Le mouvement de grève des
cégépiens et des étudiants universitaires du Québec prend de l'ampleur.
Déclenché à la mi-février par quelque 25.000 étudiants, le mouvement est
maintenant formé de près de 200.000 étudiants d'institutions postsecondaires
francophones et anglophones à travers la province. On s'attend à ce que des
milliers d'autres joignent la grève la semaine prochaine en prévision d'une
manifestation provinciale qui aura lieu jeudi à Montréal.
Les étudiants exigent que le
gouvernement libéral provincial de Jean Charest annule la hausse des frais de
scolarité de 75 pour cent prévue pour les cinq prochaines années. Il existe un
fort appui dans la population pour ce que demandent les étudiants, et ce
sentiment est lié à la vive opposition populaire aux programmes d'austérité des
conservateurs de Harper et des libéraux de Charest.
Manifestations des étudiants en grève à Montréal mardi passé
Du côté de la classe dirigeante,
le consensus règne : les étudiants doivent payer et le gouvernement doit
maintenir la ligne dure contre la grève des étudiants.
La ministre de l'Éducation Line
Beauchamp, le ministre des Finances Raymond Bachand et le premier ministre
Charest ont clairement fait savoir qu'ils n'allaient pas annuler ou réduire la
hausse des frais de scolarité. Les médias de la grande entreprise ont concerté
leurs efforts pour dénigrer les préoccupations des étudiants sur
l'accessibilité aux études postsecondaires et qualifier leurs demandes
d'« égoïstes ». Dans un éditorial publié mardi dernier dans La
Presse, et intitulé « Rien à négocier », André Pratte, rédacteur
en chef au journal et voix représentative des sections dominantes de la
bourgeoisie québécoise, a affirmé : « Le gouvernement Charest n'a
aucune raison de reculer. L'augmentation est nécessaire et raisonnable. Elle ne
nuira pas à l'accès aux études universitaires. »
Quelques jours plus tôt, le
dirigeant du parti de droite la Coalition Avenir Québec (CAQ), François
Legault, avait exprimé les mêmes sentiments, réitérant l'appui de la CAQ pour
la hausse des frais de scolarité : « Il ne faut pas commencer à
reculer sur l'essentiel à chaque fois que des groupes de pression
manifestent. »
Le gouvernement avait, en début
de conflit, exhorté les administrations collégiales a continuer d'offrir les
cours malgré les mandats de grève. Jusqu'à maintenant, cette menace a eu peu
d'effet en raison du solide appui pour la grève parmi les enseignants.
Mais les policiers, agissant de
toute évidence sous les ordres du gouvernement, sont systématiquement
intervenus pour réprimer, à la matraque, au poivre de Cayenne et au bouclier,
les manifestations étudiantes.
Près de 200.000 étudiants du collégial et de l'université font la grève pour s'opposer aux hausses
de 75 pour cent des frais de scolarité annoncées par le gouvernement libéral provincial
Plusieurs dizaines d'étudiants
du Cégep du Vieux-Montréal avaient été arrêtés et accusés de méfait public,
voies de fait et agression armée contre des agents de police, et même de
complot, après avoir été sortis des locaux de l'établissement. Les policiers
ont procédé à d'autres arrestations cette semaine après avoir interpellé un
partisan de la grève qui buvait une bière devant des locaux d'une association
étudiante au centre-ville de Montréal. Ceux qui ont été arrêtés affirment que
les policiers surveillaient leurs bureaux depuis des heures.
La répression constante des
forces antiémeute a eu des conséquences désastreuses pour au moins un jeune
adulte. L'une des victimes les plus en vue de cette répression, Francis
Grenier, un étudiant de 22 ans, a été atteint au visage par une grenade
assourdissante lors de l'assaut des forces policières contre une manifestation
et une occupation, le 7 mars dernier, autour d'un édifice abritant les bureaux
de la Conférence des recteurs et des principaux d'universités du Québec
(CREPUQ), un solide défenseur de la hausse des frais de scolarité. Grenier a eu
son congé d'hôpital, mais il risque de perdre l'usage d'un oeil.
Le premier ministre Charest est
rapidement venu à la défense des forces antiémeute et de cette attaque :
« Envahir un édifice, faire peur aux gens... Évidemment, ça a des
conséquences. »
Tellement systématique est
devenue la répression policière à l'endroit de la moindre manifestation
étudiante, qu'un chroniqueur de La Presse, partisan des policiers, a
critiqué leur attitude face aux étudiants. S'adressant aux policiers, Patrick
Lagacé a dit : « Ces grévistes sont moins violents que les émeutiers
de Montréal-Nord et des victoires du Canadien de Montréal : pourtant, vous
leur fessez dessus et vous les poivrez avec un aplomb que je n'avais pas vu en
2010, 2009 et 2008. »
Le déploiement systématique des
forces policières devant toute opposition des étudiants est une indication
claire que l'élite dirigeante n'a aucune intention de reculer sur l'imposition
de cette hausse des frais de scolarité, pas plus qu'elle n'a l'intention de
reculer sur l'ensemble de son assaut contre les programmes sociaux, les
dépenses sociales et les conditions de vie de la classe ouvrière.
L'Internationale étudiante pour
l'égalité sociale (IEES) et le Parti de l'égalité socialiste pressent les
étudiants à se tourner vers la classe ouvrière et à lutter pour sa mobilisation
politique indépendante contre les gouvernements Charest et Harper. On peut lire
dans une déclaration de l'IEES : « La grève étudiante, toutefois, ne
peut réussir que si elle devient le fer de lance d'une vaste contre-offensive
de toute la classe ouvrière. Pour ce faire, elle doit dépasser le stade d'une
simple protestation contre une mesure en particulier. Les étudiants doivent se
tourner consciemment vers les travailleurs, la seule force sociale capable
d'offrir une alternative progressiste à un système de profit qui condamne une
majorité à plus de chômage et de pauvreté. » (Les étudiants
en Grève du Québec doivent se tourner vers les travailleurs)
Cette perspective est
fondamentalement opposée à ce qui est proposé par les trois fédérations
étudiantes : la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), la
FECQ (la Fédération étudiante collégiale du Québec) et la CLASSE (Coalition
large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante).
La FEUQ et la FECQ ont été mises
sur pied avec le soutien politique et financier de la bureaucratie syndicale,
après que les chefs syndicaux sont intervenus durant la grève étudiante de 2005
pour exhorter les étudiants à faire un compromis avec le gouvernement libéral
dans le but de « préserver la paix sociale ». Comme les syndicats,
ces fédérations sont politiquement proches du parti de la grande entreprise
qu'est le Parti Québécois qui, lorsqu'il a été au pouvoir, a effectué des
coupes draconiennes dans les services publics, éliminant entre autres plus d'un
millier de postes d'enseignants d'université. Le PQ a dans la récente période
attaqué les libéraux à maintes reprises pour ne pas éliminer le déficit assez
rapidement, mais, en essayant de se donner une fausse image de gauche en
prévision d'élections, il appelle maintenant à un gel temporaire des frais de
scolarité à l'université.
La CLASSE, qui est à l'origine
de l'actuel mouvement de grève, critique les deux autres fédérations pour les
liens qu'elles entretiennent avec le PQ, mais la perspective qu'elle défend est
similaire. Devant l'intransigeance claire du gouvernement, elle n'a d'autre
perspective pour les étudiants que de faire plus de bruit, être plus militant,
faire des gestes d'éclat pour forcer le gouvernement Charest à négocier avec
les associations étudiantes. La CLASSE est opposée à toute tentative d'élargir
le mouvement pour en faire une mobilisation de la classe ouvrière contre les
programmes d'austérité qui sont mis en oeuvre à tous les niveaux de
gouvernance, au Québec et à travers le Canada, et elle lie la classe ouvrière à
la bureaucratie syndicale procapitaliste et défend la domination qu'exerce
cette dernière sur les travailleurs.