Le
vote par 335 voix contre une de
l'Assemblée nationale française le mois dernier pour interdire
le port du voile intégral dans les espaces publics en France est
une attaque réactionnaire contre les droits démocratiques et un
éloignement conscient de l'Etat de droit. Le fait de fouler aux
pieds la liberté de religion fait partie d'une campagne
sécuritaire plus vaste dans le but de préparer des mesures
d'Etat-policier contre la population.
Le fait
que le principe d'interdiction la burqa ait trouvé un soutien
dans l'ensemble de l'establishment
politique témoigne de la décrépitude de la conscience
démocratique en France et de la complicité des soi-disant partis
de « gauche ». L'interdiction doit encore être
débattue devant le sénat en septembre, mais l'on s'attend en
général à ce qu'elle soit adoptée.
A
partir du printemps 2011 les femmes portant
une burqa ou un niqab en France seront passibles d'une amende de
150 euros en étant obligées de suivre un stage de citoyenneté.
Ceci s'applique sous le prétexte hypocrite de protéger les
femmes contraintes de porter la burqa suite à la pression exercée
par leurs familles et qui se verront infligées des sanctions
draconiennes. Quiconque suspecté de forcer une femme à porter le
voile intégral se verra infligé une amende de 30.000 euros et un
an d'emprisonnement. Par suite des suggestions du parti
d'opposition, le Parti socialiste (PS), ces amendes sont doublées
si la jeune femme est mineure.
Le 23
juin, plusieurs semaines avant le vote à
l'Assemblée nationale, les parlementaires européens issus de 47
pays membres du Conseil de l'Europe avaient voté à l'unanimité
pour une résolution condamnant l'interdiction de la burqa comme
étant anti-démocratique et discriminatoire. Parmi ceux qui avaient
voté pour la résolution se trouvaient des députés du PS et de
l'UMP (Union pour un Mouvement populaire), le parti conservateur
au pouvoir.
La
résolution du Conseil de l'Europe
stipule qu'elle « déplore qu'un nombre croissant de
partis politiques en Europe exploitent et attisent la peur de
l'islam en menant des campagnes politique qui privilégient une
vision simpliste et des clichés négatifs à propos des musulmans
d'Europe en assimilant l'islam à l'extrémisme. L'incitation
à l'intolérance et parfois même à la haine envers les
musulmans est inadmissible. »
Dans
une référence sans équivoque à des interdictions de la burqa
comme celle avancée par le président français Nicolas Sarkozy, la
résolution stipule, « L'article 9 de la Convention
européenne des droits de l'homme reconnaît à toute personne le
droit de choisir librement de porter ou non une tenue religieuse en
privé ou en public. l'interdiction
générale du port de la burqa
et du niqab
dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de
couvrir leur visage. »
En
dépit de cette résolution, les députés du PS et
de l'UMP ont voté à une écrasante majorité en faveur de
l'interdiction de la burqa (ou non pas voté contre) à
l'Assemblée nationale. Les médias français ont à peine couvert
le vote du Conseil de l'Europe - un acte lâche d'autocensure
de la part des médias.
Le vote
par 335 voix contre une des 577 membres
que compte l'Assemblée nationale fut caractérisé avant tout par
l'absence de la majorité de « gauche » - à savoir
le PS et le Parti communiste français (PCF) - des députés qui
n'ont pas participé au vote. L'UMP a assuré la grande majorité
des votes pour l'interdiction bien qu'une minorité des députés
PS et PCF ont également voté pour. Parmi ceux-ci, on trouve André
Gerin du PCF qui a joué un rôle déterminant dans la promotion de
l'interdiction en présidant la commission parlementaire
anti-burqa établie l'an dernier par Sarkozy.
L'unique
vote contre a été celui du député UMP,
Daniel Garrigue un proche de l'ex-premier ministre Dominique de
Villepin, le principal rival de Sarkozy à la droite française.
Garrigue a précisé que « Pour combattre un comportement
extrémiste, on prend le risque de glisser vers une société
totalitaire. »
Les
objections de Villepin sont, toutefois,
d'ordre factionnel. Lui et ses conseillers
politiques, l'ex-président Jacques Chirac, ne sont pas opposés
en principe à une politique anti-musulman.
Alors que Villepin était au gouvernement, Chirac avait passé en
2004 une loi pour interdire le foulard islamique dans les écoles
publiques. Cette mesure était en partie censée promouvoir les
sentiments droitiers parmi les enseignants qui venaient tout juste
de perdre une grève dure contre la réforme des droits à la
retraite.
Le fait
que le seul rejet de la burqa soit venu de
l'UMP témoigne du soutien de la « gauche » bourgeoise
pour son interdiction en dépit de la tentative cynique de celle-ci
d'empêcher de prendre toute responsabilité politique pour cette
mesure.
Le PS a
justifié sa non-participation au vote,
non pas au motif qu'il s'opposait à l'interdiction de la
burqa, mais parce qu'il craignait que l'interdiction de Sarkozy
puisse se révéler ineffective en s'avérant peut-être être
inconstitutionnelle. Durant la période qui a précédé le vote, le
PS avait proposé de limiter l'interdiction aux services publics
plutôt qu'aux espaces publics. Les endroits qui seraient inclus
dans la proposition du PS comprendraient les transports publics, les
hôpitaux, les écoles et les administrations publiques.
L'interdiction condamnerait effectivement sinon formellement toute
femme portant la burqa à être confinée à la maison.
L'interdiction
de la burqa a suscité les condamnations
du monde musulman. Le quotidien des Émirats arabes unis,
le Khaleej Times, avait
publié le 14 juillet un éditorial intitulé « La menace
voilée en Europe ». Il avait posé la question, « Que
se passe-t-il sur le continent qui a donné au monde la Magna Carta,
la première charte des droits de l'homme et la démocratie ?
Il n'y a pas si longtemps de cela, l'Europe et l'expérience
remarquable de l'Union européenne étaient considérées comme un
modèle de progrès, de liberté politique et de libertés civiques
par le reste du monde. Tout cela semble à présent être une
chose du passé. »
Il a
mis en garde contre la persécution des
musulmans qui sont plus de 5 millions en France, en affirmant,
« N'oublions pas qu'il n'y a pas si longtemps l'Europe
avait été témoin d'une campagne identique contre les juifs et
qui a finalement abouti à ce que des milliers d'entre eux soient
envoyés à la mort par les nazis. Les gouvernements européens, les
législateurs et les médias doivent cesser de déchaîner une fois
de plus un monstre qu'on ne pourra plus convaincre de retourner
dans la bouteille. »
La
mesure prise par la France fait partie d'une campagne
réactionnaire qui a lieu dans plusieurs
pays européens en vue d'interdire la burqa. En avril, le
parlement belge a adopté une interdiction totale de la burqa sous
peine d'une amende de 25 euros et de sept jours de prison. Des
interdictions similaires ont été proposées en Espagne, en Italie,
aux Pays-Bas, en Autriche et en Suisse. Barcelone, la deuxième plus
grande ville d'Espagne, a déjà interdit le voile dans les
bureaux municipaux, les marchés publics et les bibliothèques.
Certaines régions d'Allemagne ont interdit aux enseignants le
port du foulard dans les écoles publiques.
Ces
interdictions cherchent à diviser la classe ouvrière,
à promouvoir le racisme anti-musulman et
à intimider l'opposition populaire à l'encontre de la détestée
guerre en Afghanistan.
Comme
dans le cas de la loi contre le foulard de
2004 en France, l'interdiction de la burqa fut proposée pour
diviser la classe ouvrière en virant le climat politique vers la
droite. Sarkozy avait proposé l'interdiction en juin 2009 à la
fin d'une série de « journées d'action » menées
par les syndicats et lors desquelles les travailleurs avaient
manifesté leur hostilité à l'encontre du plan de sauvetage des
banques de 360 milliards d'euros. Toutefois, ces journées
d'action arrivèrent rapidement à leur fin parce qu'elles
étaient organisées sur la base de la perspective défaillante en
faveur du soutien d'un plan de sauvetage modifié et que la
première secrétaire du PS, Martine Aubry, avait avancé.
Les derniers projets
contre la burqa sont également une diversion
politique, mais dans des conditions politiquement plus explosives
créées par la crise de l'endettement grec. D'ores et déjà
sévèrement affaibli par la défaite de l'UMP aux élections
régionales de mars, la position de Sarkozy a encore été ébranlée
par les révélations selon lesquelles son parti avait perçu des
dons de la milliardaire Liliane Bettencourt tout en organisant son
évasion fiscale. Parallèlement, Sarkozy cherche à imposer des
coupes budgétaires à l'encontre de la classe ouvrière de
l'ordre de 100 milliards d'euros pour satisfaire les banques et
ce, par le biais notamment de réductions massives des retraites.
Après
les élections régionales, Sarkozy a
utilisé la question de la burqa pour empoisonner encore plus le
climat politique. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux,
avait déchaîné une chasse aux sorcières contre Lies Hebbadj, le
compagnon de la femme portant le niqab et qui fut verbalisée par la
police pour port de niqab au volant de sa voiture, en l'accusant
de fraude aux prestations sociales et en le menaçant de lui retirer
sa nationalité française. Cette incitation au racisme
anti-musulman avait provoqué plusieurs
incidents lors desquels des assaillants non identifiés avaient tiré
des coups de feu sur des épiceries halal et des mosquées.
Le
gouvernement Sarkozy a intensifié ses mesures répressives
dans le courant de l'été. Des émeutes provoquées par les
meurtres par la police d'un jeune musulman à Grenoble et d'un
Rom à Saint-Aignan ont servi de prétexte au gouvernement pour
préparer une loi permettant une déportation de masse des Roms. La
police avait tiré à balles réelles pour réprimer les émeutes.
Le
recours de Sarkozy à la démagogie
sécuritaire anti-musulmane pour
empoisonner le climat politique est à présent largement reconnu,
même par la presse bourgeoise. En soulignant son recours à une
rhétorique anti-immigrant et sécuritaire en plein milieu du
scandale Bettencourt, Le Monde
a remarqué, « Une tactique désormais rodée : à chaque
difficulté depuis le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a
remis en avant son image de champion de la sécurité, le plus
souvent avec une polémique à la clé. »
L'interdiction
de la burqa fait également partie d'une campagne sordide pour
procurer une couverture de « gauche » à l'occupation
de l'Afghanistan en la présentant comme faisant une partie d'une
lutte féministe pour les droits de la femme.
Ceci
avait été soulevé expressément comme l'une des raisons
d'interdire la burqa, comme cela avait été proposé l'année
dernière. A l'époque, le député UMP, Pierre Lellouche, le
représentant spécial de la France en Afghanistan et au Pakistan a
dit, « Si je me bats au quotidien pour le droit des femmes en
Afghanistan, vous comprendrez bien que je souhaiterais que toutes
les femmes en France aient droit à leur corps et à leur
personne ».
Des
sondages ont montré le mois dernier que 70 pour cent de la
population française était opposée à
la guerre en Afghanistan. La réponse de la presse a été d'appuyer
le sentiment néocolonial. Dans son éditorial du 20 juillet Le
Monde avait écrit, « Il s'agit,
ni plus ni moins, de reconstruire un Etat, sinon une nation.
Certains évoquent le dernier avatar d'une vilaine habitude
occidentale : le néocolonialisme. Quoi qu'il en soit, on
mesure l'ampleur de la tâche quand elle doit être menée. »
Un
appel flagrant au néocolonialisme comme justification pour la
guerre se heurterait à une opposition
considérable de la population, cependant, des mesures devaient être
trouvées pour modeler un prétexte d'apparence de « gauche »
moins trompeuse. Comme le montrent les
documents divulgués, la classe dirigeante considère que des
initiatives telle l'interdiction de la burqa comme étant
essentielle à la poursuite de la participation européenne à la
guerre.
Dans un
rapport du 11 mars publié par WikiLeaks
et intitulé « Soutenir le support des Européens de l'Ouest
pour la mission dirigée par l'OTAN - Pourquoi, compter sur
l'apathie pourrait ne pas être suffisant, » la CIA a
souligné que « l'apathie publique autorise les dirigeants à
ignorer les électeurs. » Toutefois, elle est inquiète que le
degré d'opposition à la guerre puisse finalement écraser
l'apathie, elle-même un produit de l'absence de toute voie
politique à travers laquelle la population peut exprimer son
hostilité à la guerre.
Le
rapport a en particulier souligné le faible niveau de soutien à
la guerre de la part des femmes : « Les femmes françaises
sont de 8 pour cent de moins à supporter la mission que ne le sont
les hommes et les femmes allemandes sont 22 pour cent de moins
enclines à supporter la guerre que les hommes. » La CIA a
conclu qu'il devait y avoir une campagne pour souligner « leurs
[des femmes] expériences sous les talibans, leurs aspirations pour
l'avenir et leurs craintes d'une victoire des talibans. »
La
campagne anti-burqa qui présente l'Etat
comme le défenseur éclairé des droits des femmes contre des
sections de la population musulmane est motivée par des objectifs
politiques identiques. Tous les partis qui ont participé à cette
campagne se retrouvent démasqués comme des agents de la réaction
politique et de la guerre impérialiste.