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EuropeLa conférence anticapitaliste méditerranéenne aide
la contre-révolution en Afrique du Nord
Par Alex Lantier
7 mai 2011
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La Conférence anticapitaliste méditerranéenne qui sera organisée par le
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ce weekend à Marseille est une
escroquerie politique visant non pas à mener les luttes de la classe
ouvrière en Afrique du Nord mais à les étouffer.
Le NPA et ses partis frères, dont la perspective est fondée sur des
slogans pseudo-démocratiques et humanitaires et soutenant les syndicats
pro-gouvernementaux, ne s’opposent pas au capitalisme. Ils promeuvent la
politique d’une couche de responsables syndicaux, d’associations de droits
humains et de groupes des classes moyennes qui, tout comme les partis
gouvernementaux, agissent comme parties intégrantes de la stratégie
bourgeoise pour la guerre et la réaction sociale.
Dans son communiqué du 19 mars annonçant la réunion, le NPA a dit :
« C’est au mois de juillet 2008 que les militants des premiers comités
d’initiative pour un Nouveau Parti anticapitaliste de Marseille ont eu
l’idée d’une rencontre des organisations anticapitalistes de la
Méditerranée. C’était à l’occasion du lancement par Sarkozy du projet
néocolonialiste de l’Union pour la Méditerranée (UMP) ».
La tentative du NPA de se présenter en tant qu'adversaire du néo-colonalisme
français est cynique et fausse. En fait, la conférence de Marseille se
déroule au milieu d'une guerre impérialiste en Libye, au lancement de
laquelle la France a joué un rôle clé. Le gouvernement français a le premier
fait pression pour que les insurgés, soutenus par les pays occidentaux et
par le NPA, bénéficient d'un soutien militaire.
A l’époque, le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, avait réclamé
l’envoi d’armes aux forces soutenues par l’Occident « pour chasser le
dictateur. » (Voir :
Un
instrument de l'impérialisme: le Nouveau parti anticapitaliste français
soutient la guerre contre la Libye )
Gilbert Achcar, de l'Ecole des études orientales et africaines de
l'université de Londres et de l’Institut international de recherche et
d’éducation qui est affilié au NPA, a dit que sans intervention occidentale
en Libye « il y aurait un énorme massacre. » Plaidant pour une intervention
impérialiste, il a poursuivi : « Nous sommes dans un cas où une population
est vraiment en danger et où il n'y a pas d'autre alternative pour la
protéger… On ne peut, au nom de principes anti-impérialistes, s'opposer à
une action qui va empêcher le massacre de civils ».
A ce jour, le NPA n’a pas sérieusement considéré pourquoi il soutenait
cette intervention dans laquelle les puissances impérialistes ont attisé une
guerre civile, bombardé des unités de l’armée et des villes libyennes, et
assassiné le fils de Kadhafi, Saïf el-Arab.
Alors que la guerre libyenne est devenue de plus en plus sanglante et
impopulaire, le NPA a relâché son soutien enthousiaste du début. Il a
commencé à tergiverser, en publiant le 1er avril un échange de
lettres entre des membres du NPA plaidant pour et contre la guerre libyenne.
Son soutien initial pour la guerre—tout comme sa position actuelle, selon
laquelle il serait incapable décider s’il veut ou non soutenir une
intervention néocoloniale—le définit comme une organisation antimarxiste qui
donne à l’impérialisme un soutien dénué de principes.
Ce bilan sordide souligne le caractère malhonnête de la conférence de
Marseille, dans laquelle le NPA affirme accueillir dans un esprit de
solidarité internationale des délégations de plusieurs pays ex-coloniaux,
ainsi que d’autres puissances européennes.
Selon le NPA, des délégations de groupes venant du Maroc, d’Algérie, de
Tunisie, d’Egypte, de Palestine, du Liban, d’Irak, de Turquie, de Chypre du
Nord, de Grèce, d’Italie, d’Espagne et de Catalogne, du Portugal, de Corse
et de Sardaigne y assisteront. Le NPA déclare que la réunion permettra « aux
différentes organisations de mieux se connaître, de renforcer leurs liens et
d’envisager des campagnes internationales communes. »
En approfondissant ses liens avec le pourtour méditerranéen, le NPA
n’agit pas comme adversaire du projet d’Union méditerranéenne (UM) de
Sarkozy mais comme une agence secondaire de l’impérialisme français en
Afrique du Nord.
Ainsi, le 3 mars, au milieu d’une campagne médiatique internationale pour
la guerre en Libye, la signature du NPA figurait sur un « Appel pour une
intervention solidaire de l’Union européenne en Méditerranée » aux côtés de
celle du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH). REMDH est
géré par le Partenariat euroméditerranéen (EMP), l’agence européenne sur
laquelle Sarkozy a basé ses projets d’UM.
Selon le site Internet d’EMHRN, il est financé par la Commission
européenne et les ministères d’Etat de pays tels la France, l’Espagne et la
Belgique.
Ahlem Beladj, l’ancienne présidente de l’Association tunisienne des
femmes démocrates, et qui contribue beaucoup au site Internet du NPA en
soumettant des informations sur la Tunisie, travaille étroitement avec la
Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), l’organisation tunisienne
affilée.
Ces relations institutionnelles reflètent l’alignement fondamental du NPA
sur la politique de l’impérialisme. Face à un soulèvement de luttes
populaires de masse, il chercher à rassembler les syndicats existants et les
partis d’opposition de la classe moyenne, dont des groupes islamistes de
droite, pour donner une apparence « démocratique » à l’Etat capitaliste.
Ce faisant, il défend les intérêts fondamentaux de l’impérialisme
français et de ses alliés, y compris les Etats-Unis, menacés par le
soulèvement de masse en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
En écrivant dans Survival, un magazine de l’Institut d’études du
Moyen-Orient, le professeur Mark Lynch de l’université américaine George
Washington a expliqué de la façon suivante la réaction du gouvernement Obama
aux protestations de masse en Egypte: « Obama n’a pas tenté de mener un
mouvement de protestation qui n’avait ni besoin ni ne voulait ses conseils.
Il a concentré les efforts américains sur une tentative d’empêcher l’armée
égyptienne de recourir à la violence contre les manifestants en exigeant le
respect des droits universels, en insistant que seuls les Egyptiens
pouvaient choisir les dirigeants de l’Egypte et en tentant de promouvoir une
réforme significative à long terme. »
En d’autres termes, Washington et ses alliés européens ont calculé qu’au
lieu de faire un pari risqué que l’armée égyptienne suivrait l’ordre de
massacrer les travailleurs soulevés, ils pourraient compter sur des partis
« d’opposition » pour dérouter la révolution et garder l’ancien régime au
pouvoir. Les forces d’opposition bourgeoises poursuivraient une politique
acceptable à l’impérialisme, en évitant la nécessité d’une confrontation au
cours de laquelle la classe dirigeante pourrait perdre le contrôle des
soldats.
Pour ce projet, les stratégistes impérialistes ont trouvé des laquais
consentants au sein du NPA et de ses co-penseurs.
Un membre de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATFM),
interviewé par le NPA, a exposé de la manière suivante les grandes lignes du
programme de l’organisation en Tunisie: « La gauche radicale en Tunisie, que
l’on pourrait représenter aujourd’hui autour du Parti communiste des
ouvriers de Tunisie (PCOT), de l’aide radicale de l’UGTT et d’autres
mouvements [antimondialisation] comme le Raid-Attac/CADTM Tunisie, demandent
un gouvernement provisoire sans RCD [le parti au pouvoir], des élections
libres et démocratiques, une assemblée constituante élue qui posera les
bases de la constitution d’une vraie république démocratique. »
Il n’y a rien d’anticapitaliste ou de socialiste, et encore moins de
marxiste dans cette perspective. Bien que le rôle joué par les protestations
de masse et par les grèves ouvrières lors des luttes révolutionnaires en
Egypte et en Tunisie soit largement connu, cette orientation rejette une
lutte de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir politique et renverser
le capitalisme en Tunisie et internationalement.
Cette perspective promeut la fiction qu’il est possible d’avoir la
démocratie dans les pays ex-coloniaux sur la base d’une économie capitaliste
de main d’œuvre bon marché, où les travailleurs qualifiés sont à peine payés
100 euros par mois tandis que les grandes banques internationales engrangent
des milliards, et où les classes dirigeantes sont faibles, discréditées,
liées à l’impérialisme étranger, à la réaction féodale sur le plan national
et dominée par la crainte et la haine à l’égard de la classe ouvrière.
Les affiliés nord-africains du NPA ne se sont toutefois pas limités à
soutenir des partis libéraux et pro-capitalistes. Ils ont noué des liens
avec des partis d’opposition de tous bords politiques, à la fois de la
« gauche » officielle et de la droite islamiste.
En Tunisie, le PCOT maoïste et l’ex parti stalinien Ettajdid avaient
formé en 2005, une coalition connue sous le nom de Collectif du 18 octobre,
dans lequel ils collaborent avec le Parti démocrate progressiste (PDP), le
principal parti libéral d’opposition de Tunisie, et d’autres formations
bourgeoises, dont le parti islamiste Ennadha.
Dans une interview accordée au NPA, le dirigeant du PCOT, Hamma Hammami,
a expliqué que son parti « était toujours là pour résister et défendre les
intérêts des travailleurs et des masses populaires, notamment sur le front
syndical. Depuis 2005, il a joué un rôle important au sein du Collectif du
18 Octobre, visant surtout à éviter des dissensions idéologiques. Surtout
avec les islamistes et leur caractère sectaire qui nuisent à la construction
du mouvement politique et social contre la dictature. »
De la même façon, et bien que le NPA dispose de moins de liens en Egypte,
l’analyse initiale qu’il avait affiché sur son site Internet,
« L’embrasement lent et déterminé de l’Intifada égyptienne, » a avancé la
possibilité de nouer des liens avec la droite égyptienne. Elle a expliqué :
« En termes d’opposition, le parti le plus implanté et qui garde une grande
influence est celui des Frères musulmans. La confrérie existe depuis 1928,
c’est donc le plus vieux parti d’Egypte, et elle revendique un million de
membres et sympathisants. Ses orientations s’apparentent plus au réformisme
qu’à l’islamisme. »
Ceci est absurde et faux. Non seulement les Frères musulmans d’Egypte est
un parti islamiste, il a établi l’Islam politique sur le plan international.
L’objectif de cette déclaration est cependant de permettre au NPA de
dépeindre les Frères musulmans comme étant de « gauche. »
La déclaration continue: « Ses positions sont ambivalentes, elles peuvent
initier des mouvements, souvent anti-impérialistes, tout en essayant de ne
pas trop défier directement le régime. On peut expliquer cette ambiguïté par
le décalage qui existe entre la direction, en quête de respectabilité, et la
base militante, présente dans les manifestations et grève : leurs intérêts
de classe divergent. »
Ceci n’est rien d’autre qu’une tentative de dissimuler le caractère
bourgeois et droitier des Frères musulmans.
L’hostilité du NPA à l’égard de la lutte pour le socialisme et sa
promotion des partis de droite ou d’ex partis de « gauche » l’ont
inévitablement opposé à la classe ouvrière, une fois que les luttes
révolutionnaires s’étaient développées en Afrique du Nord. En effet, les
appareils politiques des dictateurs destitués – le président Zine El Abidine
Ben Ali en Tunisie et le président Hosni Moubarak en Egypte – ont en grande
partie repris la perspective avancée par le NPA dans leur tentative de
rester au pouvoir.
En Tunisie, le gouvernement du président Fouad Mebazaa, un ancien
responsable du RCD, se base sur la promesse d’organiser le 24 juillet des
élections afin de mettre en place une assemblée constituante.
L’autorité est également exercée par un « Haut comité pour la réalisation
des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition. » Cet
organisme – qui rassemble l’UGTT, les partis d’opposition officiels et les
organisations professionnelles avec la fédération des employeurs UTICA – se
réunit dans les bâtiments du Conseil économique et social tunisien (CES).
Les CES tunisien est calqué sur le Conseil économique et social français,
mis en place après la Deuxième guerre mondiale par le responsable syndical
Léon Jouhaux avec le soutien des Etats-Unis,
Le « Haut comité » se réunit ainsi au même endroit où les patrons et les
bureaucrates syndicaux se réunissaient il y a quelques mois sous Ben Ali
pour discuter des accords et de la politique sociale qu’ils allaient imposer
aux travailleurs.
Ces derniers mois, le Haut Comité et le CES ont été la cible de
protestations populaires répétées visant des institutions considérées
largement comme n’étant pas représentatives. Toutefois, les couches sociales
riches sur lesquelles le NPA fonde sa politique soutiennent le Haut Comité.
Prié par le NPA de comparer l’attitude de l’UGTT et des partis
d’opposition au Haut Comité à leur attitude à l’égard des comités populaires
créés pour lutter contre la violence policière durant les derniers jours du
régime Ben Ali, Ahlem Belhadj a dit : « Actuellement, il y a une poussée
d’institutionnalisme… l’UGTT, les Avocats [les associations] et la Ligue des
droits humains étaient partantes pour ce Haut Comité ».
Le NPA a toujours souligné l’importance qu’il accordait au rôle de l’UGTT,
un pilier de longue date du régime tunisien. Le dirigeant de l’UGTT,
Abdessalem Jerad, a régulièrement soutenu Ben Ali aux élections. Le 5
janvier, alors que les manifestations de masses contre Ben Ali
s’amplifiaient, le NPA écrivait : « La seule force qui maille le pays, faute
d’opposition en capacité de le faire, c'est l’UGTT… Reste à déplorer
l’attitude de la direction confédérale de l’UGTT qui s’est désolidarisée
officiellement de mobilisations organisées par certaines de ses structures
et des slogans hostiles au régime qui y étaient scandés. »
Le rôle de l’UGTT comme agent de la collaboration de classe avec le
patronat et la dictature est tellement connu en Tunisie que même le NPA l’a
admis dans sa toute dernière déclaration (« A propos de l’UGTT » du 30
avril) en écrivant : « Après le putsch de Ben Ali, en 1987, de nouvelles
relations s’instaurent avec le pouvoir. Des moyens financiers considérables
sont mobilisés pour corrompre des cadres syndicaux issus de la Gauche
syndicales… La nouvelle orientation officielle de l’UGTT est de passer de la
culture revendicative décrétée ‘archaïque’, à des relations entre
‘partenaires sociaux’, menant des négociations ‘constructives’. »
L’on pourrait ajouter que l’orientation fondamentale de l’UGTT est
largement partagée par les syndicats sur le plan international, dont la
Confédération générale du travail (CGT) en France. La CGT a trahi à maintes
reprises les grèves en France en les liant à la perspective de négociation
des coupes sociales avec le gouvernement. Toutefois, tout comme dans le cas
de l’UGTT en Tunisie, le NPA s’est toujours prudemment abstenu de critiquer
la CGT.
En effet, le NPA cherche absolument à promouvoir l’idée que la
bureaucratie syndicale est la seule direction légitime de la classe
ouvrière. Dans son article du 30 avril sur l’UGTT, le NPA déclare : « C’est
en grande partie sur l’attitude de l’UGTT que repose aujourd’hui la
continuation ou pas de la révolution. »
N’importe qui avec un brin d’honnêteté politique doit se demander : qui
d’autres que les adversaires d’une révolution authentique affirmeraient que
le sort de la révolution repose sur des bureaucrates achetés et hostiles à
la lutte contre Ben Ali ?
Alors que les travailleurs d’Afrique du Nord sont en train d’entamer une
lutte politique avec des régimes dictatoriaux, le contenu social de cette
orientation est de plus en plus évident. Il est bourgeois et
contre-révolutionnaire. Il défend les intérêts de classe fondamentaux des
capitalistes et de l’impérialisme, contre la menace d’un mouvement
révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière à la tête de toutes les
masses opprimées.
En ce qui concerne l’Egypte, où le pouvoir est passé à l’armée après la
démission de Moubarak le 11 février au milieu d’une massive vague de grèves,
le NPA préconise également de pactiser avec le régime en place – bien qu’il
ait voté des lois interdisant les grèves et les manifestations en procédant
à des arrestations, des matraquages et la torture des adversaires.
Le NPA cite l’avis du bloggeur égyptien, Hossam el-Hamalawy, selon lequel
la révolution doit faire appel aux « meilleures » sections du corps des
officiers—à savoir, de la dictature militaire. « Il faut prendre en compte
le fait qu’il y a des centaines d’officiers de l’armée qui ne sont pas
satisfaits avec la situation actuelle. Nous avons en face de nous en réalité
deux armées et il est nécessaire que cette division se matérialise, il faut
que ces officiers et ces soldats qui croient en une Egypte meilleure et
propre fassent le ménage dans leur propre institution. »
Dans un autre passage de l’interview, el-Hamalawy dresse un portrait
révélateur de l’actuelle stratégie appliquée par Washington en Egypte :
« Les Etats-Unis ne peuvent pas intervenir militairement, ils ne peuvent pas
envahir le Caire pour stopper la révolution. Mais ils peuvent s’impliquer
dans la contre-révolution. En fin de compte, ce sont eux qui financent
l’armée égyptienne. Et ils investissent beaucoup d’argent dans le secteur
civil de la société, au travers d’organisations civiles démocratiques, pour
capter et récupérer les gens de certains milieux. »
Le seul point à ajouter au commentaire d’el-Hamalawy est que le NPA et
les organisations de « droits de l’homme » se conduisent précisément comme
les impérialistes veulent qu’ils le fassent.
Quiconque participe à la conférence du NPA à Marseille ne trouvera pas de
perspective révolutionnaire mais une perspective adaptée aux besoins de
l’impérialisme français et mondial à une époque de bouleversement social de
masse. Les participants seront accueillis par un parti qui, loin d’être un
adversaire du capitalisme, est spécialisé dans la justification de la
répression de la classe ouvrière par des bureaucraties versées dans la
défense du capitalisme et la guerre.
(Article original paru le 6 mai 2011)