Le premier ministre de la Tunisie,
Mohammed Ghannouchi, un survivant de la dictature détestée de l’ex-président
Zine El Abidine Ben Ali, a annoncé sa démission dimanche dans un discours à la
télévision nationale. Il a quitté ses fonctions après plus d’une semaine
de manifestations de masse contre son gouvernement. Au plus fort des
protestations, deux jours d’émeutes ont pris place au cours desquels cinq
manifestants ont été tués par la police.
Quelques heures plus tard, le président
par intérim, Fouad Mebazaa, a nommé un ancien ministre, Beji Caid-Essebsi, au
poste de premier ministre et le gouvernement a réitéré sa promesse de tenir des
élections pour remplacer le gouvernement intérimaire le 15 juillet.
La nomination, tout comme la promesse
d’élections, visait à apaiser les masses tunisiennes, qui ont
correctement identifié le gouvernement comme la continuité du régime de Ben Ali
sans lui. Ghannouchi a été le premier ministre de Ben Ali pendant 11 ans, avant
que le dictateur tunisien ne fuit le pays le 14 janvier, au milieu de
manifestations antigouvernementales de masse.
Mebazaa était aussi un fonctionnaire du
régime, servant de whip pour son parlement servile. Dans le but de trouver un
successeur à Ghannouchi qui n’aurait pas de lien direct avec Ben Ali,
Mebazaa a été forcé de sortir Caid-Essebsi, qui est très âgé, de sa retraite.
L’homme de 84 ans a été longtemps fonctionnaire durant la présidence
d’Habib Bourguiba, que Ben Ali a remplacé en 1987.
Dans sa déclaration télévisée annonçant
sa démission, Ghannouchi a mentionné la violence des jours précédents, dont une
attaque armée sur l’édifice du ministère de l’Intérieur ainsi que
des batailles en règle entre la police et des jeunes armés de pierres au
centre-ville de Tunis. « Je ne suis pas disposé à être l’homme de la
répression, et je ne le serai jamais », a-t-il dit, même s’il
n’a eu aucun scrupule concernant la répression durant les onze ans où il
a été le principal administrateur de Ben Ali.
L’opposition populaire a explosé
lors des deux dernières semaines, pendant que rien n’était fait pour que
les masses tunisiennes puissent obtenir des emplois ou des améliorations dans
leurs conditions de vie. Plutôt, le gouvernement s’est concentré à
restaurer les forces de sécurité et à négocier avec les représentants des
différentes puissances impérialistes, particulièrement concernant l’aide
pour la sécurité, afin d’aider l’élite dirigeante tunisienne à
reconstruire ses forces armées pour l’utiliser contre son peuple.
Le 20 février, plus de 40 000
personnes ont manifesté à travers Tunis pour exiger l'expulsion du
gouvernement. (Voir « Des
protestations qui ont ébranlé le gouvernement tunisien ») Des groupes
de protestataires ont ensuite établi un campement sur la place centrale de la
capitale, inspiré des manifestations de la place Tahrir en Égypte.
Le vendredi 25 février a été désigné
« jour de colère » à travers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. À
Tunis, environ 100 000 personnes ont marché sur la principale avenue de la
capitale en scandant des slogans antigouvernementaux et exigeant le renvoi de
Ghannouchi.
La manifestation – qui a connu un
très fort taux de participation – a à peine été mentionnée dans les
médias internationaux, qui ont porté toute leur attention sur le développement
de la guerre civile en Libye.
La police a tiré en l'air pour disperser,
sans succès, l'immense foule qui criait « Va-t-en ! » – le
même slogan scandé lors des manifestations précédentes contre Ben Ali et dans
le mouvement égyptien contre Moubarak – et « Nous ne voulons
pas des amis de Ben Ali ! ».
Les manifestants ont accusé Ghannouchi et
d'autres copains de Ben Ali d'avoir « trahi » et « volé »
la révolution tunisienne.
Le cabinet de Ghannouchi a publié une
déclaration pour tenter de calmer la population, affirmant que le gouvernement
« a décidé que les consultations avec les divers partis politiques ne
devaient pas être prolongées au-delà de la mi-mars... Des élections seront
organisées au plus tard à la mi-juillet 2011. » La déclaration mentionnait
aussi que le gouvernement avait saisi les actifs de 110 autres copains de Ben
Ali, nombre qui s'ajoutait à 46 associés et parents contre lesquels le
gouvernement avait sévi plus tôt.
Le gouvernement a du même coup intensifié
la répression. Le ministre de l'Intérieur a interdit la tenue d'autres
manifestations, menaçant de procéder à des arrestations de masse si cela
n'était pas respecté. Il s'agissait du premier décret de ce genre depuis que
Ben Ali avait été expulsé. Samedi, des policiers et des soldats flanqués de
chars d'assaut ont eu recours aux gaz lacrymogènes pour disperser les foules de
jeunes qui tentaient de continuer les protestations. Cela a eu pour effet de
provoquer le lendemain une attaque armée sur les quartiers généraux du
ministère. Plus de 200 personnes ont été arrêtées dans la capitale depuis
vendredi.
Après le discours annonçant la démission
de Ghannouchi, les foules sont sorties dans les rues de la capitale pour
célébrer. Un homme, qui s'est présenté sous le nom d'Ahmed à l'agence Reuters,
a dit : « Nous sommes très heureux, mais ce n'est pas assez. Il ne
doit rien rester de ce gouvernement. »
Le site web Stratford Global Consulting,
qui a d’étroits liens avec l’appareil de renseignement américain, a
mis en garde : « l’espoir est que, avec ces concessions, les
manifestations vont se calmer, permettant ainsi au gouvernement d’entamer
la préparation d’élection. Mais il se pourrait que cela encourage les
forces d’opposition à exiger davantage de concessions ».
Tant l’UGTT, l’organisation
syndicale dirigée par l’État, que le groupe islamiste Ennahda, ont salué
la démission de Ghannouchi. L’UGTT avait initialement accepté de servir
dans le cabinet de Ghannouchi, mais elle a été forcée de retirer ses trois
ministres face à l’hostilité de masse envers un « nouveau »
régime dirigé par les mêmes visages de l’ancien régime.
La nomination d’un premier ministre
qui n’est pas directement impliqué dans les crimes de Ben Ali peut servir
de prétexte aux syndicats et aux islamistes pour prendre leur place au sein
d’un gouvernement qui vise à garantir les intérêts de l’élite
bourgeoisie tunisienne et des entreprises multinationales.
Lundi dernier, le 21 février, Ghannouchi
a rencontré deux visiteurs américains hauts placés, les sénateurs John McCain
et Joseph Lieberman. McCain, le candidat républicain à la présidence en 2008, a
déclaré « la révolution en Tunisie a été une vraie réussite et elle
devenue un modèle pour la région », ajoutant, au nom de la Maison-Blanche,
« Nous sommes prêts à fournir de l’entrainement afin d’aider
l’armée tunisienne à assurer la sécurité ».
Ce que McCain saluait comme un
« modèle » est une « révolution » qui laisse le premier
ministre actuel en poste et l’appareil d’État complètement intact,
et qui n'a renvoyé que le président. Il exprimait l’espoir, au nom de
l’impérialisme américain, que des changements cosmétiques semblables
puissent être présentés comme des révolutions dans d’autres dictatures et
territoires sous l’autorité de cheiks dominés par les États-Unis, à
travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Seulement six jours plus tard, cependant,
le « modèle » de McCain a démissionné, bien qu'il soit remplacé par
un autre serviteur éprouvé des puissances impérialistes et ennemi de la classe
ouvrière tunisienne.