Mercredi 13 juillet, le gouvernement allemand a adopté le « Livre blanc 2016 sur la politique allemande de sécurité et l’avenir de la Bundeswehr ». Ce texte de 144 pages remplace le Livre blanc de 2006 en tant que doctrine officielle en matière de politique étrangère et marque un nouveau jalon dans le retour de l’Allemagne à une politique étrangère et militaire agressive.
Le nouveau livre blanc s’est fixé des objectifs étendus: le déploiement à l’intérieur du pays de la Bundeswehr (armée allemande), l’extension des missions étrangères indépendamment des alliés d’après-guerre, une politique étrangère et de défense européenne dominée par l’Allemagne et un renforcement massif de la Bundeswehr.
Au paragraphe « Déploiement et rôle de la Bundeswehr en Allemagne » on peut lire: « afin de seconder la police dans la gestion efficace d’une situation d’urgence, les forces armées sont aussi habilitées sous certaines conditions bien particulières à accomplir des tâches relevant de la souveraineté en ayant recours à des pouvoirs d’intervention et de contrainte. »
En d’autres termes, l’interdiction de mener des opérations militaires sur le territoire allemand et la séparation entre la police et l’armée, ancrées dans la constitution dû à l’expérience faite sous l’empire allemand, la République de Weimar et la dictature nazie, sont définitivement abrogées. Depuis l’adoption en mai 1968 des lois d’urgence, ces principes avaient été assouplis à plusieurs reprises, mais le recours à l’armée dans les opérations policières était jusque-là illégal en Allemagne.
L’approbation du parlement pour de tels cas, également requise par la constitution, sera encore sapée davantage. Au chapitre 8 du Livre blanc, le paragraphe « Cadre juridique » déclare que, « le nombre de déploiements et de missions nécessitant une action immédiate et résolue a augmenté. » La « pratique de l’approbation parlementaire a fait ses preuves, » précise le document mais, « compte tenu de la responsabilité accrue de l’Allemagne en matière de sécurité, nous devons être en mesure de relever ces défis, si nécessaire en déployant les forces armées allemandes. »
La préface rédigée par la chancelière Angela Merkel (CDU) montre clairement qu’après avoir subi des défaites cuisantes dans deux guerres mondiales auxquelles ont succédé des années de retenue dans la politique étrangère, l’Allemagne s’apprête une fois de plus à mener, des opérations militaires sans restrictions dans le monde entier et des conflits militaires en Europe même.
Merkel écrit: « Le monde de 2016 est agité. En Allemagne et en Europe aussi nous voyons et nous ressentons les effets du manque de liberté, des crises et des conflits. Nous constatons que même en Europe la paix et la stabilité ne vont pas de soi. »
Elle conclut: « Le poids économique et politique de l’Allemagne signifie qu’il est de notre devoir de prendre en charge la sécurité de l’Europe en association avec nos partenaires européens et transatlantiques […] Nous devons défendre encore davantage nos valeurs communes et manifester un engagement plus grand encore que jusqu’ici pour ce qui est de la sécurité, de la paix et d’un ordre régit par des règles. »
L'invocation de la grandeur de l’Allemagne et l’appel à plus de « responsabilité » et au « leadership » allemand en Europe et dans le monde est un thème récurrent du Livre blanc.
Dans le tout premier chapitre, au paragraphe « Rôle de l’Allemagne dans le monde et compréhension d’elle-même du point de vue de la politique de sécurité, » on peut lire, « L’Allemagne est un pays hautement interconnecté avec le reste du monde et – dû à son importance économique, politique et militaire, mais aussi en raison de sa vulnérabilité – elle a la responsabilité de participer activement à la formation de l’ordre mondial. »
« L'Allemagne est de plus en plus considérée comme un acteur clé en Europe, » peut-on lire plus loin; elle est « prête à s’investir très tôt, de manière décisive et substantielle en tant que générateur d’impulsion dans le débat international, d’endosser la responsabilité et d’assumer un rôle directeur. » Cela comprend « la volonté de contribuer à relever les défis présents et futurs en matière de politique sécuritaire et humanitaire. »
Le troisième chapitre est intitulé « Les priorités stratégiques de l’Allemagne » et ne laisse aucun doute qu’en réalité « les défis sécuritaires et humanitaires » signifient les intérêts géopolitiques et économiques de l’impérialisme allemand.
« Notre économie est tout autant tributaire d’un approvisionnement stable en matières premières et de voies de transport internationales sûres que de systèmes d’information et de communication opérationnels. La sécurité des voies maritimes d’approvisionnement et la garantie de la liberté de navigation sont d’une importance capitale pour un pays exportateur comme l’Allemagne. » Le pays doit donc « s’employer à veiller à garantir un libre accès aux voies de communication sur terre, dans les airs et en mer ainsi que dans l’espace et dans le domaine cybernétique et informatique. »
Un point central du document est la recherche par l’Allemagne d’une plus grande indépendance dans la politique étrangère. Si le Livre blanc parle d’un « approfondissement de l’intégration européenne et d’un renforcement du partenariat transatlantique, » il précise aussi que : « Parallèlement, notre capacité à réagir dans un contexte international – notamment européen et transatlantique – est basée sur un positionnement national clair. »
En particulier, « Les coopérations ad hoc » continueront de « prendre de l’importance comme instrument de gestion de crise et de conflit internationaux. » L’Allemagne « tiendra compte de ce développement et, dans les cas où elle est en mesure de protéger ses intérêts de cette manière, elle participera à une coopération ad hoc en l’initiant avec ses partenaires. »
Là où l’Allemagne collabore « avec ses partenaires » au sein de l’OTAN ou dans le domaine de la politique européenne commune de Défense, elle revendique plus de leadership. « Le pilier européen de l’OTAN est en train de gagner de l’importance, » poursuit le document. Les Etats-membres européens sont « appelés à assumer une plus grande responsabilité et ce, aussi dans le sens d’un meilleur équilibre des charges. L’Allemagne précisément assume ici une responsabilité particulière. »
Le Livre blanc salue explicitement « la nouvelle stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne » introduite par la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, lors du premier sommet de l’UE sans participation britannique, le 4 juillet à Bruxelles. Cette stratégie sera « une contribution essentielle au renforcement de la capacité de l’UE à agir dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité. » « L’Allemagne a dès le départ accompagné et soutenu activement l’élaboration de cette nouvelle stratégie, » souligne le document.
Comme « objectif à long terme, » l’Allemagne s’efforce de « parvenir à une Union commune européenne de sécurité et de défense. » A moyen terme, un « quartier général civil et militaire opérationnel permanent » sera requis et doté « d’une planification militaire et civile et d’une capacité de commandement et de contrôle ». De cette manière seulement pourra être maintenu à long terme « le poids politique de l’Europe » et imposer les « intérêts sécuritaires de l’UE » face aux « glissements géopolitiques et aux développements démographiques en cours dans le monde. »
En tant qu’instrument central de la politique étrangère allemande, la Bundeswehr verra ses effectifs et son budget considérablement améliorés. En plus de l’augmentation du budget militaire en 2016 et 2017, une « pérennité fiable de la ligne de financement sera nécessaire dans les années à venir afin de tenir compte de la capacité de maintenance, des augmentations d’équipements en fonction des tâches et des structures, ainsi que de la nécessité d’établir de nouvelles capacités tout en assurant le recrutement et le fonctionnement de la Bundeswehr. »
Parallèlement à la militarisation de la politique étrangère, on prépare à nouveau la vie civile et sociale à la guerre. Dans la partie « Faire avancer la prévention en matière de sécurité et la résilience: une tâche pour l’ensemble de la société, » le document explique: « La sécurité nationale est une tâche qui ne se limite pas seulement à l’Etat mais incombe de plus en plus conjointement à l’Etat, à l’industrie, à la communauté scientifique et à la société. Une compréhension commune des risques éventuels forme la base sur laquelle la résilience de la société dans son ensemble doit se construire. »
Le gouvernement allemand veut « donner une importance plus vaste à la prévention en matière de sécurité en identifiant et en adaptant en permanence les secteurs ayant besoin d’être protégés ; en activant la planification de la défense civile (maintien des fonctions de l’Etat et du gouvernement, protection civile, approvisionnement, soutien aux forces armées) dans le but d’harmoniser les procédures de gestion de crise ; en institutionnalisant à l’Institut fédéral des hautes études de sécurité un débat dans toute la société sur les exigences futures en matière de sécurité. »
Le Livre blanc 2016 est le dernier acte en date d’une véritable conspiration pour la relance du militarisme allemand, initiée en 2014 à la Conférence de Munich sur la sécurité par le président Gauck, le ministre des Affaires étrangères Steinmeier (SPD) et la ministre de la Défense Von der Leyen (CDU). Comme pour le précédent document de stratégie, « Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilité : Eléments d’une politique étrangère et de sécurité allemande pour un monde en évolution » qui a servi de modèle initial pour la nouvelle politique étrangère et de grande puissance de l’Allemagne, d’influents journalistes, universitaires, hauts gradés, représentants du patronat et politiciens de tous bords des partis parlementaires, ont participé à son élaboration.
Une publication officielle intitulée « Chemins ayant menés au Livre blanc » et diffusée par le ministère de la Défense, indique qu’il « convient de signaler tout particulièrement les nombreuses activités qui ont été organisées sous les auspices du livre blanc par les partis politiques, les églises, les syndicats et les associations et dont les résultats furent autant de pierres dans le processus de sa genèse. »
(Article original paru le 15 juillet 2016)