Le
débat sur le projet de loi interdisant le port du voile intégral,
burqa ou niqab, a commencé à l'Assemblée nationale le 6 juillet,
en préparation du vote qui se tiendra le 13 juillet. Les enjeux
politiques de ce débat pour la classe dirigeante française sont
soulignés par la présence importante des députés, des médias et
des forces de sécurité.
Le projet de loi proposé
par le parti au pouvoir, l'UMP (Union pour un mouvement populaire)
imposerait une interdiction totale du port du voile intégral en
public, soumise à une amende de 150 euros et / ou à l'obligation
d'assister à « un stage de citoyenneté » pour
inculquer « les valeurs républicaines. »Les femmes qui
refuseraient d'ôter leur voile en public pourront être arrêtées
et mise en garde à vue pendant quatre heures, sous prétexte qu'il
est nécessaire de vérifier leur identité.
En
outre, un nouveau délit de « dissimulation forcée du visage »,
faisant encourir une année d'emprisonnement et une amende de 30 000
? vise les maris, compagnons et famille de ces femmes. Le
caractère répressif de ce projet de loi avait été renforcé par
des amendements soumis par le parti de l'opposition, le Parti
socialiste (PS.) Ce dernier a insisté pour que l'amende originelle
de 15 000 ? proposée par l'UMP soit doublée et que ces peines
soient doublées dans le cas où une femme serait mineure.
La loi
prendrait effet au printemps 2011 après six mois de « pédagogie »,
c'est à dire après une campagne politique et médiatique de plus
de dénonciations islamophobes sur la burqa et le niqab.
Dans sa présentation du
projet de loi, la Garde des sceaux Michèle Alliot-Marie a insisté
sur le caractère profondément républicain de la loi. Elle a
déclaré que ce n'était affaire « ni de sécurité ou de
religion» mais plutôt «d'ordre public » avec une triple visée
de «dignité», «d'égalité» (des sexes) et de «transparence».
Elle a ajouté pompeusement, «La République se vit à visage
découvert.»
Alliot-Marie
fait preuve ici d'hypocrisiegrossière. L'un des arguments
principaux motivant cette interdiction est celui de la sécurité
qui se nourrit du préjugé que tout musulman est un terroriste
potentiel et que l'Etat a besoin de vérifier son identité à tout
moment.
Les
principaux arguments utilisés par André Gerin, député du Parti
communiste français (PCF) qui présidait la mission parlementaire
qui a préparé l'interdiction de la burqa se fondent sur la
religion. Le Nouvel Observateur
écrit que Gerin « a défendu avec passion le principe d'une
interdiction générale. 'Il faut dire stop à la dérive de
l'intégrisme islamique,' a-t-il dit, 'stop d'une seule voix
républicaine ...Nous sommes en phase avec les voix qui s'élèvent
aujourd'hui contre l'intégrisme islamique dans le monde arabe et
musulman.' »
La proposition
d'interdiction de la burqa est une attaque flagrante et
inconstitutionnelle contre les droits démocratiques fondamentaux,
faisant appel aux sentiments antimusulmans pour désorienter et
court-circuiter l'opposition publique. Il est cependant bien connu
qu'un tel projet de loi violerait les dispositions fondamentales du
droit existant. Ainsi l'article 10 de la Déclaration des droits de
l'Homme stipule: «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions,
même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la Loi. »
Ce
principe est repris par la Convention européenne des droits de
l'Homme, dans l'article 9 intitulé « Liberté de pensée, de
conscience et de religion. » Il déclare, « Toute
personne a droit à la liberté
de pensée, de conscience
et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de
religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en
public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et
l'accomplissement des rites. »
Cette
interdiction foule aussi aux pieds le principe juridique de laïcité
en requérant que l'Etat punisse de façon sélective les adeptes de
l'Islam tel qu'il est pratiqué dans de larges sections d'Arabie
saoudite et d'Afghanistan. Le fait que le port de la burqa ait été
propagé dans de larges sections d'Afghanistan par les Talibans dans
les années 1990, alors qu'ils étaient soutenus par les Etats-Unis
et autres alliés français, ne fait que souligner l'hypocrisie de
l'interdiction.
La
décision du gouvernement d'aller de l'avant avec cette interdiction
est le signe clair qu'il se dirige vers un régime autoritaire et en
dehors de la légalité. Il agit en dépit d'un jugement consultatif
du Conseil d'Etat disant qu'une interdiction de la burqa était
exposée à de « fortes
incertitudes » à la fois «constitutionnelles et
conventionnelles. »
En
avril dernier, le premier ministre François Fillon avait affirmé
que le gouvernement entamerait une procédure d'urgence pour faire
passer cette législation anti-burqa, même si une telle loi pouvait
s'avérer inconstitutionnelle et contrevenir à la Convention
européenne des droits de l'Homme. «On
est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons
que l'enjeu en vaut la chandelle, »
avait-il dit.
Il
avait laissé entendre, de façon sinistre, que les droits
démocratiques garantis par la Convention étaient dépassés: « On
ne peut pas s'embarrasser de prudence par rapport à une législation
qui n'est pas adaptée à la société d'aujourd'hui... S'il faut
faire évoluer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celle de
la Cour européenne des droits de l'homme, nous, nous pensons
que c'est notre responsabilité politique de le faire.
»
L'élite politique
française joue la carte du racisme, comme le font bien d'autres
pays européens, afin d'attiser une atmosphère droitière, de
diviser les travailleurs et de dissimuler les implications de
l'effondrement économique en Europe et le virage parmi les classes
dirigeantes vers le nationalisme. Cela sera perçu comme une
provocation dans le monde musulman et la communauté musulmane
française qui compte 5 millions de personnes, et qui vont conclure
à juste titre que l'Etat français les cible illégalement pour les
opprimer.
Le gouvernement a été en
mesure d'agir du fait, avant tout, de l'absence de toute opposition
de la « gauche » bourgeoise. Le fait que ces partis
soutiennent cette législation démontre qu'il n'existe aucune
section au sein de la politique officielle qui soutienne les droits
démocratiques.
La
mission sur la burqa dirigée par le député du PCF André Gerin
avait été mise en place avec le soutien de tous les partis
parlementaires, dont le PS, le PCF, le Parti de Gauche de Jean-Luc
Mélenchon et les Verts. Quant aux soi-disant partis
d'« extrême-gauche » tels le Nouveau parti
anticapitaliste d'Olivier Besancenot, aucun d'entre eux n'a fait
campagne pour s'opposer à l'interdiction qui remporte un soutien
substantiel parmi leurs membres.
L'atmosphère
antimusulmane promue par cette campagne politique contre la burqa a
déjà provoqué des altercations et des attaques, même armées,
contre des mosquées et des épiceries halal.
L'affaire
Hebbadj est étroitement liée à cette question,
étant utilisée par le gouvernement
pour préparer une loi autorisant l'Etat à démettre de sa
nationalité française une personne naturalisée, dans le cas où
cette personne entrerait en conflit avec les autorités et les
soi-disant « valeurs républicaines. (voir France:
Le gouvernement s'acharne sur le compagnon d'une femme portant le
niqab)
Dans une autre manoeuvre
malhonnête, le groupe parlementaire PS a décidé de ne pas
prendre, cette fois, part au vote du projet de loi, reconnaissant
implicitement l'impopularité fondamentale et le caractère droitier
de la loi.
Jean Galvany, représentant
le PS dans le débat, a expliqué la difficulté de soutenir le
gouvernement quand on se présente comme le défenseur antiraciste
des droits démocratiques: «Beaucoup d'entre nous ne peuvent pas
voter contre ce texte, car nous sommes aussi contre le port du voile
intégral, Mais nous ne pouvons pas non plus voter pour, car le
débat sur la burqa relève de manoeuvres gouvernementales liées au
débat sur l'identité nationale. Quant à l'abstention, elle est
difficile à expliquer à l'opinion publique. »
Mais ceci est tout
simplement une tentative de dissimuler au public l'accord du PS avec
cette politique raciste, dans une situation où la campagne sur
« l'identité nationale » était très largement
impopulaire. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à
l'Assemblée, a assuré le gouvernement le 1er juillet que le PS
« ne fera pas obstacle au vote de la loi. »
Déjà,
le 11 mai le PS avait voté «sans hésitation » avec l'UMP sur une
résolution appelant à l'interdiction totale du voile intégral, au
nom des « valeurs républicaines. »
Le projet de loi sur la
burqa sera mise au vote mardi 13 juillet et tout porte à croire
qu'elle passera. Seuls trois députés Verts, alliés au PS, ont
annoncé leur intention de voter contre, et ce sur une position
droitière. Ils affirment que des lois adéquates existent déjà
concernant « la nécessaire identification des personnes par les
agent-es de la force publique » et « pour interdire le
port d'un vêtement dissimulant le visage dans les cas où l'ordre
public serait menacé. »
Le PS sera rejoint par les
députés du PCF dans leur décision de ne pas prendre part au vote,
bien qu'André Gerin vote aux côtés du gouvernement, tout comme
trois députés PS, Emmanuel Valls, Jean-Michel Boucheron et Aurélie
Filipetti ainsi que quasiment tous les 10 députés du PRG (Parti
républicain de gauche) alliés au PS.