WSWS :
Histoire et
culture
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme
1973-1985
Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale
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Deuxième partie: La trahison de la Révolution Permanente
27. La guerre des Malouines : Healy, laquais de l’impérialisme
28. Comment Healy a « défendu » l’OLP
29. Le WRP et la lutte de libération irlandaise : un cas
d’hypocrisie chauvine
27. La guerre des Malouines : Healy, laquais de
l’impérialisme
La guerre des Malouines qui éclata entre la Grande-Bretagne et l’Argentine en
avril 1982 révéla la putréfaction politique de la direction centrale du Workers
Revolutionary Party. Elle révéla avant tout que Healy, totalement corrompu par
sa prostitution des principes durant toute la décennie précédente, se trouvait
d’ores et déjà à l’extrême droite du WRP, et bien plus à droite que la plupart
des groupes pablistes et même de sections du Parti travailliste et du Parti
communiste. Ayant, pendant des années, prétendu défendre les luttes de
libération nationale, tout en agissant à l’intérieur du mouvement ouvrier
britannique comme agent et propagandiste à la solde de la bourgeoisie coloniale,
Healy s’avéra incapable de conduire une lutte de principes pour défendre une
nation opprimée, confrontée à l’agression de l’impérialisme britannique.
La première réaction du WRP fut politiquement confuse, car Healy avança la
thèse selon laquelle le conflit entre la Grande-Bretagne et l’Argentine était
une guerre inter-impérialiste. Dans un éditorial daté du 3 avril 1982, Healy
présenta ainsi sa théorie sur l’origine de la guerre :
« L’Argentine est un des Etats clients de l’administration Reagan en Amérique
Latine et il est significatif que les protestations de Washington soient restées
de nature purement formelle. L’impérialisme américain veut arracher le contrôle
des Falklands pour deux raisons fondamentales. Premièrement, sous les eaux de
l’Atlantique aux alentours des îles se trouvent de riches réserves de pétrole –
peut-être dix fois plus importantes que celles de la mer du Nord. Deuxièmement,
le Pentagone tient à établir une base de communications dans la région pour
surveiller le trafic maritime autour du Cap Horn. »
L’éditorial mit l’accent sur les crimes de la junte et ne fit référence à la
Grande-Bretagne que dans la deuxième moitié de la déclaration. Aucune mention ne
fut faite des droits historiques de l’Argentine sur les Malouines que, soit dit
en passant, le News Line s’obstina pendant un certain temps à appeler les
« Falklands ». Fait significatif, le même numéro du journal comportait un
article en page 2 intitulé de façon provocante : « L’Argentine envahit les
Falklands. »
La ligne politique du parti telle qu’elle fut dictée par Healy était
clairement résumée par le titre du journal daté du 5 avril 1982 : « Ceci
n’est pas notre guerre. » Il a affirmé que « la classe ouvrière en
Grande-Bretagne et en Argentine n’ont absolument aucun intérêt dans cette
guerre, qui ne sert que les intérêts des monopoles pétroliers, des marchands
d'armes et des chefs des forces armées. »
Les divergences dans la direction du parti se manifestèrent le jour suivant
en gros titre du News Line : « Pour les ouvriers britanniques et
argentins, l’ennemi principal est dans leur propre pays. » Tandis que
l’article de tête évoquait la nécessité d’élections législatives, figurait sur
la même page une annonce invitant le 8 avril à une réunion publique au sujet de
la guerre avec les revendications suivantes : « Les Iles Falklands – Ceci
n’est pas notre guerre ! Benn et l’opportunisme des dirigeants travaillistes. »
A travers l’ensemble du parti et même jusqu’à la rédaction, il y avait la
revendication instinctive d’une campagne contre Thatcher. Mais le bureau de
Healy s’y opposait et appela à une réunion publique afin de dissocier le WRP de
toute campagne contre le gouvernement ; l’+annonce publique concentrant son tir
contre le seul député qui avait appelé explicitement à des élections
législatives.
Le News Line ne rapporta pas les discours de la réunion du 8 avril,
mais cita une résolution votée à l'unanimité qui se termina par un appel pour
des élections législatives.
Cet appel pour une campagne contre Thatcher rendit Healy fou de rage et
l’obligea à réagir. Il écrivit une lettre politique, datée du 10 avril 1982,
« à chaque membre et cadre du WRP ». Cette lettre représentait sans aucun
doute une attaque de droite visant principalement ceux qui, dans le parti,
accordaient tout au moins un soutien critique à l’appel de Benn pour chasser le
gouvernement conservateur. Il est certain que jamais dans l’histoire de la
Quatrième Internationale, un dirigeant influent d’une section nationale n’eut
recours à des sophismes d’une telle vulgarité pour justifier sa capitulation
devant un gouvernement impérialiste et son opposition au droit d’un pays
semi-colonial de se défendre contre une attaque impérialiste.
La lettre commençait par le projet d’un scénario politique fictif destiné à
dénaturer les réelles questions de classe dans cette guerre :
« 1. La crise inter-impérialiste à propos de l’'avenir des réserves
pétrolières dans la région des Falklands [ !! ] est un nouveau et
puissant témoignage de l’éclatement des rapports politiques et économiques dans
le camp de l’impérialisme mondial.
« L’impérialisme américain soutient l’Argentine en secret [ ! ],
tout en déclarant son amitié envers la Grande-Bretagne. En réalité, la force
motrice de ce rapport hypocrite est le déclin mondial de l’impérialisme
américain lui-même. »
Cette théorie bizarre concernant les origines du conflit, contredite par le
rôle indispensable joué par les Etats-Unis dans le ravitaillement et la défense
de la flotte britannique en route vers l’Atlantique Sud, servait de base à la
définition de la guerre comme une « crise inter-impérialiste ». Cette fausse
caractérisation devenait une justification pour le refus du WRP d’apporter tout
appui politique aux masses argentines dans leur lutte contre l’impérialisme
britannique. La lettre continuait ainsi :
« Pour la Grande-Bretagne, confrontée à l’effondrement mondial du prix du
brut et poussée au désespoir sur le sort de ses énormes investissements dans la
mer du Nord, les conséquences sont catastrophiques. Si sa marine démodée et
techniquement dépassée parvient à ressusciter l’esprit du corsaire Francis
Drake, cela n’a rien à voir avec l’avenir des 1 800 semi-féodaux Anglais
arriérés qui habitent les îles. Le pétrole est la question brûlante, surtout
s’il peut être extrait à des frais bien moindres que dans la mer du Nord,
contribuant par là, à récupérer au moins en partie la charge des investissements
excessifs de capital. Ainsi la flotte conventionnelle et la flotte nucléaire se
précipitent dans une aventure militaire qu’elles ne peuvent pas
gagner. » (caractères gras dans l’original)
Healy connaissait encore moins la géographie qu’il ne connaissait le principe
léniniste de l’autodétermination. Il ne basait son affirmation que le
« pétrole est la question brûlante » sur aucune analyse économique, il ne
donnait aucune explication sur la façon dont les réserves pétrolières au fond de
l’Atlantique, à près de 15 000 kilomètres de la Grande-Bretagne auraient pu être
exploitées à meilleur marché que celles de la mer du Nord. De surcroît, Healy ne
se donna même pas la peine de résoudre la contradiction flagrante entre son
affirmation que le pétrole « dans le voisinage des Iles Falklands »
résoudrait les problèmes d’« investissements excessifs de capital » dans
la mer du Nord, et la réalité de milliards de livres sterling dépensées par le
gouvernement britannique pour envoyer sa flotte dans l’Atlantique Sud. Ce serait
comique si ce n’était pas répugnant sur le plan politique.
Le niveau très bas qu’avait atteint le raisonnement politique de Healy est
également révélé dans son affirmation catégorique selon laquelle la
Grande-Bretagne « ne peut gagner ». La prévision n’était pas seulement
erronée, elle révélait le manque de sérieux de son approche des tâches
politiques du WRP. S’il avait réellement prédit une catastrophe militaire
imminente pour l’impérialisme britannique, tout marxiste se devait de tirer deux
conclusions fondamentales. Premièrement, que la destruction de la flotte
britannique en Argentine et la perte subséquente des milliers de vies aurait
provoqué l’effondrement immédiat du gouvernement Thatcher et créé, presque du
jour au lendemain, une situation profondément révolutionnaire. La deuxième
conclusion, qui découle de la première, était que le WRP devait mobiliser toutes
ses forces pour une défaite militaire et préparer le parti à des conséquences
probables d’une telle situation. Healy n’a, ni tiré la première conclusion, ni
travaillé sur la base de la seconde.
Sa lettre était criblée de banalités incohérentes à tel point qu’on aurait pu
les prendre pour du radotage sénile. La crise du régime bourgeois était décrite
comme un problème « d’hommes d’Etat indécis et de grands scandales. Du
patriarche MacMillan (‘ Vous n’avez jamais aussi bien vécu ‘ Supermac ) jusqu’à
Profumo. De Sir Harold et de la ‘ spéculation de scories ‘ à ‘ maintenant je
suis un Tory ‘ Marcia. Des Kennedy ‘ nouvel horizon ‘au désastre de la Baie des
Cochons. De Nixon à Watergate. De Reagan à on ne sait quoi ? etc., etc. »
Finalement Healy en vint à la nature de classe de la guerre et citait une
section du tome 21 des Oeuvres complètes de Lénine ayant trait à
l’attitude des socialistes vis-à-vis de la guerre et prouvait l’instant d’après
qu’il n’avait rien compris à ce qu’il citait :
« Ces principes léninistes sont aussi fondamentaux en ce qui concerne les
Iles Falklands aujourd’hui qu’ils l’étaient lorsque Lénine les a écrits en 1915.
Il s’agit ici de notre attitude vis-à-vis de la guerre impérialiste, car nous
sommes en présence d’un conflit entre les intérêts de l’impérialisme britannique
et ceux de la junte argentine, agissant comme figure de proue des intérêts de
l’impérialisme américain, selon lequel ‘ la guerre est une continuation de la
politique par d’autres moyens ‘ (à savoir violents). »
La citation de Lénine avait mis l’accent sur le fait que les marxistes
« considèrent nécessaire d’étudier chaque guerre historiquement (du point de vue
de la dialectique matérialiste de Marx) et séparément. » Une telle approche
était complètement opposée au subjectivisme de Healy – qui niait l’existence de
tout contenu historique dans les catégories dialectiques et croyait que le fait
de mémoriser des noms et des séries de concepts logiques, notés au cours d’une
lecture confuse des ouvrages de Hegel, pouvait servir à justifier ses
impressions arbitraires et fournir la bonne réponse à tout problème politique ;
il a refusé d’appliquer cette méthode logico-historique correcte à l’étude de la
guerre des Malouines. Les premières victimes de son mépris ignorant du marxisme
étaient les catégories politiques fondamentales de nations opprimées et
opprimantes, sans lesquelles il est impossible de définir une guerre
à l’époque impérialiste.
Incapable de faire la différence entre la Grande-Bretagne impérialiste et
l’Argentine, Healy répéta essentiellement la position petite-bourgeoise de
Shachtmann qui, dans les années 40, avait défini toutes les guerres, y compris
la lutte des chinois contre l’occupation japonaise, comme des conflits entre
impérialistes. Comme Shachtmann, Healy conclut qu’il était impossible de baser
la position du parti sur une « définition abstraite du caractère de
classe de l’Etat impliqué dans la guerre », mais plutôt que celle-ci se fondait
sur un examen soi-disant concret de la « réalité des événements vivants » – dans
ce cas, d’une dispute au sujet du pétrole, l’Argentine représentant
l’impérialisme américain.
Par conséquent, Healy déclarait dans des termes qui devraient être marqués au
fer rouge sur ses fesses : « Il ne (souligné dans
l'original) s’agit absolument pas de savoir si les îles
appartiennent historiquement à l’Argentine, comme le prétend ce lâche organe de
presse révisionniste le Socialist Worker... » Il s’est également opposé à la
déclaration suivante, qui a été publiée dans la presse des pablistes
britanniques et qui a proclamé que les impérialistes britanniques « n’ont
aucun droit à faire valoir sur ce territoire contre les Argentins. »
Healy a ensuite déversé sa fureur sur le député centriste Tony Benn qui avait
eu la témérité de répondre à la guerre des Malouines par un appel pour le
renversement du gouvernement des conservateurs – appel qui le plaçait, dans ces
circonstances, à gauche de la lâche position de Healy. Le « théoricien » du WRP
donna un exemple éclatant de sa « pratique de la connaissance » en élaborant une
série de sophismes destinés à justifier son opposition sans principe à l’appel
correct de Benn.
« Benn peut appeler au renversement de Thatcher, car il sait bien que le
chauvinisme qui sévit, non seulement parmi les Travaillistes de droite mais
également chez les soi-disant ‘ gauches ‘, assurera aux conservateurs une
majorité parlementaire et que ces derniers n’ont aucune crainte, dans
l’immédiat, de voir leur gouvernement renversé. »
Alors que Benn était au moins prêt à lutter contre le chauvinisme dans le
Parti travailliste et à s’opposer ouvertement à la guerre impérialiste, Healy,
un poltron politique complètement effrayé par l’envoi de la flotte britannique,
niait la possibilité d’une lutte contre Thatcher.
Dans ce contexte, la dénonciation de Benn de la part de Healy, en raison de
son « opportunisme parlementaire », n’était que pure duplicité. En pratique, il
défendait le gouvernement conservateur.
Healy résuma ainsi ses conclusions politiques :
« a) L’origine de la crise est la ruine de plus en plus profonde des bases
économiques et politiques de l'impérialisme mondial.
« b) Pour les ouvriers britanniques et argentins qui n’ont pas de
patrie, l’ennemi est chez eux. Cette guerre n’est pas notre guerre.
Elle est née de la nature totalement réactionnaire de
l’impérialisme.
« c) Les ouvriers britanniques et argentins doivent préparer activement la
défaite de leur propre bourgeoisie. La bourgeoisie, qui aujourd’hui intensifie
la propagande de justification de sa guerre, tournera ses fusils
contre la classe ouvrière en Grande-Bretagne tout aussi facilement qu’elle le
fait depuis tant d’années en Argentine.
« d) La classe ouvrière en Grande-Bretagne et en Argentine, comme Lénine l’a
expliqué, doit préparer activement la défaite de sa propre bourgeoisie, en
développant la lutte pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile
et, par là même, profiter des faiblesses croissantes de la bourgeoisie
impérialiste. »
Ayant déjà défini la guerre incorrectement comme un conflit entre puissances
impérialistes et ayant refusé son soutien même critique à l’appel de Benn à
renverser le gouvernement conservateur, la référence de Healy à la guerre civile
était totalement creuse et hypocrite. Derrière ses formulations éclectiques et
vagues, il dissimulait son opposition à toute politique, tout mot d’ordre ou
toute activité pratique qui risquerait de faire entrer le WRP en conflit avec
l’Etat capitaliste et de perturber le déroulement de la guerre impérialiste.
Ainsi, la lettre n’avançait aucune proposition concrète pour une intervention
dans le mouvement ouvrier britannique. Dans la lettre interne, adressée aux
cadres du parti, il n’y avait aucun mot d’ordre politique, aucune initiative
tactique proposée.
Au lieu de cela, Healy conclut sa lettre en donnant des instructions aux
membres pour qu’ils remplissent les quotas organisationnels fixés par les
apparatchiks du parti pour satisfaire les besoins financiers de la bureaucratie
londonienne :
« Il nous faut augmenter la vente du News Line de 1 800 exemplaires par jour
à partir du lundi 19 avril 1982.
« Il nous faut ce montant vital de 20 000 livres sterling pour le Youth
Training Fund (fonds de formation de la jeunesse) avant cette même date du lundi
19 avril.
« Il s’agit de deux pratiques essentielles et vitales liées directement à la
lutte révolutionnaire contre la guerre impérialiste aux Iles Falklands. Sans de
telles pratiques, nous pouvons utiliser toutes les’ phrases de gauche ’ que nous
voulons et pourtant disparaître dans le marais du révisionnisme et du réformisme
travailliste.
« Nous sommes confrontés ici à l’épreuve des épreuves... Nous attendons avec
impatience vos réponses pratiques et révolutionnaires jusqu’au 19 avril. »
Ces lignes sont d’un opportunisme achevé et dans ce cas-là, elles ont un
caractère, politiquement parlant, sinistre. Healy avait attaqué l’appel pour des
élections législatives et au renversement du gouvernement conservateur par des
sarcasmes méprisants – « nous pouvons utiliser toutes les formules de gauche
que nous voulons » et faisait de la rentrée d’argent « l’épreuve
déterminante ». Ce sont les paroles d’un homme devenu complètement
insensible aux nécessités de la lutte de classe et aux responsabilités
historiques du parti qu’il représentait. Ce que Healy attendait « avec une
certaine impatience », ce n’était pas les comptes-rendus de la base sur les
sentiments de la classe ouvrière et sur la réponse du mouvement ouvrier à
l’orientation du parti, mais « l’augmentation des ventes du News Line de
1 800 exemplaires par jour » et le « ce montant vital de 20 000
livres sterling ». Sa réponse à la guerre n’était pas celle d’un
bolchevique, ni même celle d’un centriste de gauche, mais celle d’un
opportuniste réformiste petit-bourgeois et lâche dont le seul souci était de
défendre la caisse du parti.
Cette fois-ci, Healy était allé trop loin, même aux yeux de Michael Banda qui
s’était trouvé dans l’impossibilité de fermer les yeux sur cette défense
honteuse de l’impérialisme britannique. La lettre de Healy était déjà imprimée
et acheminée aux cellules du parti lorsque Banda protesta et exigea une
modification immédiate de l’orientation politique, allant dans le sens de la
résolution votée lors de la réunion du 8 avril. Tentant d’éviter un scandale
politique, Banda arriva à convaincre Healy de la nécessité de retirer sa lettre
politique. Les exemplaires déjà envoyés furent récupérés et renvoyés au siège.
Banda prit alors en main un travail de replâtrage de la lettre politique,
éliminant toutes les attaques dirigées contre les révisionnistes et contre Tony
Benn et y ajoutait un paragraphe crucial juste après la référence à Lénine :
« Il y a une différence historique essentielle. La résistance des Argentins
face aux intérêts de l’impérialisme britannique contient un élément important de
la lutte de libération nationale, puisque ces îles appartiennent historiquement
parlant à l’Argentine et ce pays a le droit de se les voir restituer. D’où la
mobilisation spontanée des masses revendiquant leur restitution. »
Cette réorientation politique était peu à peu intégrée dans la politique du
News Line. Le 13 avril 1982, le News Line était finalement prêt à
dénoncer « la guerre impérialiste du gouvernement Thatcher contre
l’Argentine » et, le jour suivant, le WRP incluait, dans son annonce de
première page pour le premier mai, deux nouveaux mots d’ordre : « A bas la
guerre impérialiste de Thatcher aux Falklands !» et « Mobilisez la classe
ouvrière pour renverser le gouvernement Tory !»
Trois ans et demi plus tard, au milieu de l’explosion suivant la révélation
des abus abjects de cadres féminins commis par Healy, Banda glorifia le rôle
qu’il avait joué dans l’opposition à la ligne politique de Healy pendant la
guerre des Malouines. Mais comme les faits le démontrent, sa « lutte » contre
Healy a été menée d’une manière dénudée de tout principe et derrière le dos des
membres du parti et du Comité international.
L’enjeu n’était pas une simple erreur épisodique dans l’analyse politique. La
lettre politique de Healy était consciemment dirigée contre une section du
mouvement ouvrier et contre ceux qui, au sein du WRP avaient appelé à l’action
contre les Tories. Autrement dit, le véritable point de départ de Healy n’était
pas son évaluation erronée du droit de l’Argentine à la souveraineté sur les
Malouines, mais plutôt son adaptation à l’impérialisme britannique. Sa
définition de la guerre comme un conflit entre des puissances impérialistes
découlait de son opposition à toute mobilisation de la classe ouvrière pour
défendre l’Argentine.
Dans ces conditions, le refus de Banda – et, il nous faut ajouter, de Cliff
Slaughter – de s’opposer ouvertement devant tout le parti et le Comité
International à Healy avait une importance politique bien plus grande que
l’opération de sauvetage qu’il organisa à la hâte en guise de correction. Aucune
explication politique ne fut donnée aux membres à propos des circonstances dans
lesquelles le changement d’orientation eut lieu. Le premier commandement du
bolchevisme, à savoir démasquer l’aile droite du parti – fut violé. Plus tard,
en 1982, lorsqu’un membre du Comité central du WRP avait écrit à Banda pour se
plaindre de cette opération de dissimulation politique, il fut immédiatement
expulsé du parti. Tout ceci équivalait à une couverture consciente du rôle de
Healy au sein de la direction du parti en tant que laquais de l’impérialisme
britannique. En réalité, Banda laissait la bombe à retardement amorcée au sein
du WRP et du CI de la Quatrième Internationale. Il savait au même titre que
Slaughter et tous ceux qui étaient au courant des événements de début avril
1982, que Healy était politiquement inapte à rester à la direction du mouvement
trotskyste.
Dans des articles qui furent publiés dans le News Line pendant la
guerre, des dénonciations virulentes étaient proférées à l’égard de certaines
tendances de droite dans le mouvement ouvrier, dont les positions étaient
similaires ou identiques à celles de Healy. Le 28 mai 1982, en réponse à un
lecteur qui avait avoué être dégoûté par la politique pro-impérialiste de la
direction du Labour Party et qui avait demandé une explication de leur rôle, le
News Line répondait :
« Le premier point et le plus important à saisir, c’est que Foot [Michael
Foot, dirigeant du Parti travailliste, 1980-1983] et ses complices ne sont
pas de ‘ mauvais ‘ individus qui ont commis une ‘ erreur ‘ et que notre tâche
consiste à tenter de les corriger. »
En réponse à une autre question concernant la politique du groupe
« Militant » sur la guerre, qui ne différait en rien de celle de Healy, le
News Line du 12 juin 1982 déclarait :
« La tendance ‘ Militant ‘est un groupe de faux ‘ trotskystes ‘renégats qui
fournissent une couverture à l'aile droite du Parti travailliste. Se posant en
marxistes, le rôle de ‘ Militant ‘est de tenter de faire obstacle à tous ceux
qui commencent à s’orienter vers une politique révolutionnaire sérieuse. En
réalité, ce sont d’abjects réformistes, des défenseurs de la voie parlementaire
au socialisme et qui collaborent étroitement avec la bureaucratie contre l’aile
gauche du Parti travailliste.
« Ainsi l’appel pour une ‘ orientation de classe ‘contre la guerre n’est
qu’un écran de fumée derrière lequel ‘ Militant ‘ s’aligne effectivement avec
l’aile droite du Labour Party (comme l’a fait Healy contre Benn)
et l’impérialisme américain et britannique dans la guerre impérialiste
réactionnaire contre l’Argentine. »
Dans le Labour Review du mois d'août 1982, Slaughter a rédigé une
analyse impitoyable de la politique du dirigeant de « Militant », Ted Grant. Il
a employé des expressions telles « un fatras d’incohérences », « des
larmoiements sentimentaux » et « une confusion désespérante » pour caractériser
l’équation « healyiste » de l’Argentine et la Grande-Bretagne prônée par Grant
et en faisant la mise en garde qu’« il s’efforce de ‘ tordre ‘ le marxisme
pour qu’il corresponde à son opportunisme et à sa trahison ». Il a
ridiculisé Grant pour avoir nié ce que « tout être humain dans le monde qui
lutte contre l’impérialisme a compris... » et concluait que « cette
trahison, se posant en marxisme, doit être dévoilée par tous les moyens
possibles. » (pp. 11-15) Mais cette règle ne s’appliquait pas au principal
dirigeant du WRP.
Il y a encore une autre facette à cette histoire lugubre. Au cours de son
rectificatif de l’orientation grotesque de droite de Healy, Banda a introduit
quelques nouveautés opportunistes bien à lui. En réponse à un lecteur qui avait
demandé quelle position le WRP adopterait vis-à-vis de la junte argentine s’il
travaillait dans ce pays, la réponse publiée dans la rubrique journalière
« Questions et Réponses », pour laquelle Banda était politiquement responsable,
était la suivante :
« Une section du CIQI en Argentine soutiendrait inconditionnellement la
bourgeoisie argentine contre l’impérialisme britannique...
« Un parti marxiste en Argentine se devrait de former un front uni avec la
junte militaire bourgeoise dans la lutte contre la guerre de rapine de
l’impérialisme britannique et américain.
« Ceci ne devrait entraîner aucune compromission en ce qui concerne
l’indépendance de la classe ouvrière et de son avant-garde révolutionnaire. »
(1er juin 1982)
Il s’agissait d’une caricature minable de la position de Trotsky : parler du
soutien inconditionnel de la bourgeoisie argentine nie d’avance l’indépendance
politique de la classe ouvrière ; offrir à la junte un « front uni » signifiait
déformer cette notion du marxisme et trahir la classe ouvrière.
Dans la direction de la lutte démocratique pour l’auto-détermination
nationale, la classe ouvrière argentine ne défend ni la bourgeoisie, ni ses
fonctionnaires militaires. Comme l’a écrit L. Trotsky dans le Programme de
Transition : « En soutenant un pays colonial ou l’URSS dans la guerre, le
prolétariat ne se solidarise pas dans la moindre mesure avec le gouvernement
bourgeois d’un pays colonial, ni avec la bureaucratie thermidorienne de l’URSS.
Au contraire, il maintient son indépendance politique aussi bien envers l’un
qu’envers l’autre. En aidant une guerre juste et progressiste, le prolétariat
révolutionnaire conquiert les sympathies des travailleurs des colonies et de
l’URSS, y affermit ainsi l’autorité et l’influence de la Quatrième
Internationale et peut aider d’autant mieux au renversement du gouvernement
bourgeois dans le pays colonial, de la bureaucratie réactionnaire en URSS. »
(Léon Trotsky, Programme de Transition, Editions la Brèche, p. 40)
Dans les conditions concrètes qui furent à l’origine de la guerre des
Malouines, il aurait été doublement traître de suivre la politique suggérée par
Banda. Celle-ci aurait placé de virtuels trotskystes argentins dans un « front
uni » non seulement avec la junte mais également avec tous les petits-bourgeois
chauvins enragés du pays, y compris avec ceux qui faisaient le sale boulot de
Galtieri dans ses escadrons de la mort.
La junte s’était lancée dans la guerre comme dans une diversion désespérée
pour mettre un terme à son effondrement imminent. Elle avait conduit la guerre
de façon à assurer le maximum de souffrances aux soldats de la classe ouvrière
et de la paysannerie argentines, en assurant la victoire finale de
l’impérialisme britannique. Dans cette situation, les trotskystes auraient
utilisé la guerre afin d’accélérer le renversement révolutionnaire de Galtieri
et toute leur agitation aurait été organisée dans ce but, tout en se gardant de
refuser l’action coordonnée avec le gouvernement là où celle-ci se révélait
nécessaire, dans la mesure où notre parti n’est pas encore en mesure de
renverser le gouvernement. En aucun cas, nous n’expliquerions ces actions dans
des termes qui pourraient donner la moindre crédibilité au régime, ou rendre
notre parti responsable pour les actions de la junte. A tout moment, nous
démasquerions la nature traître de la bourgeoisie, l’incompétence et la
dégénérescence de ses officiers et exigerions que les ouvriers soient armés et
que leurs propres milices soient formées. En même temps, nous proposerions aux
masses notre programme pour un gouvernement ouvrier et paysan et pour la
liquidation du capitalisme argentin par la dictature du prolétariat.
Le bref flirt du WRP avec la junte en Argentine était le produit le plus don
quichottesque de l’élévation de la lutte armée au niveau d’une stratégie par
Banda. Ce faisant, il a forgé un critère erroné, qui a permis au WRP de laisser
planer la possibilité qu’un conflit militaire puisse transformer une bande de
mercenaires fascistes en opposants intransigeants de l’impérialisme et en
libérateurs potentiels de la classe ouvrière. Le 17 juin 1982, le News Line
défendait sa déclaration précédente qui disait que la Grande-Bretagne ne
pourrait jamais reprendre les Malouines en acceptant les prétentions de la junte
et en prévoyant une guerre prolongée. Cet article, écrit sous la surveillance de
Banda, a cité respectueusement les affirmations imbéciles du « président »
Leopoldo Galtieri, du « ministre des Affaires étrangères » Costa Mendez et du
« ministre de la Défense » Amadeo Frugoli et a affirmé que « Ces sentiments
sont largement répandus en Amérique Latine »– comme s’il existait une réelle
identité entre ces tyrans discrédités, qui devaient bientôt être arrêtés et
emprisonnés, et les sentiments sincèrement anti-impérialistes des masses.
L’article définissait ensuite la guerre des Malouines comme le point de
départ d’un « profond réveil de la question nationale » et ne faisait
aucune référence au prolétariat latino-américain et à la lutte de classe.
Entière confiance était accordée à la junte et le News Line, acceptant
les vantardises creuses de ces généraux déconsidérés, prédisaient la
prolongation de la guerre. Tandis que Galtieri se cachait dans le palais
présidentiel et que des manifestations ouvrières massives réclamaient sa tête,
le News Line faisait une apologie honteuse de la junte :
« Quel que soit le règlement temporaire auquel on arriverait aujourd’hui, les
lignes de communication et les positions britanniques sur les îles restent les
cibles principales des forces armées argentines. » Si un « trotskyste »
argentin avait tenté d’apaiser la colère des masses en utilisant ce genre de
sophisme, il se serait fait pendre, à juste titre, à un réverbère de la Plaza de
Mayo.
Une affirmation encore plus incroyable suivait : « Dans ces conditions,
une guerre prolongée serait un bourbier qui transformerait les Malouines en
‘ guerre du Vietnam ‘ pour Thatcher, guerre qu’elle est aussi incapable de
gagner que ne le furent les Etats-Unis dans le sud-est asiatique. »
Cette prédiction prouve que le WRP n’avait pas la moindre confiance dans la
classe ouvrière britannique et dans son rôle révolutionnaire. On faisait à
présent de la junte le fossoyeur de l’impérialisme britannique, tout comme on
allait bientôt proclamer l’armée iranienne l’exécuteur des tâches
révolutionnaires au Moyen-Orient. De plus, elle confirmait que le soi-disant
« rectificatif » d’avril n’était ni plus ni moins qu’un simple travail de
maquillage politique qui n’a en rien rétabli une orientation prolétarienne dans
le WRP.
Dans plusieurs articles, Banda et le News Line ont tenté de donner une
couverture orthodoxe à leur attitude à l’égard de la junte argentine en faisant
référence à la lutte de Tchang Kaï-chek contre le Japon, dans les années 1930.
Cette comparaison était tout à fait mécanique et sans fondement. Comparer la
lutte vitale du peuple chinois – qui, pour la première fois, luttait pour son
droit à l’indépendance nationale contre les envahisseurs impérialistes qui
occupaient le pays – à la guerre de diversion lancée, en 1982, par la junte
discréditée, c’était se moquer du caractère concret de la dialectique. Même des
radicaux bourgeois plus astucieux, tel qu’Alfonsin, gardèrent leurs distances
vis-à-vis de la junte et profitèrent du fait que les pablistes argentins
s’étaient adaptés sans aucune critique aux pires éléments chauvins.
Pour résumer, la tâche des trotskystes en Grande-Bretagne consistait à
défendre inconditionnellement le droit de l’Argentine à l’autodétermination, et
à travailler à tout moment à la défaite du gouvernement britannique et de ses
forces militaires. En Argentine, les trotskystes étaient obligés de défendre le
droit à l’autodétermination nationale, avec leurs propres méthodes
prolétariennes, soutenant à tout moment l’indépendance politique de la classe
ouvrière et le drapeau de l’internationalisme révolutionnaire.
L’incapacité du WRP, dès l’origine de la guerre, à mener en Grande-Bretagne
une politique basée sur les principes ou à élaborer une stratégie
révolutionnaire pour les ouvriers argentins était liée à la répudiation, par
Healy et Banda, de la conception marxiste de l’Etat capitaliste. Ils ont
attribué un rôle libérateur à ce dernier et ont tenté de l’utiliser, sous une
forme ou sous une autre, comme outil de la politique du parti et de la lutte de
classe.
28. Comment Healy a « défendu » l’OLP
Ce rejet des enseignements les plus fondamentaux du marxisme révolutionnaire
a trouvé son expression la plus monstrueuse dans la campagne initiée en novembre
1979 et intitulée « Thatcher doit négocier avec l’OLP ! ». Des milliers de
pétitions furent distribuées aux militants du parti qui furent obligés de les
faire circuler dans le mouvement ouvrier. Pendant plusieurs mois, cette campagne
reçut une ample publicité dans le News Line. Plusieurs remarques
s’imposent au sujet de cette campagne.
Premièrement, elle a révélé le caractère opportuniste des rapports entre le
WRP et l’OLP. Ce qui était qualifié, à l’origine, d’une alliance révolutionnaire
entre les masses palestiniennes et le prolétariat d’un pays capitaliste avancé
n’était en réalité qu’un mariage blanc dans lequel le WRP était d’accord pour
servir d’intermédiaire entre l’OLP et le gouvernement britannique en utilisant
l’influence du WRP dans le mouvement ouvrier pour faire pression sur le
gouvernement Thatcher. Deuxièmement, cette campagne a démontré que Healy, en
dirigeant personnellement le travail au Moyen-Orient, n’agissait pas en tant que
porte-parole du prolétariat révolutionnaire en Grande-Bretagne, mais en tant
qu’« homme d’influence » et un client utile. Plutôt que d’avertir les dirigeants
de l’OLP des dangers et de la futilité d’une orientation vers la bourgeoisie
britannique, Healy utilisa son parti précisément pour nourrir de telles
illusions. Ce faisant, il a renforcé la confusion de l’OLP et a désorienté les
cadres du WRP ainsi qu’une partie de la classe ouvrière.
Le 9 novembre 1979, le Comité politique du WRP a publié une déclaration
réimprimée sous forme de brochure pour une large circulation dans la classe
ouvrière. Elle déclare : « Le gouvernement doit ouvrir des négociations avec
l’OLP afin d’arriver à un règlement juste du droit du peuple palestinien à
établir un Etat indépendant dans leur patrie. »
Entraîner le WRP dans une campagne basée sur cette ligne politique revenait à
trahir complètement le droit du peuple palestinien à l’indépendance. Quel
« règlement juste » pouvait bien être envisagé sous la houlette de
l’impérialisme britannique ? Ce que Healy avait en tête est exprimé dans cette
phrase : « un Etat indépendant dans leur patrie ». Dans la diplomatie
impérialiste aussi bien qu’en politique révolutionnaire, tous les mots ont un
sens et le contenu politique de cette formulation est connu partout dans le
monde comme la résolution 336 des Nations unies. Ce langage implique un accord
politique avec le sionisme, qui établit le partage historique de la Palestine et
dénie aux Palestiniens le droit de retourner dans toutes les parties du
territoire de leur pays ainsi que celui de souveraineté sur l’ensemble de leur
territoire. Cet accord les condamne à vivre dans un Etat-ghetto surveillé par
les canons de l’impérialisme.
La suite de la déclaration est en accord avec la conception d’Arafat, selon
laquelle la Grande-Bretagne a la « grande responsabilité historique et morale
... de réparer ses erreurs passées ». La déclaration du WRP donne une liste
des crimes de l’impérialisme britannique depuis le traité Sykes-Picot de 1915,
en suggérant que ce bilan répugnant pourrait être corrigé sur la base d’un appel
à la bonne conscience de Thatcher et à des négociations avec Arafat.
Parlant comme des collaborateurs de classe qui tentent de conclure un marché,
le Comité politique du WRP a déclaré : « Il est maintenant évident qu’il
n’existe aucune possibilité de paix au Moyen-Orient sans l’OLP. Aujourd’hui,
l’OLP est reconnue par plus de pays dans le monde que ne l’est Israël. Elle est
reconnue par les Nations unies, la Ligue Arabe, l’Organisation de l’Unité
africaine et le mouvement des pays non-alignés. »
Le Comité politique du WRP souhaitait probablement se joindre à cette
compagnie et voulait assurer à tout le monde qu’il était convaincu que la
« paix » pourrait être réalisée moyennant des négociations avec les
impérialistes.
L’ensemble de la campagne fit apparaître des symptômes secondaires très
réactionnaires. En tant qu’émissaire de la politique étrangère des nationalistes
palestiniens, la direction du WRP était en train d’ouvrir la voie à une
collaboration de classe en Grande-Bretagne. En effet, s’il est correct de
demander qu’Arafat négocie avec Thatcher le destin de la Palestine, alors rien
ne s’oppose à ce que les bureaucrates du TUC rencontrent le premier ministre
pour négocier le destin des syndicats. Telle est la logique
contre-révolutionnaire de l’abandon, par le WRP, de l’héritage du trotskysme. Le
Programme de Transition a spécifiquement rejeté la politique sur laquelle
était basée la campagne de pétition du WRP :
« Les ouvriers d’un pays impérialiste ne peuvent cependant pas aider un pays
anti-impérialiste par l’intermédiaire de leur gouvernement, quelles que soient,
à un moment donné, les relations diplomatiques et militaires entre les deux
pays. Si les gouvernements se trouvent en alliance temporaire et, au fond,
incertaine, le prolétariat du pays impérialiste continue à rester en opposition
de classe à son gouvernement et apporte un appui à l’’ allié ‘ non impérialiste
de celui-ci par ses propres méthodes, c’est-à-dire, par les
méthodes de la lutte de classe internationale (agitation en faveur de l’Etat
ouvrier et du pays colonial, non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre
ses alliés perfides : boycott, grèves dans certains cas, renoncement au boycott
et à la grève dans d’autres, etc.). » (Léon Trotsky, Programme de
Transition, Editions La Brèche, p. 40)
L’importance et l’application de cette politique ne sont aucunement
invalidées par le fait que l’OLP n’est pas un gouvernement. Le même principe
s’applique aux rapports avec un mouvement de libération nationale et le WRP, qui
ne se servait plus de sa boussole de classe, l’a complètement trahi.
29. Le WRP et la lutte de libération irlandaise : un
cas d’hypocrisie chauvine
A partir de 1976, la politique du WRP se caractérise par l’abandon complet de
la théorie de la Révolution permanente élaborée par Trotsky et par une
adaptation au nationalisme bourgeois qui prit des formes grotesques. La
perspective centrale de l’établissement de l’indépendance politique de la classe
ouvrière, sans laquelle il ne peut y avoir de stratégie pour la révolution
prolétarienne, fut entièrement liquidée au profit d’alliances
contre-révolutionnaires avec la bourgeoisie semi-coloniale. Healy et Banda se
découvrirent de nouveaux amis partout dans le monde – du bourgeois radical
Kadhafi au tyran assoiffé de sang Galtieri. On trouva des excuses et des
justifications à leurs crimes et à leurs trahisons, de l’appel au suicide lancé
par le dirigeant libyen à l’OLP à l’exécution des communistes irakiens.
Il existait cependant une lutte nationale envers laquelle le WRP n’avait pas
montré une telle indulgence – celle des républicains irlandais contre
l’impérialisme britannique. Les volumes de Marx et de Lénine qui
s’empoussiéraient dans la bibliothèque du WRP étaient ressortis chaque fois
qu’une bombe républicaine explosait à Londres et des citations hypocrites contre
le terrorisme individuel étaient tirées d’un fichier index spécialement exécuté
pour l’occasion. On aurait cru que la seule contribution de Marx à la question
avait consisté en de longues diatribes contre la nitroglycérine.
L’épreuve décisive de l’attitude du WRP à l’égard du droit à
l’autodétermination des nations opprimées n’était pas la Libye, ni l’Irak, ni
même l’Algérie, comme l’a récemment suggéré Banda dans une tentative de
brouiller ses propres traces. Le test décisif de la lutte contre l’impérialisme
en Grande-Bretagne est la défense sans compromis du droit des Irlandais à
unifier leur pays. L’attitude de Healy, Banda et Slaughter était un mélange
répugnant de chauvinisme et de lâcheté. La dernière série d’articles sur la
question irlandaise publiée dans la presse du WRP et digne du trotskysme a été
écrite au début des années 1970 par feu Jack Gale, avant que le WRP ne liquide
tout le travail mené pour la construction d’une section irlandaise de la
Quatrième Internationale.
L’hostilité du WRP vis-à-vis de la lutte irlandaise augmenta en proportion
directe avec son adaptation à la bourgeoisie nationale du Moyen-Orient, ce qui
démontre que ces rapports furent établis et développés non comme partie
intégrante de la stratégie anti-impérialiste mais bien plutôt comme une
escroquerie politique, afin d’obtenir les ressources matérielles nécessaires au
service des manoeuvres de Healy avec certaines sections de l’aristocratie
ouvrière en Grande-Bretagne. Il est évident que les dénonciations féroces du
« terrorisme de l’IRA » avaient moins à voir avec la défense des principes de la
théorie marxiste et avec l’éducation des ouvriers et de la jeunesse irlandaise,
qu’avec l’inquiétude des dirigeants du WRP vis-à-vis de leur propre statut légal
et de leurs rapports avec les réformistes du Parti travailliste.
Mais toute spéculation concernant les motivations personnelles de Healy et
Banda mises à part, leur attitude envers la question irlandaise avait un contenu
politique bien déterminé et qui fut exprimé dans divers documents du WRP. Dès
1981, la direction du WRP était déjà bien avancée sur la voie d’un rejet de la
défense inconditionnelle du droit à l’autodétermination de l’Irlande. En effet,
les déclarations les plus abominables parues dans le News Line furent
publiées après ce tournant politique.
Dans le Manifeste 1981, mentionné ci-dessus et adopté au Cinquième
congrès, les positions prises par le WRP sur la lutte de libération irlandaise
avaient la mauvaise odeur paternaliste et arrogante de la bureaucratie
travailliste. Le WRP a défini son programme vis-à-vis de l’Irlande, non pas dans
les termes de la lutte révolutionnaire dont le but est d’écraser l’impérialisme
britannique mais du point de vue de la « politique du gouvernement dans le
Nord de l’Irlande... basée sur le respect scrupuleux des principes de la
non-intervention et de l’autodétermination du peuple irlandais. » (p. 19)
C’est le langage des « livres blancs » impérialistes et de Whitehall. Les
trois paragraphes consacrés à l’Irlande ne lançaient pas d’appel à la classe
ouvrière britannique pour exiger la liberté pour le peuple irlandais. Pour aussi
incroyable que ce soit, la déclaration qui présentait le programme que le WRP
avait l’intention de mettre en œuvre, après la prise du pouvoir, mentionnait
« le Nord de l’Irlande », indiquant ainsi que le « gouvernement révolutionnaire
ouvrier » de sa Majesté formé par le premier ministre Healy et le ministre des
Affaires étrangères Van der Poorten (Banda) reconnaîtrait le partage de 1921 des
six comtés et, plus incroyable encore, les considérait comme partie intégrante
de la Grande-Bretagne ! Ce n’est qu’avec angoisse qu’on peut envisager le sort
sinistre qui aurait attendu les prisonniers de l’IRA après examen de leurs
dossiers par le ministre de l’Intérieur Slaughter.
La prochaine résolution qui traitait de la question irlandaise était l’opus
magnum de Banda intitulé « La théorie de la Révolution permanente de Trotsky
aujourd’hui ». Si Trotsky avait vécu pour lire ce document invraisemblable,
il s’en serait publiquement dissocié en déclarant : « Si cela est du trotskysme
alors je ne suis pas trotskyste ». Une fois de plus que trois petits paragraphes
sont consacrés à la lutte nationale irlandaise ; ils sont ensevelis dans une
section du document portant le sous-titre de « Victoire à l’OLP ». En
fait, ces paragraphes ne traitaient pas la question de la lutte irlandaise en
tant que telle. Au contraire, les références à l’Irlande ne servaient qu’à
marquer des points dans la lutte fractionnelle contre la tendance du
« Militant ».
Tandis que le document de Banda reconnaissait la légitimité historique des
diverses tendances du nationalisme bourgeois, telles le Guomindang chinois, le
Congrès national de l’Inde et les régimes du Parti socialiste arabe Baath d’Irak
et de Syrie, il proclamait la « défense inconditionnelle de Cuba, des
Sandinistes au Nicaragua et du FMLN au Salvador contre l’impérialisme
américain » (pp. 10-11), l’Irlande et l’IRA semblaient avoir été oubliés par
Banda et personne dans la direction du WRP ne s’en était soucié.
La cause probable de cette omission trouva enfin une explication un an plus
tard, dans le dernier document programmatique produit conjointement par Healy,
Banda et Slaughter à savoir la résolution du Septième congrès de décembre 1984.
Ce document faisait référence à la lutte de libération irlandaise comme
« partie indissociable de la révolution socialiste britannique » – une
prétention qui, dans le contexte de l’évolution droitière du WRP, a fourni un
semblant de couverture orthodoxe à l’indifférence pratique vis-à-vis des
responsabilités particulières des trotskystes britanniques dans la lutte contre
la domination britannique de l’Irlande. Comme nous allons bientôt le démontrer à
partir de déclarations publiées dans le News Line, la lutte de libération
irlandaise n’était vue qu’à travers le prisme de l’essor de la lutte de classe
en Grande-Bretagne et celui des intérêts pratiques du WRP.
Citant le célèbre extrait dans lequel Lénine avait dénoncé les formalistes
qui, dans le mouvement ouvrier, diffamaient la rébellion irlandaise de 1916 en
la qualifiant de « putsch », les dirigeants du WRP jugèrent bon de se distancer
de la définition classique de l’attitude marxiste vis-à-vis des guerres de
libération nationale. Ils écrivirent :
« Les remarques de Lénine n’épuisent cependant pas les problèmes concrets
posés par la lutte nationale irlandaise dans la période actuelle – qui n’est pas
celle de la guerre impérialiste et de la domination de la classe ouvrière
britannique par le réformisme – mais celle de l’effondrement du réformisme et de
la montée de la révolution socialiste en Grande-Bretagne et en Irlande. »
(p. 58)
Cette citation était suivie d’une série de critiques parfaitement correctes à
propos des limites du républicanisme, critiques qui mettaient l’accent sur le
rôle décisif de la lutte de classe prolétarienne en Irlande comme moyen de
résoudre la question nationale. Mais le caractère suspect de ces affirmations
est indiqué dans la formulation mentionnée ci-dessus – qui remplaçait la
définition scientifique de l’époque caractérisée par Lénine, par une
« nouvelle » définition qui, après une lecture attentive, s’est révélée être ni
plus ni moins qu’un prétexte pour subordonner la question irlandaise à la
conjoncture politique en Grande-Bretagne. D’un point de vue marxiste, on
n’ajoute rien en opposant la période de « l’effondrement du réformisme et de la
montée de la révolution socialiste en Grande-Bretagne et en Irlande » à la
réelle définition de l’impérialisme donnée par Lénine. En effet, la définition
de cette époque reposait sur une étude historique objective de l’économie
politique – époque analysée par Lénine comme représentant la veille de la
révolution socialiste. D’après cette définition, d’ailleurs, l’impérialisme,
qualifié politiquement par Lénine comme « réaction sur toute la ligne », annonce
l’effondrement du réformisme. La référence du WRP à la « domination du
réformisme » était donc une construction artificielle et non marxiste,
introduite frauduleusement afin de justifier leur attitude suffisante et
condescendante envers la lutte de libération irlandaise.
Ainsi, le WRP dénonçait maintes et maintes fois les actions terroristes de l’IRA
en se basant en premier lieu sur des critères égoïstes et chauvins, en les
jugeant donc selon leurs effets problématiques sur la lutte de classe en
Grande-Bretagne ou, pour être précis, selon les migraines politiques que ces
actions procuraient au WRP – au lieu de critiquer le républicanisme bourgeois
d’un point de vue principiel qui aurait reconnu l’énorme importance historique
de la lutte nationale en Irlande et qui aurait démontré l’incapacité du
nationalisme bourgeois à réaliser l’unité de la nation irlandaise et à assurer
son indépendance vis-à-vis de l’impérialisme britannique. Une « critique » dont
l’origine résidait dans la dénonciation du terrorisme plutôt que dans la
reconnaissance de l’incapacité du nationalisme bourgeois à réunifier l’île,
plaçait un point d’interrogation honteux sur la fidélité du WRP au principe de
la nécessité de l’hégémonie du prolétariat pour parachever la révolution
démocratique.
Passons maintenant à l’examen de la manière dont cette orientation
s’exprimait dans la pratique. En juillet 1982, l’IRA posa une bombe à Hyde Park,
Londres, qui tua plusieurs soldats et leurs chevaux. Cet acte fut dénoncé dans
le News Line par un éditorial qui fut défendu une semaine plus tard dans
une réponse donnée à un lecteur dans la rubrique intitulée « Questions et
Réponses ».
Déclarant que l’attentat à la bombe avait eu lieu « dans des conditions où
le mouvement des masses contre les Tories commençait à se développer », le
News Line prétendit que « les attentats à la bombe représentaient un
cadeau politique pour Thatcher qu’elle ne manqua pas une occasion d’exploiter au
maximum. Dans les jours suivants, la police bénéficia de nouveau d’une énorme
augmentation de salaire et le SAS fut mobilisé pour assurer la sécurité lors de
la cérémonie commémorative de la guerre des Falkland qui se déroulait à la
cathédrale St Paul.
« Toute cette activité fut accompagnée d’une campagne raciste contre tous les
ouvriers irlandais en Grande-Bretagne et d’un nouveau déluge d’appels chauvins
de la part de la presse.
« C’est pour ces raisons que nous appelons le mouvement ouvrier et syndical à
dénoncer les attentats à la bombe comme une provocation de l’Etat... » (27
juillet 1982)
Non seulement cette déclaration constituait une calomnie à l’égard de l’IRA
qui avait revendiqué l’action mais elle exprimait également une nouveauté
tactique jusqu’alors inconnue dans les rangs de la Quatrième
Internationale : « l’opposition conjoncturelle au terrorisme individuel. »
Probablement que Healy et Banda – qui, soit dit en passant, étaient beaucoup
moins enthousiastes vis-à-vis de la « lutte armée » lorsqu’elle se déroulait à
portée de voix du siège de Clapham – auraient adopté une position différente
vis-à-vis du terrorisme individuel pendant des périodes de reflux de la lutte de
classe, c’est-à-dire précisément au moment où les marxistes doivent mener la
lutte la plus résolue contre de telles méthodes subjectives !
En décembre 1983, au moment même où le WRP défendait la trahison des
travailleurs de l’imprimerie par les bureaucrates du syndicat SOGAT (hommes
d’« opinion politique modérée »), le parti a répondu à l’attentat de Harrods par
une dénonciation hystérique de l’IRA. Les arguments utilisés par le News Line
étaient si cyniques et si opportunistes que le WRP réussissait à miner la
lutte principielle menée par les marxistes contre le terrorisme individuel.
« C’est un outrage contre les ouvriers de Londres et le conseil municipal du
Grand Londres [GLC] qui a courageusement [ ! ] défendu le droit du peuple
irlandais à l’indépendance.C’est également un cadeau de Noël inattendu et
bienvenu pour le premier ministre Thatcher et son gouvernement conservateur haï
et secoué par la crise. » (19 décembre 1983)
Cet éditorial, qui remplissait près d’une page, n’avait plus rien à voir avec
une critique du terrorisme basée sur des principes mais tout à voir avec une
glorification de la municipalité du Grand-Londres et des opportunistes
réformistes du genre Livingstone. Quels remparts ont été « courageusement »
défendus par les bureaucrates du GLC en ce qui concerne l’indépendance de
l’Irlande ? Le News Line s’est incliné respectueusement devant le
« solide geste de soutien » de Ken Livingstone lors des succès électoraux de
l’IRA et avertit que de tels actes de solidarité pleins de noblesse avaient été
« remis en cause aveuglement » par l’« acte barbare » de Sinn Fein,
dont la « xénophobie réactionnaire » s’était transformée en « une
haine aveugle pour tout ce qui est britannique. »
Ces déclarations n’ont pas seulement démontré la corruption politique des
rapports entre le WRP et le GLC, elles ont également démasqué la fausseté de la
conception partagée par Healy et Banda au sujet du droit à l’autodétermination,
conception qui, en ce qui les concernait, n’avait rien à voir avec le trotskysme.
Argumenter contre les attentats à la bombe de l’IRA tout en faisant l’éloge des
balles de papier tirées par le GLC dans leurs communiqués de presse, revenait à
abandonner complètement la défense marxiste du droit à l’autodétermination.
Comme l’a écrit Trotsky :
« Ce qui caractérise le bolchevisme dans la question nationale, c’est qu’il
traite les nations opprimées, même les plus arriérées, non seulement comme des
objets, mais aussi comme des sujets politiques. Le bolchevisme ne se borne pas à
leur reconnaître ‘ le droit ‘ à l’autodétermination et à protester au Parlement
contre la violation de ce droit. Le bolchevisme pénètre dans les nations
opprimées, les dresse contre leurs oppresseurs, lie leur lutte à celle du
prolétariat des pays capitalistes, enseigne aux opprimés, chinois, hindous ou
arabes l’art du soulèvement, et il assume la pleine responsabilité de ce travail
à la face des bourreaux civilisés. C’est là seulement que commence le
bolchevisme, c’est-à-dire le marxisme révolutionnaire agissant. Tout ce qui
reste en deçà de cette limite est du centrisme. » (Léon Trotsky, Comment
vaincre le fascisme, Editions Buchet/Chastel, Paris, 1973, pp. 160-161)
La lutte pour cette politique bolchevique ne peut avoir de signification en
dehors de la lutte pour construire une section de la Quatrième Internationale
dans le pays opprimé lui-même. Sur cette question centrale précisément, Healy a
rompu entièrement avec le trotskysme. Tel est le vrai contenu de sa
dégénérescence politique et de sa capitulation devant l’impérialisme
britannique.