui a déjà un caractère anti-ouvrier afin de s'assurer que les patrons de la construction obtiennent la plupart de leurs demandes, sinon toutes.
Ces demandes incluent des coupes radicales dans le paiement des heures supplémentaires et des «horaires flexibles», qui forceront les travailleurs à commencer leur quart de travail à tout moment entre 5h et 11h le matin avec possibilité de changement d'une journée à l'autre.
La loi stipule que les conventions collectives qui couvrent tous les trois secteurs de l'industrie de la construction – résidentiel; ingénierie civile et la voirie; institutionnel, commercial et industriel – dureront 4 ans, jusqu'au 30 avril 2021.
La loi 142 offre des augmentations salariales de 1,8%, jusqu'à ce que soient finalisées les nouvelles conventions. Cette augmentation est en dessous de la dernière offre des employeurs et n'est pas rétroactive à la fin des conventions collectives précédentes.
Malgré tout, les associations des employeurs de la construction ont dénoncé le gouvernement pour avoir accordé aux travailleurs la moindre augmentation. «On fait un cadeau aux employés et on ne consent à aucune de nos demandes patronales», s'est plaint Éric Côté de l'Alliance de la construction du Québec.
Pendant que les libéraux entamaient lundi le processus législatif visant à priver les travailleurs de la construction de leur droit de grève, des milliers de ces travailleurs de partout au Québec se rassemblaient à l'extérieur de l'Assemblée nationale.
Les travailleurs étaient révoltés que le gouvernement du Québec, une fois de plus, piétine leurs droits. En 2013, le gouvernement du Parti Québécois avait imposé une loi de retour au travail semblable et en 2014, le gouvernement libéral nouvellement élu avait menacé de passer une loi spéciale avant même une grève des travailleurs.
Toutefois, l'Alliance syndicale de la construction a organisé la manifestation non pas dans le but de mobiliser les travailleurs dans une lutte contre les patrons de la construction et le gouvernement libéral, mais bien pour dissiper leur colère.
Au nom du maintien de la «paix sociale», les syndicats du Québec ont réprimé à maintes reprises les mouvements d'opposition au programme d'austérité de la grande entreprise et de l'establishment politique, y compris la grève étudiante de 2012 et la lutte des travailleurs du secteur public du Québec en 2015.
Interrogé à la radio de Radio-Canada lundi, le porte-parole de l'Alliance syndicale Michel Trépanier s'est dit inquiet de l'esprit de militantisme parmi les travailleurs de la construction et de la possibilité de défier la loi antigrève des libéraux. «J'espère que tout va bien aller», a dit Trépanier. «Mais j'ai l'impression... la situation m'inquiète, car les gens sont fâchés, très fâchés.»
Il était évident depuis le début des négociations qu'une confrontation entre le gouvernement libéral et les travailleurs de la construction était inévitable. Trépanier lui-même a dit que les patrons de la construction s'étaient moqués des négociateurs syndicaux en leur disant que le gouvernement allait criminaliser toute grève des travailleurs.
Mais plutôt que d'avertir les travailleurs de cette menace et de tenter de rallier l'appui des autres travailleurs du Québec et du reste du Canada dans une lutte commune contre les concessions, les lois anti-ouvrières et le démantèlement des services publics, l'Alliance syndicale n'a rien dit sur la menace d'intervention du gouvernement jusqu'à ce que Couillard lui-même soulève la question le 12 mai.
Cela est devenu une pratique bien connue. Même si les gouvernements au Québec et à travers le Canada criminalisent régulièrement les grèves des travailleurs, les syndicats demeurent silencieux sur cette menace. Et au moment où les travailleurs commencent à faire valoir leurs intérêts, les syndicats invoquent l'imposition d'une loi antigrève, ou la menace imminente d'une telle loi, pour saboter la lutte, pour affirmer que les travailleurs n'ont d'autre choix que de retourner au travail ou d'accepter des ententes de trahison.
Les porte-parole de l'Alliance syndicale ont déclaré qu'ils allaient «combattre» la loi 142 dans les tribunaux et que les travailleurs «vont se rappeler» des libéraux aux prochaines élections en octobre 2018. Cela aussi est une pratique qui a une longue histoire. Les syndicats exhortent sans cesse les travailleurs à se tourner vers les tribunaux capitalistes pour défendre leurs droits, mais chaque fois, les tribunaux donnent leur approbation aux lois anti-ouvrières. Et le parti dont les syndicats du Québec font la promotion depuis des décennies en tant qu'option «progressiste» aux libéraux et qu'ils se préparent une fois de plus à appuyer en 2018 – le Parti Québécois (PQ) propatronal – a imposé autant, sinon plus, de coupes dans les dépenses sociales et de lois anti-ouvrières que les libéraux.
Lundi, le chef du PQ Jean-François Lisée a adopté une position typiquement hypocrite sur la loi antigrève des libéraux. Lisée a dit que le PQ appuyait l'imposition d'un retour au travail pour les travailleurs de la construction, mais qu'il ne pouvait donner son soutien au projet de loi des libéraux, car il accordait trop de pouvoir au gouvernement sur le processus d'arbitrage.
Exprimant la colère et la peur de l'élite québécoise devant la puissance économique des travailleurs de la construction, François Legault, chef du troisième parti de la province, Coalition Avenir Québec, a critiqué le gouvernement pour ne pas avoir criminalisé la grève plus tôt et l'a exhorté à imposer à l'avenir des limitations permanentes au droit de grève des travailleurs de la construction, ou même son abolition pure et simple.
Enhardie par les syndicats qui ont dit qu'ils allaient faire respecter la loi spéciale, la ministre du Travail Vien a affirmé que les libéraux seraient prêts à envisager des changements au processus de négociation – soit d'autres limites aux droits des travailleurs de la construction – mais seulement une fois le conflit actuel résolu.
(Article paru en anglais le 30 mai 2017)