Rapport présenté à la réunion de Londres sur le centenaire du trotskisme

Génocide à Gaza: L’impérialisme s’enfonce dans l’abîme

Les propos suivants sont ceux de David North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, lors d’une réunion samedi dernier à Birkbeck, Université de Londres, dans le cadre d’une série internationale de conférences sur Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme au XXIe siècle. Cette conférence fait le lien entre les principes fondamentaux du Comité international et la lutte actuelle contre le génocide impérialo-sioniste à Gaza.

La lettre ouverte et les origines du Comité international

Il y a 70 ans cette semaine, le 16 novembre 1953, une «Lettre aux trotskystes du monde entier» a été publiée dans The Militant, le journal du Socialist Workers Party, qui était alors l’organisation trotskyste aux États-Unis. Publiée au nom du comité national du parti, son auteur était James P. Cannon, le président national du SWP, âgé de 63 ans.

Le Socialist Workers Party n’était pas formellement affilié à la Quatrième Internationale en raison des lois anticommunistes en vigueur aux États-Unis. Malgré cette limitation technique, l’autorité politique de Cannon était fondée sur le rôle crucial qu’il avait joué dans la fondation de l’Opposition de gauche internationale en 1928, son étroite collaboration ultérieure avec Trotsky dans la lutte pour la Quatrième Internationale et la préparation de son congrès fondateur en septembre 1938, son rôle central dans la lutte menée par Trotsky contre la tendance révisionniste petite-bourgeoise de Max Shachtman, James Burnham et Martin Abern en 1939-1940 et, au lendemain de l’assassinat de Trotsky en août 1940, sa défense inflexible, dans l’environnement réactionnaire de la Seconde Guerre mondiale et des premières années de la guerre froide, de l’héritage programmatique de la Quatrième Internationale.

James P. Cannon

Mais en 1953, Cannon s’est trouvé confronté à une puissante tendance révisionniste au sein du Secrétariat international de la Quatrième Internationale, représentée par Michel Pablo et Ernest Mandel, qui proposait la répudiation des fondements programmatiques essentiels du mouvement trotskiste. Les éléments centraux du révisionnisme de Pablo étaient le rejet de l’insistance de Trotsky sur la nature contre-révolutionnaire du stalinisme et la perspective de construire la Quatrième Internationale en tant que Parti mondial de la révolution socialiste. Pablo et son acolyte Mandel préconisaient la liquidation des sections de la IVe Internationale dans les partis staliniens de masse ou, en fonction du rapport de forces dans un pays donné, dans les mouvements sociaux-démocrates, nationalistes bourgeois et radicaux petits-bourgeois.

Aux États-Unis, les partisans de Pablo avancèrent ce programme liquidationniste sous la bannière «Junk the Old Trotskyism» (le vieux trotskysme est bon pour la casse). Ils ridiculisaient Cannon et les dirigeants d’expérience du SWP en les qualifiant de «pièces de musée» dont la défense du «trotskysme orthodoxe» n’était pas politiquement pertinente. Pablo n’était pas seulement engagé dans une guerre de mots. Il utilisa sa position au sein du Secrétariat international pour organiser des factions anti-trotskystes au sein de la Quatrième Internationale et pour expulser des membres et même des sections entières qui s’opposaient à sa campagne de liquidation de la Quatrième Internationale en tant que mouvement révolutionnaire indépendant.

La conception politique qui sous-tendait la guerre de Pablo contre la IVe Internationale était sa conception selon laquelle le stalinisme, contrairement à l’analyse de Trotsky, restait une force révolutionnaire puissante. Répondant à la pression des masses, et dans les conditions d’une guerre nucléaire mondiale, les staliniens seraient contraints de prendre le pouvoir. Le résultat de ce processus serait la création d’«États ouvriers déformés» qui, après une période de plusieurs siècles, évoluerait d’une manière ou d’une autre vers des sociétés socialistes.

Le fait que cette perspective bizarre ait attiré un nombre important de partisans témoignait non seulement de la désorientation politique qui s’était développée au sein de la Quatrième Internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi de l’influence croissante d’une petite bourgeoisie de plus en plus aisée et politiquement consciente de ses intérêts, engagée dans des politiques de gauche radicale.

Les principes fondateurs du CIQI

La publication par Cannon de ce que l’on a appelé la «lettre ouverte» a été une initiative politique cruciale pour la défense de la Quatrième Internationale. S’appuyant sur son immense expérience politique, Cannon a résumé de manière concise les principes fondamentaux du mouvement trotskiste. Il a écrit:

1. L’agonie du système capitaliste menace de détruire la civilisation par l’aggravation des dépressions, des guerres mondiales et des manifestations barbares comme le fascisme. Le développement des armes atomiques souligne aujourd’hui ce danger de la manière la plus grave qui soit.

2. La descente dans l’abîme ne peut être évitée qu’en remplaçant le capitalisme par l’économie planifiée du socialisme à l’échelle mondiale et en reprenant ainsi la spirale du progrès ouverte par le capitalisme à ses débuts.

3. Cela ne peut se faire que sous la direction de la classe ouvrière, seule classe véritablement révolutionnaire de la société. Mais la classe ouvrière elle-même est confrontée à une crise de direction, bien que le rapport mondial des forces sociales n’ait jamais été aussi favorable qu’aujourd’hui pour que les travailleurs prennent le chemin du pouvoir.

4. Pour s’organiser en vue de réaliser cet objectif historique mondial, la classe ouvrière de chaque pays doit construire un parti socialiste révolutionnaire selon le modèle développé par Lénine, c’est-à-dire un parti de combat capable de combiner dialectiquement la démocratie et le centralisme: la démocratie pour prendre les décisions, le centralisme pour les mettre en œuvre; une direction contrôlée par les rangs, des rangs capables d’aller de l’avant sous le feu de l’ennemi de façon disciplinée.

5. Le principal obstacle est le stalinisme, qui attire les travailleurs en exploitant le prestige de la révolution d’Octobre 1917 en Russie, pour ensuite, en trahissant leur confiance, les précipiter soit dans les bras de la social-démocratie, soit dans l’apathie, soit dans les illusions du capitalisme. La peine pour ces trahisons est payée par les travailleurs sous la forme d’une consolidation des forces fascistes ou monarchistes, et de nouvelles flambées de guerres encouragées et préparées par le capitalisme. Dès sa création, la IVe Internationale s’est fixé comme tâche majeure le renversement révolutionnaire du stalinisme à l’intérieur et à l’extérieur de l’URSS.

6. La nécessité d’une tactique souple à laquelle sont confrontées de nombreuses sections de la IVe Internationale, ainsi que les partis ou groupes sympathisants de son programme, rend d’autant plus impératif qu’elles sachent combattre l’impérialisme et toutes ses agences petites-bourgeoises (telles que les formations nationalistes ou les bureaucraties syndicales) sans capituler devant le stalinisme; et, inversement, qu’elles sachent combattre le stalinisme (qui, en dernière analyse, est une agence petite-bourgeoise de l’impérialisme) sans capituler devant l’impérialisme.

Ces principes fondamentaux établis par Léon Trotsky conservent toute leur validité dans la politique de plus en plus complexe et fluide du monde d’aujourd’hui. En fait, les situations révolutionnaires qui s’ouvrent de toutes parts, comme l’avait prévu Trotsky, n’ont fait que concrétiser ce qui, à un moment donné, a pu apparaître comme des abstractions quelque peu lointaines, non intimement liées à la réalité vivante de l’époque. La vérité est que ces principes s’appliquent aujourd’hui avec une force croissante à la fois à l’analyse politique et à la détermination de la ligne de conduite pratique.

Soixante-dix ans après sa publication, la Lettre ouverte conserve toute sa pertinence en tant que résumé de la situation politique actuelle et des tâches de la Quatrième Internationale, sous la direction du Comité international. L’avertissement de Cannon sur l’utilisation des armes nucléaires et le danger de la barbarie fasciste est encore plus actuel aujourd’hui qu’il ne l’était en 1953.

Le changement majeur qui ressort est que l’Union soviétique n’existe plus et que les partis staliniens de masse ont été balayés. Bien sûr, dans la mesure où la politique réactionnaire de collaboration de classe, nationaliste et antisocialiste du stalinisme persiste sous de nouvelles formes politiques, l’obstacle qu’elle représentait pour le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière n’a pas disparu.

La classe ouvrière est toujours confrontée à la trahison systématique et organisée des bureaucraties syndicales, des organisations réactionnaires qui se qualifient encore de travaillistes, de sociaux-démocrates et de « verts », et des innombrables partis et organisations de pseudo-gauche, bourgeois et nationalistes petits-bourgeois – dont beaucoup tirent leurs origines de la répudiation pabliste du programme de la Quatrième Internationale. La crise de la direction révolutionnaire reste à résoudre.

Léon Trotsky avec des membres de l’Opposition de gauche

Mais il ne reste absolument rien de l’identification erronée et politiquement désorientante du stalinisme avec l’héritage et le programme de la révolution d’Octobre. L’effondrement du mouvement stalinien de masse a donné raison à la lutte lancée par Trotsky il y a un siècle avec la fondation de l’Opposition de gauche et a étayé la perspective politique révolutionnaire mondiale du Comité international de la Quatrième Internationale. Ce sont là des faits politiques d’une immense importance dans la crise internationale actuelle du système capitaliste mondial.

Descente dans l’abîme: Le génocide à Gaza

Nous nous réunissons aujourd’hui au milieu du génocide qui se déroule à Gaza. C’est la concrétisation de la «descente aux abîmes» dont la lettre ouverte nous mettait en garde. Le capitalisme, comme l’a écrit Marx, a émergé historiquement «ruisselant de la tête aux pieds, par tous les pores, de sang et de saleté». Et c’est ainsi qu’il finira.

Des milliards de personnes dans le monde sont indignées par les images quotidiennes des atrocités commises par le régime israélien, avec le soutien total de toutes les puissances impérialistes. Toutes les invocations hypocrites des «droits de l’homme», utilisées par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN pour justifier leurs guerres – habituellement décrites comme des «interventions humanitaires» – sont totalement démasquées et discréditées.

Tous les dirigeants impérialistes – Biden aux États-Unis, Trudeau au Canada, Sunak en Grande-Bretagne, Macron en France, Scholtz en Allemagne, Meloni en Italie – sont pleinement impliqués en tant que complices de Netanyahou dans les meurtres de masse. Si des procès pour crimes de guerre étaient organisés, ils ne pourraient pas prétendre, comme certains des chefs nazis l’ont ridiculement tenté à Nuremberg, qu’ils n’étaient pas au courant des atrocités commises par le régime sioniste israélien. Non seulement ils sont conscients de ces crimes, mais ils les justifient et les saluent.

Le président Joe Biden est accueilli par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou à son arrivée à l’aéroport international Ben Gourion, le mercredi 18 octobre 2023, à Tel-Aviv. [AP Photo/Evan Vucci]

Au 16 novembre, la mort de 11.500 personnes à Gaza avait été confirmée, dont au moins 4.710 enfants. Le taux de mortalité des enfants palestiniens est de loin supérieur à celui de tous les autres conflits du XXIe siècle. En outre, plus de 29.800 Palestiniens ont été blessés. Privé de moyens de communication, le ministère de la Santé de Gaza a cessé de compter le nombre de morts et de blessés. Depuis le 7 octobre, les attaques israéliennes ont tué en moyenne 320 habitants de Gaza chaque jour. Si ce rythme se poursuit jusqu’à aujourd’hui, le nombre de morts devrait dépasser les 13.000. Sur ce total, plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Le tapis de bombes sur Gaza a détruit ou endommagé 40 pour cent des habitations du nord de Gaza et détruit ses systèmes de santé, de distribution de nourriture et de traitement de l’eau, ce qui constitue clairement un crime de guerre au regard du droit international. Et si la violence de la machine militaire israélienne a été principalement dirigée contre la population de Gaza, l’armée et les colons fascistes ont assassiné environ 175 Palestiniens en Cisjordanie.

Le caractère génocidaire de l’attaque israélienne ne fait aucun doute. Il est confirmé par les déclarations explicites des dirigeants israéliens. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a déclaré que toute personne soutenant le Hamas devait être «éliminée». Amihai Eliyahu, partenaire de coalition de Netanyahou et ministre israélien du Patrimoine, a déclaré que le largage d’une bombe nucléaire sur Gaza devrait être une option. Galit Distel Atbaryan, jusqu’à récemment ministre israélienne de l’Information, a demandé l’éradication de «tout Gaza de la surface de la terre» et l’exil forcé de sa population en Égypte.

Fin octobre, Craig Mokhiber a déclaré, en démissionnant de son poste de directeur du bureau de New York du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme: «Il s’agit d’un cas d’école de génocide. Le projet colonial européen, ethnonationaliste, de colonisation de la Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d’une grande partie de l’Europe sont totalement complices de cet horrible assaut». Volker Turk, commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré à Genève: «Le respect le plus élémentaire des valeurs humaines s’est effondré. Le meurtre de tant de civils ne peut être considéré comme un simple dommage collatéral».

Un homme est assis sur les décombres tandis que d’autres se promènent parmi les débris des bâtiments qui ont été ciblés par les frappes aériennes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, mercredi 1er novembre 2023.

L’attaque sur l’hôpital al-Shifa, dont le régime de Netanyahou avait prétendu qu’il révélerait son utilisation par le Hamas comme centre d’opérations militaires, n’a fait qu’apporter de nouvelles preuves des crimes d’Israël contre l’humanité.

Le cri de guerre de l’impérialisme: «Pas de cessez-le-feu»

Face aux preuves visuelles quotidiennes irréfutables de la violence effrénée contre la population civile, les puissances impérialistes se sont opposées de manière répétée et catégorique aux appels à un cessez-le-feu. «Pas de cessez-le-feu» est devenu le cri de guerre meurtrier des alliés du régime israélien. À sa place, les experts en euphémismes du gouvernement des États-Unis et de ses alliés de l’OTAN ont inventé l’expression «pause humanitaire» – une façon remarquable de décrire le rechargement des armes et le recalibrage des cibles par les forces militaires israéliennes.

Le gouvernement israélien et ses maitres impérialistes justifient ce déchaînement génocidaire comme une réponse légitime à l’attaque lancée par le Hamas le 7 octobre. Précisons tout d’abord qu’il n’y a pas eu d’enquête formelle sur les événements de ce jour-là. Il n’y a pas de décompte exact du nombre de morts, et encore moins de la manière dont les victimes ont perdu la vie. Il n’y a pas d’informations fiables sur le nombre de victimes israéliennes mortes aux mains du Hamas et sur le nombre de victimes mortes à la suite des représailles massives de l’armée israélienne. En outre, parmi les questions sans réponse, il y a celles qui concernent la mesure dans laquelle le gouvernement Netanyahou, à la recherche d’un prétexte pour une attaque contre Gaza, a délibérément négligé les informations des services de renseignement indiquant qu’une sorte d’opération était en cours de préparation par le Hamas. S’il est certainement possible que le régime Netanyahou n’ait pas anticipé l’ampleur de l’incursion en Israël, il est difficile de croire que les agences de renseignement israéliennes, dont les agents opèrent dans toute la bande de Gaza et en Cisjordanie, aient été totalement ignorantes des préparatifs du Hamas en vue d’une opération militaire d’envergure.

D’autres informations ne manqueront pas d’apparaître. Mais la tentative du régime israélien de justifier ses actions actuelles comme une réponse appropriée à ce qui s’est passé le 7 octobre est fondamentalement trompeuse et, pour être franc, largement à côté de la question. Sa tentative de justifier son assaut sur Gaza comme une riposte légitime à l’attaque lancée par le Hamas n’est rien d’autre que les arguments employés tout au long de l’histoire par les oppresseurs pour justifier la répression qu’ils déchainent contre la résistance des opprimés.

Permettez-moi de citer un extrait d’une conférence que j’ai donnée le mois dernier à l’université du Michigan:

La mort de tant d’innocents est un événement tragique. Mais la tragédie est enracinée dans des événements historiques objectifs et des conditions politiques qui ont rendu cet événement inévitable. Comme toujours, les classes dirigeantes s’opposent à toute référence aux causes du soulèvement. Leurs propres massacres et l’ensemble du système d’oppression sanglant qu’elles dirigent impitoyablement doivent être passés sous silence.

Comment s’étonner que des décennies d’oppression par le régime sioniste aient conduit à une éruption explosive de colère? Cela s’est produit dans le passé et, tant que les êtres humains seront opprimés et brutalisés, cela se produira à l’avenir. On ne peut pas s’attendre à ce que ceux qui subissent l’oppression, au cours d’une rébellion désespérée, alors que leur propre vie est en jeu, traitent leurs bourreaux avec une tendre courtoisie. Ces rébellions sont souvent marquées par des actes de vengeance cruels et sanglants.

De nombreux exemples viennent à l’esprit: la mutinerie des Sepoy en Inde, le soulèvement des Indiens du Dakota contre les colons, la rébellion des Boxers en Chine, celle des Hereros dans le sud-ouest de l’Afrique et, plus récemment, le soulèvement des Mau Mau au Kenya. Dans tous ces cas, les insurgés ont été dénoncés comme des meurtriers sans cœur et des démons, et soumis à un châtiment brutal. Des décennies, voire un siècle ou plus, ont dû s’écouler avant qu’ils ne soient tardivement honorés en tant que combattants de la liberté.

Les incidents terroristes comme prétexte à la guerre et à la répression

En ce qui concerne l’utilisation calculée d’un incident terroriste comme prétexte à la réalisation des objectifs politiques d’un gouvernement, un certain nombre d’exemples viennent à l’esprit. En 1914, la monarchie austro-hongroise a profité de l’assassinat de son archiduc à Sarajevo pour lancer un ultimatum inacceptable à la Serbie et entrer en guerre.

En novembre 1938, un réfugié polonais de 17 ans vivant à Paris, Herschel Grynszpan, assassina Ernst Von Rath, membre du corps diplomatique allemand. Il avait commis cet acte pour protester contre les politiques anti-juives brutales du régime nazi. Les nazis ont profité de l’acte désespéré de ce jeune homme pour lancer un violent pogrom antijuif dans toute l’Allemagne, connu sous le nom de «Nuit de Cristal». Plus de 100 juifs ont été assassinés et 30.000 ont été capturés et envoyés dans des camps de concentration. Près de 300 synagogues ont été détruites et des milliers de commerces juifs ont été pillés.

Vue intérieure de la synagogue de la Fasanenstrasse, à Berlin, incendiée lors de la Nuit de Cristal [Photo: Center for Jewish History, NYC]

De nombreux autres incidents pourraient être cités, comme la tentative d’assassinat à Londres, le 3 juin 1982, de l’ambassadeur d’Israël en Grande-Bretagne, Shlomo Argov. Le gouvernement israélien a utilisé cet événement comme prétexte pour lancer une invasion à grande échelle du Liban, appelée «Opération Paix pour la Galilée», dont le but était d’établir une zone de sécurité dans le sud du Liban.

Cette invasion a eu pour conséquence le massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, situés à Beyrouth. Les massacres ont été perpétrés pendant trois jours, du 16 au 18 septembre, par des milices fascistes chrétiennes libanaises alliées à Israël. Les fascistes ont été autorisés par les forces israéliennes, qui avaient encerclé Beyrouth, à pénétrer dans les camps. Une fois à l’intérieur, les fascistes ont massacré – avec l’approbation du ministre israélien de la Défense et futur Premier ministre Ariel Sharon – plusieurs milliers de réfugiés palestiniens.

Enfin, il y a la destruction des tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre 2001, un événement trouble, expliqué comme un «manque de sécurité» causé par une «incapacité tirer les conclusions qui s’imposaient», qui a été utilisée par l’administration Bush pour envahir l’Afghanistan et l’Irak, étendre considérablement les opérations militaires des États-Unis au Moyen-Orient et en Asie centrale, adopter la pratique israélienne des «assassinats ciblés» et, aux États-Unis, créer le département de la Sécurité intérieure, accroître le pouvoir répressif de l’État et éroder les droits démocratiques des Américains.

Malgré le soutien sans faille à l’invasion israélienne, amplifié par une campagne de propagande médiatique massive, le génocide a provoqué un puissant mouvement de protestation international d’une ampleur sans précédent. Des manifestations de dizaines, voire de centaines de milliers de personnes, ont été organisées dans le monde entier.

Pour tenter de discréditer ces manifestations, Israël, les gouvernements avec lesquels il est allié et, bien sûr, les organisations prosionistes les qualifient d’«antisémites». Il s’agit là de la poursuite et de l’intensification des efforts déployés au cours des dernières décennies pour apposer cette étiquette sur tous les opposants à l’oppression des Palestiniens par Israël.

Étant donné que les personnes d’origine juive, et en particulier la jeunesse juive, ont joué un rôle exceptionnellement important dans les manifestations – en particulier aux États-Unis, qui ont la plus grande population juive en dehors d’Israël – l’allégation d’antisémitisme peut sembler tout simplement absurde.

Pire encore, étant donné que l’opposition au génocide est identifiée, à force d’être répétée, comme une manifestation d’antisémitisme, on peut légitimement craindre que ce détournement réactionnaire du mot n’aboutisse à la légitimation d’un sentiment antijuif.

Les origines du sionisme

Les motivations politiques actuelles de la campagne de diffamation sont évidentes. Mais la portée de l’allégation d’antisémitisme va au-delà de son application directement pragmatique. L’attribution de l’antisémitisme à tous les opposants à l’État israélien est enracinée dans l’idéologie philosophiquement irrationnelle et chauvine sur laquelle repose l’ensemble du projet sioniste depuis son émergence en tant que mouvement politique important à la fin du dix-neuvième siècle.

Après avoir été progressivement libérés des limites du ghetto dans une grande partie de l’Europe occidentale et centrale par la diffusion de la pensée des Lumières et l’impact politique et social de la Révolution française, l’intelligentsia et la classe moyenne juives ont associé le progrès social et l’obtention de droits démocratiques à leur assimilation dans la société, plutôt qu’à leur ségrégation. Ils voulaient que leur religion soit considérée comme une affaire privée et n’ait donc aucune incidence sur leur statut de citoyens jouissant de tous les droits démocratiques. Un nombre important de Juifs identifiaient de plus en plus leur propre lutte pour les droits démocratiques comme un élément de la lutte historique mondiale plus large et bien plus importante du prolétariat contre la cause principale de l’oppression sociale dans le monde moderne, le système capitaliste.

En outre, la lutte prolétarienne pour le socialisme était intrinsèquement internationale et, par conséquent, s’opposait à la priorisation de toute forme d’identité religieuse, ethnique ou nationale par rapport à la solidarité universelle de la classe ouvrière. C’est pour cette raison que l’attitude du mouvement socialiste à l’égard du mouvement sioniste, tel qu’il est apparu à la fin des années 1880 et dans les années 1890, était empreinte d’une hostilité irréconciliable.

Moses Hess en 1870 [Photo: Unknown]

L’affirmation de la primauté de la race sur la classe a été déclarée avec force dans «From Rome to Jerusalem» de Moses Hess, publié en 1862. Première grande figure à défendre la perspective d’un État juif en Palestine, Hess – qui avait joué un rôle important dans le premier mouvement socialiste au début des années 1840, mais qui avait été démoralisé par les défaites subies à la fin de la décennie – déclarait, en opposition directe avec la perspective de Marx: «Toute l’histoire a été celle de la guerre des races et de la guerre des classes. Les guerres raciales sont le facteur principal, les guerres de classes, le facteur secondaire».

Dans «From Rome to Jerusalem», plusieurs éléments essentiels de l’idéologie sioniste sont déjà présents. Le premier, comme l’indique la déclaration que je viens de citer, est la priorité donnée à la race sur la classe.

Le second est l’insistance de Hess sur le fait que l’État national est le fondement essentiel de toute vie politique et le cadre indispensable à la survie et au progrès des Juifs. «Les masses populaires juives, écrit-il, ne participeront au grand mouvement historique de l’humanité moderne que lorsqu’elles auront une patrie juive.»

Le troisième élément essentiel est la conviction profondément démoralisée et pessimiste que les Juifs ne pourront jamais être assimilés dans les États européens existants. Croire que les Juifs peuvent surmonter les persécutions et parvenir à une pleine émancipation grâce à la lutte de la classe ouvrière européenne pour le socialisme est, selon Hess, une illusion: «Pourquoi nous tromper? Les nations européennes ont toujours perçu l’existence des Juifs en leur sein comme une anomalie. Nous serons toujours des étrangers parmi les nations […] Les Allemands haïssent moins la religion juive qu’ils ne haïssent leur race […] Ni la réforme religieuse, ni le baptême, ni les Lumières, ni l’émancipation n’ouvriront aux Juifs les portes de la vie sociale».

Le quatrième élément est la conviction que la création d’un État juif en Palestine n’est possible que dans la mesure où elle est considérée comme bénéfique pour les intérêts d’une grande puissance européenne. Pour Hess, qui vivait dans l’Europe des années 1860, cette puissance était la France, alors gouvernée par la dictature réactionnaire de l’empereur Louis Bonaparte. La France, écrit-il, «aidera les Juifs à fonder des colonies qui s’étendront de Suez à Jérusalem et des rives du Jourdain à la Méditerranée». Au XXe siècle, le mouvement sioniste poursuivra ses objectifs en offrant ses services au sultan turc, au tsar russe et, un peu plus tard, à l’impérialisme britannique et enfin, américain.

Bien qu’il soit resté relativement inconnu de son vivant, «From Rome to Jerusalem» de Hess a anticipé bon nombre des conceptions qui allaient définir la politique du mouvement sioniste plusieurs décennies plus tard. Theodore Herzl a déclaré plus tard que s’il avait connu le livre de Hess, il n’aurait pas eu besoin d’écrire son propre «Der Judenstaat, the Jewish State». Mais il faut immédiatement noter que Herzl était intellectuellement inférieur à Hess à tous égards et que, contrairement à ce dernier, qui s’était à nouveau rapproché du mouvement socialiste après la création de la Première Internationale, il était hostile au socialisme et à un mouvement ouvrier indépendant basé sur la classe.

L’opposition socialiste au sionisme

Les pogroms – violentes émeutes antijuives – qui ont éclaté dans l’Empire russe en 1881 et se sont poursuivis en 1882, avec le soutien du régime tsariste, ont eu un effet profond sur les perspectives politiques de larges pans de la population juive. Ces événements sanglants ont donné l’impulsion nécessaire à une augmentation considérable de l’activité politique parmi les Juifs. C’est au cours de cette période que le sionisme – qui défend le programme d’immigration juive en Palestine – a commencé à attirer un nombre important de partisans. Mais une tendance bien plus puissante est l’engagement de la jeunesse juive dans la politique socialiste. À la fin des années 1890, les principales manifestations de cette activité se trouvaient au sein du nouveau parti social-démocrate russe et du Bund socialiste, qui cherchaient à créer une organisation politique indépendante des travailleurs juifs sur la base d’une politique socialiste.

Ces deux tendances socialistes étaient irrémédiablement hostiles au mouvement sioniste, rejetant catégoriquement sa prétention à représenter les intérêts du peuple juif. Il est significatif que, dans la lutte politique entre les sionistes et les socialistes, les sympathies du régime tsariste allaient entièrement aux premiers, considérant les sionistes comme un allié dans la lutte contre l’influence de plus en plus dangereuse du mouvement socialiste au sein de la jeunesse juive. Il sympathisait avec l’objectif du projet sioniste: l’émigration des Juifs de Russie vers la Palestine.

L’historien Jossi Goldstein a écrit:

L’attitude positive des autorités à l’égard des activités du mouvement sioniste avait des implications considérables. Contrairement à leurs rivaux du Bund socialiste, les militants sionistes n’ont pas eu à maintenir le secret, ce qui aurait entravé la propagation de leur mouvement. Le dynamisme caractéristique des années 1898-1900 est largement fonction de la légitimation accordée par les autorités. Un large champ d’action s’ouvre ainsi devant les chefs du mouvement (les Murshim) et les autres organisateurs, champ d’activité refusé à d’autres mouvements. Cela a donné au sionisme un avantage significatif sur ses rivaux dans la compétition pour attirer des partisans parmi la population juive. [1]

L’affirmation actuelle selon laquelle l’antisionisme est de l’antisémitisme aurait été vue comme une sale calomnie, voire une folie politique, à une époque où des milliers de travailleurs juifs et même des sections importantes de l’intelligentsia juive de la classe moyenne consacraient leur énergie politique à la lutte pour le socialisme.

Membres du Bund aux côtés des corps de leurs camarades, tués durant le pogrom d’Odessa en 1905

Comme le note Goldstein, «dans la propagande du Bund, l’accent principal était mis sur les distinctions de classe, le sionisme représentant la petite et moyenne bourgeoisie contre le Bund, qui représentait le prolétariat juif». [2] «L’hostilité du Bund à l’égard du sionisme était si profonde et d’une nature si fondamentale que lors du quatrième congrès du Bund, en mai 1901, «il fut décidé pour la première fois», écrit Goldstein, «de lancer une guerre à mort contre le sionisme». [3] Les publications bundistes avertissaient que «le sionisme n’est qu’un masque derrière lequel on exploite les travailleurs et on trompe le peuple laborieux». Le Bund appelait ses membres à se tenir à l’écart des «centaines de petites créatures immondes qui émergent du cadavre pourri du sionisme et rampent vers le prolétariat pour le faire dévier de la voie de la lutte des classes». [4]

L’hostilité des socialistes à l’égard du sionisme était dans une large mesure partagée par de larges pans de l’intelligentsia russe qui, comme l’écrit Goldstein, «attaquait le mouvement sioniste et abhorrait ses idées. La plupart d’entre eux souhaitaient sa disparition. Les motifs et les raisons du front antisioniste unanime de l’intelligentsia russe […] étaient enracinés dans le rationalisme qui déterminait la théorisation générale de l’intelligentsia au début du vingtième siècle. Pour beaucoup, le sionisme était encore une forme d’utopie, liée à la nostalgie de Sion et à la pensée eschatologique juive en dehors du monde rationnel et intellectuel. Herzl et ses semblables en Europe occidentale étaient considérés comme des alliés de l’orthodoxie juive plutôt que comme des héritiers des Lumières occidentales. [5]

L’antisionisme de toutes les factions du mouvement socialiste a empêché les sionistes de faire des percées sérieuses dans la classe ouvrière. «Dès le début, écrit Goldstein en conclusion de son essai historique, le mouvement sioniste a attiré principalement des membres de la classe moyenne juive.» [6]

Les sionistes n’ont jamais acquis la base de masse nécessaire à la réussite de leur projet de colonisation réactionnaire jusqu’à ce que la catastrophe de l’Holocauste mette à leur disposition plusieurs centaines de milliers de personnes désespérément persécutées et apatrides, survivantes du génocide nazi.

Collaboration des sionistes avec les nazis

Aucune période de l’histoire – antérieure à la fondation d’Israël en 1948 – n’a autant mis en évidence le caractère réactionnaire du sionisme et sa prétention frauduleuse à représenter les intérêts du peuple juif que sa conduite au cours des années 1930. L’ampleur des transactions politiques et commerciales entre les nazis et les sionistes a été largement documentée par les historiens. La plupart des ouvrages les plus importants sur ce sujet ont été écrits par des historiens juifs, dont les plus renommés sont Saul Friedlander et Tom Segev.

Au lendemain de l’accession d’Hitler au pouvoir, les organisations sionistes étaient enclines à collaborer avec les nazis, arguant même que le nazisme et le sionisme étaient tous deux des mouvements nationaux dont les principes “völkisch” étaient compatibles.

S’opposant à des manifestations de masse ou à un boycott économique, les représentants sionistes d’Allemagne et de Palestine rencontrent des représentants du Troisième Reich et concluent le 27 août 1933 un accord financier, connu sous le nom de Haavarah, qui, comme l’explique Friedlander, «permet aux émigrants juifs de transférer indirectement une partie de leurs biens et facilite l’exportation de marchandises de l’Allemagne nazie vers la Palestine». [7]

Friedlander ajoute:

L’un des principaux avantages que le nouveau régime espérait tirer de Haavarah était une brèche dans le boycott économique juif étranger de l’Allemagne. Les organisations sionistes et les dirigeants du Yishuv (la communauté juive de Palestine) ont pris leurs distances par rapport à toute forme de protestation de masse ou de boycott afin d’éviter de créer des obstacles aux nouveaux accords. Même avant la conclusion de l’accord de Haavarah, cette «coopération» prend parfois des formes bizarres. Ainsi, au début de l’année 1933, le baron Leopold Itz Edler von Mildenstein, un homme qui deviendra quelques années plus tard chef de la section juive du SD (le Sicherheitsdienst, ou service de sécurité, la branche de renseignement de la SS dirigée par Reinhard Heydrich), est invité avec sa femme à visiter la Palestine et à écrire une série d’articles pour Der Angriff, le journal de Goebbels. C’est ainsi que les Mildenstein, accompagnés de Kurt Tuchler, membre éminent de l’organisation sioniste berlinoise, et de son épouse, visitent des colonies juives en terre d’Israël. Les articles très positifs, intitulés «Un nazi visite la Palestine», sont dûment publiés et, pour marquer l’occasion, un médaillon spécial est coulé avec une croix gammée d’un côté et une étoile de David de l’autre.

Le 22 juin 1933, les dirigeants de l’Organisation sioniste pour l’Allemagne envoient un mémorandum à Hitler, dans lequel ils déclarent:

Le sionisme croit que la renaissance de la vie nationale d’un peuple, qui se produit actuellement en Allemagne en mettant l’accent sur son caractère chrétien et national, doit également se produire au sein du peuple juif. Pour le peuple juif aussi, l’origine nationale, la religion, le destin commun et le sentiment d’être unique doivent être d’une importance décisive pour son existence. Cela exige l’élimination de l’individualisme égoïste de l’ère libérale et son remplacement par un sens de la communauté et de la responsabilité collective.

Plus tard, les apologistes des sionistes tenteront d’expliquer ces déclarations et la Haavarah comme des mesures de survie prises dans des conditions désespérées, comme si le triomphe du fascisme justifiait la collaboration. En fait, la réponse des sionistes à la persécution brutale des Juifs par les nazis, et même à leur assassinat, a été déterminée par le calcul de son effet sur les perspectives d’émigration juive en Palestine. Comme l’a déclaré David Ben-Gourion, le chef du mouvement sioniste, dans une déclaration tristement célèbre:

Si je savais qu’il était possible de sauver tous les enfants [juifs] d’Allemagne en les transportant en Angleterre, mais seulement la moitié d’entre eux en les transportant en Palestine, je choisirais la seconde solution – parce que nous ne sommes pas seulement confrontés au décompte de ces enfants, mais au décompte historique du peuple juif. [8]

David Ben-Gurion en 1959 [Photo: Fritz Cohen]

Ben-Gourion a également exprimé la crainte, à la suite du pogrom de la Nuit de Cristal, que cet événement ne suscite une sympathie internationale pour le sort des Juifs, ce qui amènerait plusieurs pays à assouplir leurs restrictions à l’immigration et à offrir ainsi aux Juifs d’autres possibilités que la Palestine.

Le sionisme contre les Lumières : La métaphysique de l’irrationalisme nationaliste

Cependant, la sympathie exprimée par les organisations sionistes à l’égard du nazisme ne peut être simplement expliquée comme une manifestation de lâcheté et d’opportunisme tactique grotesque. Le sionisme, né du colonialisme impérialiste et ennemi du socialisme et d’une conception scientifique de l’histoire et de la société, s’est nécessairement appuyé sur les éléments les plus réactionnaires de la politique et de l’idéologie nationalistes.

À une époque où la force motrice du progrès social était devenue la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme et l’État national bourgeois, le sionisme a fondé son programme sur la glorification du principe national en tant que fondement essentiel de l’existence juive. Toutes les conceptions de l’histoire, issues des Lumières et des mouvements socialistes ultérieurs, qui sapaient le principe de l’exclusivité nationale – en particulier celles qui, sur la base de la science et de la raison, considéraient l’identité nationale comme un phénomène historiquement limité et transitoire, lié à une étape spécifique du développement des forces productives et de leur relation avec le marché mondial – étaient ainsi dénoncées comme incompatibles avec le sionisme, non seulement en tant que programme politique, mais aussi en tant qu’expression unique de l’identité juive. Nier la légitimité du sionisme, c’est donc nier le droit des Juifs à l’existence.

De là découle l’affirmation insidieuse selon laquelle l’opposition au sionisme, même si l’opposant est juif, est antisémite. Dans un livre intitulé «Anti-Semitism and its Metaphysical Origins», publié en 2015 par Cambridge University Press, le professeur David Patterson – professeur d’histoire au Ackerman Center for Holocaust Studies de l’université du Texas à Dallas – justifie cette calomnie en s’appuyant sur une défense du mythe religieux et de l’irrationalisme. Il affirme que la source de l’antisémitisme moderne doit être retracée jusqu’au siècle des Lumières et, en particulier, jusqu’à la philosophie d’Emmanuel Kant. Il écrit:

Les doctrines des Lumières ont été engendrées par un mode de pensée intrinsèquement antisémite: pour être fidèle à elle-même, la philosophie des Lumières doit être antisémite. Si la liberté humaine réside dans l’autonomie humaine, et si l’autonomie humaine réside dans le fait d’être auto-législateur, comme le soutient Kant, alors on se rend compte que rien ne menace plus l’autonomie humaine auto-législatrice que la Voix du mont Sinaï, la Voix qui sape le point de vue moderne que Kant épouse et que le monde a adopté aujourd’hui.

Patterson ajoute:

En effet, si l’on adopte la prémisse des Lumières selon laquelle il ne peut y avoir de peuple à part, mais seulement une humanité universelle fondée sur la raison, alors on doit nécessairement adopter une position antisémite [...] En perdant la paternité de Dieu, nous perdons la fraternité de l’humanité: une fois que Dieu est superflu, l’être humain l’est aussi. L’État juif est donc non seulement superflu, mais dangereux. Pour l’intellectuel antisioniste de gauche, l’histoire moderne de la mise à l’écart de Dieu culmine dans la suppression de l’État sioniste de la carte.

Ces mots ne figurent pas dans un livre de poche chrétien évangélique fondamentaliste du type de ceux qui sont largement vendus dans les pharmacies américaines. Ils ont été publiés sous l’imprimatur de Cambridge University Press, l’une des maisons d’édition les plus prestigieuses au monde.

L’assaut contre Gaza, épicentre de la barbarie impérialiste

Cela témoigne non seulement du caractère totalement réactionnaire du sionisme, mais aussi de la putréfaction politique, sociale, intellectuelle et morale très avancée d’un système capitaliste enraciné dans le système de l’État national. C’est là que réside la signification plus large de la solidarité intransigeante de toutes les puissances impérialistes avec l’État israélien. Il y a, bien sûr, des intérêts géopolitiques pragmatiques qui déterminent le soutien des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN à la guerre d’Israël contre le peuple palestinien.

Mais ce front uni contre les Palestiniens repose sur la reconnaissance du fait que leurs aspirations démocratiques, qui nécessitent la dissolution de l’État israélien existant et la création d’une nouvelle fédération binationale, menacent non seulement les intérêts de l’impérialisme au Moyen-Orient, mais aussi toute la structure étatique historiquement obsolète de la géopolitique impérialiste et du règne capitaliste.

Ni l’oppression du peuple palestinien ni, d’ailleurs, la question historique et toujours très réelle de l’antisémitisme ne peuvent être résolues dans le cadre du système capitaliste et de ses États-nations. En créant l’État israélien, l’impérialisme n’a pas résolu le «problème juif». Il a exploité et profité de l’immense tragédie de l’Holocauste – l’un des plus grands crimes de l’impérialisme – à ses propres fins.

La concentration sur la guerre à Gaza est certainement justifiée par l’ampleur du crime commis contre son peuple. Mais la lutte pour mettre fin au génocide justifie et confère la plus grande urgence à la perspective centrale et à la raison d’être du Comité international de la Quatrième Internationale: la lutte pour la révolution socialiste mondiale. Il n’y a pas d’autre réponse à la crise terminale du système capitaliste. Pour résumer la signification de la scission de 1953 au sein de la IVe Internationale, Cannon écrivait: «Ce qui est en jeu est le développement de la révolution internationale et de la transformation socialiste de la société».

Confronté au génocide à Gaza, à la guerre en Ukraine, au danger d’escalade vers une guerre nucléaire mondiale, aux attaques contre les droits démocratiques, aux niveaux stupéfiants d’inégalité sociale, à la propagation incontrôlée de la pandémie et à la menace d’un désastre écologique, le Comité international se tourne vers le mouvement de masse en expansion des travailleurs et des jeunes dans le monde entier et déclare avec insistance: «La tâche à laquelle vous êtes confrontés est le développement de la révolution internationale et la transformation socialiste de la société».

C’est pourquoi vous devez rejoindre et construire les sections du Comité international de la Quatrième Internationale dans le monde entier.

(Article paru en anglais le 20 novembre 2023)

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