La mort
du reporter de France2 Gilles Jacquier en Syrie dans la ville de Homs, pendant
une manifestation pro-Assad ciblée par un tir de roquette RPG ou de grenades, a
retenu l’attention des médias français. Ceux-ci parlent de manipulation
de la part du régime d'Assad, dans une attaque qui a aussi entraîné la mort de
huit militaires pro-Assad et fait de nombreux blessés.
Cet
évènement survient alors que la France—avec la Turquie, les Etats-Unis et
d’autres puissances occidentales—intervient pour épauler les forces
rebelles dans une guerre civile qui s’est développée à partir des
manifestations syriennes de mars 2011, inspirées par les révolutions tunisienne
et égyptienne. Suivant le modèle de la guerre de l’OTAN contre le régime
de Kadhafi en Libye en 2011, ces puissances veulent mettre en place un régime
fantoche à Damas, et ensuite éventuellement en Iran, allié de la Syrie.
C’est
dans ce contexte politique qu’il faut considérer les affirmations de la
presse française, suggérant que le régime syrien serait complice de la mort de
Jacquier.
Libération cite
les déclarations de Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, qui
soutient implicitement la thèse d’une attaque commanditée par le
régime :« Nos confrères étaient sur place avec toutes les
autorisations, des visas officiels et normalement une protection qui,
brusquement, s'est retirée au moment des frappes. Il y a donc là des questions
que nous nous posons ».
Citant
« une source proche du président français », le quotidien Le
Figaro affirme : « Les responsables syriens étaient seuls à
savoir qu'un groupe de journalistes occidentaux visitait Homs ce jour-là, et
dans quel quartier il se trouvait ».
Un
article de Philippe Gelie paru dans le Figaro raconte que le jour de
l’assassinat, Jacquier s'était plaint le matin même d'être otage d'une «
opération de propagande », après avoir été empêché de filmer dans certaines
rues de Damas.
La
manifestation pro-Assad à Homs avait été organisée à l’occasion de la
visite des journalistes. Le Figaro explique : « Cette visite
était non seulement autorisée—fait très exceptionnel—mais
étroitement encadrée par le régime, cantonnée aux zones sous son
contrôle total ».
L’affirmation
selon laquelle Homs était sous contrôle « total » de Damas,
encourageant ainsi le lecteur à croire que la mort de Jacquier aurait nécessité
l’aval du régime, est à la fois étonnante et fausse. Homs est bien connu
pour être un centre de la rébellion anti-Assad. Le quartieroù Jacquier a trouvé
la mort, quartier de confession alaouite, comme le clan Assad, est de surcroit
souvent ciblé par les manifestants anti-Assad, majoritairement sunnites.
Le Monde avoue ainsi
que « les
témoins ont évoqué des tirs soit d'obus, soit de roquettes, soit même de
grenades. L'Armée syrienne libre des rebelles (ASL) est connue pour utiliser
des lance-roquettes, moins des mortiers, contrairement à l'armée du régime ».
Cette
révélation de la part du Monde s’ajoute à celle du journaliste
Mohammed Ballout, envoyé spécial de la BBC en arabe, qui était présent aux
côtés du journaliste français : « Zahira est un bastion alaouite qui
a été visé plusieurs fois dans le passé par les manifestants. Dans ce quartier,
il y a souvent des tirs de snipers de la part des manifestants ».
Ces
accusations plus ou moins explicites des médias français contre Damas soulèvent
de nombreuses questions. Est-il crédible de dire que le régime syrien, qui invita
des journalistes à une manifestation pour montrer que Bachar Al Assad était
populaire, ait voulu assassiner des journalistes, et plusieurs de ses propres
soldats, à ce moment-là ? Assad n’aurait-il pas craint qu’un
pareil attentat produirait des enquêtes hostiles de la part du gouvernement
français ?
Pourquoi
les médias français évitent-ils d’évoquer la possibilité que ce soient
des tirs de l’Armée syrienne libre (ASL) rebelle qui aient touché
Jacquier et les militaires syriens ? Comme le démontrent des témoignages
de la presse, c’est une hypothèse tout à fait plausible, mais totalement
délaissée.
Ainsi,
ayant évoqué la possibilité de tirs rebelles à proximité de Jacquier, Le
Monde écrit : « La communauté internationale a appelé les
autorités [syriennes] à assurer la protection des journalistes sur son
territoire ».
Les calculs de la bourgeoisie émergent de la
conjoncture politique qui fait suite au développement de troubles
révolutionnaires de la classe ouvrière en Tunisie et en Egypte ayant renversé
les dictateurs Ben Ali et Moubarak. Ces mouvements ouvriers en Afrique du Nord
signifiaient une résurgence de la lutte des classes à l’échelle
internationale.
Les puissances impérialistes y ont répondu en
saisissant l’occasion de manifestations en Libye en mars 2011, pour
commencer une intervention militaire et renverser le régime de Kadhafi. A la
demande des rebelles libyens, l’OTAN a soutenu les rebelles par une
couverture aérienne soi-disant « humanitaire ». Le renversement de
Kadhafi avait pour but d’installer un régime plus docile aux puissances
impérialistes qui pourraient ainsi profiter des richesses pétrolières de ce
pays.
A la longue, cependant, cette guerre qui a coûté la
vie à environ 50.000 Libyens est devenue très impopulaire. Maintenant, alors
que les puissances occidentales considèrent la possibilité d’intervenir
militairement en Syrie, elles cherchent un nouveau prétexte pour empoisonner
l’atmosphère politique, affaiblir le régime d'Assad, et peut-être
permettre aux rebelles et à l’OTAN d’attaquer la Syrie.
C’est pour cela que la mort de Gilles Jacquier
est traitée non pas comme un évènement tragique, mais comme le prétexte à une
campagne de presse politiquement biaisée.