Plus de 25 000 étudiants du cégep et de l'université
de partout à travers le Québec ont marché dans les rues de Montréal la semaine
dernière pour protester contre les plans du gouvernement provincial libéral de
Jean Charest visant à hausser les frais de scolarité de 75 pour cent.
La manifestation a été décrite par la police et les médias
comme l'une des plus importantes de l'histoire du Québec. C'était le point
culminant d'une journée d'action où plus de 200 000 étudiants du cégep et
de l'université étaient en grève ou en « journée d'étude ».
Les policiers de l'escouade antiémeute ont été déployés en
grand nombre le long du trajet de la manifestation à Montréal. À la suite de la
marche principale, la police est intervenue agressivement pour déloger les
manifestants de l'Université McGill en employant du poivre de Cayenne et des
gaz lacrymogènes. Depuis septembre, McGill est le théâtre d'une lutte acerbe
impliquant près de 2000 techniciens et d'autres travailleurs de soutien.
Au lendemain de la protestation, la ministre de
l'Éducation, Line Beauchamp, appuyée par la Conférence des recteurs et
principaux des universités du Québec (CREPUQ), a réitéré que les étudiants
allaient payer « leur juste part », sans se soucier du fait que les
étudiants font déjà face à des niveaux d'endettement sans cesse croissants et
un taux de chômage officiel chez les jeunes de près de 15 pour cent.
L'augmentation des frais de scolarité, qui doit être
répartie sur cinq ans, fait partie de toute une série de mesures régressives
introduites par les libéraux dans leurs deux derniers budgets - des coupes dans
les dépenses sociales, une nouvelle contribution santé, une hausse des tarifs
d'électricité et autres tarifs utilisateurs - qui visent à placer le fardeau de
la crise économique sur le dos des travailleurs.
Sous le plan gouvernemental qui fera payer aux étudiants
« leur juste part », les frais de scolarité vont augmenter de
325 $ par an à partir de l'an prochain. En les faisant passer de
2167 $ à 3793 $, ce sont 1625 $ de plus qui devront être
défrayés annuellement par les étudiants, ce qui représente une hausse de
75 %. Avec la hausse de 500 $ imposée entre 2007 et 2012 suite au
dégel des frais de scolarité, l'augmentation sera en fait de 127 % en
2017.
Des 850 millions de dollars que le gouvernement prévoit
investir dans les universités du Québec au cours des cinq prochaines années,
31,2 pour cent viendront des étudiants par la hausse des frais de scolarité.
Le gouvernement, avec l'appui quasi unanime des médias de
la grande entreprise, cherche à justifier la hausse des frais de scolarité en
attirant l'attention sur la hausse encore plus marquée qui a été imposée aux
étudiants universitaires dans d'autres provinces. Les frais de scolarité moyens
déboursés par un étudiant canadien à l'université sont évalués à 5366 $.
Selon la Fédération canadienne des étudiants, ces frais moyens étaient de 1464
au début des années 1990.
En raison des hausses des frais et l'élimination de la
plupart des bourses pour les étudiants même les plus pauvres, la dette des
étudiants a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies. Pour le
Canada, la dette étudiante totale se chiffre présentement à 15 milliards de
dollars.
Une étude récente publiée par la Fédération étudiante
universitaire du Québec (FEUQ) a conclu que plus du tiers des étudiants du
premier cycle inscrits à temps plein s'endettent en moyenne de 14 000 $
après trois ans d'étude. Pour le quart d'entre eux, leur dette dépassera les 20
000 $ à la fin de leurs études.
Cette étude démontre aussi que les prêts et bourses du
gouvernement sont tout à fait insuffisants. En effet, 52 pour cent des
étudiants qui ont un prêt de l'Aide financière aux études (AFE) sont forcés de
se tourner vers d'autres sources de financement (comme les institutions financières
et les cartes de crédit, dont les taux d'intérêt avoisinent les 20 pour cent)
pour assumer les dépenses liées à leurs études.
Actuellement au Québec, près du tiers des étudiants
utilisent le Programme de remboursement différé, un programme qui permet aux
personnes en « situation financière précaire » (revenu mensuel
inférieur à 980 $ par mois) de retarder le remboursement de leurs dettes
d'études.
Les étudiants doivent aussi composer avec la stagnation de
salaires et la crise économique mondiale. La plupart des cégépiens et des
étudiants universitaires ont besoin non seulement d'un emploi d'été, mais aussi
d'un emploi à temps partiel pour subvenir à leurs besoins. Cependant,
ces deux types d'emploi se raréfient.
Cet été, le taux de chômage officiel pour les étudiants
canadiens âgés de 15 à 24 ans était de 17,2 pour cent, soit supérieur au taux
de 16,9 pour cent à l'été 2010 et bien plus élevé que ceux des étés de 2006 à
2008, lesquels étaient à moins de 14 pour cent.
Le taux de chômage chez les jeunes est aussi en hausse
marquée, ayant passé de 10,9 pour cent en août 2007 à 14 pour cent aujourd'hui.
Cela signifie que même quand les jeunes ont une formation professionnelle ou un
diplôme universitaire, les perspectives d'emploi sont mauvaises.
La journée d'action de la semaine dernière était vue par
de nombreux étudiants comme un premier pas vers une possible grève étudiante
illimitée durant la session d'hiver.
L'Internationale étudiante pour l'égalité sociale (ISSE),
le mouvement étudiant du Parti de l'égalité socialiste (Canada), lutte pour la
compréhension que l'opposition à la hausse des frais de scolarité doit être
conjuguée à une plus large mobilisation de la classe ouvrière, au Québec et à
travers le Canada, contre la grande entreprise et l'ensemble de l'establishment
politique qui cherchent à faire payer la classe ouvrière pour la crise
capitaliste.
Une telle perspective est fondamentalement opposée à celle
avancée par la direction des trois associations étudiantes de la
province : la FEUQ, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et
l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). Le FEUQ et la
FECQ entretiennent des liens étroits avec le parti de la grande entreprise
qu'est le Parti Québécois (PQ), et la bureaucratie syndicale.
Le PQ se présente cyniquement comme un opposant de la
hausse des frais de scolarité des libéraux, bien qu'il ait attaqué à maintes
reprises le gouvernement Charest pour ne pas éliminer le déficit provincial
assez rapidement à l'aide de mesures d'austérité encore plus brutales. De plus,
lorsque le PQ était au pouvoir (1994-2003), il a mis en oeuvre des coupes sans
précédent dans les dépenses sociales. Il a éliminé des dizaines de milliers
d'emplois dans les secteurs de la santé et de l'éducation, et ensuite, après
l'atteinte de son objectif officiel du « déficit zéro », a réduit les
impôts pour la grande entreprise et les sections les plus privilégiées de la
population.
Dans un geste clair d'appui pour le PQ, la FEUQ a fait
l'une de ses priorités la mobilisation d'électeurs pour voter contre les
libéraux lors d'une élection partielle dans le comté de Bonaventure le 5
décembre, et lors de la prochaine élection provinciale, qui devrait se tenir
dans un an et demi ou deux.
Durant des décennies, les syndicats ont donné un appui
important au PQ dans le cadre de leur suppression de la lutte de classe. En
2005, ils sont intervenus dans ce qui était alors la plus longue grève
étudiante de l'histoire du Québec pour faire pression sur les associations
étudiantes afin qu'elles acceptent une version légèrement amoindrie du plan du
gouvernement Charest qui visait à réduire le programme québécois d'aide
financière aux études. La bureaucratie syndicale craignait que la grève
étudiante joue un rôle de catalyseur pour la mobilisation de plus d'un
demi-million de travailleurs du secteur public qui faisaient alors face à
d'importantes demandes de concession.
L'ASSÉ adopte une attitude plus militante, mais elle ne
dit rien à propos du rôle des syndicats qui surveillent la classe ouvrière au
nom de la grande entreprise et elle soutient que l'accès à une éducation
supérieure de qualité peut être défendu et amélioré en faisant pression sur le
gouvernement et l'élite capitaliste.
L'IEES lutte pour un tournant des étudiants vers la classe
ouvrière - la seule force sociale capable de mener une lutte victorieuse contre
le capitalisme et l'inégalité sociale - afin qu'ils participent à la
mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre la grande
entreprise, ses représentants politiques de la droite et de la
« gauche », et les syndicats.