Le président iranien Hassan Rohani a effectué une visite de quatre jours en Italie et en France la semaine dernière, après que l’Union européenne (UE) et les États-Unis ont levé les sanctions contre l’Iran après la signature d’un accord sur le programme nucléaire de Téhéran en juillet dernier. Après la visite de Rouhani en Italie et en France, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walker Steinmeier s'est rendu à Téhéran mercredi de cette semaine.
Après avoir fait pression sur l’Iran pour qu'il signe l’accord nucléaire et accepte les concessions proposées, les puissances impérialistes européennes se bousculent pour se repositionner dans une économie de 400 milliards de dollars ayant la quatrième plus grande réserve de pétrole du monde et un marché de consommation de près de 80 millions de personnes. L’Europe était le plus grand partenaire commercial de l’Iran avant l’imposition des sanctions. Au cours de son voyage en Europe, le premier par un président iranien depuis 16 ans, Rouhani était accompagné d’une délégation de 120 responsables et hommes d’affaires.
Avant d’arriver en Italie lundi, Rouhani a dit: «Après l’accord nucléaire, nous voulons préciser la feuille de route, à moyen et long terme, de notre relation avec l’UE, et en particulier avec l’Italie et la France... Je serai à Rome et à Paris pour parler de différents projets économiques, et peut-être en arriver à des résultats concrets, comme la construction automobile et la modernisation de notre aviation civile.»
En Italie, Rouhani a eu des entretiens avec le président Sergio Mattarella et le premier ministre Matteo Renzi et a participé à un forum d’affaires Italie-Iran. D’éminents dirigeants d’entreprises italiennes, dont Claudio Descalzi d’Eni SpA, et le président directeur général de Fiat Chrysler, Sergio Marchionne, devaient assister à un dîner avec Rouhani plus tard lundi. Lors d’une conférence de presse, Rouhani et Renzi ont loué les accords signés entre l’Italie et l’Iran; Renzi a dit que ce n'était «qu'un début» pour les deux pays.
Des entreprises italiennes ont accepté des contrats d’une valeur d’environ 20 milliards d’euros avec l’Iran. Le Groupe Danieli, l'un des plus grands fournisseurs d’équipement, a signé des accords d'une valeur approximative de 5,7 milliards dollars pour fournir des machines à l'Iran et mettre en place dans le pays des usines sidérurgiques et d’aluminium. La compagnie pétrolière Saipem et le Chemin de fer de l’État italien ont également signé un protocole d’entente avec Téhéran. Les chantiers navals Fincantieri ont signé plusieurs accords, dont un pour développer un nouveau chantier naval dans le golfe Persique.
Mercredi, Rouhani s'est rendu en France et a rencontré de hauts responsables français et des chefs d’entreprises désespérés de faire oublier les pertes économiques en Iran en raison de la campagne de sanctions menée par les États-Unis contre ce pays. Le commerce de la France avec l’Iran de quelque 4 milliards d’euros il y a 10 ans est tombé à seulement 500 millions d’euros en 2013.
L’Élysée a déroulé le tapis rouge pour le dirigeant iranien, qui a signé des contrats de milliards d’euros lors d’une cérémonie spéciale au palais. Au cours de la conférence de presse qui a suivi, le président François Hollande a déclaré: «Un nouveau chapitre de nos relations s’ouvre aujourd’hui.»
L’Iran a également signé un protocole d’entente avec Airbus, le constructeur d’avions civils franco-allemand, pour acheter 118 avions Airbus d'une valeur approximative de 23 milliards d’euros afin que Téhéran puisse rétablir les vols commerciaux qui étaient limités par des sanctions. Le géant de la construction Bouygues et les Aéroports de Paris (ADP) ont convenu d’élargir l’aéroport de Téhéran.
Total, la société pétrolière française, a signé un accord pour reprendre l’achat de pétrole brut iranien et PSA Peugeot Citroën a signé un accord de 430 millions dollars en coentreprise avec le constructeur iranien Khodro afin de produire des voitures en Iran. Ils vont moderniser une usine près de Téhéran et commencer à faire des voitures d’ici la mi-2017, avec l’objectif de 200.000 véhicules par an. D’autres accords ont été signés sur l’agriculture, la santé et l’environnement.
Les relations de la France avec l’Iran soulignent le caractère réactionnaire et les changements soudains de la politique étrangère européenne. Avant l’accord nucléaire, Paris avait une position particulièrement belliqueuse, faisant pression sur Téhéran pour répondre à toutes les demandes des puissances occidentales dans les négociations nucléaires et cherchant aussi à détruire l’un des principaux alliés de l’Iran, le régime du président syrien Bachar al-Assad, en soutenant des milices islamistes liées à Al-Qaïda.
Maintenant, alors qu’il continue à chercher un changement de régime en Syrie, Paris est supposément en train de combattre l’État islamique d'Irak et de Syrie (EI), soutient des milices kurdes également soutenues par l’Iran et un autre allié clé d’Assad, la Russie, et cherche un rapprochement économique avec l’Iran.
En effet, l’accord nucléaire iranien est, en dernière analyse, un mécanisme pour la poursuite du pillage impérialiste de la région par d’autres moyens. La pression monte à Téhéran, à la fois de la part de ses partenaires commerciaux et de la théocratie iranienne elle-même, pour que l'Iran supprime les subventions des prix des produits de base de consommation, réduisant le niveau de vie des travailleurs iraniens.
La lutte pour les marchés en Iran et à travers le Moyen-Orient, ravagé par l’intervention militaire occidentale et la guerre, se déroule en pleine intensification de la concurrence géopolitique entre les grandes puissances impérialistes pour déterminer qui va dominer la région.
Mardi, le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, a visité Téhéran, invitant Rouhani à se rendre en Allemagne au cours de sa prochaine visite en Europe. Avec les sanctions contre l’Iran levées, la communauté des affaires allemandes s'attend à ce que ses exportations vers l’Iran doublent dans les trois prochaines années pour atteindre 5 milliards d’euros, et 10 milliards d’euros dans les cinq années suivantes.
«Après plus de 10 ans de relations glaciales avec l’Iran, nous avons finalement dit “Stop”», a déclaré Volker Treier des Chambres de commerce et d’industrie de l’Allemagne.
Les puissances de l’UE sont profondément préoccupées par l’attitude agressive des États-Unis et les sanctions sévères contre l’Iran qui ont considérablement miné leurs intérêts géopolitiques. Il y a des signes croissants que la rivalité américano-européenne sur l’accès aux marchés iraniens et irakiens, qui ont émergé dans les années 1990 dans le cadre des préparatifs de l’invasion américaine unilatérale de l’Irak en 2003, pourrait éclater à nouveau.
On discute déjà au sein des cercles de politique étrangère que l’Europe pourrait entrer en conflit avec Washington si le gouvernement américain cherche à réimposer des sanctions à l’Iran à l’avenir. En 2014, des responsables américains ont ouvertement menacé de sanctions des entreprises françaises qui prévoyaient travailler en Iran.
Après la ratification initiale l’année dernière de l’accord sur le nucléaire, le Conseil européen des relations étrangères a publié un article dans son bulletin du 26 août 2015 intitulé «L’Europe ne cédera pas à un Congrès américain hostile à un accord avec l’Iran».
Le groupe de réflexion a noté sans ambages, «Les Européens visent maintenant au-delà d’une vision centrée sur le nucléaire de l’Iran en se concentrant sur la façon dont ils peuvent utiliser l’ouverture pour développer les relations avec l’administration du président iranien Hassan Rohani. L’Iran et l’Europe sont désireux de relancer leurs relations commerciales naguère prospères et les Européens souhaitent également travailler avec l’Iran afin de désamorcer de façon plus constructive les conflits au Moyen-Orient. Ce genre de progrès ne peut être facilement défait, et s’il l'est, les décideurs politiques européens pourront blâmer Washington plutôt que Téhéran pour avoir fait dérailler prématurément un accord qui a reçu un appui presque unanime.»
Les Européens et les États-Unis font également face à la concurrence croissante de la Chine, dont le président Xi Jinping a visité l’Iran avant que Rouhani parte pour l’Europe. La Chine et l’Iran viseraient à renforcer les liens économiques jusqu’à une valeur de 600 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années. Lors de la visite de M. Xi, la Chine et Téhéran ont signé environ 17 accords dans des domaines comme la politique, l’économie, la sécurité et l’énergie nucléaire.
(Article paru d’abord en anglais le 5 février 2016)