La société d'État Postes Canada, avec l'appui du gouvernement conservateur fédéral, met fin à la livraison du courrier à domicile et mène un assaut frontal sur les conditions de travail des employés de la poste, à commencer par le régime de retraite.
Le PDG de Postes Canada, Deepak Chopra, a annoncé le 16 décembre dans une entrevue avec le quotidien Globe and Mail qu'il exigerait que des changements majeurs soient apportés au régime de retraite, soit possiblement une augmentation des primes et une réduction des prestations.
Chopra a fait cette annonce quelques jours seulement après que Postes Canada eût présenté un plan d'affaires sur cinq ans visant à réduire progressivement la livraison du courrier à domicile jusqu'à son élimination complète, à hausser considérablement les coûts d'utilisation de la poste, à privatiser davantage de bureaux de poste et à éliminer entre 6000 et 8000 emplois.
Postes Canada justifie ses coupes en mentionnant la diminution du volume de courrier et des pertes qui devraient atteindre un milliard de dollars d'ici 2020, en grande partie en raison de l'augmentation des coûts liés aux pensions.
À partir de cette année, la livraison du courrier en milieu urbain passera graduellement du porte-à-porte aux boîtes postales communautaires. Quand ces changements auront été effectués, le Canada deviendra le premier pays du G7 à avoir éliminé complètement le service de livraison du courrier à domicile. Actuellement, 63 pour cent du courrier est livré dans les boîtes communes des immeubles à appartements ou directement dans les boîtes aux lettres résidentielles. Dans les dernières années, on a commencé à livrer le courrier, dans les nouveaux développements, dans des boîtes communautaires situées sur certains coins de rue. Postes Canada va maintenant étendre ce système à l'ensemble des villes.
Le 31 mars prochain, le prix d'un timbre sera haussé de 35 pour cent (de 63 à 85 sous) pour les timbres achetés en paquet. Un timbre acheté seul coûtera un dollar.
Si ce plan quinquennal ne répond pas aux attentes de rentabilité, la société d'État affirme qu'elle est prête à réduire davantage ses services, comme effectuer la livraison du courrier trois jours par semaine plutôt que le service actuel sur cinq jours.
Sachant avec raison que ce plan n'allait pas être populaire, Postes Canada, en consultation avec le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper, a attendu l'interruption de la session parlementaire pour la période des fêtes avant d'en faire l'annonce. Chopra a tout de même dû se présenter le 18 décembre à une rencontre spéciale d'une commission fédérale sur le transport. Reflétant l'arrogance de l'élite dirigeante lorsqu'il est question de services publics dont la population a besoin, Chopra a ignoré les nombreuses protestations exprimées par des groupes de personnes âgées, des propriétaires de maison et de petites entreprises, allant même jusqu'à dire que les personnes âgées allaient apprécier la marche quotidienne nécessaire pour aller chercher leur courrier, car cela allait les forcer à faire de l'exercice.
Les partis de l'opposition, soit les libéraux et le Nouveau Parti démocratique, ont centré leur critique non pas sur une défense des services publics, mais sur la décision cynique de Postes Canada (et du gouvernement) de faire l'annonce de leur plan au moment où la session parlementaire était interrompue.
Quant au président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Denis Lemelin, il a commenté pour la forme, dénonçant les coupes: «Postes Canada doit changer. Mais les compressions ne sont pas une manière de changer.»
Le STTP prévoit organiser une campagne de protestation impotente sous le titre «Sauvons Postes Canada» par laquelle le syndicat va tenter de s'attirer l'appui d'opposants politiques des conservateurs parmi les partis du patronat pour des coupes moins sévères. Une déclaration du STTP publiée le 11 décembre et intitulée «Les travailleuses et travailleurs des postes et leurs alliés défendront la livraison à domicile» nous rappelle qu'«En 1993, le premier geste posé par le gouvernement libéral nouvellement élu a été d’instaurer un moratoire» sur le programme de fermetures de bureaux de poste qui avait été mis en œuvre par le gouvernement conservateur précédent de Brian Mulroney. Ce que la déclaration ne dit pas est que, durant les quatre années suivantes, le gouvernement libéral de Jean Chrétien et Paul Martin a imposé les plus importantes coupes dans les dépenses sociales de l'histoire du Canada (entres autres, des coupes massives dans l'assurance-emploi et les paiements de transfert aux provinces qui permettent le financement de la santé, de l'aide sociale et de l'éducation postsecondaire). De plus, durant les douze années où le Parti libéral a été au pouvoir, il y a eu un vaste développement de la privatisation des bureaux de poste et un assaut incessant sur les salaires et les conditions des travailleurs de la poste, notamment par la criminalisation de la grève de 1997 du STTP.
Pour les bureaucrates du STTP, mobiliser la classe ouvrière en défense de tous les services publics et contre l'ensemble du programme d'austérité défendu par tous les partis de la grande entreprise est impensable. Leur campagne contre le plan d'affaires de Postes Canada cherche plutôt à démontrer qu'il est possible de rentabiliser la société d'État d'une autre façon.
«La Loi sur la Société canadienne des postes indique clairement que Postes Canada doit être financièrement autonome», peut-on lire dans la déclaration du STTP du 11 décembre. «Il revient maintenant au STTP de montrer à la population que Postes Canada peut atteindre cet objectif en misant sur l’expansion des services générateurs de revenus plutôt qu’en imposant des compressions de manière unilatérale.»
Le STTP exhorte Postes Canada à s'orienter vers le secteur des services financiers et cherche à leurrer les travailleurs de la poste pour qu'ils défendent cette utopie réactionnaire.
Elle est réactionnaire, car elle sépare la lutte contre les coupes à Postes Canada de la lutte pour défendre tous les services publics et elle accepte la logique et la cadre du système capitaliste, soit la subordination des emplois et des salaires au profit des grandes sociétés.
Et c'est une utopie, car l'élite politique du Canada et les grandes banques envers lesquelles elle est redevable n'envisageront pas un tel plan. Au contraire, la classe dirigeante voit la crise financière chez Postes Canada comme une opportunité: l'opportunité de réduire les services publics, d'imposer des coupes dans les pensions et d'attaquer les conditions d'une section de travailleurs qui est historiquement associée à des luttes militantes, pour tenter ainsi d'intimider toute la classe ouvrière.
Ceux parmi la bureaucratie syndicale et le NPD qui ont critiqué le plan de Chopra ont insisté sur le fait que durant les 16 dernières années, Postes Canada a continuellement été en mesure de dégager des profits. Mais que ces profits ne sont pas venus d'un développement important des sources de revenus (dont l'augmentation de la livraison des colis), mais plutôt en réduisant les coûts de sa main-d'oeuvre et en augmentant la productivité.
Après l'imposition d'une loi de retour au travail durant le dernier conflit de travail acerbe en 2011, le STTP a finalement accepté un contrat permettant le développement d'une échelle salariale à deux vitesses, attaquant les avantages sociaux et les pensions et imposant des conditions de travail encore plus difficiles et dangereuses.
Dès le début de ce conflit, le STTP s'opposait à une mobilisation complète des travailleurs de la poste en disant que cela allait leur éviter une confrontation directe avec le gouvernement conservateur.
Il était prévisible que cela ne vienne qu'encourager le gouvernement et Postes Canada dans leurs demandes.
Lorsque les négociations ont été rompues au printemps 2011, le STTP a organisé des grèves tournantes inefficaces en se vantant que cela allait avoir peu d'impact sur la livraison du courrier. Et lorsque Postes Canada a imposé un lock-out (fournissant ainsi un prétexte aux conservateurs pour criminaliser la grève et imposer un contrat), le syndicat a tout de suite offert de mettre un terme à sa brève campagne de débrayages localisés (qui durait alors depuis 12 jours) si Postes Canada acceptait de respecter les conditions de la convention collective.
Pour aider le syndicat à forcer un retour au travail après la présentation d'une loi spéciale par les conservateurs qui comportait une augmentation salariale moindre que celle offerte par la société d'État, le NPD a tenté de faire de l'obstruction parlementaire. Mais le syndicat a rapidement convaincu le NPD d'abandonner cette opposition pour la forme, permettant ainsi que soit promulguée rapidement la loi antigrève des conservateurs.
Pour s'opposer à l'attaque du gouvernement conservateur et de Postes Canada, les travailleurs de la poste doivent former des comités de la base indépendants de l'appareil syndical du STTP. L'objectif de ces comités ouvriers sera de faire de la lutte contre les coupes à Postes Canada et pour la défense des droits et des conditions des travailleurs de la société d'État le fer-de-lance d'une contre-offensive de la classe ouvrière à travers le Canada contre le démantèlement des services publics et toutes les coupes dans les salaires, les emplois et les avantages sociaux. Les travailleurs ne sont pas responsables de la crise capitaliste et n'ont pas à en faire les frais. Pour qu'une telle contre-offensive soit menée, la puissance sociale des travailleurs devra être mobilisée dans des grèves et des occupations. Mais cela requiert surtout la mobilisation politique de la classe ouvrière dans une lutte pour un gouvernement des travailleurs qui va résoudre la crise du capitalisme aux dépens de la grande entreprise en procédant à la réorganisation socialiste de la société.
(Article original paru le 30 décembre 2013)