Les nouvelles perturbations qui agitent les marchés financiers mondiaux et qui ont vu apparaître dans la foulée de fortes chutes des bourses asiatiques et une baisse d’un pour cent hier à Wall Street, soulignent le fait qu’aucun des problèmes survenus lors de l’effondrement de 2008 n’a été surmonté. Au contraire, ces toutes récentes fluctuations sont un indice évident qu’une nouvelle crise est en train de se préparer, une crise mise en branle par la politique même que les banques centrales ont appliquée au cours de ces cinq dernières années.
Ce qui a initialement provoqué la vente massive a été l’annonce faite par le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, que si les conditions économiques s’amélioraient aux Etats-Unis, la Fed envisagerait de revoir à la baisse son programme de rachat d’actifs dans le cadre de sa politique d’« assouplissement quantitatif ». La réaction de panique causée sur les marchés suite à cette déclaration a depuis été aggravée par les craintes d’un assèchement du crédit en Chine en raison du resserrement monétaire de la politique appliquée par les autorités financières.
Depuis que le troisième cycle d’assouplissement quantitatif (QE3) a été annoncé en septembre dernier, la Fed a dépensé 85 milliards de dollars par mois en rachat d’emprunts du Trésor et d’obligations adossées à des créances hypothécaires (MBS), gonflant ainsi son bilan au rythme de 1 millier de milliards de dollars par an.
Bernanke, lors de sa conférence de presse mercredi dernier, a renouvelé ses assurances aux marchés financiers que la Fed ne recourrait pas à une politique de resserrement monétaire mais réduirait simplement la pression exercée sur l’accélérateur et que, si les conditions économiques venaient à se dégrader, on procèderait à un plus grand assouplissement monétaire.
Mais la dépendance du capital financier d’injections continues de liquidités ultra bon marché de la Fed est devenue extrême au point d’engendrer un moment de convulsions sur les marchés à la simple l’allusion d'une réduction à venir du flux de capitaux. Les cours des obligations ont chuté en produisant une augmentation des rendements (taux d’intérêt). A Wall Street, le Dow Jones a dégringolé, perdant quelque 200 points immédiatement après la conférence de presse de Bernanke et cédant 350 points supplémentaire le lendemain, avant de remonter légèrement vendredi.
La vente massive a eu un impact majeur partout dans le monde, notamment sur les marchés dits émergents où les monnaies qui avaient progressé par rapport au dollar ont accusé des chutes significatives. La lire turque et la roupie indienne ont plongé la semaine passée à des niveaux record.
Les gestionnaires de fonds ont fait état de retraits massifs des fonds de créances en réaction aux craintes qu’un certain nombre de ces pays étaient devenus trop tributaires du flux financier sortant des Etats-Unis en vertu du programme d’assouplissement quantitatif et qu’un inversement du flux monétaire pourrait donner lieu à de graves problèmes économiques. La Turquie et l’Inde sont toutes deux considérées comme vulnérables parce qu’elles affichent des déficits de leurs comptes courants externes.
Mais les difficultés économiques de ces régions ne sont que l'expression claire de l’aggravation de la crise au coeur même de l’économie capitaliste mondiale.
Depuis le déclenchement de la crise financière mondiale en 2008, on estime que les banques centrales partout dans le monde, la Féd américaine en étant le chef de file, ont déversé au moins 10 milliers de milliards de dollars sur les marchés financiers. Les aides initiales ont été faites sous forme de renflouements. A présent, elles sont servies sous forme d’assouplissement quantitatif lors duquel des centaines de milliards de dollars à des taux ultra bas sont mis à la disposition des banques et des institutions financières par le biais d’achats d’emprunts des banques centrales.
La logique officielle de cette politique est que le rachat d’emprunts et la baisse de la rentabilité des actifs financiers finira par entraîner une plus grande prise de risque de la part des investisseurs, y compris l’injection d’argent dans l’économie réelle.
Cela n’a pas été le cas. Au contraire, l’assouplissement quantitatif a promu une spéculation financière sans précédent, conduisant à une situation où les marchés boursiers ont fortement augmenté tandis que l’économie réelle a soit crû très légèrement, soit stagné voire s’est contractée.
Avant même que la toute dernière vente massive ait eu lieu, il était évident qu’une nouvelle phase de turbulences financières avait débuté, avec des signes grandissants d’une instabilité suite aux propos faits par Bernanke le 22 mai, selon lesquels la Fed pourrait envisager un « ralentissement du rythme » de l’assouplissement quantitatif, suscitant les craintes d’une chute des cours des obligations et donc une hausse des taux d’intérêt.
En s’adressant au début du mois à un groupe de députés britanniques, le directeur exécutif pour la stabilité de la Banque d’Angleterre, Andy Haldane, avait souligné le potentiel pour une nouvelle crise. « Soyons clairs, » a-t-il dit, « Nous avons internationalement fait gonfler la plus grande bulle d’obligations d’Etat de l’histoire. » Le plus grand risque pour le système financier, a-t-il ajouté, ce serait « un renversement désordonné », c’est-à-dire une chute rapide du marché obligataire.
Il ne pourrait y avoir d'admission plus claire de la faillite flagrante de l’ordre économique capitaliste actuel.
La politique même que les gouvernements et les autorités financières ont appliquée dans le monde entier au nom des classes dirigeantes a maintenant créé les conditions pour le développement d’une nouvelle catastrophe économique, venant s’ajouter à la dévastation sociale et économique qui a déjà résulté de l’effondrement de 2008.
La forme sous laquelle cette dernière série de turbulences a émergé montre que la crise est enracinée dans une malignité qui se trouve au coeur même du système capitaliste de profit.
Bernanke a déclaré que le programme de QE ne commencerait à être retiré que s’il y avait une amélioration dans les conditions de l’économie réelle. Mais la réaction des marchés à cette suggestion indique que s’il était effectivement appliqué il y aurait un effondrement à grande échelle. En d’autres termes, les marchés financiers ne sont plus en mesure de survivre sous des conditions considérées précédemment comme « normales ».
C’est l’expression de la profonde désintégration du processus même de la production capitaliste en soi. Dans des conditions soi-disant « normales », l’argent est investi dans les moyens de production et utilisé pour employer la main-d’œuvre qui produit les marchandises qui sont ensuite vendues afin de générer du profit. Une partie au moins de ce profit est ensuite utilisé pour financer de nouveaux investissements, générant encore de la production et la croissance économique.
Mais ce processus est en panne. Les profits s'accumulent mais de plus en plus souvent ils ne résultent plus d’une expansion de l’ensemble de l'économie, mais au contraire d’une réduction des coûts, des salaires, comme c’est le cas dans l’industrie automobile américaine, ou du développement de nouvelles technologies qui chasse les concurrents hors du marché.
La stagnation économique et la contraction des marchés signifient que les bénéfices ne sont plus réinvestis mais entraînent une accumulation de vastes soldes de trésorerie dans les livres de comptes des entreprises – dont on dit qu’elles s’élèveraient à 2 milliers de milliards de dollars de l’économie américaine – et qui sont ensuite utilisées pour des opérations spéculatives sur les marchés financiers.
La réaction violente à l’éventualité que l’assouplissement quantitative puisse être retiré montre l’extrême dépendance de l’économie capitaliste de cette forme de parasitisme économique.
Il n’est bien sûr pas possible de prédire la forme exacte que prendra le prochain stade de l’effondrement de l’économie capitaliste mondiale. Mais la logique perverse des fluctuations du marché est très révélatrice.
La réaction de panique à la suggestion d’un retour même partiel à ce qui jadis était considéré comme des conditions « normales » signifie que la « santé » des marchés financiers est tributaire de l’appauvrissement continuel de la classe ouvrière et des masses de la population.
La classe ouvrière doit commencer à examiner cette situation et agir en conséquence. Sa réponse face aux attaques sans cesse croissantes à son encontre doit être le développement d’une lutte politique pour prendre le pouvoir entre ses propres mains. Ce serait la condition préalable essentielle à la réorganisation de l’économie mondiale sur des fondements socialistes.
(Article original paru le 25 juin 2013)