Dans un discours extraordinaire prononcé mercredi 5 août, le président américain Barack Obama a averti publiquement qu’une forte partie du Congrès et de l'appareil d'Etat était déterminée à mener contre l'Iran une guerre aux conséquences incalculables.
Obama a déclaré, la veille du 70è anniversaire du bombardement atomique d'Hiroshima, qu’un sabotage de l'accord nucléaire avec l'Iran annoncé le mois dernier signifierait la guerre avec l'Iran, pays près de quatre fois plus grand que l’Irak et dont la population est trois fois plus nombreuse. Il a suggéré en outre, évoquant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide, qu’une telle guerre pouvait ouvrir la voie à une troisième guerre mondiale.
Il n’est pas du tout clair, à ce stade, comment votera le Congrès sur l'accord nucléaire entre l'Iran et le P5 + 1 (Etats-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, France et Allemagne), approuvé par les Nations Unies. Obama a annoncé qu'il opposerait son veto à toute mesure qui empêcherait les États-Unis de mettre l'accord en œuvre. S’il se trouvera assez de voix dans les deux chambres du Congrès pour obtenir la majorité des deux tiers requise pour casser un veto présidentiel, reste encore indéterminé.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que la grande majorité du Congrès américain va voter pour une politique fondée sur une escalade guerrière catastrophique du militarisme américain.
Obama a averti que si la Chambre des représentants et le Sénat rejetaient son veto, il y aurait la guerre, et « bientôt ». Le président « commandant en chef » a donné la nette impression que le contrôle d’une marche vers la guerre lui échappait.
Comme il l’a dit clairement: «le rejet de cet accord par le Congrès ne laisse à une administration américaine absolument déterminée à empêcher que l'Iran n’obtienne une arme nucléaire, qu’une option, une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Je ne dis pas cela pour provoquer; j’énonce un fait ».
Le débat sur l’accord avec l’Iran montre que l'establishment politique américain et son vaste complexe militaire et du renseignement sont profondément divisés quant à savoir si l'impérialisme américain devait défendre ses intérêts mondiaux par une autre guerre au Moyen-Orient, beaucoup plus dangereuse celle-là. Ce qui ne fait pas débat, c’est la prérogative supposée de Washington d’une guerre préventive, c’est-à-dire d’une agression criminelle contre tout pays ou peuple qu’il viserait. Le président américain a souligné ce point et rappelé son propre bilan.
« En tant que commandant en chef, je n’ai pas hésité à recourir à la force si nécessaire », s’est-il vanté. «J’ai envoyé des dizaines de milliers de jeunes Américains au combat ... J’ai ordonné des actions militaires dans sept pays. Il y a des moments où la force est nécessaire, et si l'Iran ne respecte pas cet accord, il est possible que nous n’auront pas d’autre choix ».
Malgré toutes ses multiples interventions, ses meurtres par drones et ses massacres, Obama estime toutefois qu’une guerre avec l'Iran est une entreprise très dangereuse. Son argument est que Washington peut défendre ses intérêts en utilisant l'accord nucléaire comme un levier pour ranger le régime iranien derrière l'impérialisme américain, tout en gardant «l'option militaire sur la table », au cas où cette stratégie échouerait.
Ce qui fait craindre à Obama une confrontation inconsidérée avec Téhéran dépasse le bain de sang qu’une telle guerre causerait. Il a averti qu’un rejet de l'accord sur le nucléaire provoquerait une dangereuse confrontation avec la Russie et la Chine. Cela enflammerait aussi, a-t-il fortement suggéré, les relations avec les alliés de Washington en Europe, en premier lieu l'Allemagne, et en Asie. Aucun d'entre eux, a-t-il dit, ne se plierait aux « diktats du Congrès américain » et n’appliquerait un régime unilatéral de sanctions qui a déjà coûté à leurs économies d’innombrables milliards de dollars.
L’Allemagne, la France, l'Italie et d'autres pays européens ont déjà envoyé des délégations de haut niveau à Téhéran pour négocier des contrats lucratifs. Ils ont clairement fait savoir qu'ils ne reviendraient pas à la table de négociations et encore moins à des sanctions.
Le second diplomate en importance de Berlin à Washington a averti jeudi qu’une répudiation par les États-Unis de l'accord sur le nucléaire « serait un cauchemar ... une catastrophe », qu’elle conduirait l'Iran et éventuellement d'autres pays à acquérir rapidement des armes nucléaires sachant qu'aucun accord négocié ne serait respecté par les États-Unis.
Si l'armée américaine attaque l'Iran en même temps que le capitalisme européen tente de pénétrer sur son marché, le résultat final pourrait bien être la mort de l’Alliance Atlantique et l'éruption de tensions militaires entre l'Europe et l'Amérique.
Obama a également attiré l'attention sur les conséquences d’une tentative de forcer la Chine à revenir au régime des sanctions. « Nous aurions à couper des pays comme la Chine du système financier américain », a-t-il dit. « Et puisqu’elle se trouve être parmi les principaux acheteurs de notre dette, de telles actions pourraient déclencher de graves perturbations dans notre propre économie et soulever d’ailleurs, au plan international, des questions sur le rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale ».
Une telle issue comporte implicitement une confrontation militaire avec la Chine. Elle plongerait également l'économie américaine, et mondiale, dans une dépression économique complète, a suggéré Obama.
Mais un tel cours précisément est appuyé par de puissants secteurs de l'élite dirigeante américaine. Ils le font dans le dos d’une population américaine qui s’oppose massivement à la guerre. Étant donné les conséquences effrayantes des avertissements d'Obama, la réaction des médias américains a été remarquablement silencieuse.
La campagne électorale de 2016 est déjà en cours et le sentiment populaire anti-guerre ne peut s’exprimer à travers le système politique corrompu et en faillite des Etats-Unis. Des millions de gens pourraient bien se réveiller après le vote du Congrès sur l’accord en septembre, pour trouver les États-Unis engagés dans une nouvelle guerre bien plus vaste celle-là que les interventions combinées d’Afghanistan et d’Irak. Ils pourraient se trouver brusquement pris dans une situation où l’emploi et le niveau de vie s’effondrent et où la planète toute entière se trouve au bord du gouffre d'une troisième guerre mondiale, nucléaire.
La politique de ceux qui sont prêts à mener le monde dans cette voie reflète la crise désespérée du système capitaliste américain et la détermination de la classe dirigeante à compenser le déclin mondial du capitalisme américain par des moyens militaires. Frustrés par l'échec des guerres américaines en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie visant à assurer une domination américaine sans partage sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale, ils veulent maintenant un nouveau coup de dés avec l’enjeu beaucoup plus élevé de soumettre militairement l'Iran, pays à cheval sur ces deux régions riches en énergie.
Dans la partie la plus lâche de son discours, Obama a attribué l'opposition enragée à un accord avec l’Iran dans l'establishment américain à « l’affinité sincère pour notre ami et allié d'Israël, une affinité que ... je partage profondément ». Il n' y a rien de «sincère» dans cette relation toxique. L'alignement sur le régime israélien des éléments les plus réactionnaires et les plus irresponsables de l'establishment politique américain est lié au soutien à la guerre qu’ils partagent avec lui.
La poursuite et la propagation de ce que le prédécesseur d'Obama avait appelé « les guerres du 21e siècle », dont fait désormais partie la promotion d’une guerre avec l'Iran, exprime également la nécessité de détourner vers l'extérieur – sous forme d’éruptions de plus en plus violentes du militarisme américain – les tensions de classe internes générées par l'inégalité sociale croissante.
Cela indique que le seul moyen de vaincre le militarisme américain et la menace d'une troisième guerre mondiale est le développement de la lutte de classe et la préparation consciente de la révolution socialiste aux États-Unis et sur le plan international.
(Article original paru le 7 août 2015)