La députée du Manitoba Niki Ashton est présentée comme la candidate «de gauche», et même «socialiste», dans la course à la succession de Thomas Mulcair en tant que chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) fédéral. Le rôle principal dans la perpétration de cette fraude est joué par les groupes de la pseudo-gauche canadienne, qui s’empressent tous de présenter Ashton comme «la Jeremy Corbyn du Canada» en faisant référence au chef du Parti travailliste britannique.
Les groupes de la pseudo-gauche comme La Riposte (Fightback) et le Caucus socialiste anémique du NPD gardent un silence remarquable quant à l’attitude d’Ashton à l’égard de l’implication de l’impérialisme canadien dans ses diverses guerres d’agression à travers le monde. C’est parce que tout examen honnête de son dossier politique montre clairement qu’Ashton – comme l’ensemble du NPD – soutient la guerre pour défendre les intérêts de la bourgeoisie canadienne.
En 2011, Ashton s’est jointe à deux reprises à ses collègues néo-démocrates, dont son rival Charlie Angus dans la course à la direction, pour voter en soutien des bombardements de l’OTAN contre la Libye. Ces bombardements ont entrainé la mort de dizaines de milliers de civils, le meurtre de Mouammar Kadhafi et plongé ce pays d’Afrique du Nord dans une guerre civile brutale qui fait toujours rage à ce jour. Dans un rare moment de franchise, les officiers des Forces armées canadiennes sont allés jusqu’à reconnaitre que le Canada et ses alliés de l’OTAN servaient de véritable «armée de l’air d’Al-Qaïda» en Libye en fournissant un appui aérien aux milices islamistes, aux membres dissidents du régime de Kadhafi et à divers groupes relevant de longue date de la CIA.
Le premier vote s’est tenu en mars 2011, lorsque le NPD s’est joint au Parti libéral, au Bloc québécois et au Parti vert pour soutenir à l’unanimité une résolution du gouvernement conservateur Harper ordonnant le déploiement de jets de combats CF-18 pour mener des missions de guerre en Libye.
Le NPD a joué un rôle essentiel en fournissant le manteau «humanitaire» pour revêtir ce qui était dès le départ une opération de changement de régime dirigée par les États-Unis en vue de renforcer l’impérialisme en Afrique du Nord, alors secoué par le renversement des dictatures proaméricaines de longue date d’Égypte et de Tunisie. En invoquant la doctrine libérale de «responsabilité de protection» – dans la formulation de laquelle le Canada, avec le chef libéral d’alors, Michel Ignatieff, un éminent partisan de la guerre en Irak – a joué un rôle majeur au début des années 2000 – le NPD a justifié son soutien à l’intervention de l’OTAN en Libye sur la base de l’affirmation ridicule et jamais prouvée que c’était la seule façon d’empêcher Kadhafi de massacrer la population de Benghazi.
Le second vote du NPD et d’Ashton en appui à un bombardement de la Libye est survenu trois mois plus tard, en juin, lorsque le caractère de l’intervention comme étant un acte délibéré d’agression pour renverser le régime Kadhafi avait déjà été clairement énoncé de façon sanglante. Un général canadien a alors assumé le commandement des opérations de l’OTAN en Libye dans lesquelles les avions canadiens avaient cumulé quelque 1500 sorties à la fin de l’intervention en octobre. Il n’y a alors eu qu’un seul vote dissident. Non pas celui d’Ashton ou de quelque autre membre du caucus du NPD qui comptait alors plus de 100 députés, mais bien celui d’Elizabeth May du Parti vert.
Dans aucune des louanges publiées par les groupes de la pseudo-gauche La Riposte, International Socialist, ou le magazine Jacobin les interviewers n’osent poser de questions à Ashton à propos de cette période. La seule allusion qu’on puisse trouver à cet épisode est lors d’une conversation privée entre le journaliste radical Yves Engler et Ashton – une conversation qu’Engler a plus tard rapportée sur son blogue.
Engler écrit: «J’ai demandé à Niki Ashton si elle avait voté pour le bombardement de la Libye. La candidate à la direction du NPD a déclaré qu’elle et quelques autres députés avaient à l’époque cherché à dissuader Jack Layton, le chef d’alors du NPD, de soutenir la guerre de l’OTAN. N’étant pas parvenue à le convaincre, Ashton dit qu’elle ne peut se rappeler si elle a voté Oui sur la question de l’intervention en Libye.
C’est là un mensonge flagrant. En plaidant l’amnésie politique, Ashton cherche manifestement à renforcer ses qualifications «de gauche» pour le moins modestes dans des conditions où il y a une opposition populaire répandue à l’implication du pays dans les interventions militaires brutales menées par les États-Unis dans le monde entier, depuis la participation du Canada dans la guerre de l’OTAN de 1999 en Yougoslavie jusqu’à son rôle de premier plan dans l’occupation néocoloniale de l’Afghanistan, en passant par l’assaut contre la Libye et la guerre actuelle des États-Unis en Irak et en Syrie.
Le World Socialist Web Site ne croit évidemment pas pour le moindre instant qu’Ashton ait un trou de mémoire. Mais partons du principe qu’elle dit vrai juste pour le bénéfice de l’argumentation et qu’elle ne se rappelle pas de la façon dont elle a voté – à deux reprises et à trois mois d’intervalle, sur la question de la guerre contre la Libye – et dans des conditions où tous les autres parlementaires néo-démocrates se sont alignés sur les positions du gouvernement conservateur en soutenant la guerre. Peut-on imaginer constat plus révélateur du manque total de sérieux d’Ashton en politique?
La question du soutien ou de l’opposition à la guerre impérialiste met à l’épreuve toutes les tendances politiques et révèle où résident leurs véritables intérêts de classe. En outre, comme ce fut le cas à deux reprises au cours du siècle dernier, la crise du capitalisme entraine une intensification massive du conflit entre les grandes puissances impérialistes – et dans laquelle l’impérialisme canadien joue un rôle majeur – ce qui place la lutte contre la guerre au centre de la lutte pour socialisme.
Si Ashton a véritablement essayé de persuader Layton de s’opposer à la participation du Canada à la guerre en Libye, pourquoi n’a-t-elle pas soulevé cette question publiquement? Pourquoi n’y a-t-il pas le moindre article de presse relatant un tel débat au sein du caucus néo-démocrate, et pire encore à la Chambre des communes? Pourquoi Ashton, ou ses partisans au sein du NPD, n’ont-ils pas appelé à des manifestations publiques pour s’opposer au conflit? Et pourquoi, en admettant que ses collègues parlementaires aient refusé de l’écouter, n’a-t-elle pas adopté une position de principe et voté à la Chambre des communes contre les bombardements canadiens sur les villes de Libye?
Les réponses à toutes ces questions sont plus qu’évidentes: Ashton est un membre de l’establishment du NPD qui siège au Parlement depuis près d’une décennie, et elle ne s’oppose nullement au principe que le Canada peut déployer ses forces militaires dans le monde entier pour défendre les intérêts de l’élite bourgeoise. Elle n’a pas l’intention de mobiliser la moindre opposition populaire contre la guerre ou toute autre question urgente découlant de l’aggravation de la crise capitaliste, qu’il s’agisse de l’accroissement des inégalités sociales, des attaques contre les droits démocratiques ou de la persécution des réfugiés. Elle préfère plutôt utiliser une rhétorique à consonance de gauche, amplifiée par ses partisans de la pseudo-gauche, pour faire avaler aux travailleurs que le NPD peut se battre pour défendre leurs intérêts.
C’est précisément le rôle que Corbyn joue en Grande-Bretagne. Depuis qu’il est devenu chef du Parti travailliste grâce à une rhétorique de gauche sonnant même parfois socialiste, il a capitulé maintes et maintes fois devant l’aile droite de son parti, notamment en leur permettant de voter pour la guerre en Syrie et sur la question de la conservation des armes nucléaires. C’est aussi le rôle joué aux États-Unis par Bernie Sanders, avec qui Ashton a fait campagne et qu’elle cite régulièrement comme source d’inspiration. Après avoir attiré des millions d’électeurs avec ses prétentions d’être un socialiste, Sanders a mis tout son poids politique pour appuyer Hillary Clinton, la candidate préférée de Wall Street et des militaires lors de l’élection de l’année dernière.
Pour se faire l’avocat du diable d’Ashton, son vote en faveur de la guerre en Libye n’est pas un échec personnel. Elle est après tout membre d’un parti politique qui a approuvé loyalement toutes les aventures militaires dans lesquelles le Canada s’est engagé depuis deux décennies. Le NPD a en effet repris le prétexte «humanitaire» frauduleux utilisé par les libéraux et les conservateurs pour légitimer le bombardement de Belgrade. Il a soutenu le rôle du Canada dans l’occupation néocoloniale de l’Afghanistan et était même prêt à accepter en 2008 à former un gouvernement de coalition avec les libéraux en promettant de poursuivre la guerre contre ce pays appauvri d’Asie centrale pour trois ans de plus.
Le NPD a également donné son approbation tacite au déploiement militaire dirigé par les États-Unis en Haïti pour évincer le président élu Jean-Bertrand Aristide. Il a aussi repris l’agitation antirusse des gouvernements conservateurs et libéraux successifs qui a mené au stationnement de 450 soldats canadiens à la frontière de la Russie et à l’exécution d’une mission d’entrainement de l’Armée ukrainienne.
Les travailleurs et les jeunes qui cherchent une véritable opposition au danger croissant de guerre, démontré clairement par l’engagement du gouvernement Trudeau à soutenir l’administration Trump alors même que celle-ci profère des menaces téméraires contre la Corée du Nord, ne trouveront pas celle-ci dans le NPD. La lutte contre la guerre et le système capitaliste qui en est la cause ne peut être menée qu’en détruisant toute illusion dans ce parti proguerre et procapitaliste et qu’en se tournant vers la construction d’un nouveau mouvement antiguerre basé sur un programme internationaliste et socialiste.
(Article paru en anglais le 29 août 2017)