Pourquoi la pseudo-gauche canadienne se rallie-t-elle à Niki Ashton, la candidate à la chefferie du NPD?

Alors que la course à la chefferie du Nouveau Parti démocratique (NPD) tire à sa fin, la pseudo-gauche du Canada s'est ralliée derrière la candidature de la députée albertaine Niki Ashton, la présentant comme l'occasion rêvée de stimuler et de radicaliser ce parti social-démocrate de droite.

La Riposte (Fightback) et la Ligue pour l'Action socialiste, tous deux fonctionnant comme des factions loyales au sein du NPD, ont officiellement donné leur appui à Ashton. International Socialists et le magazine Jacobin basé aux États-Unis ont promu la candidature de Ashton en lui dévouant un espace considérable sur leurs sites avec des entrevues élogieuses.

La pseudo-gauche fait pression sur Ashton afin qu'elle prenne pour modèle Bernie Sanders, le candidat défait en 2016 lors de la campagne d'investiture du Parti démocrate, et de Jeremy Corbyn, avec des appels explicites à ce qu'elle devienne la «Corbyn du Canada».

Sanders et Corbyn ont employés des rhétoriques socialistes et de gauche afin de garder les travailleurs et les jeunes piégés au sein des partis de l'establishment politique, c'est-à-dire respectivement de l'impérialisme américain et britannique.

Ayant gagné 13 millions de votes en promettant de mener une «révolution politique», Sanders a soutenu Hillary Clinton, la candidate favorite de Wall Street et de l'appareil militaire de surveillance. Corbyn a quant à lui déclaré que son principe directeur serait de préserver «l'unité» avec l'aile droite blairiste du parti travailliste et, à cette fin, a ordonné aux conseils municipaux travaillistes d'imposer de brutales coupes budgétaires demandées par le gouvernement conservateur et enfin, a accepté que des députés travaillistes autorisent que le Royaume-Uni mène la guerre en Syrie et se dote d'une nouvelle flotte de sous-marins nucléaires.

En pressant Ashton à jouer un rôle similaire, les groupes affiliés à la pseudo-gauche canadienne mettent à nue leur détermination à empêcher l'émergence d'un mouvement politique de la classe ouvrière indépendant. La pseudo-gauche espère qu'Ashton, comme Sanders et Corbyn, puisse restreindre l'opposition populaire à la guerre et aux inégalités sociales au sein du carcan de la politique électorale et sous la gouverne du NPD et des bureaucraties syndicales. Ils justifient cette perspective réactionnaire avec des affirmations grotesques comme quoi ces organisations procapitalistes peuvent être poussées vers la «gauche» et peuvent même devenir le véhicule pour faire avancer la lutte pour le socialisme.

La qualification d'Ashton pour jouer le rôle de la «gauche» au sein du parti de droite, proguerre du NPD, est pour le moins ténue. Élue au parlement pour la première fois en 2008, elle fit partie de l'équipe dirigeante du parti sous Thomas Mulcair, pour ensuite affronter ce dernier lors de la course à la chefferie de 2102. Elle est la «fière» fille de Steve Ashton, qui a servi en tant que ministre en Alberta sous les gouvernements NPD de Gary Doer et Greg Selinger, qui ont dirigé la province de 1999 à 2016 et mis en oeuvre une politique d'austérité en faveur des grandes entreprises, coupant les services publics tout en réduisant l'impôt sur les sociétés.

Contrairement aux affirmations absurdes de la Ligue pour l'Action socialiste selon lesquelles le NPD est un parti «de masse soutenu par les travailleurs» et qui «demeure viable en tant qu'opposant potentiel à l'austérité capitaliste, à l'injustice climatique, à l'inégalité sociale, au racisme, au sexisme et à la guerre», le NPD est dominé, depuis sa formation il y a plus d'un demi-siècle, par des bureaucrates syndicalistes anticommunistes et des sections privilégiées de la classe moyenne. Comme les partis sociaux-démocrates à travers le monde, le NPD a même renoncé à ses réformes traditionnelles pour être en faveur de l'austérité et de la guerre, et, à juste titre, une majorité de travailleurs le discerne peu de ses compétiteurs libéraux ou conservateurs.

Actuellement, le NPD est à moins de 20% dans les sondages, son soutien s'étant effondré après avoir mené une campagne électorale à la Harper en 2015, qui incluait des promesses d'équilibrer les finances, l'absence d'augmentation d'impôt pour les Canadiens les plus riches du 1%, des impôts sur les sociétés à un plancher record, et enfin, une augmentation des dépenses militaires.

Les alliés syndicaux du NPD, qui ont aidé à faire élire le parti pro-entreprise des libéraux en 2015 avec leur campagne «N'importe qui sauf Harper», sont également détestés après des décennies de répression de lutte des classes et d'imposition de concessions aux travailleurs dans toutes les industries.

Les travailleurs et les jeunes du Canada et à l'international sont de plus en plus hostiles à un cadre politique perçu comme leur étant indifférent et opposé, et par le fait même cherchent un moyen d'assurer indépendamment leurs intérêts de classe. En mai, 175.000 travailleurs de la construction au Québec ont soutenu une grève d'une semaine contre des concessions jusqu'à ce que les syndicats leur ordonnent de se plier à la loi spéciale les obligeant de retourner au travail. Des bagagistes de l'entreprise Swissport à l'aéroport Pearson de Toronto en sont actuellement à leur deuxième mois d'arrêt de travail, et ce, malgré que le syndicat des camionneurs (Teamster) fait tout en son possible pour isoler la grève et y mettre fin.

Malgré cela, la pseudo-gauche est déterminée à faire en sorte que les travailleurs demeurent pieds et poings liés au NPD et aux syndicats.

Le silence de la pseudo-gauche sur la guerre impérialiste

Les groupes appartenant à la pseudo-gauche ont conspiré avec l'establishment du NPD afin de garder l'enjeu de la guerre presque entièrement en dehors de la campagne au leadership. Et ce alors que le risque d'une guerre impérialiste catastrophique n'a jamais été aussi grand depuis l'apogée de la Guerre froide. L'impérialisme américain, l'allié le plus proche de la bourgeoisie canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale, provoque agressivement des conflits dans toutes les parties du globe, de la Corée, à la Syrie à l'Europe de l'Est, dans l'espoir de contrer son influence économique à travers le déploiement sauvage de sa force militaire.

Ayant joint presque toutes les guerres d'agression menées par les États-Unis durant le dernier quart de siècle, le Canada est pleinement impliqué dans ce programme insouciant. Le gouvernement Trudeau a envoyé des troupes pour diriger l'un des bataillons de l'OTAN en Europe de l'Est afin d'encercler la Russie, et s'est aligné sur l'administration Trump dans ses menaces de semer «le feu et la fureur» sur la Corée du Nord.

La nouvelle politique de défense du gouvernement libéral dévoilée en juin engage le gouvernement à augmenter les dépenses militaires de 70% au cours de la prochaine décennie, à faire l'acquisition d'une nouvelle flotte de navires de guerre et d'avions de chasse, et enfin, à renforcer le partenariat avec l'impérialisme américain à travers la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD). Ce dernier va vraisemblablement inclure la participation du Canada au programme américain de défense balistique – un programme qui, malgré son nom, vise à mener une guerre nucléaire «victorieuse».

Les candidats au poste de chef du NPD sont demeurés remarquablement silencieux sur la crise nord-coréenne et n'ont littéralement rien à dire sur la nouvelle politique de défense des libéraux, encore moins sur le danger d'une guerre en général.

Pendant de longues entrevues avec Ashton, tant La Riposte qu'International Socialists se sont retenus de l'interroger sur l'appui du NPD, et le sien, pour les interventions impérialistes canadiennes. C'est parce qu'ils savaient qu'en faisant cela, ils auraient nui à leur tentative de la faire passer pour une candidate à la chefferie du NPD «progressiste», même quasi socialiste.

Ashton, comme l'entièreté du caucus parlementaire du NPD, a voté à deux reprises en 2011 pour la participation du Canada dans les bombardements de l'OTAN en Libye, un acte d'agression impérialiste qui a mené à la mort de dizaines de milliers de Libyens, au meurtre public de Mouammar Khadafi et à l'incitation d'une guerre civile sanglante. La seule fois où Ashton s'est fait questionner à propos de ses votes de 2011, elle a hypocritement dit au journaliste radical Yves Engler qu'elle ne pouvait se rappeler comment elle avait voté. (Voir : «Le NPD au Canada, la guerre en Libye et les mensonges de Niki Ashton»)

Confrontés par l'exposition par le World Socialist Web Site des antécédents proguerre et des mensonges de Niki Ashton, les partisans de La Riposte ont sauté à sa défense. Un des dirigeants de La Riposte à Montréal nous a fustigés de faire dévier l'attention sur une «erreur de Niki» et a estimé que cela n'était pas pertinent dans la présente campagne, alors qu'un autre a cherché à faire la quadrature du cercle en proclamant la légitimité «anti-impérialiste» de La Riposte avant de déclarer son soutien indéfectible pour Ashton.

Ashton s'est vantée à plusieurs reprises qu'elle était de la «génération Jack Layton», c'est-à-dire quelqu'un qui s'est impliquée au sein du NPD sous la direction d'un homme qui a soutenu que le NPD devait démontrer sa «maturité» en acceptant l'alliance de l'OTAN dirigée par les États-Unis, qui depuis les années 1990 a été impliquée dans des guerres qui ont causé la mort de centaines de milliers de personnes, et qui en décembre 2008 a convenu de se joindre aux libéraux, parti de la grande entreprise, au sein d'un gouvernement de coalition qui s'est engagé à mener la guerre en Afghanistan, à couper 50 milliards en impôt sur les sociétés et, enfin, qui prônait la «responsabilité fiscale» (c'est-à-dire l'austérité).

L'indifférence de la pseudo-gauche pour les antécédents proguerre d'Ashton n'est pas simplement une question de complaisance – bien que, assurément, les groupes comme International Socialists et la Ligue pour l'Action socialiste sous-estiment grandement la crise capitaliste et le danger de guerre.

La pseudo-gauche au Canada et à l'international a émergé au cours du dernier quart de siècle en tant que tendance explicitement proguerre et pro-impérialiste, tel qu'illustré par leur étiquetage de différentes opérations de changement de régime menées par les États-Unis en Libye, en Syrie et en Ukraine comme des «révolutions» ou des mouvements de démocratisation.

Alors qu'ils s'expriment à l'occasion des discours à tendance socialistes, les groupes de la pseudo-gauche sont dirigés par des représentants de, et orienté vers, la classe moyenne supérieure – la bureaucratie syndicale et les ONG prônant les politiques identitaires qui espèrent avoir leur juste part des professions et emplois de management issus du capitalisme en mettant de l'avant la discrimination positive. En tandem avec ces couches aisées et égoïstes, la pseudo-gauche s'est nettement déplacée vers la droite, s'intégrant encore plus profondément au sein de l'establishment politique, et émergeant en tant que nouvelle plateforme pour l'impérialisme des «droits de l'homme».

Cette couche est très à son aise au sein du NPD, qui a fourni une couverture «humanitaire» à l'impérialisme pour toutes les guerres impliquant le Canada au cours des deux dernières décennies. Elle a appuyé la participation du Canada dans les bombardements de l'OTAN contre la Yougoslavie, soutenue l'occupation néocoloniale de l'Afghanistan, et a appuyée la posture antirusse des gouvernements canadiens successifs. Le NPD a également soutenu la participation du Canada dans la coalition menée par les États-Unis en Irak et en Syrie et le déploiement de forces canadiennes en Irak, conseillant simplement qu'elles soient axées sur des opérations «humanitaires».

Défendre le capitalisme canadien

Le programme procapitaliste d'Ashton n'est pas moins limpide sur le plan intérieur. Pour décrire ses propositions de «réformes», maigre serait généreux. Elle promet d'introduire l'éducation postsecondaire gratuite et de ramener les taux d'imposition des entreprises à un niveau similaire à ceux en vigueur sous Paul Martin, premier ministre libéral qui les avait réduits. Dans quelques secteurs très restreints, Ashton et ses troupes de la pseudo-gauche réclament l'intervention du gouvernement, qu'ils qualifient malhonnêtement de «propriété publique». Une de ces initiatives est la création d'une société de la Couronne qu'elle suggère de nommer «Green Canada», qui acheminerait des fonds gouvernementaux à des projets environnementaux tant publics que privés. Une autre proposition concerne l'implication de la société d'État Postes Canada dans les services de banque postale. Ceci constitue une demande de longue date de la bureaucratie syndicale, qui s'en est servie pour se donner un verni de respectabilité alors qu'elle imposait une série de reculs dans les conventions collectives des travailleurs des postes.

De si modestes propositions, dont quelques-unes seraient bien accueillies par des sections de l'élite dirigeante, n'ont pas empêché la pseudo-gauche de tenter de ressusciter le cadavre des politiques parlementaires sociales-démocrates et réformistes. En clamant que son soutien à Ashton est «critique», La Riposte a indiqué que la principale critique de sa campagne était de regretter qu'elle s'identifie comme «progressiste» dans ses discours plutôt que de suivre l'exemple de Sanders et faussement prétendre être «socialiste».

La réelle attitude de Ashton envers le capitalisme et l'assaut qui dure depuis des décennies sur la classe ouvrière est révélée par son adulation sans critique de Syriza. Ashton, dont la langue première est le grec par héritage maternel, a envoyé ses salutations enthousiastes lors du congrès de Syriza en 2013, décrivant le parti comme une «source d'inspiration». Elle a plusieurs fois louangé Syriza durant cette campagne à la chefferie du parti, tout en évitant tout commentaire sur le rôle méprisable de Syriza dans la trahison des sentiments anti-austérité qu'il a exploités pour obtenir le pouvoir en 2015.

Absolument opposé à la mobilisation de la classe ouvrière grecque et européenne contre l'austérité et l'Union européenne des grandes entreprises, Syriza a accepté, seulement six mois après son entrée en fonction, d'appliquer un ensemble de mesures d'austérité imposées par l'UE et la Banque européenne qui sont allé bien plus loin que ce qui avait été établi par ses prédécesseurs conservateurs et du PASOK, et ce, malgré que la vaste majorité des travailleurs grecs aient voté contre de telles mesures lors d'un référendum.

Les meneurs de claque de la pseudo-gauche d'Ashton espèrent créer les conditions dans lesquelles le NPD puisse exploiter de manière similaire les sentiments anti-establishment et anticapitalistes et assumer la responsabilité de gérer l'ordre capitaliste en crise.

Dans son soutien pour Ashton, le «Caucus socialiste», la faction au sein du NPD dirigée par la Ligue pour l'Action socialiste, l'a appelée à adopter plus de mesures de la plateforme de Corbyn de 2015 qui lui a servi à gagner sa campagne pour la chefferie du parti travailliste en 2015. Inutile de le dire, le Caucus socialiste omet d'informer ses lecteurs que cette plateforme a été écartée sans cérémonie par Corbyn dans sa tentative d'apaiser la droite blairiste et de convaincre la classe dirigeante britannique qu'elle pouvait lui faire confiance s'il parvenait à obtenir les rênes du pouvoir.

Le Caucus socialiste à mis au jour les réelles inquiétudes qui motivent ses critiques aimables à l'égard d'Ashton, après s'être plaint du fait que sa campagne n'a pas «créé un mouvement ouvert, fort et militant du même genre que celui qui a amené 200.000 nouveaux membres au sein du parti travailliste», il l'a pressée à suivre la direction de Corbyn et à donner aux activistes des groupes issus de la pseudo-gauche des positions de direction au sein de sa campagne.

Au contraire de Corbyn, qui a inclus des représentants de la Socialist Action britannique et de la Left Unity et de bureaucrates syndicaux en vue dans son équipe de campagne, Ashton, se plaint le Caucus socialiste, se base sur un personnel qui a peu de liens avec le «mouvement ouvrier».

Tous les efforts de la Ligue pour l'Action socialiste et ceux de la pseudo-gauche plus largement, se réduisent à tendre un nouveau piège à la classe ouvrière en encourageant des centaines de milliers de personnes à prendre la rhétorique de gauche d'Ashton pour argent comptant et à joindre le NPD, un parti procapitaliste et proguerre. Plus encore, les groupes de la pseudo-gauche veulent qu'Ashton leur fasse confiance pour attirer les travailleurs, en incluant leurs représentants au sein de son organisation de campagne et, ils l'espèrent, en obtenant de lucratifs postes au sein de sa future équipe de direction du parti.

Ainsi, dans le contexte de la plus importante crise du capitalisme depuis la Grande Dépression des années 1930, ils contribuent à perpétuer l'illusion qu'il est possible de s'emparer de l'État capitaliste et de l'utiliser pour instaurer des politiques dans l'intérêt des travailleurs au moyen de réformes parlementaires, une perspective qui s'est avérée désastreuse dans le passé pour la classe ouvrière et qui contredit tout ce pour quoi les plus grands marxistes se sont battus depuis les 150 dernières années.

(Article paru en anglais le 16 septembre 2017)

Loading