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France: Affaire Elf, les condamnations révèlent la corruption aux plus hauts niveaux de l'Etat.Par Antoine Lerougetel Utilisez cette version pour imprimer Le procès Elf pour corruption dont le verdict et les condamnations ont été rendues le 12 novembre dernier par le juge Michel Desplan, président du tribunal correctionnel de Paris, donne un aperçu à vous glacer le sang sur la nature de l'Etat français, de la politique française et de l'impérialisme français dans son ensemble depuis les années soixante. Elf, entreprise pétrolière française publique et première entreprise de France au chiffre d'affaire de 232,6 milliards de francs en 1996 fut dévalisée de plus de 2 milliards de francs -305 millions d'euros - par ses cadres dirigeants, surtout durant le second septennat du Président socialiste François Mitterrand (1988-1995). Loïk Le Floch-Prigent, PDG de Elf de 1989 à 1993, a été condamné à cinq ans de prison et une amende de 375 000 euros. Alfred Sirven, ex-directeur des affaires générales s'est vu infliger une peine similaire assortie d'une amende d'un million d'euros. André Tarallo, 76 ans, ex-numéro deux dans la hiérarchie et connu sous le nom de 'M. Afrique' a été condamné à quatre ans de prison et une amende de deux millions d'euros et Alain Gillon, ex-directeur du raffinage, trois ans de prison et trois millions d'euros d'amende. Parmi les 37 cadres et intermédiaires traduits en justice, 30 ont été déclarés coupables, les chefs d'accusation étant 'abus de biens sociaux et crédits', 'abus de pouvoir', 'complicité d'abus de biens sociaux' et 'usage de faux documents'. Le Floch-Prigent avait détourné 16,2 millions d'euros pour ses dépenses personnelles. Il avait placé son épouse Fatima Belaïd à un poste de direction dans l'entreprise et après dix huit mois de mariage il entame une procédure de divorce qu'il fait financer par Elf. Elle a ainsi reçu 18 millions de francs, payés sur un compte en Suisse. Elle se plaignit de devoir passer d'un appartement de 300 mètres carrés à un appartement de 170 mètres carrés. Alfred Sirven, 76 ans, prit 6,2 millions d'euros pour ses dépenses personnelles sur les 168 millions d'euros qu'il est accusé d'avoir détournés. Ailleurs il est déclaré qu'il a détourné 172 millions d'euros, l'équivalent du résultat consolidé net du groupe en 1993. Alfred Tarallo, essayant de justifier ses 300 millions de francs de dépenses, prétendit que cet argent ainsi que la grande villa qu'il avait achetée et meublée en Corse faisaient partie d'un projet de créer une 'fondation franco-africaine'. Son réseau et ses contacts parmi les politiciens et potentats africains ont représenté pendant des décennies une part essentielle de la politique néo-coloniale de la France en Afrique. Il déclara lors des audiences que les millions de francs qui transitèrent sur ses comptes bancaires suisses étaient la responsabilité de son mandant Omar Bongo, président du Gabon, ex-colonie française, et dont Alfred Tarallo n'était rien de plus que le discret conseiller financier. ELF- un bras séculier de la politique étrangère française Pour comprendre l'importance des révélations et des protagonistes lors du procès, il faut remonter à l'histoire d'Elf. C'est une histoire salutaire pour tous ceux qui croient qu'on mesure le socialisme à l'aune des nationalisations effectuées, plutôt qu'à l'organisation de la société par la classe ouvrière consciente et au moyen de ses organes de pouvoir. L'entreprise nationalisée Elf fut crée par le général de Gaulle en 1963 'pour assurer l'indépendance pétrolière de la France et qui a vécu, grandi et prospéré sur sa relation particulière et incestueuse avec l'Afrique' (Le Monde, 13 novembre 2003). Comme le dit Loïk Le Floch-Prigent : 'En 1962, [Pierre Guillaumat] convainc [le général de Gaulle] de mettre en place une structure parallèle autour de vrais techniciens du pétrole. [En créant Elf à côté de Total] les gaullistes voulaient un véritable bras séculier d'Etat, en particulier en Afrique, (...) une sorte de ministère du pétrole inamovible, (...) une sorte d'officine de renseignements dans les pays pétroliers'. Dès sa création, le général de Gaulle nomma le fondateur de la DGSS (Direction générale des services spéciaux) et ancien ministre de la Défense, Pierre Guillaumat, comme premier directeur du groupe pétrolier qui allait devenir Elf-Aquitaine. Aujourd'hui, Elf, bien que privatisée, reste le premier service français de renseignements et d'action en Afrique. Elf fournit une couverture et des fonds au président pour des opérations politiques et militaires dans ses prés carrés africains. Avec la présidence de Georges Pompidou (1969-1974) puis de Valéry Giscard D'Estaing (1974-1981), conservateur non-gaulliste, Elf s'autonomisa progressivement par rapport à l'Elysée. Les cadres d'Elf considéraient les barons gaullistes comme seules autorités légitimes et attendaient leur retour au pouvoir. Ils financèrent des machinations pour affaiblir l'autorité de Giscard. Un document produit par le Réseau Voltaire - 'association crée en 1994 pour combattre le retour de la censure, du cléricalisme et de l'ordre moral' - résume ainsi la relation avec Elf entretenue par la présidence de Mitterrand : 'A la surprise générale, les élections de 1981 ne permettent pas le retour des gaullistes, mais l'accession des socialistes. Plus habile que son prédécesseur, François Mitterrand reprend partiellement le contrôle d'Elf, qui obéit désormais à la fois à l'Elysée et au RPR (parti gaulliste). L'alibi de la légitimité nationale s'efface devant une logique de clan et de partage mafieux des richesses africaines. Certains dirigeants d'Elf se comportent dès lors comme des entremetteurs et acquièrent des fortunes personnelles considérables. La compagnie fait et défait les dirigeants au Gabon, au Congo, au Cameroun, en Angola ; elle étend son influence dans toute l'Afrique francophone et même parfois anglophone, comme au Nigeria. Par l'intermédiaire d'Omar Bongo, elle s'impose au sein de l'OPEP ou participe à des transferts illégaux de technologie nucléaire. Elle finance tous les grands partis politiques français et s'immisce bientôt sur la scène européenne en finançant aussi bien les campagnes d'Helmut Kohl que celles de Felipe Gonzalez. Elle ambitionne même de s'implanter aussi bien en Ouzbékistan qu'au Venezuela dont elle achète également les principaux dirigeants.' [http ://www.globalwebco.net/bdp/elfvoltaire.htm] Le document fournit aussi la copie d'un ordre de paiement de 100 millions de francs CFA (la monnaie de 14 pays africains) émis par la Société gabonaise de raffinage (Sogara), filiale d'Elf-Gabon à Port-Gentil, à l'ordre d'Omar Bongo, président du Gabon. Celui-ci est venu lui-même retirer la somme en liquide, le 21 janvier 1992, à la BIPG (une banque du Gabon) de Libreville. Pour justifier les malversations commises au préjudice de la compagnie pétrolière, Loïk Le Floch-Prigent n'a cessé tout au long du procès de répéter : 'Je n'avais qu'un seul patron' - le président François Mitterrand. Entreprise publique, Elf voyait ses dirigeants nommés par le président de la République et Loïk Le Floch-Prigent était 'l'homme que François Mitterrand, réélu pour un deuxième septennat, imposa à tout le monde.' (Le Monde, 13 novembre 2003) L'homme du président expliqua à la cour le fonctionnement de la 'caisse noire' d'Elf : 'Ce système existait essentiellement pour le parti gaulliste, le RPR ; Je m'en suis ouvert au président François Mitterrand qui m'a dit qu'il vaudrait mieux rééquilibrer les choses, sans toutefois oublier le RPR.' Ainsi tous les principaux partis parlementaires de France et les dirigeants de ces partis, de gauche comme de droite, ont profité du clientélisme d'Elf ou plus précisément de François Mitterrand et lui devinrent redevables au fur et à mesure que sa présidence prenait un tour toujours plus monarchique. C'est Le Floch-Prigent qui racheta, sur ordre de son maître, à un ami du président, avec l'argent d'Elf et à un prix rocambolesque, la villa de Louveciennes afin de servir de pied à terre à Mitterrand lors de ses occasionnelles parties de golf sur un terrain à proximité. Il facilita aussi l'amitié politique de Mitterrand avec le Chancelier conservateur allemand, Helmut Kohl avec la transaction secrète Leuna-Minol, qui avait pour but de donner un coup de pouce à l'influence politique du chancelier. Pour reprendre les paroles du juge Desplan, ce projet 'comportait un enjeu politique majeur :renforcer l'union franco-allemande. (...) On a l'impression que Leuna était un canard très, très boiteux et que la France s'est en quelque sorte dévouée'. Dans cette transaction, Elf racheta la raffinerie est-allemande Leuna qui battait de l'aile et le réseau de distribution Minol, pour rendre service à Kohl que l'effondrement imminent de ces industries dans l'Allemagne unifiée embarrassait. Pour citer encore une fois le juge Desplan, Elf était censée verser 'la plus importante des commissions que le tribunal ait à juger', en trois versements : 256 millions de francs, puis 13 millions de francs en décembre 1992 et 13 millions de marks en 1993. Ces montants trouveraient leur justification dans la nécessité pour la compagnie pétrolière d'obtenir de Bruxelles, de Bonn et des différents länder allemands une subvention de deux milliards de marks sans laquelle l'investissement total évalué à six milliards de marks, ne serait pas viable économiquement. 'On appelle cela du 'lobbying', un mot délicat pour parler de corruption, car comme le dit Alfred Sirven, 'le lobbying sans argent, ça n'existe pas'. (Le Monde, 30 avril 2003) Il expliqua que 'dans cette affaire il fallait avoir accès à un certain nombre de hautes personnalités de ce pays. J'ai reçu ordre de les financer. Je me souviens de deux ministres allemands et de la société SISIE, dirigée par Mme Edith Cresson (Ancien premier ministre socialiste français 1991-1992) - cette dernière a été rémunérée à hauteur de trois millions de francs, mais elle n'est pas poursuivie dans cette procédure.' ' Qui vous a donné l'instruction ?' demanda M. Desplan. 'Le président Le Floch' répliqua M. Sirven. Sirven avait engagé les services de Pierre Léthier, colonel retraité des renseignements qui reçut une commission de 96 millions de francs et lui-même travailla avec Dieter Holtzer, homme d'affaires et figure familière des milieux politiques allemands, qui fut rémunéré à hauteur de160 millions de francs pour ses efforts. Impliqué dans l'affaire il y avait aussi Holger Pfahls, aujourd'hui porté disparu, ancien secrétaire d'Etat à la défense et membre du parti conservateur CDU (Union démocrate chrétienne), parti de l'ancien chancelier Kohl. Un épisode particulièrement sinistre est l'affaire en cours des six frégates fournies à Taïwan par Thompson, compagnie française d'armement, pour 16 milliards de francs (2,5 milliards d'euros) dont 5 milliards de francs donnèrent lieu au versement de commissions. Sirven et l'équipe d'Elf furent impliqués, tout comme Roland Dumas, socialiste et ami de longue date de Mitterrand, ancien ministre des affaires étrangères et président du Conseil constitutionnel, déjà mis en accusation dans cette affaire. Le gouvernement taïwanais s'est porté partie civile étant donné que le contrat de vente stipule explicitement qu'aucune commission ne peut être inclue dans le prix. L'examen judiciaire de l'affaire se heurte constamment au mur dressé par les entreprises impliquées ainsi que les gouvernements français successifs. L'ancien juge Thierry Jean-Pierre, dans un ouvrage qu'il vient de consacrer à l'affaire dénonce 'l'obstination des gouvernements de droite et de gauche à maintenir le secret-défense sur un dossier susceptible de provoquer un scandale d'une ampleur inégalée' et il cite le nom d'un dirigeant actuel du Parti socialiste et ancien premier ministre, Laurent Fabius. Une dizaine de personnes qui 'en savaient trop' ont déjà perdu la vie dans des circonstances douteuses, circonstances considérées, dans quatre de ces cas, comme extrêmement suspectes par les magistrats français en charge de l'affaire. L'une de ces personnes est Thierry Imbot, membre du département des renseignements (DGSE), dont son père avait été directeur de 1985 à 1987. L'histoire dit qu'il serait tombé de son appartement parisien alors qu'il manipulait un volet. Il est mort le 10 avril 2000. Cependant son père a semé le trouble en insistant sur le fait que son fils lui avait dit détenir des détails sur la répartition des commissions perçues non seulement sur la vente des frégates mais aussi des avions Mirages 2000. Il affirma : 'Mon fils m'avait dit que les gens à Taïwan et en France, au plus haut niveau chez Thompson, avaient fait des fortunes colossales à propos de ces contrats.' Dans son livre relatant ses expériences de juge d'instruction dans l'affaire Elf, la juge Eva Joly montre les dangers encourus par quiconque cherche à investiguer de trop près la mafia d'Elf. Elle révèle que sa ligne téléphonique de bureau fut mise sur écoute, qu'elle fut filée, que sa maison fut mise ouvertement sous surveillance. Lorsque après avoir reçu une menace de mort fixée à la porte de son bureau on lui accorda une protection policière 24 heures sur 24, elle eut le sentiment que plus qu'une protection policière cela ressemblait à une surveillance 24 heures sur 24. Quand elle demanda que soit levée cette 'protection', sa requête lui fut refusée et sa garde permanente de deux policiers fut doublée. La protection policière dura six ans. Un article du Monde de Fabrice Lhomme et Cécile Prieur daté du 13 février 2003 suggère que l'appareil judiciaire français fut rappelé à l'ordre par l'Etat au sujet de l'investigation de corruption financière en hauts lieux. Il fait allusion à la relaxe de Roland Dumas le 29 janvier, 'passée inaperçue au regard du tintamarre politique, judiciaire et médiatique que la mise en cause de l'ancien ministre avait provoqué en 1998. Qui se souvient que M. Dumas avait été condamné en première instance à six mois de prison ferme, le 30 mai 2001, par le tribunal correctionnel de Paris ?' Les auteurs font ensuite une liste des scandales de corruption en rapport avec les abus de biens sociaux impliquant Dominique Strauss Kahn, ancien ministre socialiste de l'économie, Robert Hue, ancien dirigeant du Parti communiste, le RPR, et l'office des HLM de la ville de Paris, affaire dont le juge Eric Halfen avait été dessaisi. D'autres juges d'instruction gênants qui ont quitté ou ont été forcés de quitter leurs fonctions sont cités : Eva Joly, qui partit en Norvège en 2002 ; Laurence Vichnievsky, qui instruisait l'affaire Elf avec Eva Joly; Patrick Desmure, chargé de l'enquête sur le financement du RPR, dossier dans lequel figuraient les noms d'Alain Juppé, ancien premier ministre gaulliste et du président Jacques Chirac. Lhomme et Prieur commentent ainsi la vie politique et judiciaire françaises actuelle : 'Les velléités du ministère de la justice du gouvernement Raffarin de renforcer substantiellement les pouvoirs du parquet et de la police, à leur détriment [celui des juges d'instruction], les confortent dans l'idée que, à terme, c'est l'existence même du juge d'instruction qui est menacée. Enfin ce n'est pas sans amertume que les juges ont constaté que l'opération 'mains propres' à la française a eu une portée plus symbolique que réelle : les réélections successives d'anciens élus impliqués dans les affaires judiciaires, comme Patrick Balkany à Levallois-Perret ou Jacques Mellick à Béthunes et jusqu'au président de la République lui-même, n'ont fait qu'accroître leurs désillusions. ' De fait, la sphère politique semble avoir reconquis un pouvoir que la justice avait pu lui contester.' Les élites dirigeantes de France et d'ailleurs essaient
de se libérer de toutes restrictions légales afin
de mener à bien le pillage des ressources du monde, et
des droits et du niveau de vie de la classe ouvrière chez
eux et à l'étranger. Voir aussi :
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