En 1979, le jour des élections, le WRP s’était vanté de pouvoir présenter aux
élections suivantes assez de candidats pour pouvoir constituer son propre
gouvernement. Mais, lorsque Thatcher décida des élections anticipées en mai
1983, les lecteurs du News Line qui se souvenaient de ces projets
ambitieux étaient, peut-être, surpris d’apprendre dans l’édition du 10 mai 1983,
que « le Workers Revolutionary Party est fier d’annoncer qu’il va présenter
21 candidats dans diverses circonscriptions d’Angleterre, d’Ecosse et du Pays de
Galles » - un tiers donc seulement des candidats présentés quatre ans
auparavant. Le WRP ne fournit toutefois aucune analyse de ce changement
important dans sa stratégie politique.
Toutes les déclarations publiées par le WRP pendant cette campagne prouvent
qu’il n’avait absolument rien appris du fiasco de 1975-1979. En mai-juin 1983,
sa ligne politique était encore plus éclectique et plus contradictoire que dans
la campagne électorale précédente. Le News Line du 10 mai 1983 contient
une déclaration du Comité politique intitulée « Vote de classe pour
jeter les Tories dehors ».Elle constatait que Thatcher, dans le cas
d’une réélection, « mettrait un programme en vigueur visant à renverser le
cours de l’histoire et à ramener la Grande-Bretagne aux débuts du dix-neuvième
siècle. » La déclaration contenait en outre cette mise en garde :
« La classe dirigeante se voit placée devant la tâche d’anéantir physiquement
les syndicats, d’imposer des salaires d’esclave dans l’économie et de détruire
les services sociaux ainsi que le NHS [National Health Service, le Service
national de santé].
« Elle ne peut plus tolérer aucune opposition politique. Les Tories
projettent de promulguer dans un proche avenir des lois abolissant la
contribution financière syndicale au Parti travailliste, de façon à le saigner
financièrement. En même temps, les syndicats seront condamnés à des amendes en
raison de grèves soi-disant illégales et leurs fonds seront confisqués. »
Incroyable mais vrai : malgré cette analyse, la direction du WRP ne put se
résoudre à un appel énergique pour remettre le Parti travailliste au pouvoir.
Leur ligne principale consistait bien plus à cacher le fait qu’ils fuyaient, à
l’aide de grands discours, devant les tâches immédiates auxquelles était
confrontée la classe ouvrière:
« Nous disons que la réponse à cela, c’est la mobilisation de la classe
ouvrière sous la direction du Workers Revolutionary Party, pour détruire le
système historiquement dépassé du capitalisme et construire une Grande-Bretagne
socialiste avec une économie planifiée sous contrôle et sous direction
ouvrière. »
Il est difficile de dire si les auteurs des déclarations ci-dessus étaient
des idiots, des cyniques, des criminels ou les trois à la fois. D’abord, ils
parlaient d’une mobilisation de la classe ouvrière sous la direction du WRP en
dépit du fait que l’influence du parti ait reculé pendant les quatre années
précédentes de manière spectaculaire au point de n’être plus en mesure que de
présenter un quart seulement des candidats présentés en 1979. Ensuite, il était
incontestable que la classe ouvrière restait dans sa grande majorité
politiquement dominée par la social-démocratie. Le WRP mettait en garde contre
une menace de destruction du mouvement ouvrier en cas de réélection de Thatcher
– et il était clair qu’il n’était pas capable de mobiliser derrière lui une
section de quelque importance de la classe ouvrière – et ne jugeait absolument
pas nécessaire de lutter pour la victoire du Parti travailliste.
Dans la lutte contre le fascisme en Allemagne, Trotsky se battit contre l’ultimatisme
des staliniens face à la social-démocratie et bien que le Parti communiste
ralliât alors plusieurs millions de travailleurs. Mais le WRP ne conduisait que
quelques centaines d’ouvriers – dont quelques dizaines seulement avaient une
fonction quelconque dans les syndicats en tant que délégués syndicaux –et ne
posait aucune revendication au Parti travailliste.
C’était là du crétinisme gauchiste – sénile dans le cas de Healy. Mais que
dire de la déclaration suivante :
« Les élections législatives ne peuvent pas résoudre ces questions
historiques. Afin d’atteindre les buts de la révolution socialiste, il faut une
action de classe sous la direction du WRP et il faut détruire l’Etat.
« Les quatre semaines qui viennent seront néanmoins décisives pour l'ensemble
de la classe ouvrière – quatre semaines de discussion politique intensive dans
toute la classe ouvrière durant lesquelles le WRP fera usage de son droit
démocratique pour mobiliser, organiser et développer la diffusion de son
quotidien, le News Line. » (souligné dans l’original)
Après avoir lancé la mise en garde que l’existence des organisations
ouvrières était menacée de façon immédiate dans le cas d’une victoire des
Tories, la déclaration constatait incidemment, que le résultat des élections
n’avait pas grande importance. L’essentiel était que le WRP allait être occupé à
discuter intensément pendant quatre semaines. C’était du pur cynisme, car le WRP
ne prenait pas au sérieux ses propres avertissements. Que pouvait-il dire aux
travailleurs pendant ces quatre semaines de discussion : « Votre vie est en
danger, si Thatcher gagne, mais le résultat des élections a peu d’importance ! »
Le seul appel à voter Travailliste parut comme note politique explicative à
la suite d’un texte appelant les travailleurs à voter pour le WRP dans 21
circonscriptions de son choix.
Regardons de plus près le contenu politique de la ligne du WRP pendant les
élections de 1983. Pendant les trois années précédentes, il avait entretenu les
relations les plus étroites avec la gauche travailliste dans le GLC de Londres
et avec certaines sections de la bureaucratie syndicale. En 1981, le WRP avait
insisté sur le fait que la présence d’une majorité travailliste dans le Conseil
municipal de Lambeth était d’une telle importance pour le sort de la classe
ouvrière, qu’elle devait arrêter des grèves et accepter des augmentations
d’impôts pour permettre à ces politiciens travaillistes de conserver leurs
postes. Le WRP insista sur le fait que ces fonctionnaires élus devaient rester
en place pour pouvoir mener la lutte contre les Tories.
Et pourtant, dans une élection nationale où le WRP prédisait des attaques de
grande envergure contre la classe ouvrière dans le cas d’une victoire Tory, le
fait de donner sa voix au Parti travailliste n’avait plus grande importance.
Plus étrange encore était la contradiction suivante : bien que le WRP ait
déjà conclu un accord de fait avec des sections non négligeables du Parti
travailliste et de la bureaucratie syndicale, il n’appelait pas à une lutte
totale pour jeter les Tories dehors – et n’exigeait pas non plus que
Livingstone, Knight et leurs alliés mobilisent les masses sur la base d’une
politique socialiste, ce qui aurait été encore plus important.
Nous en arrivons à l’aspect criminel de la politique du WRP ! Tant que les
Tories restaient au pouvoir, les amis du WRP parmi les politiciens de la gauche
travailliste pouvaient mener une vie tranquille, comme critiques ultra critiques
du gouvernement et déguiser leurs propres trahisons et leur impuissance grâce à
des accusations radicales en apparence, mais insignifiantes en réalité contre
les Tories. Parallèlement à ceci, le WRP pouvait de son côté cultiver à loisir
ses relations opportunistes avec ces bolcheviques de salon, sans avoir besoin de
les démasquer devant les masses. Ces rapports agréables et confortables pour les
deux côtés auraient été menacés par un retour au pouvoir du Parti travailliste.
On ne peut tirer de tout cela qu’une seule conclusion politique : En 1983
le WRP n’était pas le moins du monde intéressé à voir les Travaillistes revenir
au pouvoir. Une victoire des Travaillistes n’aurait « rien signifié de bon »
pour le maintien de leur alliance centriste réactionnaire avec les réformistes
du Parti travailliste et divers bureaucrates syndicaux. Une situation aurait
existé dans laquelle le WRP aurait été obligé de défier ouvertement ses amis
parmi les Travaillistes de gauche ou aurait risqué d’être complètement démasqué
devant la classe ouvrière.
La victoire des Tories en juin 1983 fut pour Healy un soulagement. Il pouvait
retourner à son ancien jeu d’une alliance anti-Tory avec le GLC et des sections
de la bureaucratie syndicale ... contre la classe ouvrière.
Dès que les élections furent passées, Healy retourna à la ligne opportuniste
en faillite, grâce à laquelle il avait transformé le WRP entre 1981 et 1983 en
appendice de la bureaucratie travailliste dans le GLC. Une déclaration du Comité
central du WRP du 11 juin 1983 intitulée « La seule voie en avant après les
élections » expliquait ceci :
« La défense des emplois ira de pair avec la lutte pour défendre le conseil
municipal du Grand Londres (GLC) et les conseils municipaux des six grandes
villes que les Tories se sont engagés à supprimer. Au centre du plan Tory, il y
a la volonté d’éliminer des services sociaux assurés par le gouvernement local
et de licencier les centaines de milliers de travailleurs municipaux qui leur
permettent de fonctionner.
« Ce plan attaque en outre les droits et le niveau de vie des travailleurs
dans les grands ensembles du centre ville. Les conseils municipaux contrôlés par
le Parti travailliste doivent montrer la voie et appeler tous les syndicats et
toutes les organisations municipales à construire des Conseils communautaires
pour organiser une résistance de classe contre la dictature Tory du gouvernement
central.
« Les syndicats dont les droits fondamentaux seront soumis à des attaques
nouvelles et plus sévères encore de la part du gouvernement Tory doivent
participer à cette lutte. » (News Line du 13 juin 1983)
Ce n’était rien de moins qu’une réédition du vieux plan traître consistant à
subordonner toutes les sections de la classe ouvrière à l’Etat et à ses agents
parmi les Travaillistes de gauche. La référence aux syndicats était
particulièrement cynique. Quand Healy disait que les syndicats devaient
participer « à cette lutte, » il voulait dire – comme on l’a vu dans le cas des
travailleurs du métro – qu’ils devaient éviter toute confrontation avec les
gestionnaires travaillistes de l’Etat capitaliste et abandonner la défense de
leurs membres.
Enfin, une appréciation de la campagne électorale du WRP ne saurait être
complète si elle ne mentionnait pas la contribution unique d’Alex Mitchell à une
compréhension du caractère du Parti communiste et du Parti travailliste. Au
cours d’une longue « réflexion » sur les problèmes auxquels se heurta le WRP
dans la « Marche populaire pour l’Emploi » – qui eut lieu au milieu de la
campagne électorale de 1983 – Mitchell parvint à cette profonde découverte :
« Cela nous amène à la division politique centrale entre les réformistes du
Parti travailliste et les staliniens. Les sociaux-démocrates (politiciens
travaillistes) trahissent la classe ouvrière, mais les staliniens le font
consciemment. Ils sont un parti de la trahison organisée contre les intérêts de
la classe ouvrière.(News Line du 16 mai 1983. Tout le passage
est en caractères gras dans l'original.)
Cette observation donne beaucoup à réfléchir : si les politiciens
travaillistes ne trahissent pas consciemment, ne serait-il pas possible de les
convaincre de lutter pour la classe ouvrière, si seulement on pouvait leur faire
reconnaître leurs erreurs ? Et pour ce qui est des staliniens, le commentaire de
Mitchell ne fait que rendre plus étrange sa défense passionnée du contrôle du
Morning Star par le Parti communiste tout juste trois semaines plus tard.
36. « Grisé par le succès » – le Sixième congrès du
WRP
Lorsque les délégués du Sixième congrès du WRP se réunirent à la fin de l’été
1983, ce fut pour se féliciter du résultat de huit années jalonnées de
difficultés et d’erreurs catastrophiques. Le parti qui avait été fondé dix ans à
peine auparavant agonisait déjà politiquement, atteint d’un inguérissable
opportunisme, qu’aucun de ses dirigeants ne voulait diagnostiquer comme tel,
malgré l’évidence des symptômes.
Les documents des perspectives soumis au Sixième congrès révélaient la
dégénérescence presque inimaginable de ce parti et de ses principaux dirigeants.
Ils avaient déjà atteint le stade où ils étaient incapables, non seulement de
faire une analyse politique quelconque, mais encore de concevoir le travail de
leur organisation avec un minimum d’honnêteté. Healy, Slaughter et Banda
vivaient tous et de façon tout à fait consciente dans le mensonge politique,
tentant de cacher aux membres du parti ce qu’ils savaient être la stricte
vérité : le WRP était une organisation compromise et politiquement corrompue,
dont les dirigeants avaient trahi tous les principes pour lesquels ils s’étaient
autrefois battus.
Le document entier était caractérisé par une pauvreté théorique saisissante.
Il ne contenait rien qu’on puisse décemment qualifier d’analyse. Les quelques
paragraphes d’introduction contenaient ce qu’on essayait de faire passer pour
une perspective :
« Les contradictions de l’impérialisme mondial ont complètement et
irrémédiablement disloqué l’économie capitaliste. Cela a contribué à
l’accélération d'une crise de surproduction et d’endettement qui plonge le monde
dans le marasme le plus dévastateur que l’histoire ait connu et pousse le
système bancaire capitaliste vers un effondrement immédiat. »
(traduit de Documents and Resolutions of the Sixth
Congress, p. 17)
Les formes spécifiques et contradictoires de cette crise étaient totalement
ignorées. Aucune analyse n’était faite de la stratégie suivie par la
bourgeoisie, ni des transformations de la politique économique des principales
puissances impérialistes. On évitait tout examen concret des problèmes actuels
du mouvement ouvrier en Europe et aux Etats-Unis. Et le document ne faisait que
brièvement référence aux Etats-Unis, le centre de l’impérialisme mondial. En
relation avec « l’effondrement imminent, » la résolution principale affirmait
que « la classe ouvrière des nations industrielles et des nations coloniales
fait face à des luttes révolutionnaires décisives et imminentes pour le
pouvoir… » (Ibid., p. 18)
Dans la deuxième partie concernant « la lutte pour le pouvoir, la résolution
affirmait que :
« En Grande-Bretagne la réélection du gouvernement Thatcher le 9 juin
accélère la crise économique, sociale et politique qui s'est emparée du
capitalisme britannique et conduit à une intensification de la lutte de classe.
« La classe ouvrière se trouve confrontée à un gouvernement de classe
violent, qui profite de sa majorité parlementaire pour se saisir du pouvoir
absolu, afin de pouvoir imposer son impitoyable politique de crise. » (Ibid)
On n’essayait pas d’expliquer quel rapport existait entre les luttes
révolutionnaires imminentes et la réélection de Thatcher. Pourquoi la
petite-bourgeoisie s’était-elle ralliée aussi massivement aux Tories si, en
Grande-Bretagne, il y avait une situation révolutionnaire ? Existait-il pour ce
phénomène une base économique quelconque ?
La division au sein du Parti travailliste et la formation du Parti
social-démocrate ne furent pas estimées objectivement du point de vue de la
transformation des relations entre les classes. Au lieu de cela, on s’en
débarrassait comme s’il s’était agi d’un plan entièrement subjectif « pour
anéantir toute chance au Parti travailliste de jamais revenir au pouvoir. »
(Ibid)
La résolution poursuivait : « Les mesures de guerre civile des Tories
représentent un nouveau stade intense dans l’effondrement au niveau mondial et
une rapide intensification de la lutte de classe. » (Ibid., p. 19)
En fait, en 1983, le pire de la récession mondiale était passé. La stagnation
durable de l’économie britannique se trouvait en forte contradiction avec le
taux de croissance des Etats-Unis. Mais ce qui caractérisait cette croissance ce
n’était pas des investissements dans la production mais une gigantesque
augmentation du capital fictif et du parasitisme financier. Cet essor économique
relatif ne fut accompagné ni d’un recul significatif du chômage, ni d’une baisse
de l’offensive de la bourgeoisie contre le mouvement ouvrier en Europe et aux
Etats-Unis. Les fusions de sociétés, qui se multipliaient à partir de 1981
jusqu’à un niveau sans précédent, et les mesures de privatisation prises par
Thatcher avaient pour but de réorganiser le capital pour aller à l’encontre de
la chute des taux de profits grâce à une augmentation draconienne du taux
d’exploitation de la classe ouvrière et pour, en même temps, administrer des
tranquillisants financiers à la petite-bourgeoisie. Mais la résolution ne
mentionnait pas ces changements, et encore moins leur analyse du point de vue du
développement de la lutte de classe et de celui de la tactique du parti
révolutionnaire.
Au lieu d’essayer d’être concret, la résolution se contentait d’abstractions
théoriques appauvrissantes telles que :
« Aucun des problèmes fondamentaux de la classe ouvrière – l’emploi, les
salaires, les conditions de travail, les services sociaux, le logement,
l’éducation, la santé, et les droits démocratiques – ne peut être résolu sans la
lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Ceci est la vérité objective essentielle
qui découle des conditions de la présente crise économique et politique. »
(Ibid)
Ceci est correct à l’échelle de l'histoire - mais en tant que guide pour la
pratique immédiate du parti, c’est une perspective totalement insuffisante.
Comme l’écrivit Trotsky : « Une pensée tout à fait juste du point de vue de
la stratégie révolutionnaire se transforme en un mensonge si elle
n’est pas traduite dans le langage de la tactique. Est-il juste
qu’il faille abolir le capitalisme pour se débarrasser du chômage et de la
misère ? C’est juste. Mais seul le dernier des imbéciles en tirera la conclusion
qu’on ne doive pas dès aujourd’hui lutter de toutes ses forces contre les
mesures à l’aide desquelles le capitalisme aggrave la misère des ouvriers. »
(Léon Trotsky, Ecrits sur l’Allemagne, EVA, tome I, pp. 167-68).
La résolution revendiquait :
« Des occupations doivent empêcher la complète destruction des chantiers
navals, des mines, des usines et des ateliers, soutenues par la constitution de
conseils communautaires, c’est-à-dire des organisations révolutionnaires du
genre soviets, pour que soient constitués des organes de pouvoir ouvriers. »
(Resolution, p. 19)
Nous avons déjà démasqué la tentative de Healy de nous faire prendre ses
conseils communautaires – conçus comme une extension de l’Etat capitaliste ayant
pour fonction la défense d’une de ses subdivisions – pour de véritables soviets.
La référence aux soviets ne pouvait avoir aucun sens, hormis cette duperie, car
elle ne s’appuyait sur aucune démonstration théorique sérieuse de l’existence
d’une situation révolutionnaire.
On comblait une fois encore le vide théorique à l’aide du verbiage
traditionnel : « Le rythme révolutionnaire des événements exige du Workers
Revolutionary Party qu’il se tourne avec détermination et audace vers de très
larges couches de travailleurs, de syndicalistes et de jeunes, afin de
construire le parti, de fonder de nouvelles cellules et d’augmenter la diffusion
du quotidien News Line. » (Ibid.)
La résolution constatait ensuite que la tâche centrale du parti était
d’accroître le nombre de ses membres jusqu’à atteindre 5 000 d’ici novembre.
Plus tard, en octobre 1985, après que le WRP se soit effondré, le Comité
International apprit que ce parti n’a jamais eu plus de 600 adhérents réellement
actifs dans les années 1980. Les milliers dont parlait Healy – sans que Banda ou
quelqu’un d’autre ne l’ait jamais contredit – étaient les « âmes mortes » du WRP,
n’ayant d’existence que sur le papier. Celles-ci n’avaient d’existence que sur
papier, une sorte de capital humain fictif qui réclamait des adhérents
véritables dont le nombre était en baisse constante, des rendements de plus en
plus élevés. Le but final de toute campagne de recrutement de membres ne
consistait pas à gagner au parti plus de travailleurs, mais plutôt à augmenter
la somme fixée par adhérent et que chaque cellule doit verser au centre
londonien. En d’autres termes, le nombre des membres du WRP représentait une
grandeur imaginaire qui ne permettait pas de déterminer la véritable force du
parti dans la classe ouvrière, mais de calculer le revenu hebdomadaire fourni
par chaque cellule.
Le charlatanisme organisationnel complétait le charlatanisme politique. Le
document ne s’efforçait pas le moins du monde d’examiner le travail du parti
dans les syndicats – cette lacune ne faisait que refléter le fait que, depuis la
scission avec Thornett, il n’y avait plus eu de travail systématique dans ce
domaine. La tentative d’introduire frauduleusement une nouvelle ligne concernant
le caractère des gouvernements locaux sans que le travail du WRP, mené pendant
les deux années précédentes sur la base d’une définition incorrecte de leur
nature de classe, n’ait été examiné de façon critique, est, elle aussi, très
révélatrice.
Il y avait dans ce document deux perspectives incompatibles. Les conseils
communautaires y étaient une fois de plus assimilés à des soviets :
« Le conseil communautaire sera l’équivalent du soviet, développé par la
classe ouvrière russe dans sa lutte pour le pouvoir. Il devra prendre la
responsabilité immédiate de défendre les occupations d’usines, de protéger les
principaux services sociaux dans chaque commune, de donner des logements aux
sans-abris, de protéger les quartiers contre les attaques des fascistes, des
racistes et de la police.
« Ils se développeront en organes locaux régionaux et nationaux du pouvoir
ouvrier et seront la base d’un gouvernement révolutionnaire ouvrier, quand la
classe ouvrière renversera l’Etat capitaliste sous la direction du Workers
Revolutionary Party. » (Ibid., pp. 46-47)
Mais le paragraphe suivant faisait ressortir de façon plus claire encore le
contenu frauduleux de cette perspective :
« Les conseils communautaires joueront aussi un rôle d’une importance
historique décisive en mobilisant contre la suppression du conseil municipal du
Grand Londres (GLC) et de six autres grandes villes projetée par les Tories. »
(Ibid.)
En d’autres termes, on assignait aux soviets – organes exprimant l’existence
d’un double pouvoir – le rôle décisif de la défense des organes du pouvoir
bourgeois. Pourquoi le GLC devait-il encore avoir une importance quelconque une
fois que la classe ouvrière aurait rompu avec le Parlement et aurait instauré
ses propres organes de pouvoir ?
En réalité toute cette pompeuse rhétorique d’extrême gauche ne faisait que
camoufler une lâcheté opportuniste de la pire espèce et une perspective n’ayant
rien de révolutionnaire. « Construisez des conseils communautaires pour sauver
le GLC » ou bien, dans le cas où Lénine aurait utilisé cette formule, le cri de
ralliement des bolcheviques aurait été : « Construisez des soviets pour défendre
le gouvernement provisoire ! »
La résolution poursuivait en minant ce qu’elle disait précédemment. Pour la
première fois, le WRP admettait que les conseils municipaux des grandes
monopoles étaient des « instruments du pouvoir de classe bourgeois » et
concédait que « la défense des services sociaux et des droits démocratiques
est une question de classe. Elle ne peut être menée à bien que par la classe
ouvrière, non pas par des groupes de conseillers municipaux. » (Ibid.,
p. 47)
Rien n’indiquait toutefois que cette nouvelle conclusion était une correction
de la ligne précédente ou bien qu’elle demandait une nouvelle appréciation du
travail mené par le parti et des relations qu’il avait établies avec des gens
comme Livingstone et Knight. En fait le paragraphe suivant montrait que cette
« correction » n’était rien d’autre qu’une adaptation verbale au fait indéniable
que le GLC et les autres conseils municipaux faisaient partie de l’Etat
bourgeois. Ainsi donc, pour réconcilier la vieille pratique opportuniste avec
les génuflexions verbales envers l’orthodoxie, on avança une nouvelle
formulation :
« Nous appelons les conseils municipaux contrôlés par le Parti travailliste à
quitter les salles de réunions et à aller dans les communes pour organiser une
résistance massive par l’établissement de conseils communautaires. En se
tournant vers la population locale et en prenant l’initiative de la
revendication de conseils communautaires ils peuvent doter la classe ouvrière de
nouvelles formes d’organisation capables de développer la force indépendante de
la classe. » (Ibid.)
A peine deux mois auparavant le WRP avait virtuellement rayé le Parti
travailliste de la carte. Il prétendait à présent que les Travaillistes étaient
en mesure de donner l’impulsion à une mobilisation indépendante de la classe
ouvrière contre l’Etat capitaliste ... en quittant le conseil municipal !
Absolument rien ne laissait entrevoir dans cette déclaration qu’elle était une
revendication posée aux Travaillistes dans le but de les démasquer. On ne
chercha pas non plus à mettre cet appel en accord avec la déclaration faite à
maintes reprises depuis 1981 à savoir que la lutte contre Thatcher exigeait des
conseillers municipaux qu’ils restent dans leurs conseils municipaux.
Chaque partie du document portait la marque d’un travail diplomatique. La
tentative cynique des dirigeants du WRP d’ajuster leurs lignes disparates
trouvait son illustration dans des formules creuses du type :
« Toutes les luttes théoriques et politiques menées depuis 1938 par le CIQI
contre le réformisme, le stalinisme et le révisionnisme représentent une
conquête indestructible de la classe ouvrière.
« Les formes prises par ces luttes décisives – les scissions et les
discussions, sur les questions fondamentales du marxisme telles que la théorie
de la connaissance de la classe ouvrière – ont préservé et approfondi la
continuité de la lutte dans la classe ouvrière en faveur des doctrines de Marx,
Engels, Lénine et Trotsky, établies de façon indestructible par la révolution
soviétique de 1917. » (Ibid., pp. 20-21)
Quel bavardage creux ! Il n’y avait pas un iota de contenu politique dans ces
discours du dimanche. Quelles luttes ? Quelles doctrines ? Quelles
scissions ? Quelles discussions ? Autant de banalités servies aux membres du WRP
dans la section de la résolution intitulée « La crise de la direction de la
classe ouvrière ». Cette section était dans le meilleur des cas une
illustration de la crise telle qu’elle existait à l’intérieur du WRP, mais
n’indiquait certainement pas la façon de la résoudre ni en Grande-Bretagne, ni
ailleurs.
Les deux sections suivantes – « Défense des acquis d’Octobre » et « La
lutte contre le stalinisme » – affichaient la même faillite et consistaient
en références peu nombreuses et abstraites à la Révolution d’Octobre et à la
fondation de la Quatrième Internationale. Pas un mot concernant la crise
actuelle de l’URSS et du stalinisme. Ni l’Afghanistan, ni la Pologne n’étaient
mentionnés. Il n’y avait aucune information nouvelle – même pas de données
économiques – afin de démontrer la nécessité de la révolution politique.
Malgré le fait que le WRP se trouve encore au beau milieu d’une campagne
effrénée pour le rétablissement du contrôle du Parti communiste sur le
Morning Star, il n’y avait aucune analyse des racines historiques et
politiques de la crise à l’intérieur du PC britannique, ni de la nature des
factions rivales en présence. Au lieu de cela, le WRP ne trouva rien de mieux à
faire que de se vanter d’avoir, lors du meeting de clôture de la Marche
populaire pour l’Emploi 1983, « distribué des milliers de tracts affirmant le
principe [ ! ] que le ‘Morning Star est le quotidien du Parti
communiste’. Ces tracts s’adressaient aussi bien aux membres du Parti communiste
qu’au mouvement ouvrier en général pour que soit réaffirmée notre relation
historique avec les grands acquis de la Révolution d’Octobre, incarnés dans la
nationalisation des relations de production. » (Ibid., p. 40)
Voilà qu’on donnait l’impression que la continuité historique du trotskysme
en Grande-Bretagne était assurée par les services du torchon des staliniens !
Dans la section de la résolution sur le danger de guerre nucléaire la
revendication des Etats-Unis socialistes d’Europe n’apparaissait même pas.
Une des parties les plus importantes de la résolution était consacrée à la
marche organisée pour célébrer le centenaire de la mort de Karl Marx :
« La marche du centenaire de Marx était une confirmation décisive [ ? ]
de la méthode marxiste qui consiste à guider la pratique dialectique à l’aide de
la théorie abstraite dialectiquement. Elle prouva le principe souvent cité par
Trotsky que ‘ le marxisme est une méthode d’analyse historique, d’orientation
politique et non pas une série de décisions toutes faites ‘. » (Ibid.,
p. 34)
La marche n’avait en réalité rien à voir avec une confirmation de la méthode
marxiste, telle que Trotsky l’avait définie. Pour commencer, Healy l’avait
conçue comme un moyen d’utiliser l’anniversaire de la mort de Marx pour établir
des relations avec les sociaux-démocrates et les staliniens sur le continent et
aussi pour redonner vie à l’intérêt déclinant porté par certains régimes du
Proche-Orient à l’avenir du WRP. C’est pourquoi il choisit comme slogan « Le
socialisme révolutionnaire de Karl Marx seulement » – un cliché typiquement
centriste – pour éviter que la marche ne soit qualifiée de trotskyste. Il
n’existait aucun axe politique sur lequel la marche soit centrée. Elle n’était
pas orientée vers la construction de nouvelles sections du CIQI, ni vers
l’établissement du trotskysme comme le marxisme de notre époque. Dans la
pratique, les marcheurs consacrèrent la plus grande partie de leur temps à
essayer d’obtenir nourriture et hébergement. L’argent collecté par les marcheurs
ne pouvait être utilisé pour leurs dépenses quotidiennes. Le résultat : les
marcheurs en furent partiellement réduits à mendier.
La résolution poursuivait: « Nous avons rassemblé 130 jeunes de sections
des Jeunes Socialistes dans huit pays différents pour une marche qui commença le
12 février 1983. Ceci représentait en soi [ ? ] déjà un lien historique
indissociable [ ? ] entre les luttes révolutionnaires de la classe
ouvrière aujourd’hui et la philosophie révolutionnaire de Karl Marx. »
(Ibid.)
Les relations établies par Healy n’existaient que dans son imagination, mais
la déclaration la plus révélatrice fut la suivante :
« Les expériences quotidiennes des marcheurs les mirent face à face avec la
récession capitaliste : des usines et des aciéries fermées, des syndicalistes et
des jeunes au chômage, et les préparatifs violents de la machine d’Etat
capitaliste. » (Ibid., p. 35)
Pas besoin de marcher à travers l’Europe pour le vérifier. Chaque jeune dans
n’importe quel pays capitaliste peut voir en permanence des usines fermées et
des syndicalistes au chômage. La question est de savoir pour quelle politique
les marcheurs ont lutté parmi les chômeurs ? Est-ce-que des meetings ont été
organisés sur le rôle du trotskysme, sur la lutte contre la social-démocratie et
contre le stalinisme. La résolution restait muette sur ces points, car il n’y
avait rien à dire à ce sujet.
« Le WRP souligne le fait qu’une direction révolutionnaire ne peut être
construite qu’en unissant théorie et pratique tel que cela fut confirmé par la
marche du centenaire de Marx .» (Ibid.)
C’était la « pratique de la connaissance » de Healy en pleine action : des
cadres étaient mis « face à face » au cours de leurs expériences
« quotidiennes » avec la crise économique capitaliste – et en même temps, ils
collectaient, bien sûr, beaucoup d’argent pour le WRP. Au lieu de lutter pour
permettre aux jeunes d’avoir une compréhension théorique de la nature de la
société de classes, Healy liquidait l’entraînement des cadres dans un activisme
politique destructeur. Aussitôt rentrés dans leur pays, la plupart des jeunes
qui participèrent à la marche quittèrent les sections du Comité international
Le passage consacré aux dernières élections ne dépassait pas le niveau
d’impressions journalistiques. On y accordait beaucoup d’importance à la
campagne électorale des Tories pour n’en tirer que des conclusions d’une grande
radicalité certes, mais aussi d’un parfait ridicule :
« Les Tories ont mené une coûteuse campagne de propagande pour laquelle ils
ont dépensé en trois semaines de campagne électorale plus de 15 millions de
livres sterling. Ils ont délibérément passé sous silence la crise économique, la
hausse du chômage et l’influence dévastatrice du monétarisme sur l’industrie
britannique.
« Au lieu de cela, ils ont déployé leurs techniques publicitaires et créé un
monde irréel d’« essor économique » et de « sécurité » et de « détermination ».
Thatcher elle-même eut droit à un nouvel emballage de la part des médias
conservateurs ; elle a même été munie du label « invincible ». Les sondages
d’opinion ne furent pas faits dans le but de tester l’opinion publique mais bien
pour la modeler et pour pousser les classes moyennes à se rallier au
Thatchérisme... L’ensemble revenait à une gigantesque escroquerie électorale qui
démasquait [pour qui ?] la duperie des élections
parlementaires bourgeoises. La tradition d’élections parlementaires à bulletin
secret fut remplacée par une coercition massive telle qu’elle n’a jamais existé
[ !! ] dans des élections auparavant. Cela dévoilait le besoin désespéré
de Thatcher de gagner une majorité inattaquable, afin d’instaurer un pouvoir
conservateur absolu... » (Ibid., p. 41)
Alex Mitchell avait, c’est évident, perdu le contrôle de son ordinateur. Si
ce qu’il disait était vrai, pourquoi la direction du WRP n’a-t-elle rien
entrepris pour mobiliser la classe ouvrière contre cette intimidation de masse
et pour défendre les droits démocratiques – ou du moins pour qu’une enquête soit
menée par le mouvement ouvrier ? En fait cet impressionnisme débridé annonçait
la transition vers la conception selon laquelle les Tories auraient établi un
régime bonapartiste et qui allait en moins d’un an devenir une idée fixe du WRP.
La perspective d’une dictature conservatrice était une hallucination
politique qui démasquait le caractère petit-bourgeois de la direction du WRP et
sa capitulation devant Thatcher et la bourgeoisie. On se précipita sur des
articles de journaux relatant des incidents mineurs et on les transforma en
événements historiques. Ainsi, selon la résolution, la prise du pouvoir absolu
par les Tories « se trouvait confirmée quelques jours après les élections,
lorsque Thatcher dissolvait son groupe de conseillers, appelé ‘ Think Tank ‘ et
l’installait directement dans ses bureaux de Downing Street [ !!! ]. Cela
constituait un changement constitutionnel majeur [ ! ] conduisant à un
régime présidentiel gouvernant par décret. » (Ibid., pp. 41-42)
Tout comme le roi Charles II s’était imaginé pouvoir empêcher le
développement de la révolution bourgeoise en jetant le Grand Sceau dans la
Tamise, Healy croyait que 300 ans de démocratie parlementaire pouvaient être
anéantis par le transfert des bureaux de quelques bureaucrates à Downing Street.
On s’étendait ainsi sur l’incommensurable importance de cette mesure de
Thatcher :
« Au lieu de gouverner à l’aide du gouvernement et du débat parlementaire
[comme dans le bon vieux temps de Baldwin, Churchill, Macmillan et Heath],
Thatcher et son petit cercle de monétaristes ont l’intention de fixer eux-mêmes
leur politique et de rédiger des lois que le Parlement ne fera plus
qu’approuver. Cela met un terme à une forme de gouvernement reposant sur le
consensus et l’accord mutuel [ !!! à la Heath] et inaugure [ !! ]
une dictature conservatrice dans laquelle des personnages non élus et qui
n’ayant de compte à rendre à personne, sortis des pièces obscures de Downing
Street [plutôt que de celles de Threadneedle Street] sont les
vrais détenteurs du pouvoir et les vrais législateurs. » (Ibid., p. 42)
C’était là le langage hystérique de démocrates petits-bourgeois apeurés qui
faisaient de leurs peurs et cauchemars maladifs des vérités universelles.
Pendant la deuxième guerre mondiale, il y avait eu un groupe de révisionnistes,
émigrés Allemands plutôt pitoyables, qui prétendaient que la victoire d’Hitler
avait inauguré une nouvelle période historique de barbarie. Ils en tiraient la
conclusion que la perspective de la révolution socialiste n’était plus à l’ordre
du jour de l’histoire dans un avenir proche. Cette triste perspective fut
rejetée par la Quatrième Internationale. Il n’y eut que Shachtman pour la
trouver crédible. Pour la défense des « rétrogrades » (c’est ainsi qu’on nomma
cette tendance) il faut dire qu’ils ont réagi aux défaites les plus
catastrophiques de l’histoire du mouvement ouvrier. Mais que dire en défense de
Healy et de Banda dont l’hystérie était une réaction... aux déménagements du
groupes de conseillers (« Think Tank ») de Thatcher ?
Une fois le congrès terminé et après que les délégués soient retournés dans
leurs régions, Healy était manifestement soucieux du fait que quelqu’un puisse
étudier les documents soigneusement et découvrir la faillite complète de leur
contenu. Il rédigea donc en l’espace d’une semaine un document intitulé « Un
guide pour l’utilisation des résolutions adoptées par le Sixième congrès »
et qui fut publié en préface du fascicule contenant les documents du congrès. Il
est habituel, dans le mouvement trotskyste, que les membres du parti lisent
simplement les résolutions des congrès et les jugent selon les mérites de leurs
contenus. Elles sont vérifiées par rapport au développement objectif des
événements politiques. Mais cette façon normale de faire était trop simple pour
Healy... et bien trop dangereuse. Il fallait donner aux résolutions un sens plus
profond – de telle sorte que tous ceux qui exprimaient des divergences vis-à-vis
des résolutions du WRP puissent être rapidement exclus pour avoir attaqué la
dialectique. Le « bureau du Comité central » de Healy réalisa donc le tour de
passe-passe suivant :
« Les quatre résolutions approuvées par le Sixième congrès sont
‘affirmées’ par le congrès. Exprimé en concepts matérialistes dialectiques,
elles sont l’’AUTRE DU PREMIER’, (L'AUTRE DU SIXIEME CONGRES)...
« Des décisions du Sixième congrès (affirmation) à l’unité avec l’être
immédiat en passant par la contradiction (l’affirmé). La présence du positif
dans le négatif (essence absolue) dénotera la récognition du développement de la
situation qui a eu lieu depuis le congrès. Cela dénote aussi bien l’apparence
que l’essence absolue qui se trouve niée dans l’antithèse grâce à la négation de
la négation dans notre ‘ théorie de la connaissance ‘, consistant en analyses
‘ logiques ‘ et ‘ historiques ‘ des événements.
« Une synthèse se forme par l’essence en existence, synthèse dans laquelle,
en tant que résultat de l’analyse, les parties des résolutions du congrès qui
sont devenues les plus urgentes émergent, en même temps que le
‘ développement ‘, comme ‘ essence ‘. Il nous faut opposer de façon claire les
mêmes ‘ parties ‘ qui se sont essentiellement transformées, afin de pouvoir
déterminer l’essence du développement qui a eu lieu.
« Le déroulement du congrès permet que l’analyse établisse d’abord plus
clairement, par l’antithèse de la négation de la négation, qui constitue la
synthèse, la signification du caractère abstrait de la résolution du Sixième
congrès, révélée plus clairement dans la conception du mouvement de la pensée
dialectique. » (Ibid., pp. i-v)
A l’intérieur du WRP on avait élaboré un langage à tous points de vue sacré
dans le but de mystifier et de sanctifier la politique révisionniste de la
clique petite-bourgeoise qui dirigeait l’organisation. Bien qu’ayant des allures
plutôt excentriques, cette perversion grotesque de la dialectique constituait
avant tout un moyen essentiel et délibéré grâce auquel Healy désorientait et
détruisait les cadres du WRP. Que les écrits décousus et incohérents de Healy
n’avaient rien à voir avec le marxisme, ce n’était déjà plus à cette époque un
secret pour une bonne partie de la direction du WRP. Presque un an s’était
écoulé depuis que Slaughter et Banda avaient déclaré qu’ils étaient d’accord
avec la Workers League qui avait démasqué la dialectique de Healy. Mais ils
continuèrent à la défendre devant les membres bien qu’ils sachent pertinemment
que son seul objectif était de permettre à la ligne politique de l’aile droite
de s’imposer, sans que les membres n’en remarquent rien.
Ils manifestèrent ouvertement leur cynisme en soutenant une résolution qui
qualifiait les Etudes de Healy comme représentant une « partie décisive »
contribuant à l’éducation de cadres dans le matérialisme dialectique. La clique
dans le Comité politique aussi bien que des individus du calibre de Slaughter
qui maintenait continuellement l’autorité politique de cette clique, incarnait
une conspiration organisée contre les membres du parti, qui n’avaient aucun
contrôle sur les dirigeants du parti. A la demande de Slaughter une motion avait
été passée, selon laquelle au sein du WRP une autorité absolue et au-delà même
des statuts avait été octroyée à Healy.
Cet état de choses ne pouvait être attribué aux sautes d’humeurs d’un
individu. Au sein du WRP, parti aguerri par une longue lutte pour le trotskysme
et qui avait rassemblé les éléments les plus conscients du prolétariat
britannique, une âpre lutte de classe faisait rage entre les éléments de la
classe ouvrière et de larges couches de petits-bourgeois – membres des
professions libérales, anciens étudiants – entrés dans le parti à la fin des
années 1960 et début 1970. Healy se basait de plus en plus sur ces derniers qui
toléraient et encourageaient son abus grotesque d’autorité et pas seulement
parce qu’il acceptait, en dépit de tous les hurlements, leurs comportements
petits-bourgeois, mais avant tout, parce qu’ils soutenaient avec enthousiasme sa
ligne politique opportuniste. Un chargé de cours à l’université comme G. Pilling
pouvait disparaître du parti sans un mot d’explication pendant des mois et
abandonner toute responsabilité politique. Mais lorsqu’il choisissait de
réapparaître, il y avait toujours un siège chaud qui l’attendait dans le Comité
central du WRP et même dans le Comité international où il pouvait être utilisé
par Healy pour dénoncer et attaquer de vrais trotskystes, qui ne connaissaient
rien d’autre dans leur vie que le mouvement révolutionnaire.
Nous avons réservé une place considérable à l’analyse de la résolution
principale du Sixième congrès, car cela établit et démontre qu’en 1983 le WRP
avait déjà été détruit par l’opportunisme. Cette résolution constituait
l’expression la plus flagrante de l’intensité de la crise au sein de la
direction du WRP, qui avait abandonné toute lutte sérieuse pour le marxisme dans
la classe ouvrière. Maintenant, la seule chose qui manquait pour leur chute
définitive dans l’abîme politique, était une impulsion de la classe ouvrière.
Healy et consorts ne devaient pas attendre longtemps.
37. Le commencement de la fin : le WRP et le conflit
du NGA
En décembre 1983, l’éruption de la grève qui a frappé le journal Stockport
Messenger à Warrington conduisit à une confrontation décisive entre le
gouvernement Thatcher et le mouvement syndical. S’appuyant sur la nouvelle loi
antisyndicale, les Tories imposèrent au syndicat de la presse, le National
Graphical Association (NGA), d’énormes amendes, après que celui-ci eut refusé de
se soumettre à une ordonnance des tribunaux et tenté d’empêcher les briseurs de
grève, organisés par l’éditeur de la presse Eddie Shah, de pénétrer dans
l’entreprise.
Le WRP se trouva surpris par cette évolution. Il était parti du fait que la
lutte de classe s’était déplacée des syndicats vers les conflits entre les
Tories et les gouvernements locaux. Afin de rattraper le temps perdu – il avait
pratiquement abandonné tout travail systématique dans les syndicats – le WRP
forma immédiatement un bloc non critique et par conséquent sans principe avec la
bureaucratie du NGA.
Entre le 25 novembre et le 12 décembre, le NGA organisa en dépit d’une
ordonnance judiciaire, des piquets de grève massifs au Stockport Messenger.
Un des Comités du TUC se décida pour des grèves de soutien au NGA. Mais le
Comité directeur du TUC revint sur cette décision le 14 décembre 1983, par un
vote de 29 voix contre 21. Le Comité directeur du NGA prit alors la décision
d’annuler un ordre de grève nationale de 24 heures prévue pour le jour même.
Cependant, il déclara qu’il refuserait de payer les amendes imposées par le
tribunal et appela les ouvriers à participer à une manifestation de masse à
Warrington en janvier.
Le Comité politique du WRP publia le 9 décembre 1983 une déclaration qui
annonçait : « Les syndicats d’imprimeurs sous la direction du NGA n’ont à
présent plus d’autre choix : ils doivent organiser une grève politique pour
renverser le gouvernement Tory. » (News Line du 10 décembre 1983)
Mais, dès que le NGA eut pris une décision contre la grève, le WRP changea de
ligne sur-le-champ afin de s’adapter à la bureaucratie du NGA. L’éditorial du
News Line du 17 décembre 1983 constituait une nouvelle étape dans la
déchéance politique du WRP. Le News Line attaqua le SWP (les partisans
britanniques de la thèse du capitalisme d’Etat en URSS), parce que ceux-ci
critiquaient la décision du NGA d’annuler la grève et écrivaient :
« La ‘ politique ‘ suivie par le SWP est typique de cette bande d’aventuriers
politiques. Ils exigent du NGA une grève générale nationale immédiate. [Ce
qu’avait revendiqué le WRP une semaine plus tôt.] C’est le même genre de
‘ conseil ‘ que celui qui fut donné à l’OLP quand elle était encerclée à
Beyrouth l’an dernier par l’aviation, la marine et l’armée israélienne. C’est un
appel au suicide collectif qu’ils lancent au NGA et ce, afin de permettre aux
révisionnistes du SWP de mettre en scène une orgie de larmes. »
Il est difficile de dire ce qui dans cette déclaration était le pire, son
attitude rampante à l’égard des dirigeants du NGA ou son pessimisme nauséabond.
Ils dénonçaient même les dirigeants syndicaux qui attaquaient le TUC pour
avoir trompé le NGA.
« Contrairement aux révisionnistes, le dirigeant du syndicat des mineurs
Arthur Scargill est inexpérimenté [ ? ] et ne comprend pas la classe
ouvrière. Il tient de grands discours par pure frustration.
« Scargill prétend que la décision du TUC de ne pas soutenir le NGA était
‘ la plus grande trahison organisée par le TUC depuis la grève générale de
1926 ‘. Il dit par implication que cela signifie aussi la plus grande défaite de
la classe ouvrière. »
Le WRP se trouvait à présent bien à droite de certaines sections de la
bureaucratie syndicale et servait en fait à détourner une lutte contre le TUC.
Il donna ensuite une justification fantastique de cette politique criminelle.
« Mais en 1983 la trahison du TUC a eu lieu avant la grève
générale. Elle est par conséquent utile à l’ensemble de la classe ouvrière parce
qu’elle révèle la trahison de la direction réformiste et provoque la discussion
importante par dessus tout sur la construction de la direction, nécessaire pour
mener une grève politique victorieuse contre les Tories. »
Healy avait découvert une nouvelle catégorie politique : la trahison
préventive. Ces sophismes écoeurants eurent la réponse qu’ils méritaient
quelques mois plus tard dans la vie réelle, lorsque les mineurs se mirent en
grève – grève qui fut affaiblie dès le départ par la trahison du TUC. Il n’était
par conséquent pas surprenant que Scargill fut un de ceux qui critiqua le plus
vivement le TUC. Cela fit de lui en retour une des cibles privilégiées du WRP,
qui défendait le TUC de façon inavouée :
« Scargill, lui aussi, pousse le NGA à se lancer tout seul dans une grève
illimitée. Ce conseil est la recette pour une catastrophe. Cela mènerait à un
lock-out de la part des patrons et à des dommages et intérêts astronomiques
qu’exigeraient les tribunaux et probablement à une division dans le syndicat et
à une victoire de la politique de collaboration de classe de Murray et de l’aile
droite.
« Ceux qui font grève en paroles demandent que le NGA se mette en grève seul
et se confronte à la force concentrée de l’Etat capitaliste. Ce serait un
conflit-suicide. Ayant très sérieusement réfléchi à sa lutte, le NGA sait très
bien qu’il pourrait être anéanti en tant que syndicat et que son plus important
moyen de défense réside dans le soutien de la classe ouvrière. »
Les arguments de Healy coïncidaient exactement avec ceux du président du TUC
Murray et de ses complices de l’aile droite. Si Scargill avait adopté cette
position, il n’y aurait jamais eu de grève des mineurs. Avec de tels arguments
on pouvait s’opposer à toutes les grèves pour lesquelles il n’y avait pas une
garantie totale qu’elles se terminent par une victoire. Les dirigeants du WRP
argumentèrent comme de pitoyables lâches, aussi bien politiquement que
physiquement et malgré toutes leurs paroles à propos de la grande lutte
anti-Tory, ils vivaient dans une peur mortelle de toute confrontation avec l’Etat.
Pour Healy, le parti était devenu un moyen de s’assurer une vieillesse
confortable ; pour Mitchell, c’était un moyen de faire carrière ; pour Vanessa
Redgrave l’occasion de jouer le rôle d’Isadora Duncan ; pour Slaughter il était
depuis des années déjà un passe-temps ; quant à Banda c’était un boulet à son
pied. Leur refus intérieur collectif de la révolution se trouvait exprimé dans
le lâche commentaire suivant :
« Le NGA ... est un corps de métier politiquement modéré. Il n’est pas un
parti révolutionnaire, comme les révisionnistes semblent le croire. Et nous
pensons, qu’étant donné les circonstances exceptionnelles de répression par
l’Etat, il s’est fort bien tiré d’affaire. »
Une telle excuse pour cette équipe de bureaucrates staliniens et
sociaux-démocrates ne pouvait provenir que de la part de gens qui avaient déjà
abandonné la révolution socialiste.
Bien que les dirigeants du WRP prétendent qu’une situation révolutionnaire
existait en Grande-Bretagne, leur attitude à l’égard de chaque lutte qui
éclatait prouvait qu’ils n’y croyaient pas. Tandis que dans les résolutions de
leur Sixième congrès, ils parlaient du « rythme révolutionnaire des
événements » et insistaient pour que « la lutte révolutionnaire pour le
pouvoir ... soit la vérité objective essentielle ayant sa source dans l’ensemble
des conditions de la présente crise économique et politique » (Résolution,
p. 19), ils étaient convaincus du fait que chaque lutte qui éclatait était
sans espoir et vouée à l'échec.
La ligne politique avec laquelle le WRP justifiait l’action du NGA – et qu’il
avait déjà utilisé en 1980 pour défendre Sirs – revenait à une excuse
automatique de la bureaucratie syndicale. On ne pouvait plus critiquer un
dirigeant syndical parce qu’il agissait en réformiste, tant qu’il ne prétendait
pas être un révolutionnaire !
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le point de vue soutenu vis-à-vis
des membres était tout à fait différent de celui défendu en public. Cela montre
à quel point la direction manoeuvrait à l’égard des membres pour conserver une
couverture de gauche à ses trahisons. Au sein du WRP, la direction assurait à
ses membres que la direction du NGA était décidée à continuer la lutte. Une
lettre politique datée du 16 décembre 1983, rédigée par Healy et Banda et
envoyée à tous les membres du Comité central et à tous les secrétaires de
cellules, assurait qu’« il y a une scission définitive dans le TUC » et
promettait que « le NGA ne va pas interrompre la grève du ‘Stockport
Messenger’ et d’autres syndicats vont s’y rallier d’une manière ou d’une autre.
Le soutien à l’aile droite du TUC n’est aucunement affermi et le rapport de
forces entre les deux camps va se transformer en permanence. » (Résolutions
adoptées par le Septième congrès, décembre 1984, p. 95)
La lettre poursuivait en soulignant l’énorme importance de certaines
divisions à l’intérieur du TUC et prétendait que le conflit ouvert à propos du
NGA ouvrait « pour notre parti à présent la possibilité d’un travail
révolutionnaire de masse. » (Ibid., p. 96)
Cette lettre avait pour fonction unique d’éloigner l’attention des membres,
de renforcer leurs illusions vis-à-vis de la bureaucratie du NGA et du TUC et de
masquer la politique de droite de la direction du NGA et du TUC.
En janvier, on invita les dirigeants du NGA à prendre la parole à la
trente-troisième assemblée générale annuelle du journal Young Socialist,
où ils furent fêtés comme les héros de la victoire. Le porte-parole du NGA
alarma toutefois les délégués quand il déclara que pour l’instant, le syndicat
se refusait à payer l’amende ordonnée par les Tories, mais qu’il ne savait pas
combien de temps le NGA allait rester convaincu que c’était la bonne chose à
faire. Pour calmer l’anxiété des membres du parti, Banda et Healy expédièrent
immédiatement la Lettre politique numéro 2, datée du 9 janvier 1984 : « La
question posée par le représentant du NGA à savoir le NGA n’allait pas se
soumettre à la décision du tribunal et se parjurer [sic], et qu’il n’en
était pas très sûr en ce qui concernait l’avenir, représentait la question des
questions pour ce qui est en fait un mouvement syndical réformiste. La classe
ouvrière ne peut plus vivre avec le gouvernement Tory et ses lois de classe,
dont l’objectif est de détruire l’efficacité des syndicats. C’est pour cela que
se prépare une grande explosion politique dans la classe ouvrière. C’est ce que
reflétait la contribution du représentant du NGA. » (Ibid., pp. 98-99)
Dix jours plus tard, le News Line informait sans aucun commentaire ses
lecteurs que le NGA avait décidé de se soumettre à la décision des tribunaux,
c’est-à-dire de payer 675 000 livres sterling d’amende et de stopper toutes les
mesures de grèves contre le Stockport Messenger. Quelques jours plus
tard, le NGA annula la manifestation projetée à Warrington, révélant ainsi
clairement qu’il avait l’intention d’abandonner complètement la lutte contre
Shah. Le News Line publia une émouvante protestation, mais sans nommer
personne :
« En annulant la manifestation prévue pour samedi les organisateurs ont fait
une déplorable concession à l’atmosphère de fin du monde qui règne dans les
cercles des révisionnistes petits-bourgeois, de la ‘ pseudo-gauche ‘ dans le
Parti travailliste et parmi les staliniens.
« Cela tend à affaiblir la volonté de lutte de la classe ouvrière dans un
moment où il faut tout faire pour renforcer la lutte de classe contre le
gouvernement conservateur, les lois antisyndicales, le chômage massif et l’Etat. »
(News Line, le 25 janvier 1984)
Les dirigeants du NGA auraient pu répondre que s’ils étaient victimes d’une
atmosphère de fin du monde, c’est parce qu’ils avaient lu les numéros précédents
du News Line. Même cet article-là ne concluait pas sur une note
particulièrement optimiste :
« Pour survivre le NGA pourrait se soumettre au tribunal et
combattre ainsi une autre fois. Qui sait? »
Chaque aspect de la ligne politique du WRP dans le conflit du NGA se trouva
contredit par le déroulement réel des événements. Pour ne pas perdre la face
devant les militants et pour faire comme si tout s’était déroulé comme prévu,
Healy produisit une analyse époustouflante de la lutte du NGA, qui fut ensuite
transformée en résolution unanimement approuvée par le Comité central. Elle
prouvait que les événements s’étaient déroulés à la manière d’un mécanisme
d’horloge dialectique, en accord avec les catégories logiques chéries par Healy.
Healy prouva, par une affirmation irréfutable, que la « semblance de la
nouvelle situation politique débuta avec les piquets de grève devant le
Stockport Messenger à la fin de novembre 1983 » et que « la
transition vers l’apparence commença lorsque Murray, exprimant la position de
toute l’aile droite du Conseil général du TUC, dénonça la validité de la
décision du Comité, le matin du 13 décembre 1983. »
La locomotive dialectique de Healy avançait à toute vapeur. « Le mercredi
14 décembre 1983, la négation de la semblance dans l’apparence fut marquée par
la décision du Comité directeur par 29 voix contre 21, de laisser tomber le NGA
et d’accepter les lois syndicales des Tories de 1980. »
Le vote ne s’est fort heureusement pas conclu en sens inverse. Cela aurait
provoqué une sérieuse crise d’identité pour les catégories qui avaient longtemps
auparavant fixé le cours nécessaire des événements au sein de l’Esprit absolu –
que seul Healy était en mesure d’interpréter.
« L’apparence, qui se manifesta le 14 décembre, continua à se développer à
travers une série d’événements qui forcèrent finalement le NGA à se soumettre
aux tribunaux, le 19 janvier 1984, et à payer l’amende. A ce moment, en tant
qu’unité de la semblance et de l’existence, l’apparence devint réalité. »
En d’autres termes, Healy établit fermement que la responsabilité de la
trahison de la lutte n’était pas à chercher dans la bureaucratie du NGA, mais
bien chez leurs honneurs Semblance, Apparence, Réalité et Essence – ces pauvres
Tony Dubbins, Bill Booroff, Len Murray et le WRP n’étant, eux, que d’innocentes
victimes de ces catégories logiques pro-conservatrices.
Pendant l’année 1983, Cliff Slaughter, en secrète collaboration avec Healy,
créa les bases d’une provocation politique contre la Workers League,
l’organisation trotskyste américaine qui travaille en solidarité avec le Comité
International. En avril 1983, il s’empara d’un éditorial paru plusieurs semaines
auparavant dans le Bulletin (l’organe bihebdomadaire du parti américain)
et se servit de la philosophie comme prétexte pour attaquer la Workers League.
Dans une brève déclaration à propos du centenaire de la mort de Karl Marx et en
hommage à son œuvre, l’éditorial n’avait pas parlé explicitement de la
contribution de l’idéalisme classique allemand à l’élaboration du matérialisme
dialectique. Bien que cela méritât à peine d’être relevé et bien que Slaughter
ait su que le secrétaire de la Workers League, D. North, n’était pas l’auteur de
cet article (il se trouvait en Grande-Bretagne quand celui-ci fut publié), le
secrétaire du Comité international envoya à la Workers League une lettre
solennelle dans laquelle il laissait entendre que quelque chose allait
terriblement mal au sein de l’organisation américaine.
Trois mois plus tard, Slaughter se plaignit, dans une autre lettre adressée à
la Workers League, de ce qu’il n’avait obtenu aucune réponse écrite et exigeait
qu’on réponde à sa critique :
« Vous vous rappelez probablement que je vous ai envoyé une courte lettre
dans laquelle j’attirais votre attention sur certaines phrases d’un éditorial du
Bulletin. Dans cet éditorial on abordait la contribution théorique
de Marx sans parler du contenu essentiel de la méthode dialectique qui fut
élaborée par la ‘négation’ de la philosophie hégélienne. Dois-je comprendre que
vous avez reçu cette lettre et que je peux en attendre une réponse. » (13
juillet 1983)
Slaughter n’avait plus foulé le sol de l’Amérique du Nord depuis plus de cinq
ans avant d’envoyer ces lettres. Et lorsqu’il le fit, ce fut pour participer à
une réunion de fin de semaine du Comité central de la Workers League. Mais il
manqua la moitié des séances, parce qu’il trouvait plus intéressant de fouiner
dans les librairies de New-York à la recherche de l’étude de Max Raphaël sur
Pablo Picasso que de discuter des problèmes du mouvement américain. Ensuite, le
lundi matin, avant même que la réunion du Comité central ne soit terminée, il
fallut l’emmener rapidement à l’aéroport pour ne pas qu’il manque un cours prévu
à l’université de Bradford. Pour le prix d’un aller-retour outre-Atlantique que
la Workers League paya, les camarades américains eurent le plaisir de sa
compagnie pendant quelques heures. Et voilà que Slaughter prétendit, à cause
d’un éditorial qui n’avait pas mentionné la dette de Marx envers Hegel, avoir
découvert de sérieuses faiblesses au sein de la Workers League. Ajoutons encore
que ces deux lettres étaient les premières de sa part que la Workers League
recevait depuis six ans et qu’en huit ans elle n’en avait reçu que deux.
En octobre 1983, lors d’une réunion du Comité international, D. North fit un
rapport détaillé de la situation politique aux Etats-Unis ainsi que des projets
de la Workers League pour intervenir dans les élections présidentielles de 1984.
La base de cette intervention devait être la lutte pour l’indépendance politique
de la classe ouvrière vis-à-vis des deux grands partis capitalistes. On posait
dans ce but la revendication d’un parti ouvrier, s’appuyant sur les syndicats.
En accord avec un plan préparé à l’avance avec Healy, Slaughter exprima son
inquiétude vis-à-vis du fait que le rapport de D. North ne se soit pas concentré
sur les progrès de la lutte pour le matérialisme dialectique aux Etats-Unis.
Puis Banda intervint après avoir jeté un bref regard sur le titre du dernier
Bulletin qui dénonçait le discours à la nation de Reagan, dans lequel il
justifiait l’intervention américaine dans l’île de Grenade. Banda émit des
objections contre le titre, « Reagan est un menteur », prétendant que
l’article aurait dû s’intituler « Ne touchez pas à l’île de Grenade » et
que ceci représentait un rejet complet du défaitisme révolutionnaire. D. North
rejeta cette attaque lui disant qu’il aurait mieux fait de lire le journal
d’abord avant de critiquer l’attitude de la Workers League vis-à-vis de
l’invasion. Il attira l’attention sur le fait que le titre proposé par Banda,
« Ne touchez pas à l’île de Grenade », figurait ailleurs dans le journal. A la
fin de la réunion Banda s’excusa auprès de D. North lui disant qu’il informerait
les délégués qu’il avait retiré sa critique.
Mais, après cette réunion du Comité international, Slaughter se décida à
poursuivre l’attaque contre la Workers League. Il prétendit qu’une étude plus
poussée du Bulletin l’avait convaincu de ce que la Workers League n’avait
effectivement pas pris une position défaitiste révolutionnaire. Plus tard,
lorsque le WRP s’effondra, il dut avouer que tout l’incident avait été concocté
par le WRP pour se venger de leur critique de 1982. (Il existe une transcription
de ses remarques.)
Dans une lettre adressée à la Workers League et reçue au début de 1983 (elle
n’était pas datée), Slaughter attaqua le rapport présenté par D. North à la
réunion d’octobre, critiquant « le fort accent mis sur ‘ l’indépendance
politique de la classe ouvrière ‘» et avertit de ce que cela « montrait
le danger qu’on ne s’en tenait pas fermement aux leçons fondamentales de la
dernière lutte de Trotsky et à l’ensemble de la lutte du Comité international. »
Il mit en garde contre le fait de mettre l’accent de façon exagérée sur
l’indépendance de la classe ouvrière, ce qui « deviendra une arme dans les
mains de tous ceux qui portent la marque du pragmatisme parce que cela va être
très prisé, comme quelque chose de plus ‘ concret ‘ que la lutte menée de façon
explicite pour développer et comprendre les catégories de la dialectique comme
méthode pour la compréhension vitale du développement rapide aux multiples
aspects de la crise mondiale. »
Les dirigeants du WRP reprenaient une fois de plus leur vieux jeu consistant
à utiliser des formules pseudo-dialectiques à des fins de provocation dans le
Comité international et pour attaquer la lutte des marxistes dans la classe
ouvrière. Il est clair à présent que Slaughter avait abandonné depuis le milieu
des années 1960 tout ce qui pouvait, de près ou de loin, ressembler à un travail
systématique dans sa propre section et qu’il avait été placé par Healy comme un
fidèle exécutant à la direction du CIQI. Il dégénéra jusqu’au charlatanisme
théorique et à la prostitution politique. Et qui, plus est, l’attaque de
Slaughter contre la lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière
signifiait – sa lettre à la direction de la Workers League l’exprimait
clairement – qu’il avait abandonné le trotskysme et qu’il avait rejoint le camp
du révisionnisme pabliste.
North répondit à Slaughter dans une lettre datée du 27 décembre 1983. Il
rejeta les références formelles à la méthode dialectique comme moyen de
clarifier des conflits politiques. « Chaque pragmatiste est parfaitement
capable de faire cela. Ce qui doit être étudié et développé, c’est l’application
correcte de la méthode dialectique et du matérialisme historique. Mais cela
n’est en aucun cas contrecarré par le fait de mettre un’ fort accent ‘ sur
‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘. Je crois qu’une étude
sérieuse de toutes les oeuvres de Lénine et avant tout de ses premières études
économiques et philosophiques – révélera le lien interne entre sa concentration
sur l’application correcte de la méthode dialectique et le fait qu’il met un
‘ fort accent ‘ sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘.
« Je dois avouer que je suis inquiet à la seule pensée que le fait d’insister
sur ‘ l’indépendance politique de la classe ouvrière ‘ puisse, au sein du Comité
International, être taxé de ‘ trop fort ‘, particulièrement en relation avec le
rapport d’une section sympathisante dans un pays où la classe ouvrière n’a pas
encore rompu politiquement avec les libéraux. Toutes les tâches
organisationnelles, politiques et théoriques d’un parti marxiste – surtout aux
Etats-Unis – sont précisément concentrées sur l’acquisition de cette
indépendance politique.
« Tu prétends que cette insistance devient ‘ une arme dans les mains de tous
ceux qui portent la marque du pragmatisme ‘, mais je ne vois rien qui puisse
justifier une telle conclusion. Toute la lutte contre le SWP depuis 1961 – pour
ne pas nommer toute l’histoire de la lutte menée par le bolchevisme – tournait
précisément autour de cette question. Les staliniens et les révisionnistes dans
le monde entier sont bien éloignés aujourd’hui d’embrasser le concept de
l’indépendance politique de la classe ouvrière. Au contraire, ils l’attaquent
constamment. Le néo-stalinisme du SWP n’est pas sorti de la tête de Monsieur
Barnes mais constitue une réponse très claire de l’impérialisme américain au
nouveau stade de la crise mondiale capitaliste et à l’essor révolutionnaire du
prolétariat mondial. De cette manière, le pablisme sert de courroie de
transmission à l’impérialisme pour exercer sa pression dans le mouvement
ouvrier. Comme je te l’ai entendu affirmer avec insistance un si grand nombre de
fois dans le passé, le Comité international doit être sur ses gardes,
précisément à un tel stade, à l’égard de toute trace de conceptions
révisionnistes dans ses propres rangs. Il doit en même temps renforcer son
attaque théorique et politique contre le révisionnisme pabliste. Tu seras
certainement d’accord avec moi sur le fait que la lutte contre le pablisme n’est
en aucun cas terminée.
« C’est précisément pour cela que je crois qu’une clarification des questions
que tu as ouvertes dans ta lettre, est absolument nécessaire. »
La Workers League décida qu’il était temps d’attaquer la ligne politique
fondamentale et la ligne de classe du Workers Revolutionary Party, en premier
lieu son rejet de la théorie de la Révolution permanente. Comme il ne reçut pas
de réponse de Slaughter, D. North envoya une lettre à Mike Banda, datée du 23
janvier 1984, dans laquelle il exprima les inquiétudes « que le Comité
International court à présent le danger de perdre les conquêtes de sa longue
lutte en faveur des principes » et que la Workers League était
« extrêmement inquiète des signes de plus en plus nombreux d’un glissement
politique vers des positions tout à fait semblables, tant dans leurs conclusions
que dans leur méthode, à celles que nous avons attribué historiquement au
pablisme. »
La lettre constatait que le CIQI travaille « sans qu’une perspective
politique claire et unie ne guide sa pratique. Au lieu de se concentrer sur la
construction de sections du Comité international dans chaque pays, son travail
se concentrait depuis plusieurs années sur le développement d’alliances avec
divers régimes nationalistes bourgeois et mouvements de libération. Ces
alliances ont de moins en moins pour contenu une orientation claire vers le
développement de nos propres forces comme centre de la lutte afin d’établir le
rôle dirigeant du prolétariat dans la lutte anti-impérialiste dans les pays
semi-coloniaux. Les mêmes conceptions que celles que nous avons attaquées si
vigoureusement au sein du SWP, vis-à-vis de Cuba et de l’Algérie au début des
années 1960, apparaissent de plus en plus fréquemment dans notre propre
presse. »
Puis la lettre revenait sur la manière dont le News Line avait réagi à
l’occasion de la récente rencontre d’Arafat et du président égyptien Hosni
Moubarak, qui avait eu lieu après l’évacuation forcée de Beyrouth du dirigeant
de l’OLP. Tout en n’attaquant pas Arafat pour avoir effectué ce voyage non
autorisé en Egypte, North critiqua le News Line pour avoir glorifié cette
manoeuvre désespérée.
Le News Line avait rejeté les « reproches calomnieux » adressés à
Arafat par Georges Habbache et écrit :
« Ces attaques verbales sont le produit d’esprits limités et de perspectives
étroites. Les pourparlers entre Arafat et Moubarak ne constituent pas un soutien
à Camp David. Au contraire, la diplomatie audacieuse d’Arafat a contribué à
saper le contrat entre l’Egypte et Israël et non pas à le renforcer.
« Ce qui était au centre de la conspiration de Camp David, entre Sadat,
Beigin et Carter était le fait qu’elle ignorait l’existence de l’OLP comme seul
représentant légitime du peuple palestinien et qu’elle rejetait la lutte du
peuple palestinien pour son autodétermination.
« C’est pour cela que l’ccord se heurta à une telle opposition. Mais à
présent, Moubarak souhaitait la bienvenue à Arafat au Caire. Ce n’est pas une
simple rencontre entre individus. Elle annonce que le gouvernement Egyptien
reconnaît l’OLP et son droit inaliénable à lutter pour la libération de la
Palestine.
« Cela joue-t-il le jeu de Camp David ? Cela joue-t-il le jeu de
l’impérialisme sioniste ? Bien sûr que non. C’est un rude coup diplomatique et
politique pour le régime de Shamir, lui-même secoué par la crise. C’est pourquoi
Tel-Aviv a condamné avec tant de colère les pourparlers entre Moubarak et
Arafat. » (News Line, le 30 décembre 1983)
Ce à quoi la Workers League répondit : « ...Article après article le News
Lineprésente cette visite comme un chef-d’oeuvre stratégique
d’Arafat, par lequel une fois de plus il mit ses adversaires dans l’embarras.
Même si une telle manière de faire est inspirée par le sérieux désir de défendre
l’OLP contre ses ennemis, elle ne sert qu’à dérouter et à désarmer nos cadres et
nos lecteurs.
« En tant que marxistes, le point de départ de notre analyse n’est jamais
l’intention délibérée des dirigeants politiques, mais les forces de classe
qu’ils représentent et la logique de la lutte de classe dont leurs actions en
sont l’expression nécessaire. La politique d’Arafat reflète immanquablement son
point de vue nationaliste petit-bourgeois. Il ne manoeuvre pas seulement entre
divers gouvernements bourgeois du Moyen-Orient, mais aussi entre les forces de
classe opposées dans les rangs du mouvement palestinien. Quelque grands que
soient son courage personnel et son héroïsme, la politique d’Arafat ne peut
toutefois pas fournir la réponse aux grands problèmes historiques de la lutte
palestinienne pour l’autodétermination. Alors qu’il est de notre devoir de le
défendre, lui et l’OLP, contre les machinations réactionnaires des Baassistes
syriens, nous n’avons en aucun cas l’obligation de glorifier son tournant
pragmatique vers Moubarak et d’en faire une sorte de coup de maître
stratégique. »
North s’opposa aux affirmations du News Line qui prétendait qu’« Arafat
avait réussi de façon brillante à ramener l’Egypte dans les calculs du
Moyen-Orient, et en même temps à éviter les griffes de Damas et d’Amman. »
Il expliqua en revanche :
« La conception que le cours de l’histoire est déterminé par des coups
géniaux réalisés sur l’échiquier diplomatique, fait partie de la conception
historique bourgeoise et non pas de la conception matérialiste de l’histoire.
Nos calculs, par opposition à ceux d’Arafat, se fondent toujours sur une
estimation de forces de classe et la force de la classe ouvrière pour la lutte
révolutionnaire contre la bourgeoisie. Pour nous, le salut de la révolution
palestinienne ne réside pas dans le fait d’éviter de tomber dans ‘ les griffes ‘
de la Syrie pour faire un bond dans celles de l’Egypte, du Maroc et, en fait,
aussi dans celles de la Jordanie, dont le roi conduit actuellement des
négociations intenses avec l’OLP et que le gouvernement Egyptien rencontrera le
mois prochain. Nous faut-il maintenant saluer cette nouvelle série de manoeuvres
diplomatiques et lui accorder notre confiance? Notre but stratégique doit
toujours rester la mobilisation de la classe ouvrière – soutenue par la
population paysanne – contre la bourgeoisie dans chaque pays du Moyen-Orient. »
North démontra que le WRP en prétendant soutenir « l’indépendance politique »
de l’OLP, soutenait en réalité et de façon non critique ses manoeuvres. « Tel
qu’il est utilisé ici, le mot d’ordre de ‘ l’indépendance politique ‘ est réduit
à une abstraction presque dénuée de sens, servant à masquer le danger selon
lequel – indépendamment des intentions d’Arafat – la logique politique des
manoeuvres de l’OLP doit conduire inévitablement cette dernière à se soumettre
aux intérêts de la bourgeoisie arabe et de l’impérialisme mondial. »
La lettre poursuivait : « Si on écrit des articles qui servent seulement à
justifier ce qu’Arafat a déjà fait et qui ne font que dépeindre en couleurs
vives telle ou telle manoeuvre pragmatique, alors nous courrons le danger d’être
victimes d’une perspective politique qui remet en question la réelle nécessité
de construire le mouvement trotskyste dans les pays semi-coloniaux et dans les
mouvements anti-impérialistes de libération nationale. Si Arafat, guidé
uniquement par son intuition, est capable de diriger l’OLP avec succès, quelle
nécessité y-a-t-il d’éduquer des cadres palestiniens dans le matérialisme
dialectique ? Il ne s’agit pas d’'un article isolé ou même seulement de
l’épisode Arafat-Moubarak. Nous avons fait l’expérience à maintes reprises
depuis 1976 que le fait de mettre en avant les capacités particulières de l’un
ou l’autre dirigeant ouvre toujours la porte à de graves fautes d’appréciation,
à de dangereuses erreurs, à d’insolubles contradictions dans notre ligne
politique. Remarquons simplement que parmi les plus fervents partisans de la
rencontre Arafat-Moubarak on peut compter Saddam Hussein que nous avons jadis
soutenu avec enthousiasme et pour la chute duquel nous appelons à présent
régulièrement. De plus, parmi les plus farouches opposants d’Arafat il y a
Mouammar Kadhafi qui, jusqu’à date récente recevait de notre part les mêmes
louanges que celles dont nous couvrons en ce moment le dirigeant de l’OLP. »
Pour finir, la lettre lançait la mise en garde suivante :
« Nous pensons que le problème fondamental réside en ce que le Comité
International n’a encore tiré aucun bilan des huit dernières années de son
travail. On ne peut certainement pas aller d’une alliance à l’autre, sans
analyser concrètement chaque expérience par laquelle le Comité international est
passé. Sans une telle analyse nous serions confrontés à une confusion toujours
croissante qui, si elle n’est pas corrigée, produirait inévitablement des
désastres politiques dans les sections. »
North lança un appel à Banda pour qu’il aide à renouveler « la lutte
contre le révisionnisme pabliste – en particulier contre l’expression de ses
conceptions dans nos propres sections. Commençons ce travail en profitant de
l’occasion que nous offre la rencontre prévue du CI pour créer les conditions
pour une discussion approfondie des perspectives internationales ayant pour but
l’établissement d’un projet de résolution internationale... Certainement, il est
temps que le Comité international fournisse une réponse aux attaques des
néo-staliniens du SWP contre la théorie de la Révolution permanente et qu’il
montre que cette dernière reste le fondement scientifique indispensable pour la
construction du Parti mondial de la révolution socialiste. »
Quand la délégation de la Workers League arriva à la réunion du CI prévue
pour le week-end du 11-12 février 1984, elle découvrit que le WRP n’avait pas
contacté plusieurs sections ni organisé leur participation. Le délégué du Sri
Lanka, le secrétaire national de la Ligue Communiste Révolutionnaire (RCL) qui
est depuis 1968 membre du Comité international n’avait pas été informé de la
réunion et ne savait rien des divergences que la Workers League avait formulées
depuis 1982. Le délégué régulier de la Socialist Labour League australienne
n’était pas informé non plus. Quand le délégué de la Workers League demanda
pourquoi un militant inexpérimenté de la SLL travaillant à la rédaction du
News Line pour y subir un entraînement remplaçait le délégué régulier
australien, cette objection fut écartée faute d’importance. Le délégué péruvien
n’était pas non plus informé de la réunion. Quant à la section grecque, l’un de
ses membres avait une relation intime et secrète avec Healy, tandis que l’autre,
le secrétaire national Savas Michael, avait visité l’Iran sur ordre de Healy,
violant ouvertement la discipline du CIQI. De plus, sa section profitait elle
aussi de ces relations sans principes avec la bourgeoisie nationale. La déléguée
espagnole faisait également partie de cette fraction sans principe et fut
identifiée par la secrétaire de Healy comme une autre de ses associées intimes.
Qui plus est, la Workers League devait apprendre par la suite que la direction
du WRP avait engagé une campagne de calomnies contre David North, laissant
entendre obscurément qu’on ne pouvait pas lui faire confiance, selon la devise
« On ne sait pas qui est North. »
Dans ces conditions, le résultat du meeting était déterminé d’avance. Les
délégués qui étaient présents n’avaient pas lu les lettres de D. North à Banda
et Slaughter avant d’arriver au meeting du CI et il n’y avait pas eu de
discussion au sujet des divergences politiques dans les comités centraux des
différentes sections. En fait, aucune d’entre elles n’était même au courant de
ces divergences.
Le rapport présenté par D. North constituait une réponse au projet de
résolution préparé par Slaughter. Ce projet ne contenait aucune analyse du
développement politique ou économique après 1971 et se réduisait à une
récapitulation stérile, formelle et à peine esquissée de l’histoire du mouvement
trotskyste. North critiqua ce projet parce qu’aucune estimation des expériences
stratégiques de la classe ouvrière et du CIQI depuis 1971 n’était mentionnée et
présenta son propre rapport, s’attachant à montrer que le WRP avait poursuivi la
même ligne dans sa politique internationale que le SWP américain. Il fit une
rétrospective des alliances du WRP au Moyen-Orient depuis 1976, et remarqua
que : « Au plus tard depuis la mi-1978 se développa une orientation générale
vers des relations avec des régimes nationalistes et des mouvements de
libération nationale sans la perspective correspondante pour la construction
réelle de nos propres forces dans la classe ouvrière. Une estimation totalement
dépourvue de critique et ne correspondant pas à la réalité commença à émerger
dans notre presse, incitant nos cadres et la classe ouvrière à considérer ces
nationalistes bourgeois comme des dirigeants ‘ anti-impérialistes ‘ auxquels on
devait donner un soutien politique. »
Le rapport poursuivait en évoquant le soutien donné par le WRP à l’exécution
des membres du Parti communiste irakien, ses virements de ligne dans la guerre
entre l’Irak et l’Iran, sa définition de la Libye comme Etat socialiste, et les
éloges distribués sans aucune critique vis-à-vis du régime de Khomeyni de la
part de S. Michael. Puis, il mentionna la ligne prise par le WRP dans la guerre
des Malouines et posa pour finir des questions à propos de l’orientation du WRP
vers certaines sections de la bureaucratie travailliste en Grande-Bretagne. Le
rapport remettait en question l’appréciation de Livingstone et de Knight par le
WRP et critiquait leur politique vis-à-vis du NGA.
Le rapport constatait aussi qu’il y avait eu un « long processus
d’adaptation à des forces petites-bourgeoises » et expliquait qu’« à sa
base il y avait des racines théoriques bien définies, à savoir une méthode
empiriste masquée par une phraséologie hégélienne qui n’avait rien à voir avec
le marxisme. La glorification de la perception sensible et le rejet du
matérialisme historique. »
Le rapport concluait ainsi: « Nous sommes inquiets de la gravité des
divergences politiques et idéologiques. Mais nous croyons que ces problèmes
peuvent être surmontés par des discussions sérieuses et honnêtes. Ce dont nous
avons besoin, c’est d’une véritable discussion dans le Comité international et
dans les directions des sections nationales. Il faudrait élaborer des documents
et les faire circuler. Il faut travailler de cette manière. Le CI ne peut en
sortir que renforcé. Participer à cette discussion et y trouver des
enseignements intéresse beaucoup la Workers League. Nous tenons beaucoup à la
collaboration avec nos camarades britanniques et avec toutes les sections du CI.
Etablissons un plan exact pour cette discussion et oeuvrons sur cette base en
vue de l'organisation d’une conférence du CI. »
La délégation britannique se composait de Banda, Slaughter et de l’inévitable
Geoff Pilling qui devait, un mois plus tard et une fois de plus, déserter le
mouvement – non sans qu’on lui ait donné, une fois encore, l’occasion de
dénoncer la Workers League. Healy, politiquement un lâche, refusa de participer
à la réunion et de défendre la ligne de son organisation. Il en laissa le soin à
Banda et Slaughter. Leur défense consista à accuser la Workers League d’avoir
grossièrement déformé les positions du WRP et d’avoir tiré quantité de
conclusions insoutenables à partir de déclarations parues dans le News Line.
On mit cela sur le compte, bien sûr, du pragmatisme américain, pragmatisme qui
avait incité la Workers League à « dégainer sans réfléchir ». Les
délégués britanniques firent savoir qu’ils étaient disposés à scissionner avec
la Workers League immédiatement si les divergences n’étaient pas élucidées sur
le champ, en clair, si la Workers League ne retirait pas ses critiques. Le
délégué grec mit la Workers League au pilori de façon aussi chauvine qu’éhontée,
et déclara que la critique de D. North vis-à-vis du WRP était une expression du
« messianisme américain. » Aucun des délégués présents parmi les autres sections
n’exprima le moindre accord avec la critique de la Workers League ou laissa
apparaître qu’elle méritait d’être plus amplement discutée. Le climat politique
de la réunion devint de plus en plus subjectif et hystérique, surtout en ce qui
concerne Banda. Il était clair qu’il n’allait y avoir aucune discussion sérieuse
et que le CIQI était, à cet instant, incapable de travailler comme un parti
international.
Face à une telle situation, la délégation de la Workers League décida
d’essayer de gagner du temps et accepta avec beaucoup d’hésitation ce
qu’exigeait la délégation britannique, c’est-à-dire de retirer sa critique. La
seule alternative aurait été de scissionner dans des conditions où les positions
de la Workers League n’étaient pas connues dans les sections du Comité
International.
Le sabotage de la discussion ne fut possible que grâce au rôle déloyal de
Banda et Slaughter. Ils organisèrent une attaque fractionnelle concertée contre
la Workers League, dans des conditions où Healy était si faible politiquement
qu’il était incapable de défendre lui-même ses vues. Le jour qui suivit la
réunion du CI, le 14 février 1984, Healy envoya une lettre à Slaughter dans
laquelle il félicitait ce « Cher Cliff » du « bon boulot politique »
qu’il avait accompli. Healy se vantait de ce que « nous sommes assez forts du
point de vue du développement de la méthode matérialiste dialectique pour
débusquer idéologiquement nos adversaires impérialistes les plus importants et
les plus puissants. »
Il étaya ensuite cette incroyable calomnie par à son habituel verbiage
dialectique totalement dénué de sens : « Nos adversaires virent les opposés
de façon métaphysique, comme des opposés s’excluant mutuellement et ils
opposèrent leur section faisant partie du Parti mondial au Parti mondial
lui-même. Dans leur esprit, les deux devinrent des opposés s’excluant
mutuellement. Pour maintenir l’illusion métaphysique, ils se servirent d’une
sélection pragmatique de citations sans contenu réel, afin de les utiliser
(sic) de la façon de l’idéalisme subjectif contre le développement politique
du Comité international.
« En tant que matérialistes dialectiques, nous considérons les opposés dans
leur unité et leur interpénétration mutuelle, nous avons répondu à leur défi par
une véritable attaque frontale, au cours de laquelle nous avons démasqué les
arguments de nos adversaires concrètement dans les conditions de la révolution
mondiale, telles qu’elles existent aujourd’hui. Nous prenons comme base et point
de départ de notre lutte l'unité du Comité international en tant que noyau du
Parti mondial et la crise économique et politique du capitalisme. Cela fut et
cela reste la base de nos généralisations théoriques et de leur expression dans
notre pratique en tant qu’unité et identité des contraires. Toutes les
structures et processus qui les englobent proviennent de cette unité et
interpénétration des contraires dialectiques. Pour cette raison, nous avons
transformé les opposés l’un en l’autre par tous les procédés imaginables et en
sortîmes avec une nouvelle identité des opposés à un niveau plus élevé. Nous
avons évité la scission mise à l’ordre du jour par les pragmatistes
métaphysiques, et avons au contraire constitué une nouvelle unité et identité
des contraires, dont ils font encore partie. Nous nous réjouissons de continuer
à travailler de cette manière. Nous nous servirions encore, si nécessaire, de
tous les moyens imaginables ».
Fasciné par les rotations dialectiques de la tête de Healy,
Polonius-Slaughter se mit sur-le-champ à rédiger une réponse à cette lettre et à
exprimer son admiration devant la profondeur de cette analyse. Voici la lettre
de Slaughter du 16 février 1984 :
« Cher Gerry,
« Merci de ta lettre du 14 février. Je crois que ce que tu dis touche plus
profondément au contenu essentiel de ce qui a eu lieu au meeting du CI, les 11
et 12 février. L’attaque de la section américaine a pour contenu la nécessité
pour l’impérialisme américain de détruire le CI. Le fait que nous ayons été en
mesure de repousser cette attaque, signifie que l’éducation des cadres dans le
matérialisme dialectique, ces dernières années, répondait réellement aux
exigences créées par les profonds processus de transformations révolutionnaires
ayant lieu dans le monde objectif. Sans un travail systématique sur les tomes 14
et 38, nous n’aurions jamais été à même de comprendre aussi clairement et de
manière aussi consciente, cette nécessité objective se situant au coeur de ces
interconnections ni de baser notre réponse sur cette même nécessité.
« Mais pas seulement cela : nous devons comprendre – comme tu l’expliques à
la fin de ta lettre – que la nouvelle unité et le nouveau conflit des opposés
ainsi établis n’est un processus ni accompli, ni achevé en lui-même, mais qui se
développe constamment en relation étroite avec la révolution mondiale, dont il
fait partie. C’est pourquoi, nous continuons à utiliser, ‘ si nécessaire, tous
les moyens imaginables ‘.
« Salutations fraternelles, Cliff »
Ces lettres, exhumées par la Commission internationale de contrôle, peuvent
être qualifiées de criminelles quant à leur contenu politique. Si on leur enlève
leur jargon pseudo-scientifique, elles révèlent le mépris avec lequel Healy et
Slaugther considéraient la Quatrième Internationale et leur indifférence
vis-à-vis des répercussions politiques de leur fractionnisme sans principe sur
le mouvement ouvrier international. Il leur était égal de détruire des cadres
trotskystes au coeur même de l’impérialisme mondial ou ailleurs dans le monde,
cadres éduqués et aguerris dans une lutte contre le révisionnisme durant des
décennies. Ceux qui ont lu les écrits de Slaughter sur Gramsci, Lucas et Walter
Benjamin, pourraient se demander comment cet humaniste anglais cultivé a pu en
arriver à écrire une réponse bassement flatteuse à une lettre aussi dépravée que
dépourvue de toute valeur intellectuelle, et surtout comment il a pu soutenir
l’utilisation de « tous les moyens imaginables » dans la lutte contre la Workers
League. La réponse se trouve dans la réalité de la lutte de classe. Lorsqu’ils
sont confrontés avec les questions fondamentales de la révolution socialiste,
les philistins petits-bourgeois – dont beaucoup se prétendent marxistes – sont
prêts à faire tous les compromis nécessaires avec leur conscience pour s’allier
à ceux qui défendent les intérêts de leur classe. Dans les années trente, on
pouvait trouver dans le Parti communiste britannique des hommes non moins
cultivés que Slaughter, tels Palme Dutt et D. N. Pritt, conseiller royal, qui
défendirent les procès de Moscou pour les mêmes raisons de classe.
Bien sûr, le philistin n’aime pas qu’on recherche les causes de sa trahison
dans ses racines de classe. C’est pour cela que Slaughter insiste maintenant, au
lendemain de la crise qui a exposée toute la putréfaction du WRP, pour qu’on ne
cherche pas ses causes dans des forces de classe – mais plutôt dans une
abstraction psychologique apaisante, qu’il qualifie « d’hostilité britannique
envers la théorie ».