Sept travailleurs immigrés sont morts et trois autres ont été blessés par un incendie dévastateur dimanche au Prato, ville au Nord de Florence, capitale de la Toscane. Toutes les victimes sont d'origine chinoise. Elles ont été prises au piège durant leur sommeil, le feu s'est propagé à travers le réseau de compartiments en carton du dortoir improvisé aux abords de l'usine où ils dormaient.
Ces travailleurs étaient employés dans des conditions de sécurité et de travail déplorables qui sont le lot commun de tous ceux qui travaillent dans le Macrolotto, la zone industrielle de cette ville. Les usines textiles qui emploient principalement des travailleurs immigrés dans cette zone fournissent des produits à de nombreuses marques italiennes très connues.
Un responsable de la police qui n'était pas en service à vu le feu et déclenché l'alarme, il décrit la scène : « Le pire était d'entendre les cris des gens pris au piège à l'intérieur. J'ai fait ce que j'ai pu, j'ai tiré deux personnes vers l'extérieur... je pense que les flammes les ont surpris dans leur sommeil. »
Un responsable des pompiers cité par le Corriere della Sera a déclaré qu'il y a eu des violations claires des règles de sécurité dans l'usine et des preuves que les dortoirs n'avaient pas fait l'objet d'un permis de construire.
La cause précise de l'incendie n'a pas encore été déterminée, mais l'incendie a entraîné l'effondrement d'une partie du toit sur les endroits où dormaient plus d'une dizaine de travailleurs. Les conditions de vie et de travail atroces qui dominent dans toute la zone industrielle du Prato étaient bien connues des autorités. Les responsables locaux ont dit que ce n'était qu'une question de temps avant qu'un accident pareil ne se produise.
Le Prato a subi des transformations ces dernières années. La ville était renommée pour son industrie textile, mais avec l'intensification de la compétition due à la mondialisation de l'industrie, les grands noms de l'industrie du vêtement se sont de plus en plus tournées vers des ateliers qui emploient des chinois dans la région pour maximiser leurs profits.
Par le passé, les compagnies occidentales délocalisaient leur travail vers des plates-formes à la main d'oeuvre bon marché en Asie et notamment en Chine. Maintenant, la mondialisation du marché du travail rend de plus en plus possible à ces mêmes compagnies d'établir des enclaves de travailleurs immigrés dans leur pays et d'y reproduire les mêmes conditions de travail horribles que là-bas.
Commentant cette évolution, le site Web SweatFree Communities écrit : « Les meilleures maisons de la mode italienne s'appuient de plus en plus sur une armée d’immigrés chinois à bas prix qui a transformé le cœur industriel du textile de Toscane en la Petite Chine de l'Italie. »
Ce site Web cite un travailleur italien du textile qui a créé sa propre usine dans la région après s'être fait licencier. Il indique que la marque de luxe Dolce & Gabbana utilise son usine et ses travailleurs pour répondre à la demande de sac à mains.
« Ils m'envoient les matériaux et mon équipe coud, colle et finit les sacs. Je paie mes 100 ouvriers deux livres britanniques de l'heure [2,4 euros], mais ils sont contents. Ils dorment dans un dortoir au-dessus de l'atelier et je les nourris. D&G vends les sacs jusqu'à 1000 livres. »
Parmi les autres grandes marques qui opèrent dans la région, on compte Gucci et Prada. Durant la décennie écoulée, un réseau dense de plus de 2000 usines a été établi dans les zones industrielles du Prato, d'après certaines sources. Elles emploient jusqu'à 50 000 travailleurs immigrés.
Des enregistrements vidéos des conditions de travail dans les usines du Prato montrent des dizaines de travailleurs chinois courbés sur des machines à coudre. Les travailleurs doivent travailler entre 10 et 15 heures par jour. La plupart des travailleurs n'ont pas de papiers d'immigration en règle et sont de fait à la merci des propriétaires des usines. Ils sont nourris et logés, mais leur revenu est complètement aléatoire. Si le propriétaire refuse de les employer plus longtemps, ils risquent l'expulsion immédiate du pays.
Une vidéo prise durant une descente de police dans une des usines montre un coin du sol de l'usine délimité par des planches avec des lits communs où les travailleurs dorment la nuit.
Outre le fait d'être contraints à travailler comme des esclaves, les travailleurs immigrés sont confrontés au racisme de l'élite politique et patronale italienne, qui cherche de plus en plus à utiliser les travailleurs étrangers comme boucs émissaires des conséquences sociales désastreuses de leur propre politique d'austérité.
Commentant l'afflux de travailleurs chinois dans la ville, le président de la Chambre de commerce du Prato, Robert Cenni, avait déclaré il y a quelques années : « Nous les avons sous-estimés. Ce qu'ils font ici, ça s'appelle de la concurrence déloyale. Il nous faut une opération comme en Irak pour les garder sous contrôle. »
En réaction aux morts de dimanche, le maire du Prato, Roberto Cenni, fabricant de textiles, a déclaré qu'il y avait « des milliers de situations potentiellement tragiques comme celle-ci » dans la zone industrielle autour de la ville. Cenni a dit qu'il avait été en contact avec le ministre de l'Intérieur Angelino Alfano pour combattre le « quartier parallèle » qui s'est développé autour des ateliers.
Les paroles de Cenni constituent une menace contre les travailleurs immigrés de la région. Alfano, qui a récemment rompu avec le parti Peuple de la Liberté de l'ex-Premier ministre Silvio Berlusconi, a déjà clairement montré que le racisme et la persécution des travailleurs immigrés seront des axes centraux de la politique de son nouveau parti (le Nouveau centre-droit).
Le Mouvement cinq-étoiles de Beppe Grillo, qui est entré au Parlement pour la première fois au début de l'année, est bien connu pour son agitation contre les immigrés. (Lire : Beppe Grillo fait de l'agitation contre les immigrés).
La principale force politique de la Toscane, est cependant le Parti démocratique (PD), dirigé par le maire de Florence, Matteo Renzi, qui est candidat à la direction nationale du parti. Une affaire récente concernant une ex-secrétaire régionale du PS au Prato, Caterina Marini, a clairement indiqué que l'hostilité affirmée envers les immigrés domine également dans ce parti.
Après un incident qui impliquait sa sœur en juin, Marini a envoyé un e-mail dans lequel elle lançait une diatribe contre un « ramassis de voleurs étrangers qui méritent de mourir. » Quand on lui a demandé de retirer ses commentaires racistes, Marini a refusé de le faire, déclarant qu'à son avis les questions de criminalité et d'immigration sont intimement liées.
Les syndicats sont dans la poche du PD et des grands fabricants de textile et comptent bien y rester. En mars, les dirigeants des trois plus grands syndicats italiens ont signé un « pacte historique » avec la Fédération des employeurs italiens pour réguler les conditions de travail dans les usines. Ils ont clairement dits à plusieurs reprises que, en dépit des critiques occasionnelles, ils continueront à soutenir les mesures d'austérité introduites par le premier ministre PD Enrico Letta.
(Article original paru le 3 décembre 2013)