Lors de
la journée d'action de samedi 16 octobre contre le programme du président
Nicolas Sarkozy de coupes dans les retraites et d'austérité, des millions de
travailleurs et d'étudiants sont descendus dans la rue pour manifester dans
plus de 250 villes.
A Paris,
les chiffres de la police font état de 63 000 manifestants contre 310 000 selon
les syndicats.
La manifestation de Nice
A Nice,
il y avait 25.000 manifestants, 18.000 à Marseille.
Les
défilés se sont déroulés au quatrième jour de la grève illimitée des cheminots,
action qui perturbe gravement le service ferroviaire. La grève et les blocages
des dockers et des travailleurs des raffineries menacent de paralyser le pays
du fait de la pénurie qui se fait sentir dans les stations-service ;
l'approvisionnement de carburant vers les principaux aéroports de Paris, Roissy
et Orly, a été arrêté et menace de faire cesser le transport aérien. Des
dizaines de milliers de lycéens sont en grève et ont bloqué des lycées durant
toute la semaine dernière.
Vendredi
dernier, très tôt dans la matinée, des interventions massives de CRS ont évacué
de force les piquets de grève bloquant l'accès aux dépôts de carburant et
empêchant les camions citernes de faire le plein pour approvisionner les
stations-service. La CGT, syndicat majoritaire dans les dépôts
d'approvisionnement et les raffineries, n'a lancé aucun appel à une action de
masse pour défendre les grévistes des raffineries et s'est contentée de
demander aux travailleurs sur le piquet de se disperser dans le calme. La
question de l'intervention de l'Etat et de la violence policière contre une
section de travailleurs n'a pas été mentionnée lors des manifestations de
samedi par les syndicats et les partis bourgeois de « gauche. »
La manifestation de Paris
Le WSWS
a parlé samedi à plusieurs cheminots d'Amiens, ville ferroviaire du nord de la
France avec des dépôts de maintenance et des ateliers alentours. Les
discussions ont clairement montré la nécessité de démasquer le rôle des
syndicats et de l'ex- « gauche » à minimiser la gravité de la crise
capitaliste et à limiter la grève à l'unique question des retraites..
De
nombreux travailleurs ont encore des illusions, ou voudraient croire, qu'on
peut forcer Sarkozy à « retirer son projet de loi. » Personne dans
les syndicats ni dans « l'extrême-gauche » n'a soulevé la
revendication que Sarkozy soit renversé par l'action de la classe ouvrière, ni
la revendication que les travailleurs ont besoin d'une perspective politique
fondée sur des intérêts sociaux indépendants.
Arnaud
24 ans, aiguilleur, manifestait à Amiens. Cela fait six ans qu'il est cheminot,
après un apprentissage commencé à 18 ans. Il est membre de la CGT mais
reconnaît que les dirigeants syndicaux sont « coupés de la base. Il faut
qu'on bloque l'économie. Tous les travailleurs doivent comprendre que nous
devons changer le système. Je suis totalement solidaire des dockers et des
travailleurs des raffineries de Fos. »
Le piquet de grève des cheminots, rue de Riolan à Amiens
Exprimant
des idées anarcho-syndicalistes qui sont courantes chez certains travailleurs
en France, il a rejeté la nécessité que la classe ouvrière se batte contre
l'Etat capitaliste, malgré le recours à la police nationale pour briser le
piquet de grève des travailleurs des raffineries, par exemple. « Les travailleurs
n'ont pas besoin de prendre le pouvoir, il faut juste prendre le contrôle de
l'économie. » a-t-il dit.
Geoffrey
qui défilait avec le contingent des cheminots a dit au WSWS qu'il était
étudiant et que son père était cheminot. Parlant des mesures d'austérité comme
moyen par lequel le capitalisme français cherche à rivaliser avec ses
concurrents économiques, il a dit: « Je suis contre le patriotisme
économique. Je ne veux pas être de la chair à canon dans une guerre
commerciale. »
Des
reporters du WSWS se sont rendus à l'entrée du dépôt SNCF d'Amiens. Les
travailleurs avaient érigé des barricades pour bloquer la route et avaient
allumé un feu avec des pneus et des traverses de voie ferrée au milieu de la
route pour exprimer leur détermination. Un autre feu brûlait à l'intérieur, une
fois les grilles passées.
Aurélien
travaille à la SNCF depuis neuf ans. Il est dans la maintenance. « Nous
allons tout faire pour étendre la grève. Il faut une grève générale pour faire
céder Sarkozy. Les syndicats ne veulent pas appeler à une grève générale. C'est
nous, les travailleurs, qui faisons marcher le pays. [Bernard] Thibault
[secrétaire général de la CGT] a retourné sa veste. »
Il a
ajouté: « Sarkozy ne veut rien discuter. Sa réforme est injuste. »
Lorsque
le WSWS a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu dans la manifestation d'appel
à la démission du gouvernement, Aurélien a réfléchi un moment puis a dit, un
peu secoué: « Vous avez raison. On devrait. Le problème c'est qu'on n'a
pas vraiment le choix, le choix en 2012 [date de la prochaine élection
présidentielle] entre Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn [candidat probable du
Parti socialiste, et actuellement président du Fonds monétaire international]
pour la présidentielle n'est pas prometteur pour la classe ouvrière. Je suis un
révolutionnaire et un anarchiste. Je ne suis pas syndiqué, les syndicats ne
reflètent pas mes idées. »
Jonathan
est apprenti à la SNCF. Il a dû quitter sa ville d'origine, Calais, pour
trouver du travail. « Il n'y avait pas de travail là-bas. »
« Mon
avenir, je le vois mal. Dans cette grève on lutte pour garder ce qu'on a. Les
gens du privé devraient nous rejoindre. Le blocage des raffineries est une
bonne chose. L'action de la police de faire évacuer les piquets ne fera
qu'empirer les choses. Je ne sais pas pourquoi les syndicats n'ont pas appelé à
une action de solidarité avec ces travailleurs. On devrait lutter ensemble avec
eux, c'est ce qu'on fait ici. Le message que je veux leur donner c'est qu'ils
ne doivent pas céder. Sarkozy ne va pas reculer. C'est vrai qu'il n'y a
pratiquement aucun appel à sa démission. »
« La
classe ouvrière devrait prendre le pouvoir, je suis d'accord. Il faut s'unir
au-delà des frontières. Ce ne sont pas les Chinois qui nous prennent nos
emplois, c'est les grandes entreprises. »
Loïc a
ajouté: « Le Parti socialiste vient maintenant dans nos manifestations.
Mais ils sont d'accord avec l'allongement de la période de cotisation. On
devrait les éjecter des manifestations. »