Une réunion de crise à Bruxelles s’est effondrée dimanche après que les responsables de l’Union européenne (UE) et de la Grèce ont échoué à se mettre d’accord sur quelles mesures d’austérité la Grèce devrait adopter pour obtenir des prêts supplémentaires.
Les négociations étaient « difficiles », selon des sources de l'UE, qui ont indiqué que « la discussion se poursuivra dans l'Eurogroupe ». Deux milliards d’euros d'économies sont encore à convenir entre l’UE et le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, du parti Syriza (« Coalition de la gauche radicale »). Athènes s'opposerait à des plans pour réduire de nouveau les retraites et les salaires tout en augmentant les impôts régressifs à valeur ajoutée (TVA).
Tout en traitant la position de l’UE d' « irrationnelle » et d'« intransigeante, » les responsables grecs ont indiqué qu'ils continueraient à chercher un accord sur un plan d’austérité. « La délégation du gouvernement grec est prête à achever les négociations pour parvenir à un accord mutuellement acceptable », a déclaré le vice-premier ministre grec Yiannis Dragasakis, depuis Bruxelles.
Toutefois, les perspectives de parvenir à un accord diminuent rapidement, car l’UE menace des mesures toujours plus drastiques pour forcer Athènes à obtempérer avant l'expiration légale du plan de sauvetage de la Grèce le 30 juin. Ce jour-là, l’État grec doit aussi rembourser un prêt de 1,6 milliards d’euros au Fonds monétaire international (FMI), ce qui lui serait impossible sans accès aux fonds de sauvetage de l'UE.
Lors de sa réunion du 11 juin à Bratislava,l'Eurogroupe a pour la première fois discuté formellement d'un « Plan B », dans laquelle les autorités européennes couperaient le crédit à la Grèce. Cela acculerait l’État grec à la faillite et couperait le flux de crédit aux banques grecques, provoquant un effondrement du système financier grec.
« Il y a une prise de conscience dans les institutions [BCE, FMI, Commission européenne] qu’il faut se préparer à un défaut de paiement de la Grèce, » a déclaré un fonctionnaire de l’UE au Monde.
Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand et chef du Parti social-démocrate (SPD), a dénoncé Syriza dans Bild : « Les théoriciens des jeux au gouvernement grec sont en train d’hypothéquer l’avenir de leur pays. (...) L’Europe et l’Allemagne ne céderont pas au chantage. Et nous ne permettrons pas à un gouvernement partiellement communiste de faire payer ses promesses électorales exagérées aux travailleurs allemands et à leurs familles. »
Une décision de l’UE de faire basculer la Grèce en défaut de paiement minerait non seulement l'économie grecque, mais aussi l’architecture politique du capitalisme européen, y compris l’euro et l’UE elle-même. Berlin se préparerait à une situation où la Grèce répond à l’effondrement de son système financier en réintroduisant sa propre monnaie nationale, quittant ainsi la zone euro.
Les élites dirigeantes européennes savent qu’une telle crise pose le risque d’explosions sociales dans la classe ouvrière. Berlin craint la mobilisation de « foules énormes » et l’éruption de « manifestations violentes » en Grèce, écrit le Financial Times, et que la Grèce ne se tourne vers Moscou pour une aide financière. Le FT ajoute que la chancelière, Angela Merkel, « ne veut pas que les États membres de l’UE et de l’OTAN sombrent dans le désordre alors que les Balkans sont fragiles, et que la Russie veut accroître son influence. »
Néanmoins, l’UE intensifie ses menaces drastiques contre la Grèce, avec des conséquences vastes et imprévisibles. Selon Holger Schmiedling de Berenberg Bank, « Les prêteurs font signe de multiples façons... qu’ils ne comptent pas lâcher prise. Que cela soit ou non en partie une tactique de négociation, de tels préparatifs pourraient avoir des effets imprévus ».
L’assaut téméraire du capital financier européen souligne la faillite de la perspective de Syriza de sauver le capitalisme grec par des négociations dans le cadre de l’UE. Quelques semaines à peine après son élection, Syriza a répudié ses promesses de campagne d'en finir avec l’austérité. Tsipras a continué les programmes de l’UE, sans faire appel à la solidarité de la classe ouvrière européenne contre l'austérité, cherchant tout au plus à modifier légèrement la politique de l'UE.
Les menaces de l’UE aidaient Syriza à justifier cette capitulation, et Syriza a pris soin de présenter sa politique comme une lutte pour défendre les intérêts grecs, tout en négociant des attaques sur la classe ouvrière avec les bureaucrates de l’UE.
Au départ, ce combat simulé était conçu pour semer la confusion parmi les travailleurs et contrecarrer leur opposition à l’austérité. A présent, les menaces de forcer un défaut de paiement et une sortie de la zone euro par la Grèce risquent de devenir une prophétie autoréalisatrice.
La semaine dernière, le Financial Times a publié un compte-rendu détaillé de l’effondrement des pourparlers d’urgence le 3 juin entre Tsipras et président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
« Après quatre heures de discussion, M. Juncker pensait avoir un accord : M. Tsipras avait accepté de nouveaux objectifs budgétaires plus sévères qu'il n'aurait voulu, mais inférieurs au programme existant. M. Tsipras refusait l’augmentation des impôts sur l’énergie et beaucoup de coupes dans les retraites, mais il avait accepté de revenir avec une contre-proposition qui identifierait des coupes ailleurs », écrit le FT. (Voir aussi: Dans des pourparlers à Bruxelles, la Grèce se rapproche d’un accord d’austérité avec l’UE)
Cet accord s’est vite détricoté, cependant. Tsipras est revenu à une « tempête politique » en Grèce. Face à l’opposition à l’intérieur de son propre gouvernement, Tsipras a prononcé un discours au parlement pour dénoncer l’accord comme « absurde » et même « irrationnel, du chantage. »
Depuis lors, la position de l'UE durcit. Au sommet du G7 le 6 au 7 juin, Obama aurait critiqué Athènes, faisant part aux dirigeants européens de sa « sympathie » quant à leurs difficultés avec Syriza, selon le FT.
Certaines sources de presse affirment qu’un défaut de la Grèce serait presque inévitable, vu la difficulté d’obtenir un accord d’ici le 30 juin dans le parlement allemand et d’autres pays de la zone euro pour une renégociation des termes du plan de sauvetage grec. « Cette proposition de début juin est la seule qui ait une chance de passer la barre d’un eurogroupe à dix-neuf membres de la zone euro », a déclaré une source proche des négociations au Monde.
La seule façon d’avancer est la mobilisation indépendante de la classe ouvrière à travers l’Europe contre l’austérité, dans une lutte révolutionnaire contre l’UE et Syriza.
Aucune confiance ne peut être accordée aux factions à l’intérieur du gouvernement grec qui veulent une positions plus ferme contre l’UE. Le parti d’extrême-droite Anel (Grecs indépendants) qui gouvernent en coalition avec Syriza et la « Plateforme de Gauche » au sein de Syriza indiquent tous deux qu’ils accepteraient une rupture avec l’UE et un « Grexit » qui réintroduirait la devise grecque, la drachme.
Cette stratégie est réactionnaire, visant avant tout à bloquer l’opposition de la classe ouvrière. Elle appauvrirait davantage les travailleurs en payant leurs salaires non en euros, mais en drachmes, dont la valeur chuterait face à l’euro sur les marchés financiers. Ces plans pour revenir à la drachme impliquent l'installation d'un régime militarisé en Grèce.
Auparavant, les discussions d’un tel scénario ont été signalées dans le quotidien grec Kathimerini, qui écrivait que si Athènes décidait de quitter l’euro, ce serait un week-end, lorsque les marchés boursiers étaient fermés. Les dirigeants civils chercheraient à limiter « les troubles civils, » et la Grèce « déploierait son armée dès tôt le matin du samedi et fermerait ses frontières, se préparant à estamper des euros en drachme comme solution provisoire, une fois l’annonce publique faite. »
(Article paru d'abord en anglais le 15 juin 2015)