Le parlement grec a voté en faveur de coupes budgétaires à hauteur de 30
milliards d’euros touchant les emplois, les salaires, les retraites et les
dépenses sociales, jeudi 6 mai, le lendemain d’une grève générale menée
contre ces mêmes mesures. Le premier ministre George Papandreou avait
préalablement donné son accord à l’imposition de ces coupes, liées à un prêt
des gouvernements européens et du Fonds monétaire international à la Grèce.
L’opposition de masse à ces mesures a provoqué la panique sur les marchés
boursiers, une manifestation de l’inquiétude grandissante des milieux
dirigeants. Ceux-ci craignent qu’une agitation sociale au niveau
international ne vienne déranger les plans destinés à faire payer à la
classe ouvrière les déficits gouvernementaux. Les marchés ont chuté
fortement en Asie, en Europe et aux Etats-Unis.
Dans l’après-midi du 6 mai, les marchés américains étaient en chute
libre, perdant presque 9 pour cent avant de finir à moins 3,2 pour cent. La
chute enregistrée à la mi-journée fut la plus forte depuis celle de décembre
2008 et révélait un degré de volatilité des marchés qu’on n’avait pas vu
depuis février 2007.
Selon certaines informations, les banques européennes ont commencé à
geler les prêts inter-banque, comme lors de la crise de la banque américaine
Lehman Brothers, par crainte de la faillite d’une banque détenant de la
dette grecque.
On expliqua par la suite la chute soudaine des marchés américains par
l’utilisation de programmes informatisés d’achat et de vente. Mais le
sentiment dominant à Wall Sreet était l’inquiétude vis-à-vis de la crise
financière en Grèce. Selon certaines informations, les opérateurs financiers
ont commencé à vendre après avoir vu à la télévision des reportages sur les
heurts devant le parlement grec. Plusieurs commentateurs ont averti d’une
possible vente généralisée vendredi.
En Grèce, l’opposition au programme d’austérité est énorme. Ce programme
comprend des coupes sévères dans les salaires et les allocations des
travailleurs du secteur public, le relâchement des restrictions aux
licenciements de masse, l’élimination du salaire minimum garanti, des coupes
dans les dépenses d’éducation, la privatisation des services publics et une
forte augmentation de la TVA. Des sondages montrent que 61 pour cent de la
population s’opposent aux mesures de renflouage et aux coupes.
Lors de ses remarques faites aux parlementaires, Papandreou a insisté à
nouveau sur le fait que les coupes étaient nécessaires et qu’elles faisaient
partie d’une restructuration fondamentale de l’économie grecque. « Les
mesures d’urgence sont pour nous la condition pour regagner notre
crédibilité et pour gagner du temps, le temps perdu, le temps d’effectuer
les grands changements qui ont été repoussés pendant des années » a-t-il
déclaré.
Le vote final du parlement a été de 172 contre 121 en faveur des mesures.
Papandreou expulsa du groupe parlementaire majoritaire du PASOK trois de ses
propres députés parce qu’ils s’étaient abstenus lors du vote. Le parti
conservateur Nouvelle démocratie (ND), le Parti communiste grec (KKE) et la
coalition SYRIZA ont voté contre les mesures.
Le syndicat du secteur public ADEDY et celui du secteur privé GSEE ont
appelé à un rassemblement devant le parlement grec hier soir. Des dizaines
de milliers de manifestants ont défilé dans les rues d’Athènes à la suite du
vote au parlement en signe de protestation, scandant des mots d’ordre
comme : « Ils ont déclaré la guerre. A présent ripostez. »
Les syndicats appellent à des manifestations pour tenter de contrôler les
travailleurs, alors qu’eux mêmes soutiennent le principe d’imposer des
coupes dans le but d’équilibrer le budget de la Grèce. Les syndicats ont
rencontré Papandreou afin de discuter les coupes au moment même où celui-ci
les négociait avec les gouvernements européens et le FMI. Une grande partie
de la direction de ces syndicats est constituée de membres du PASOK.
Les informations sur la grève générale de mercredi ont continué d’arriver
les jours suivants. Après qu’un certain nombre de pilotes de l’armée de
l’air se soient portés malades en signe de protestation, on a aussi appris
que des soldats s’étaient joints aux manifestations
Mardi, des enseignants ont forcé l’accès à la station de télévision
publique au moment où celle-ci interviewait des responsables de l’Education
et refusèrent de partir avant qu’on leur permette de lire une déclaration au
public sur la chaîne de télévision nationale. Avant d’être escortés hors du
bâtiment par la police anti-émeute, les enseignants ont dénoncé un plan de
licenciement de 17.000 employés à temps partiel de l’éducation publique.
L’information fournie par les médias s’est concentrée sur la mort
tragique de trois employés dans une attaque au cocktail Molotov contre la
banque Marfin Egnatia, à Athènes, mercredi. Les responsables masqués de
l’attaque n’ont toujours pas été identifiés.
Des responsables gouvernementaux ont rendu les manifestants responsables
de cette attaque. Une provocation policière ne peut cependant pas être
exclue, ce genre d’action ayant une longue tradition en Grèce. Le
gouvernement Papandreou a réagi à l’annonce de ces morts en prenant
l’engagement de poursuivre son offensive en faveur des mesures d’austérité.
Dans les médias, les commentateurs ont exprimé l’espoir que la tragédie
puisse servir à démoraliser l’opposition ouvrière et à faire passer les
mesures. Le New York Times explique ainsi : « De nombreux
observateurs ici [à Athènes] disent que la violence encouragerait le
gouvernement à ne pas reculer, tout en favorisant une réaction de la part
des grecs contre le nombre croissant d’extrémistes » contestant la politique
gouvernementale.
Des ouvriers des banques cependant, ont accusé celles-ci d’empêcher leur
personnel de participer à la grève. Le site Internet Indymedia d’Athènes a
publié une lettre signée par « un employé de la Banque Marfin » qui
critiquait sévèrement la banque et son propriétaire, M. Vgenopoulos, pour
avoir négligé les mesures de sécurité et les mesures contre l’incendie et
pour avoir forcé les employés de la banque à travailler malgré la grève.
La lettre poursuit disant que « Pendant de nombreux jours on a vu les
employés de la banque se faire terroriser quant aux journées de
mobilisation ; on leur présenta cette ‘offre’ verbale : soit vous
travaillez, soit vous êtes licenciés… les deux policiers affectés à la
banque pour la prévention des vols ne se sont pas présentés aujourd’hui,
alors même que la direction de la banque avait promis verbalement aux
employés qu’ils seraient là. »
Alors que les protestations se poursuivent, les signes montrant que le
gouvernement grec collabore avec les institutions financières
internationales afin d’imposer la crise à la classe ouvrière grecque, se
multiplient.
Karel de Gucht, le commissaire européen au Commerce, dit au quotidien
espagnol El Pais : « Nous savions que la Grèce nous jouait des
tours. On pouvait déjà voir, lorsqu’ils sont entrés dans la zone euro, qu’il
y avait des problèmes » avec la dette grecque et les chiffres du déficit. Il
remarqua que la Commission européenne avait essayé d’enquêter sur les
chiffres donnés par la Grèce en 2003-2004, mais que d’autres Etats de
l’Union européenne s’y étaient opposés ; à l’époque, l’Allemagne et la
France avaient elles aussi des déficits qui violaient les critères du Traité
de Maastricht.
Ceci est particulièrement important étant donné que Papandreou –
lorsqu’il a décidé, à l’automne dernier, d’abandonner sa promesse électorale
d’augmenter les dépenses sociales – affirma qu’il ne savait pas que la Grèce
se trouvait dans une situation financière grave. En fait, la classe
dirigeante grecque et européenne pensait se servir de l’élection de
Papandreou pour créer une atmosphère politique où les coupes pourraient être
imposées. Papandreou pourrait utiliser les relations du PASOK avec les deux
principaux syndicats et les partis de la classe moyenne comme SYRIZA pour
démobiliser l’opposition.
Il dit, en les louant, que les mesures d’austérité massives acceptées
récemment par Papandreou étaient « très crédibles » et encore que « La
population n’aurait pas accepté avant. Il fallait faire attention à ne pas
provoquer une révolution. »
De tels commentaires ne peuvent toutefois pas dissimuler un sentiment de
panique grandissant sur les marchés financiers, qui craignent que
l’effondrement financier et les protestations populaires ne se propagent à
l’ensemble de l’Europe et au monde.
Le Financial Times fit ce commentaire : « Les émeutes d’Athènes
ont illustré de quelle manière les mesures sévères d’austérité… ont des
implications non seulement pour la croissance économique mais aussi pour la
cohésion sociale. »
Certains économistes ont également exprimé l’inquiétude que les coupes
budgétaires allaient conduire à un effondrement sans précédent de l’économie
grecque, ce qui pourrait se répéter à travers l’Europe. Le New York Times
a cité les estimations de l’économiste Daniel Gros : « Pour chaque pour
cent du PIB de baisse des dépenses publiques en Grèce, la demande totale
dans le pays baisse de 2,5 pour cent du PIB ». Ce qui suggère que si Athènes
réduit ses dépenses publiques de 10 à 15 pour cent du PIB comme cela est
prévu, l’économie baissera d’en gros 30 pour cent.
Il y a encore d’autres signes de « contagion » à d’autres pays. Jeudi,
l’agence de notation financière Moody’s Service Investor a averti de ce que
les systèmes bancaires du Portugal, de l’Espagne, de l’Irlande, de l’Italie
et du Royaume-Uni « [étaient] de plus en plus dans le collimateur des
marchés ».
« Le marché part du fait que le système financier est soutenu par les
souverains » c'est-à-dire par les gouvernements, notait l’analyste de la BNP
Rajeev Shah. « Une bonne partie du risque s’est déplacé du système financier
vers les souverains, mais si la contagion continue de gagner du terrain elle
va revenir de fait au système financier ».
En d’autres mots, le renflouement du système financier par les Etats a
temporairement stabilisé la situation des banques, tout en garantissant la
richesse de l’élite financière. Cela n’a pas cependant résolu la crise qui
s’est développée en 2008, elle l’a simplement transposée dans une crise
croissante de la dette d’Etat.
La crise de la dette souveraine et l’exigence que la classe ouvrière paye
cette dette au moyen d’une attaque sans précédent de son niveau de vie crée
les conditions de la révolution sociale et d’un nouvel effondrement
économique et financier.