De hauts responsables
allemands et du Fonds monétaire international (FMI) ont discuté
hier d'un plan d'aide de 135 milliards d'euros pour la Grèce
au moment où les craintes augmentent d'un risque de défaillance
de plusieurs pays européens sur leurs dettes, dont la Grèce, le
Portugal et l'Espagne. L'agence de notation Standard &
Poor's a rétrogradé la note de crédit de l'Espagne de AA+ à
AA en ajoutant qu'elle s'attendait à une croissance lente et à
davantage de dégradations pour la période à venir.
Le montant proposé pour
la Grèce est près de trois fois celui du plan d'aide mentionné
antérieurement et qui était une aide conjointe des Européens et
du FMI d'un montant de 45 milliards d'euros. Le président du FMI,
Dominique Strauss-Kahn, a refusé de confirmer les chiffres cités
pour un éventuel plan d'aide après les réunions de Berlin tout
en disant que ceux-ci seraient confirmés au cours des négociations
en cours entre le FMI et les responsables grecs à Athènes.
Lors des discussions à
Athènes qui sont censées durer jusqu'à la semaine prochaine, le
FMI exigera un nouveau cycle de réductions des salaires et des
dépenses sociales en échange de prêts à la Grèce à des taux
d'intérêt d'environ 5 pour cent. Le gouvernement grec a déjà
réduit les dépenses sociales de 10 pour cent, augmenté de deux
ans l'âge de départ à la retraite et annoncé des projets pour
éliminer deux mois de salaire dans le secteur public. Des rapports
laissent supposer que le FMI exige d'importantes coupes dans les
dépenses de santé et des suppressions d'emplois dans le secteur
public, en partie en supprimant ou en restructurant 75 agences
d'Etat.
Strauss-Kahn a remarqué
que si la Grèce était prête à accepter la nouvelle proposition
d'aide, elle n'aurait pas besoin d'emprunter sur les marchés
financiers pendant trois ans. La discussion est survenue au moment
où le rendement sur deux ans de la dette grecque a fait un bond,
dépassant les 16 pour cent et celui de la dette grecque sur dix ans
a battu un record absolu à plus de 10 pour cent. On s'attend à
une faillite de la Grèce si elle est obligée d'emprunter à de
tels taux d'intérêt.
Le montant substantiel de
l'aide proposée semble avoir pour but d'enrayer toute panique
supplémentaire après de gros mouvements de ventes d'actions sur
les marchés boursiers. Mardi, la note de la Grèce avait été
reléguée dans la catégorie spéculative (junk status).
Les marchés boursiers
d'Europe et d'Asie ont de nouveau chuté hier. Les plus durement
touchés étaient les pays d'Europe du Sud menacés par les
attaques des spéculateurs.
L'indice IBEX de la
bourse espagnole a chuté de 3 pour cent, l'indice MIB italien est
tombé de 2,4 pour cent et le cours portugais PSI20 de 1,9 pour
cent. D'autres indices européens ont également chuté. L'indice
FTSE100 de Londres a cédé 0,3 pour cent, le DAX allemand a perdu
1,22 pour cent et le CAC40 français, 1,5 pour cent. Soutenue par
l'annonce de la proposition d'aide, la bourse d'Athènes a
gagné 1,8 pour cent après six jours de pertes.
On ne sait pas si le
nouveau plan d'aide calmera les marchés financiers et surtout
quel degré de soutien il jouira en réalité au sein de la
bourgeoisie européenne. Plusieurs précédents accords sont déjà
restés sans effet parce que les banques redoutaient que Berlin
refuse finalement le financement de l'aide.
Des précisions concernant
les discussions entre le FMI et l'Allemagne à Berlin ont été
révélées par Jürgen Trittin, le dirigeant du groupe
parlementaire des Verts et Thomas Oppermann, le président du groupe
parlementaire du Parti social-démocrate allemand (SPD). La
contribution allemande se situerait entre 16 et 24 milliards d'euros
contre les 8,4 milliards d'euros initialement projetés. Merkel a
été confrontée à des critiques venant des partis composant sa
propre coalition gouvernementale, remettant en cause la légalité
de l'aide à la Grèce.
Quant à
elle, Merkel a dit : « Le
traitement de l'affaire grecque montre que tout le monde sait que
nous ne pouvons pas permettre que les pays connaissent une situation
identique à celle de Lehman Brothers [.] Si la stabilité de la
zone euro dans son ensemble est en danger chaque Etat membre, y
compris l'Allemagne, se sent responsable du maintien de la
stabilité. »
Tout comme Strauss-Kahn,
toutefois, elle a décliné de préciser les détails du plan.
« Nous parlerons chiffres une fois le plan négocié, »
a-t-elle dit.
On ne
connaît pas non plus clairement le
montant des dettes grecques qui sera finalement remboursé. Les
responsables européens ont insisté pour dire qu'il ne sera pas
permis à la Grèce de réduire le volume de ses obligations.
Le
ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a dit au journal
Handelsblatt
que le plan d'aide proposé ne « concernait pas une
restructuration, qu'il n'en était pas
question, et qu'aucune personne occupant un poste gouvernemental
n'en parlait. » Le président du Conseil européen, Herman
van Rompuy, a également dit qu'il « n'était pas
question » que la Grèce soit autorisée à restructurer sa
dette.
Cependant,
le Financial Times a
écrit que « le marché est moins optimiste et se prépare à
ce qui pourrait être une restructuration onéreuse et problématique
de près de 300 milliards d'euros d'obligations grecques. »
Il cite des évaluations selon lesquelles seul
entre 30 et 50 pour cent des emprunts seraient remboursés, en
ajoutant que les investisseurs devaient se préparer « à
mener une lutte de longue haleine pour récupérer leur argent ».
Ceci fait risque de
provoquer une lutte acharnée au sein de l'Europe : les pays
de la zone euro détiennent 164 milliards d'euros de la dette
gouvernementale grecque, des dizaines de milliards étant détenus
par l'Allemagne, la France, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas
et le Luxembourg.
La
crise financière se propage dans l'ensemble de l'Europe. Le
journal Atlanta Journal-Constitution a
cité Nicholas Skourias, le chef du
fonds d'investissement Pegasus Securities à Athènes : « Il
existe un risque très sérieux de contagion. C'est comparable à
la période post-Lehman Brothers. Tout le monde est en train de
paniquer et de fortes craintes sont ressenties sur le marché. »
Le New
York Times a écrit hier que « la
communauté internationale sera peut-être obligée de verser une
contribution bien plus grande non seulement pour soutenir la Grèce
mais aussi le Portugal et l'Espagne. » Il a cité Piero
Ghezzi, économiste de Barclays Capital : « La somme
serait énorme. Quatre-vingt-dix milliards d'euros pour la Grèce,
40 milliards pour le Portugal et 350 milliards pour l'Espagne -
maintenant nous parlons vraiment argent. »
En
d'autres termes, des sommes énormes de fonds publics vont être
octroyées aux banquiers qui contrôlent les dettes grecques en
échange de quoi l'on s'attend à ce qu'Athènes, Lisbonne,
Madrid et d'autres gouvernements européens extorquent à la
classe ouvrière des acquis sociaux massifs. Comme l'écrivait le
New York Times
il y a un mois, de telles annonces de plan de sauvetage encouragent
les « investisseurs à tester la détermination de l'Europe
- notamment de l'Allemagne - à venir en aide à d'autres
économies européennes menacées, à commencer par le Portugal. »
La dégradation de la note
de crédit de l'Espagne par S&P a été une autre initiative
importante et qui, tout en reflétant les faibles perspectives des
économies espagnole et mondiale, facilitera aux banques le pillage
de l'Europe. A l'annonce de cette nouvelle, le rendement des
bons du Trésor espagnols est immédiatement passé à 4,127 pour
cent. La veille, S&P avait abaissé la cote de crédit du
Portugal de A+ à A-, au motif que le gouvernement portugais
pourrait bien de ne pas être assez fort pour imposer une politique
de rigueur à la population.
L'analyste
de S&P, Marko Mrsnik, a déclaré :
« Nous pensons à présent que la fin de la croissance à
crédit de l'économie espagnole résultera probablement dans une
période plus longue de lente activité que nous nous ne l'avions
supposé jusque-là. Nous tablons dorénavant sur une croissance
annuelle du PIB (produit intérieur brut) de 0,7 pour cent entre
2010-2016, contre 1 pour cent annuellement initialement prévu pour
cette période. »
Bien que la dette
gouvernementale de l'Espagne corresponde à un pourcentage
relativement faible de 56 pour cent du PIB, sa dette du secteur
public s'élève à 178 pour cent du PIB et elle dépend de prêts
étrangers pour le financement de ses dettes.
L'une des principales
préoccupations des banques est la crainte que l'opposition de la
classe ouvrière au programme d'austérité sociale puisse
échapper au contrôle des syndicats et des gouvernements
sociaux-démocrates qui organisent ces réductions.
Plusieurs grèves ont
éclaté hier en Grèce, y compris celles des enseignants et des
techniciens de radio, et des postulants à des emplois au sein du
service public ont manifesté devant le ministère des Finances. La
veille, les travailleurs des transports publics avaient débrayé
tout comme les marins du port de Pirée. Au Portugal, les salariés
des transports publics ont fait grève contre le gel des salaires
prévu par le gouvernement social-démocrate du premier ministre
José Sócrates.
Une autre grève des
marins grecs est prévue pour le 1er mai.
La Confédération
générale des Travailleurs grec (GSEE) du secteur privé et l'Union
des fonctionnaires (ADEBY) dont les directions font partie du PASOK
social-démocrate qui organise les réductions en Grèce et qui
collaborent politiquement avec lui, sont en train de préparer une
autre grève générale de 24 heures prévue pour le 5 mai. Ces
organisations regroupent 2,5 millions de travailleurs, soit près de
la moitié des salariés grecs.
Les
tensions sociales et politiques risquent de plus en plus de faire
chuter la monnaie commune, qui est tiraillée entre les pays tels la
Grèce ou l'Espagne qui veulent une monnaie plus faible et une
politique plus inflationniste et les pays tels l'Allemagne qui
réclament une faible inflation.
Le
quotidien espagnol, El Pais,
a publié une rubrique intitulée « L'irresponsabilité
d'une chancelière » dans laquelle il attaque « le
nationalisme allemand et l'euroscepticisme » du fait que
l'Allemagne se fait prier pour financer une aide. L'article
conclut sur la question de savoir si les politiciens et les
économistes des pays de l'UE, en dehors de l'Allemagne, « ne
commencent pas à se demander si une union monétaire avec
l'Allemagne est vraiment une bonne chose. »
Par
ailleurs, répondant aux critiques selon lesquelles elle avait
aggravé la situation de par son opposition exprimée en février et
en mars au plan d'aide, Merkel a réagi en disant hier que la
Grèce n'aurait peut-être pas dû adhérer à l'euro. Elle a
dit « la décision n'avait probablement pas été assez
réfléchie ».