Avant la réunion d’hier des ministres des Finances de la zone euro, la Banque de Grèce a averti que le pays risque un effondrement économique imminent.
Des mois de négociations entre le gouvernement Syriza et ses créanciers internationaux, l’Union européenne (UE), la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI), sur les termes d’un programme d’austérité, ont été rompus abruptement le week-end dernier. En cours depuis février, les négociations portaient sur la prochaine tranche de 7,2 milliards d’euros conditionnée à l'imposition par Syriza de nouvelles coupes budgétaires. Le programme de renflouement existant expire le 30 juin et Athènes doit encore faire un versement de 1,6 milliard d’euros au FMI.
Athènes pourrait être contraint au défaut de paiement en quelques semaines. Le mercredi, le négociateur de Syriza Euclid Tsakalotos a déclaré sans détours, « Pour le moment nous n’avons pas l’argent ». Syriza a déjà remboursé plus de 13 milliards € depuis son arrivée au pouvoir. Cependant, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis a déclaré que son gouvernement ne déposerait pas de nouvelles propositions lors de la réunion de l’Eurogroupe d’aujourd’hui.
La Banque centrale de Grèce a ouvertement prévenu dans son communiqué mensuel régulier, que : « l’incapacité à parvenir à un accord... marquerait le début d’un processus douloureux qui conduirait d’abord à un défaut de paiement de la Grèce et, finalement, à la sortie de la zone euro, et, en toute probabilité, à la sortie de l’Union européenne ».
Dans un langage austère, la déclaration a averti que sans un accord, une « crise de la dette gérable... ferait boule de neige et deviendrait une crise incontrôlable, avec de grands risques pour le système bancaire et la stabilité financière. Une sortie de l’euro ne ferait qu’aggraver l’environnement déjà défavorable, la crise aïgue des taux de change qui suivrait produirait une inflation galopante. »
La banque continue, « Tout cela impliquerait une profonde récession, une baisse spectaculaire des niveaux de revenu, une augmentation exponentielle du chômage et un effondrement de tout ce que l’économie grecque a réalisé au cours des années de son appartenance à l’UE, et en particulier à sa zone euro. De sa position parmi les membres principaux de l’Europe, la Grèce se verrait reléguée au rang d’un pays pauvre d'Europe du Sud. »
Le Financial Times a noté que cette déclaration marque « la première fois qu’une autorité grecque a publiquement évoqué la possibilité que le pays puisse faire face à l’éjection du club de 28 pays qu'a rejoint Athènes peu après son retour à la démocratie en 1981. »
L’intervention de la banque centrale a été politiquement dirigée contre Syriza, dont le chef, le Premier ministre Alexis Tsipras, demande un assouplissement de certaines mesures d’austérité exigées par l’Union européenne avant de les imposer à la classe ouvrière. Cela souligne le soutien qui existe dans de puissantes sections de la classe capitaliste grecque pour une politique de capitulation aux exigences extrêmes de l’UE.
Yannis Stournaras, le President de la Banque de Grèce, a conduit l’application des politiques d’austérité sévères en tant que ministre des Finances (2012-2014) dans le gouvernement conservateur de la Nouvelle Démocratie (ND). Il est également membre du Conseil des gouverneurs du FMI.
Syriza a publié une déclaration dénonçant Stournaras, qui : « non seulement dépasse les limites de son rôle institutionnel, mais tente de contribuer à la création d’un cadre asphyxiant pour les initiatives et les capacités de négociation du gouvernement grec. »
Alimenté par l’intensification des craintes d'un "Grexit" (sortie de la Grèce de la zone euro), le marché boursier a chuté de nouveau à Athènes. À la fermeture, il était en baisse de 3,15 pour cent, soit une baisse de 17,3 pour cent seulement dans les quatre dernières séances. Les banques grecques, coupées de l’argent des marchés internationaux il y a des mois par la BCE et confrontées à l'effritement de leurs dépôts, ont vu leurs valeurs diminuer en moyenne de 1,38 pour cent. Leur valeur globale a chuté de 27 pour cent la dernière semaine.
Les dirigeants de la plate-forme de gauche de Syriza, un amalgame des groupes de pseudo-gauche, qui craignent que Syriza perde toute crédibilité si elle accepte les demandes des institutions, a appelé à des manifestations nationales contre la troïka le mercredi soir. Parlant au Guardian, Stathis Kouvelakis, un membre de la plate-forme de gauche du comité central du Syriza, a déclaré : « Soit Tsipras commet un suicide politique et accepte ces mesures, soit il prononce le grand “non”. »
Des milliers de personnes ont écouté l’appel de Syriza et sont sortis pour manifester devant le Parlement grec à Athènes. Cependant, ceci n’est qu’un pâle reflet de l’opposition à de nouvelles mesures d’austérité de l’UE dans la classe ouvrière grecque, lequel a conduit au rejet du gouvernement ND précédent et à l’effondrement du vieux Parti social-démocrate Grec, le Pasok.
Auparavant, un autre dirigeant de la Plate-forme de gauche, Stathis Leoutsakos, a évoqué la possibilité que des forces armées soient mobilisées pour faire respecter les décrets de l’UE, en disant : « Les propositions faites par les prêteurs ne peuvent passer qu’avec des chars et si les prêteurs veulent les faire passer, ils n’ont qu’à trouver les chars. » Il a fait marche arrière immédiatement, en ajoutant : « Je ne veux pas dire des chars dans le sens classique du terme. Aujourd’hui les chars ont été remplacés par un jeu de communication qu’ils jouent avec une grande habileté dans la zone euro. »
Comme la Grèce se rapproche du défaut de paiement, avec la menace du chaos économique à travers le continent, les divisions au sein de l’élite dirigeante européenne sur la façon de gérer une crise générale font surface.
Le Premier ministre grec et dirigeant de Syriza, Alexis Tsipras, a reçu la visite du chancelier autrichien Werner Faymann hier. Faymann parle au nom de ceux au sein des cercles dirigeants qui veulent finaliser un accord d’austérité en donnant à Tsipras quelques concessions mineures, qu'il pourrait alors tenter de vendre à la population, même si elle l’a élu sur la base de promesses de mettre fin à toutes les mesures d’austérité.
Faymann a justifié sa visite en déclarant qu’il voulait « éviter une catastrophe. » Des exigences de l’UE, de la BCE et du FMI sur la Grèce, a-t-il dit, « Je sais qu’il y a eu un certain nombre de propositions, également venant des institutions, que je ne trouve pas correctes. »
Les institutions appellent à maintenir les coupes brutales, mais en Grèce il y a un « chômage élevé, 30-40 pour cent (sans) aucune assurance maladie et en plus une augmentation de la TVA sur les médicaments. Les gens dans cette situation difficile ne peuvent pas comprendre cela. »
À Athènes, il a appelé à la poursuite des négociations en insistant, « Pour que l’Europe soit plus forte, elle doit faire preuve de solidarité et de soutien à un pays qui en a besoin. »
The Guardian a décrit l’intervention de Faymann comme « une dernière tentative de mettre fin à l’impasse avec les créanciers internationaux » avant la réunion de l'Eurogroupe.
Dans le Financial Times, le chroniqueur, Martin Wolf, prévient, « ni les Grecs ni leurs partenaires ne doivent imaginer une rupture nette s'ils quittent l’euro. » Citant l’effondrement économique de la Grèce et le chômage de masse qui en résulte depuis cinq ans, il a déclaré : « Un tel ajustement brutal aurait mis en miettes la politique de n’importe quel pays. Les Européens ont maintenant affaire à Syriza à cause de cette calamité. »
Qu’un accord soit atteint « semble maintenant de plus en plus improbable, » a mis en garde Wolfe, ajoutant : « Ce ne serait pas la fin de l’histoire, cependant. Les Européens ne pourront pas quitter la partie. Que la Grèce reste dans l’euro ou le quitte, la plupart des défis qui se poseront resteront les mêmes. Les Européens devront toujours admettre qu’ils ne récupéreront pas une grande partie de leur argent ; et ils doivent toujours aider à éviter un effondrement grec. »
Faymann, Wolf et Cie ont une position opposée à d’autres sections de l’élite dirigeante Européenne qui exigent une capitulation totale et humiliante de Syriza, dont les porte-parole les plus puissants font partie de l’élite dirigeante allemande.
Andreas Scheuer, secrétaire général de l’Union sociale chrétienne allemande (CSU), le parti frère de la CDU d'Angela Merkel, a déclaré : « Apparemment, le gouvernement grec n’a pas encore réalisé la gravité de la situation. Ils se comportent comme des clowns assis à l’arrière de la salle de classe, même s’ils ont reçu des avertissements explicites de tous les côtés qu’ils pourraient redoubler. »
La semaine dernière, il fut admis que les dirigeants européens ont commencé à discuter des scénarios impliquant une sortie de la Grèce de l’euro.
Un accord n'étant pas attendu de la réunion d'aujourd'hui, des plans ont été évoqués pour un autre sommet des chefs de gouvernement de la zone euro, le dimanche. Selon le FT, citant des responsables de l’UE, les préparatifs en « ont été presque finalisés, » y compris « les travaux préparatoires sur le contrôle des capitaux pour éviter un effondrement du secteur financier grec. »
L'auteur recommande :
La voie à suivre pour la classe ouvrière en Grèce[17 juin 2015]
(Article paru d'abord en anglais le 18 juin 2015)