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Histoire et
culture
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme
1973-1985
Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale
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Deuxième partie: La trahison de la Révolution Permanente
17. Le WRP abandonne le prolétariat des pays arriérés
18. L’évolution de la politique du WRP au Moyen-Orient
19. Les perspectives du Quatrième congrès du WRP (mars 1979)
20. Le WRP trahit la révolution zimbabwéenne
21. Le WRP trahit les masses arabes
22. Les suites du congrès
23. La Libye : A quoi ressemblait le bloc dans la pratique
17. Le WRP abandonne le prolétariat des pays arriérés
C’est à travers son abandon de la théorie de la Révolution permanente et de
la stratégie de la révolution socialiste mondiale que l’essence opportuniste de
la ligne ultra gauchiste du WRP vis-à-vis du Parti travailliste apparaît le plus
clairement. Les relations sans principe établies par le WRP avec des régimes
bourgeois du Moyen-Orient, et qui commencèrent par un accord avec le
gouvernement libyen passé et signé à l’insu du CI en avril 1976, furent en
premier lieu une tentative de surmonter les problèmes politiques du parti en se
tournant vers des forces de classe non prolétariennes.
Au lieu d’une stratégie internationale visant à construire des partis
trotskystes dans le plus grand nombre de pays possible, le WRP développa sa
propre « politique étrangère », visant à trouver les moyens financiers
nécessaires au fonctionnement du parti en Grande-Bretagne. Une politique
reposant sur ce point de vue nationaliste et opportuniste devait inévitablement
prendre des formes qui sont parmi les plus réactionnaires qu’on puisse imaginer.
En 1978-1979, le WRP était déjà devenu, au sens littéral du terme, un agent à la
solde de la bourgeoisie arabe, et le News Line était utilisé comme organe
de propagande pour justifier les crimes et les trahisons des régimes avec
lesquels Healy avait établi ses alliances sans principe.
Le WRP jeta par-dessus bord tous les principes marxistes pour lesquels la
Socialist Labour League (le prédécesseur du WRP) s’était battue au début des
années 1960, lorsqu’elle combattit la capitulation du SWP américain devant les
pablistes. La SLL avait alors pris la tête de la lutte menée contre les
tentatives de Hansen de liquider le CI à travers une capitulation devant le
nationalisme bourgeois. La SLL avait insisté sur la nécessité historique de
construire des partis trotskystes dans les ex-pays coloniaux et semi-coloniaux,
en dépit des succès limités et épisodiques de Castro. En refusant de désigner
Cuba comme un « Etat ouvrier », la SLL défendait les fondements de la théorie
marxiste de la lutte de classe : la conception selon laquelle la voie historique
qui mène au socialisme exige la mobilisation internationale de la
classe ouvrière sur la base du programme de la dictature du prolétariat.
En se basant sur les fondements théoriques du matérialisme dialectique, la
SLL avait combattu tous ceux qui, avec Hansen et Mandel, défendaient la
conception selon laquelle des nationalistes petits-bourgeois pourraient
spontanément devenir des marxistes et remplacer des cadres trotskystes éduqués
dans la classe ouvrière sous la direction de la Quatrième Internationale.
En septembre 1963, immédiatement après la scission avec le Socialist Workers
Party, Cliff Slaughter expliquait les divergences fondamentales qui opposaient
de façon irréconciliable le CI aux pablistes.
« Dans les pays arriérés, se battre pour résoudre la crise de la direction
signifie se battre pour la construction de partis prolétariens
ayant pour but l’instauration de la dictature du prolétariat. Il est
particulièrement nécessaire d’insister sur le caractère prolétarien de la
direction dans les pays où il y a une large petite-bourgeoisie ou une large
paysannerie. Sur cette question, les révisionnistes prennent une voie opposée à
celle de V. I. Lénine et L. Trotsky, justifiant leur capitulation devant des
directions petites-bourgeoises et nationalistes en spéculant sur un nouveau type
de paysannerie. Pendant ces dernières années, les pablistes ont déclaré que le
caractère des nouveaux Etats africains serait déterminé par le caractère social
et les décisions de l’élite au pouvoir, plutôt que par la lutte de
classe comme nous l’avons compris. » (traduit de Trotskyism Versus
Revisionism, New Park, Vol. 4, p. 188)
Rejetant l’affirmation de Hansen selon laquelle « sans théorie consciente,
les hommes réagissent aux ‘ forces objectives ‘ et s’engagent dans la voie du
marxisme », et insistant sur « la question décisive de la solution des problèmes
subjectifs de la révolution mondiale », Slaughter déclarait :
« C’est dans ce sens que la lutte pour la dialectique est la lutte pour
construire le parti mondial dans chaque pays. L’un ne peut vaincre sans l'autre.
Le matérialisme dialectique ne pourra être compris et développé que par la lutte
pour construire le parti contre tous les ennemis. Le parti ne peut être
construit que par une lutte consciente pour le matérialisme
dialectique contre les idées des autres classes. C’est sur la théorie
révolutionnaire que repose la possibilité pour le parti de gagner l’indépendance
politique de la classe ouvrière. » (Ibid., p. 193)
Dans un passage, qui se lit aujourd’hui comme une condamnation de toute la
politique opportuniste adoptée par le WRP entre 1976 et 1985, Slaughter
déclarait :
« Le test décisif quant à l’orientation d'un parti marxiste à l’égard du
mouvement de masse est le succès avec lequel il construit un cadre
révolutionnaire dont les liens avec la classe ouvrière sont forgés dans la lutte
contre les opportunistes et les bureaucrates. En s’évertuant depuis 10 ou 15 ans
à ‘ se rapprocher de la nouvelle réalité ‘, les révisionnistes ont produit un
cercle de ‘ leaders ‘ et une méthode diamétralement opposés à cette préparation
révolutionnaire. Dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, il est clair que les
prétendues sections de la QI qui ont suivi Pablo ne sont devenues que des
apologètes des directions nationalistes. Leur abandon d'une orientation
indépendante pour la classe ouvrière est explicite. Une telle méthode ne produit
qu’un groupe malléable de conseillers professionnels qui ne dédaignent pas de
devenir des petits fonctionnaires, comme on l'a vu en Algérie. A partir de ces
positions ‘ influentes ‘, ils contribuent au processus ‘ objectif ‘ par lequel
les dirigeants petits-bourgeois sont poussés vers le marxisme. » (Ibid.,
p. 217)
Healy, Slaughter et Banda surpassèrent dans leur répudiation de la théorie de
la Révolution permanente – conçue non seulement comme une critique des
dirigeants nationalistes bourgeois mais comme stratégie de la révolution
socialiste mondiale – toutes les trahisons que se sont permises les pablistes
dans les années 1950 et 1960. Ils tournèrent le dos au prolétariat et à la masse
des paysans opprimés des pays coloniaux et semi-coloniaux et soutinrent
inconditionnellement leur subordination aux gouvernements bourgeois. Envoûté par
le mirage de la force politique de ces dirigeants – mirage produit par les
avantages tactiques temporaires acquis lors de la guerre israélo-arabe de 1973
et de la hausse des prix du pétrole – Healy lia l’avenir politique du WRP aux
gains qu’il espérait obtenir par diverses alliances sans principe. De cette
façon, la position politique du WRP devenait un sous-produit des pétro-dollars
recyclés des USA, de l’Europe et du Japon – confirmant ainsi dans son sens le
plus direct la définition du centrisme par L. Trotsky comme une agence de
seconde catégorie de l’impérialisme.
18. L’évolution de la politique du WRP au Moyen-Orient
L’abandon de la théorie de la Révolution permanente par le WRP ne s’est pas
faite du jour au lendemain. La direction du WRP s’engagea dans une série de
manoeuvres pragmatiques pour nouer des relations avec les régimes bourgeois
arabes au cours desquelles Healy, Banda et Slaughter accordèrent de moins en
moins d'attention aux questions politiques de principes. Ne partant à aucun
moment de la construction du Comité international de la Quatrième
Internationale, le travail du WRP au Moyen-Orient s’éloigna de plus en plus de
son point de départ prétendu – la défense de l’OLP et du droit du peuple
palestinien à l’autodétermination – pour développer des alliances avec tous les
régimes du Moyen-Orient au fur et à mesure que les occasions se présentaient.
Le WRP exploita de façon toujours plus cynique ses rapports avec l’OLP pour
renforcer ses positions dans ses négociations avec les dirigeants bourgeois
arabes. De cet opportunisme au niveau de la pratique, il s’ensuivit
inéluctablement que la direction du WRP introduise carrément des révisions dans
le programme du trotskysme, révisions qui, en écho aux conceptions staliniennes,
attribuaient à la bourgeoisie semi-coloniale et arabe le rôle dirigeant dans la
lutte anti-impérialiste. Ces révisions ouvrirent à leur tour, à partir de 1979,
la voie aux trahisons politiques les plus grotesques.
Le 29 avril 1976, le Workers Revolutionary Party signait un accord avec le
gouvernement libyen. Ni les termes, ni même l’existence de cet accord ne furent
rapportés au Comité international de la Quatrième Internationale, qui en prit
connaissance pour la première fois en novembre 1985, quand il fut découvert par
la commission de contrôle du CIQI qui enquêta sur la dégénérescence politique du
WRP.
Cette violation sans précédent du centralisme démocratique signifiait que le
travail de la section britannique au Moyen-Orient échappait à tout contrôle du
Comité international. Pendant un certain temps, le développement dans les
coulisses de ce type de contacts fut masqué par des déclarations formellement
exactes concernant la situation politique au Moyen-Orient, comme par exemple la
dénonciation par le CIQI de l'invasion du Liban par la Syrie en 1976 et du
massacre de Tel-al-Zaatar. Une déclaration rédigée par le Comité politique du
WRP en novembre 1976, fut une des dernières déclarations réellement trotskystes
publiées par le CIQI sur le Moyen-Orient :
« C’est la responsabilité des ouvriers juifs et arabes de vaincre cette
conspiration agressive. Seule la victoire inconditionnelle des peuples arabes
contre le sionisme, le renversement de l’Etat raciste d’Israël et la création
d’une Palestine démocratique et socialiste peuvent mettre fin à la menace d’une
autre guerre. Dans cette lutte, la classe dominante arabe ne peut que jouer un
rôle lâche et traître, oscillant entre l’impérialisme et les travailleurs et
paysans arabes. C’est là la leçon incontestable de l’invasion du Liban par la
Syrie...
« La tâche de libérer la nation arabe de l’impérialisme et de vaincre
définitivement le sionisme, ne peut être confiée aux capitalistes et
propriétaires terriens arabes réactionnaires. Cette tâche peut et doit être
accomplie par les travailleurs juifs et arabes sous la direction du Comité
international de la Quatrième Internationale. » (News Line, le 13
novembre 1976, p. 9)
Cette déclaration concluait par un appel pour la construction de sections du
CIQI « dans tous les pays arabes et en Israël ».
En juillet 1977, le WRP signait un communiqué commun avec le gouvernement
libyen dont le CIQI n’eût connaissance qu’après sa publication dans le News
Line. C’était le début d'une politique petite-bourgeoise d’adulation du
colonel Kadhafi sur laquelle nous reviendrons plus tard.
Dans l’année qui suivit, le WRP multiplia de façon spectaculaire ses
activités dans d’autres pays du Moyen-Orient, cultivant des relations avec les
Baassistes en Syrie et en Irak. Le moment choisi par le WRP pour entrer en
relation avec ces derniers était particulièrement sinistre, les Baassistes étant
en pleine guerre de fractions avec le Parti communiste irakien. Dans le but de
tirer avantage de cette lutte, le WRP défendit de façon inqualifiable
l’exécution de militants d’un parti de la classe ouvrière.
Le 2 février 1979, dans un article intitulé « Une conspiration démasquée »,
le News Line rapporta, en s’y montrant favorable, l’exécution de 21
militants du PC irakien pour « avoir illégalement formé des cellules dans les
forces armées ». Le 8 mars 1979, en réponse à la lettre d’un lecteur qui
protestait contre cette trahison de classe, le News Line prit la défense
des exécutions dans une déclaration non signée s’étalant sur toute une page.
On y déclarait que le « Parti socialiste arabe Baath irakien a joué un
rôle cent fois plus progressiste au Moyen-Orient que le stalinisme » –
abandonnant ainsi les critères de classe dans l’évaluation des tendances
politiques et oubliant que la critique trotskyste du stalinisme au Moyen-Orient
a toujours été concentrée sur ses relations opportunistes et sans principe avec
les nationalistes bourgeois. C’est sur cette base que le Comité international
avait critiqué le Parti communiste soudanais en 1971 – tout en protestant contre
l’exécution de ses dirigeants par le bourreau Nimeiri. Mais, en 1979 le WRP
dénonçait le PC irakien justifiant le meurtre de ses membres pour des raisons
exactement opposées – ne pas s’être entièrement conformés à un accord
opportuniste passé entre les staliniens et les Baassistes !
« Le fait est que les membres du PC furent exécutés selon un code militaire,
discuté, approuvé et mis en vigueur par le PC irakien. A ce jour, le PC irakien
n’a pas demandé le rejet de ces lois militaires, qui interdisent la formation de
cellules secrètes dans l’armée. Il n’a jamais contesté que les officiers arrêtés
soient coupables [ ! ] des accusations portées contre eux.
« Ceci est manifestement une situation dans laquelle Moscou tente de former
des cellules dans les forces armées irakiennes pour miner le régime. Il doit en
accepter les conséquences ...
« C’est un principe pour nous, trotskystes, de défendre les travailleurs,
qu’ils soient staliniens, révisionnistes ou sociaux-démocrates, face aux
attaques de l’Etat capitaliste.
« Mais, comme les faits le démontrent, tout cela n’a rien à voir avec les
incidents ayant eu lieu en Irak. » (p. 10)
Comme si cela ne suffisait pas, la déclaration allait jusqu’à mettre en garde
l’auteur de la lettre de protestation contre les exécutions, qu’il « devait
partir de ces considérations révolutionnaires, s’il ne voulait pas devenir un
pion dans la conspiration cynique des staliniens et des impérialistes au
Moyen-Orient. » (p. 10)
19. Les perspectives du Quatrième congrès du
WRP (mars 1979)
Le Quatrième congrès du WRP, qui s’étala sur près de deux semaines, fut tenu
moins d’un mois après le renversement de cette marionnette de l’impérialisme
qu’était Bakhtiar et la victoire de la révolution nationale iranienne sous la
direction de Khomeyni. C’est dans une longue résolution programmatique de ce
congrès, écrite par Michael Banda, que furent officialisées les révisions
fondamentales du marxisme et de la théorie de la Révolution permanente de
Trotsky. Etant donné le rôle important et critique que ce document joua en
sanctionnant la transformation du WRP en une agence des régimes nationalistes
bourgeois, il mérite une analyse attentive.
Il y avait deux aspects essentiels intimement liés dans ce document
éclectique. Premièrement, l’analyse est faite de façon à justifier les relations
opportunistes déjà établies par le WRP avec divers régimes bourgeois et avec
l’OLP. Ainsi, la nécessité d'une révolution socialiste n’était reconnue que dans
les pays où le WRP n’avait pas encore établi de liens avec les nationalistes
bourgeois, comme en Iran (du moins à cette époque). Deuxièmement, on y
présentait pour la première fois une perspective qui élimine virtuellement les
distinctions entre les classes dans les pays semi-coloniaux, pour élever ensuite
la lutte armée au niveau d’une stratégie, en en faisant le critère fondamental
pour évaluer la crédibilité des diverses directions nationalistes comme
combattants anti-impérialistes. Ce document établit clairement le rôle central
de Banda dans la dégénérescence politique de l’ex-section britannique. Il n’a
pas réussi à assimiler la composante essentielle de la théorie de la Révolution
permanente en tant que stratégie du prolétariat international.
A sa place il a avancé une position petite-bourgeoise qui n’était rien
d’autre que du pablisme revêtant des formes pseudo-maoïstes.
Dans une partie du document traitant de la lutte au Zimbabwe et des efforts
de l’impérialisme britannique pour imposer un accord négocié, on déclarait que
les effets de la crise économique mondiale « poussent des masses de plusieurs
millions de personnes en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et au Moyen-Orient
à la révolte armée. » (traduit de Perspectives of the Fourth Congress,
p. 14)
Cette déclaration ne serait pas fausse si les forces sociales antagonistes
présentes dans ces « masses de plusieurs millions de personnes » étaient
correctement identifiées, et si on y définissait la nature de classe des
tendances politiques qui étaient à la direction de cette « révolte armée ». En
fait, le document ne faisait jamais référence aux intérêts de classe
indépendants et aux tâches du prolétariat qui se bat pour établir son hégémonie
dans la lutte anti-impérialiste. Au lieu de cela, Banda justifiait la
subordination du prolétariat et de la paysannerie à la bourgeoisie nationale.
Décrivant le rôle de Nkomo et Mugabe en termes flatteurs, le document
déclarait : « Les puissants coups de massue des guerilleros du Front
patriotique contre les forces armées du régime de Smith ont démoli efficacement
la conspiration de Muzorewa, Sithole et Chirau, et ont ravivé les forces et le
courage du peuple zimbabwéen dans sa lutte pour la libération complète de son
pays. »
Ces remarques qui remplacent l’analyse par des adjectifs et des adverbes, ne
servirent qu’à désarmer les militants du WRP et les ouvriers et paysans
zimbabwéens – comme les événements ultérieurs allaient le démontrer. La
profondeur politique de l'opposition de Mugabe et Nkomo à Muzorewa, Sithole et
Chirau était exagérée. Tandis que ce trio agissait en complices ultra-lâches de
l’impérialisme, Mugabe et Nkomo, dont les représentants avaient avec le WRP des
contacts réguliers, représentaient une section plus influente de la bourgeoisie
zimbabwéenne, manipulant avec adresse les mouvements de masse pour s’assurer les
meilleures positions possibles dans leur marchandage avec la Grande-Bretagne et
les Etats-Unis.
La formule astucieuse et traîtresse employée par Banda pour justifier la
capitulation du WRP devant les agents zimbabwéens de l’impérialisme britannique
est celle-ci :
« Le WRP se tient de façon inconditionnelle aux côtés de la classe ouvrière
et de la paysannerie africaines contre les régimes au pouvoir et leurs agents
dans le mouvement national. Nous soutenons le Front patriotique de Mugabe et
Nkomo dans la mesure où il poursuit sa lutte armée contre Smith et
rejette un compromis constitutionnel. Seul le renversement armé de l’Etat
capitaliste en Afrique australe et en Afrique centrale et l’établissement d'un
gouvernement ouvrier et paysan peut mettre fin à l’apartheid, rendre la terre à
la paysannerie et nationaliser les mines, les grandes propriétés foncières et
les usines. » (Ibid., p. 15)
Cette conception repose sur une tromperie : l’affirmation qu’il peut y avoir
une conciliation entre des classes opposées et irréconciliables. Violant tous
les principes marxistes, le WRP remplaçait dans son programme le programme de
classe par la lutte armée comme critère pour déterminer l’attitude de la QI
envers une direction nationaliste bourgeoise. La lutte armée – considérée en
tant qu’abstraction séparée de son contenu politique de classe – servait de
tremplin pour justifier le programme du Front populaire dans les pays
sous-développés. Plutôt que d’affirmer clairement que la bourgeoisie
zimbabwéenne est incapable de gagner une véritable indépendance nationale et
qu’elle ne continuera la lutte armée que dans les limites de ses propres
intérêts de classe, le document liait le sort de la classe ouvrière à la
politique de la bourgeoisie. Le « dans la mesure où » de Banda était une
supercherie, qui laissait croire que la lutte armée, sous la direction de Nkomo
et Mugabe, mènerait automatiquement – sans la construction d’une direction
indépendante et révolutionnaire de la classe ouvrière – au renversement de l’Etat
capitaliste et à la réalisation d'une politique socialiste.
La condition posée par Banda, Slaughter et Healy au Front patriotique – de
« rejeter un compromis constitutionnel » – était politiquement sans valeur et
revenait à accorder sa confiance à la bourgeoisie africaine. Il représentait un
reniement de la responsabilité qu’a le mouvement trotskyste de se battre pour
l’organisation politique de la classe ouvrière, indépendamment de la bourgeoisie
et avant que n’intervienne la trahison inévitable de cette dernière de la lutte
contre l'impérialisme.
C’était, de plus, une farce politique que de suggérer qu’un gouvernement
ouvrier et paysan puisse être instauré sous l’égide du Front patriotique, peu
importe le temps que durerait la lutte armée. Cette référence à la création d’un
gouvernement ouvrier et paysan – par l’intermédiaire d’une lutte armée sous la
direction de la bourgeoisie nationale bénéficiant du soutien non-critique du WRP
– revient à duper la classe ouvrière à la façon des pablistes. C’est ainsi que
le WRP contribua à désorienter les masses zimbabwéennes en les livrant à la
trahison des dirigeants du Front patriotique.
Ces profondes révisions du trotskysme avaient leur origine politique dans la
conception petite-bourgeoise de Banda selon laquelle la « lutte armée » est une
stratégie qui, dans la lutte anti-impérialiste, relègue les questions de classe
à l’arrière plan, et non pas une tactique employée par des forces sociales
déterminées poursuivant leurs propres intérêts de classe. Cette position
répudiait toutes les leçons de la lutte de Trotsky contre la trahison de
l’Internationale Communiste en Chine en 1927. S’opposant au soutien donné par
Staline au bourgeois Tchang Kaï-Chek « dans la mesure où la bourgeoisie ne
s’oppose pas à l’organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et
mène une lutte effective contre l’impérialisme, » Trotsky écrivit :
« L’unique ‘ condition ‘ de tout accord avec la bourgeoisie, accord séparé,
pratique, limité à des mesures définies et adapté à chaque cas, consiste à ne
pas mélanger les organisations ni les drapeaux, ni directement ni indirectement,
ni pour un jour ni pour une heure, à distinguer le rouge du bleu et à ne jamais
croire que la bourgeoisie puisse ou soit disposée à mener une lutte
réelle contre l’impérialisme et à ne pas s’opposer aux
ouvriers et aux paysans. L’autre condition ne nous est d’aucune utilité pour des
accords pratiques. Au contraire, elle ne pourrait que nous être nuisible et
rendre confuse la ligne d'ensemble de notre lutte contre la bourgeoisie, lutte
qui ne cesse pas durant la brève période de la conclusion d’un tel ‘ accord.‘ »
(Léon Trotsky, L’Internationale Communiste après Lénine, Ed. PUF, p. 289)
Le caractère perfide de la formule de Banda et la nature menchevique et
pabliste de sa politique allaient être clairement révélés moins d'un an plus
tard, lorsque le WRP laissa tomber sa seule et unique condition – que le Front
patriotique rejette un compromis constitutionnel – afin de préserver sa lâche
alliance avec la bourgeoisie zimbabwéenne.
20. Le WRP trahit la révolution zimbabwéenne
Avant de revenir à notre analyse du document, montrons quelles furent les
conséquences pratiques de la ligne politique du WRP.
En septembre 1979, le Front patriotique mit – sans beaucoup s’occuper de
l’unique condition de Banda – un terme à sa lutte armée. Mugabe et Nkomo se
rendirent à Londres pour participer aux négociations de Lancaster House, dont le
but était de mettre fin à la lutte de libération nationale au Zimbabwe par la
conclusion précisément d’un accord constitutionnel. Plutôt que de
dénoncer cette bouffonnerie réactionnaire et d’appeler les masses zimbabwéennes
à rejeter le piège de Lancaster House, le WRP adaptait immédiatement sa position
politique à ce virage à droite du Front patriotique. Pendant les six mois
suivants, le News Line allait fonctionner quotidiennement comme organe de
propagande semi-officiel du Front patriotique, prodiguant les tranquillisants
politiques destinés à calmer l’anxiété croissante des travailleurs britanniques
et zimbabwéens (sans compter les innombrables étudiants africains de Londres)
devant la faillite des dirigeants nationalistes.
Le 10 septembre 1979, dans un article en première page intitulé « Nkomo
s’attaque à Bishop », le News Line informait ses lecteurs que :
« les dirigeants du Front patriotique zimbabwéen, présents à Londres pour la
conférence constitutionnelle qui s’ouvre à Lancaster House aujourd’hui, ont
clairement fait comprendre qu’ils n’accepteraient pas moins que le pouvoir aux
mains de la majorité. » Plutôt que de dénoncer ces vantardises
superficielles, le News Line citait longuement Nkomo, sans le critiquer.
Le seul avertissement, fait au cours de cet article, fut ce commentaire du
correspondant John Spencer : « Il ne doit y avoir aucune illusion sur le rôle
du gouvernement Thatcher, qui est l’ennemi juré de tous les mouvements de
libération à travers le monde. » Il évita l’inconvénient de mentionner que
les pourparlers de Lancaster House reposaient sur la collaboration du Front
patriotique avec ce même impérialisme britannique.
Le 22 septembre 1979, dans un article intitulé « Le Front patriotique
reste ferme », le News Line fournit ces assurances trompeuses :
« Après deux semaines de dures négociations à Lancaster House, le Front
patriotique maintient ses revendications pour un Zimbabwe indépendant, jouissant
de droits démocratiques indivisibles pour tous les citoyens. »
L’article laissait entendre que les « marionnettes de Salisbury » avait fait
des concessions majeures parce qu’elles avaient accepté les propositions d’une
nouvelle constitution des Tories– oubliant adroitement que deux semaines
auparavant le WRP faisait encore dépendre son soutien au Front patriotique du
rejet de tout compromis sur une constitution bourgeoise. Il s’avéra qu’en fin de
compte Ian Smith était resté plus longtemps ferme que Nkomo et Mugabe ! Une fois
de plus, cependant, le News Line avertissait qu’il restait des obstacles
à une entente : « Mais le Front patriotique est toujours profondément
mécontent du plan constitutionnel britannique. Joshua Nkomo et Robert Mugabe
maintiennent qu’il contient toujours des traces [ ! ] de racisme parce
qu’il fait mention de listes électorales séparées pour blancs et pour noirs et
qu’au Parlement il y a des sièges réservés aux blancs. »
A peine trois jours plus tard, le News Line rapportait que le Front
patriotique avait surmonté son mécontentement et accepté les 24 sièges blancs
exigés par l’impérialisme britannique. Le titre de l’article du 25 septembre
prétendait que « Le coup inquiète Salisbury ». Alors que quelques jours
auparavant le News Line citait encore le Front patriotique qui dénonçait
l’accord comme raciste, il faisait observer à présent que « la présente
constitution raciste est morte et enterrée... »
Le 5 octobre 1979, le News Line rapportait que Lord Carrington avait
présenté un ultimatum au Front patriotique, demandant que Mugabe et Nkomo
acceptent le cadre constitutionnel élaboré par l’impérialisme britannique sans
quoi les pourparlers seraient interrompus.
Le 9 octobre 1979, le News Line publiait les « sept désaccords » du
Front patriotique avec la constitution proposée par Lord Carrington. Aucun de
ces désaccords n’était de nature fondamentale et cela montrait que le Front
patriotique avait capitulé sur des questions essentielles et était disposé à
laisser aux impérialistes le contrôle d’un Zimbabwe « indépendant ». Mais le
News Line ne demanda pas au Front patriotique d’abandonner les pourparlers,
et ne critiqua en quoi que ce soit leurs prises de position. Au lieu de cela le
News Line publia, au nom du Front patriotique, une timide protestation.
Dans son numéro du 15 octobre 1979, un article intitulé « La question
agraire, un point crucial dans les pourparlers sur le Zimbabwe », le
correspondant John Spencer, se plaignait de ce que les propositions de
Carrington « ne constituaient qu’un ultimatum grossier visant à stopper les
négociations si le mouvement de libération zimbabwéen refusait de se laisser
intimider et d’accepter les conditions dictées par Westminster.
« Carrington pousse les pourparlers jusqu’au point de rupture malgré le fait
que le Front patriotique a toujours été disposé à poursuivre les négociations et
à empêcher qu’elles n’échouent.
« Le projet constitutionnel que Carrington tente d’imposer n’offre rien qui
ressemble à une indépendance et une souveraineté pleine et entière pour le
peuple zimbabwéen.
« Il contient des clauses qui seraient inacceptables et offensantes pour
n’importe quel gouvernement souverain à travers le monde et, ce qui est encore
plus important, ces clauses sont directement contraires aux intérêts et aux
besoins du peuple zimbabwéen. »
Le rôle joué par le News Line était à présent celui de garçon de
course entre le Front patriotique et la classe dirigeante britannique, et non
pas celui d’une tribune pour la classe ouvrière et les masses opprimées du
Zimbabwe. Il informa fidèlement de la déception du Front patriotique face au dur
marchandage de Carrington et avertissait, avec tact, que le Front pourrait être
forcé, contre son gré, d’abandonner les négociations. C’est pour cette raison
que le News Line – sans nul doute à la demande des aides de camp de Nkomo
et Mugabe – rapporta la critique des pourparlers faite par le représentant du
Front patriotique aux Nations Unies.
Toutefois, au cours des 24 heures suivantes, le Front patriotique décida de
persévérer dans sa trahison à Lancaster House et le News Line eut pour
tâche de présenter cette misérable capitulation comme s’il s’agissait d’une
audacieuse réplique à Carrington. Ainsi, en première page de l’édition du
News Line du 16 octobre 1979, on pouvait lire : « NOUS RESTONS ! – répond
Nkomo à Carrington. »
Le premier paragraphe de l’article de John Spencer disait : « Le
co-dirigeant du Front patriotique Joshua Nkomo a dit hier soir que le
gouvernement britannique n’avait aucun droit de mettre le mouvement de
libération à la porte de Lancaster House où ont lieu les négociations sur
l’avenir du Zimbabwe. »
Poursuivant dans son rôle de garçon de course, le News Line citait
« un cadre du Front patriotique »: « Une entente entre le gouvernement
britannique et Muzorewa est sans valeur puisqu’ils ne peuvent mettre un terme à
la guerre. »
Un mois plus tard, lorsque le Front patriotique capitula devant les
propositions de Carrington, la nouvelle fut enterrée dans une des pages
intérieures du journal où un reportage suggérait que le gouvernement britannique
avait fait des concessions importantes dans la formulation de ses propositions.
Dans le but de détourner l’attention de la trahison éhontée qui était en
train d’avoir lieu, le News Line du 27 novembre 1979 créa une diversion
grotesque pour laquelle on fit appel à Alex Mitchell. Celui-ci composa un
article à sensation qu’on publia en première page, avec pour thème les
négociations sur le Zimbabwe sous ce titre évocateur : « En exclusivité : un
sinistre complot démasqué. »
Selon « des sources dignes de confiance qui doivent rester anonymes »
Mitchell rapportait que « les services de renseignement britanniques ont
monté la plus grande opération de surveillance électronique de leur histoire
contre la délégation du Front patriotique aux négociations sur l’avenir de la
Rhodésie à Londres...
« Ils ont livré au ministère des Affaires étrangères – et par conséquent aux
régimes d’Afrique du Sud et de Salisbury – les détails des réflexions et de la
tactique du Front patriotique dirigé par Joshua Nkomo et Robert Mugabe. » –
comme si l’impérialisme britannique avait besoin d’une table d’écoute pour
prévoir la trahison de ses agents au Zimbabwe !
L’article se terminait par une gentille menace du garçon de course Mitchell,
à l’adresse de l’impérialisme britannique : « Si Carrington n’est pas prêt à
retirer complètement son projet et à accepter inconditionnellement les
propositions du Front patriotique, celui-ci a tous les droits de quitter Londres
et de reprendre la lutte armée jusqu’à la victoire définitive. » On se
demande pourquoi le News Line n’a pas demandé au Front patriotique de
quitter Londres et de reprendre la lutte armée si une victoire définitive était
possible ? En vérité, cette déclaration cynique prouve que la direction du
Workers Revolutionary Party agissait en agent conscient de la bourgeoisie
coloniale dans le but de trahir la révolution zimbabwéenne.
Le 5 décembre 1979, le News Line jouait le dernier atout du Front
patriotique. Un article à la une intitulé : « Le Zimbabwe accuse : les Tories
optent pour la guerre », rapportait que Mugabe et Nkomo faisaient la mise en
garde que « si Carrington mettait fin à la conférence de Londres sans un
accord avec le Front patriotique, la guerre pour la libération du Zimbabwe
continuerait. »
Le 14 décembre 1979, le News Line commença à préparer ses lecteurs à
la capitulation de Nkomo et Mugabe. Un article de Mitchell déclarait à la une :
« Le Front patriotique subit des pressions de toutes parts pour accepter les
propositions de cessez-le-feu des Tories et pour rendre les armes dans la lutte
de libération du Zimbabwe. » Il s’excusait pour le Front patriotique,
affirmant qu’« il était seul avec son attitude pleine de droiture » et que « les
Etats du Front ont eux aussi abandonné les combattants de la libération » –
dépeignant ainsi un tableau d’un total désespoir pour justifier la capitulation
politique devant Carrington et l’abandon de la lutte armée, que le WRP avait
proclamée être, quelques mois auparavant, la raison de son soutien au Front
patriotique.
Aussi, le 18 décembre 1979, le News Line rapportait, sans la moindre
critique, que « le Front patriotique signe les accords ».
Pendant trois mois, le Workers Revolutionary Party avait endossé fidèlement
chaque recul du Front patriotique et avait accepté le sale boulot de faire
avaler ces accords à la classe ouvrière britannique et aux combattants
africains. Dans le but de faciliter leur trahison, le WRP travailla jour et nuit
pour rehausser l’autorité de Mugabe et Nkomo. Pas une fois pendant le temps que
durèrent les négociations de Lancaster House, le Workers Revolutionary Party n’a
présenté quelque chose qui ressemblât même de loin à une analyse marxiste de la
politique des nationalistes bourgeois, ou avancé un programme révolutionnaire
pour aller à l’encontre de leur trahison. Il faut dire que la direction
Healy-Banda-Slaughter a joué de par sa collaboration réactionnaire avec les
traîtres du Front patriotique le rôle d’un renfort de troupes pour
l’impérialisme britannique.
Plus tard, trois mois après cette trahison, le News Line publiait dans
son numéro du 3 mars 1980 un article ayant pour titre « Qu’est-il advenu du
Front patriotique ?» et y déclarait :
« Les masses du Zimbabwe font face aux pires menaces à cause des intrigues de
l’impérialisme et à cause de l’opportunisme de leurs propres dirigeants. »
Dans un avertissement cynique et tardif, le News Line rapportait que : « Maintenant,
les dirigeants du Front patriotique travaillent main dans la main avec le
Général Sir John Acland, Walls et Maclean pour intégrer les armées du ZIPRA et
du ZANLA dans une seule armée centralisée. »
La nouvelle attitude « critique » ne dura pas longtemps. Deux jours après, en
première page du numéro du 5 mars 1980, le News Line annonçait en gros
caractères : « Victoire de Mugabe : un grand coup porté aux Tories ».
L’article commençait ainsi : « La victoire écrasante de Robert Mugabe aux
élections zimbabwéennes est une grandiose confirmation du mouvement
révolutionnaire des masses en Afrique et dans le monde entier.
« Par cette victoire les masses poursuivent leur marche irrépressible,
commencée avec les victoires sur l’impérialisme au Vietnam, puis en Angola, au
Mozambique, en Iran et au Nicaragua. »
Dans ses efforts pour s’attirer les bonnes grâces de Mugabe, le News Line
dénonçait Nkomo, dont les forces militaires étaient maintenant décrites
comme « une force entraînée de façon conventionnelle sous la poigne solide de
conseillers soviétiques et est-allemands. »
Or, à peine un an auparavant, dans un document du Quatrième congrès, Banda
décrivait les forces de Nkomo comme étant un élément vital pour un futur
« gouvernement d’ouvriers et de paysans » au Zimbabwe.
Dans le même numéro, après avoir affirmé avec enthousiasme son soutien à la
victoire électorale de Mugabe, décrite par le WRP comme un coup porté à
l’impérialisme britannique, le News Line rapportait, sans la commenter,
la politique définie par le nouveau gouvernement : 1) « La nationalisation avec
compensation » ; 2) « L’acceptation de la base capitaliste de l’économie
rhodésienne avec ‘ des modifications progressives ‘ sans expropriation de la
propriété privé ou de nationalisations massives » ; 3) L’acquisition par le
Zimbabwe du statut de pays non-aligné « avec des amis aussi bien dans l’OTAN que
dans le Pacte de Varsovie » ; 4) La coexistence avec l’Afrique du Sud.
Le résultat final de la politique du WRP en Afrique du Sud – pour laquelle
Healy, Banda et Slaughter partagent une égale responsabilité – était une
trahison politique d’ampleur historique.
21. Le WRP trahit les masses arabes
C’est de façon plus directe et immédiate encore que pour le Zimbabwe, que la
résolution du Quatrième congrès apportait une justification théorique à la
trahison par le WRP des ouvriers et des paysans du Moyen-Orient.
Le document de Banda décrivait la lutte du peuple palestinien contre le
sionisme comme « le paroxysme de la révolution mondiale » une définition
pabliste qui déformait les rapports objectifs existant entre les divers éléments
de la lutte de classe internationale. De plus, désigner un élément particulier
comme étant « le paroxysme » impliquait politiquement que toutes les autres
luttes lui étaient subordonnées. Cette formulation se révéla être la
justification pour une réorientation du travail international du WRP autour
d'une série d'alliances opportunistes avec la bourgeoisie arabe.
Ce château de cartes théorique était complété par l’affirmation selon
laquelle « La stratégie de l’impérialisme anglo-américain dans cette région
est dictée uniquement par son désir de protéger les champs
pétrolifères d’une expropriation par un régime radical. » (Fourth
Congress Resolution, p. 15, caractères gras ajoutés)
Les conclusions politiques qui découlaient implicitement de cette évaluation
absurde étaient : 1) que le travail pratique du WRP devait se concentrer sur la
défense de ces régimes radicaux bourgeois en
coordonnant son travail avec celui des ministères des Affaires étrangères de
divers Etats arabes ; et 2) que la classe ouvrière, ne jouant qu’un rôle de
second plan dans la lutte anti-impérialiste, devait nécessairement subordonner
ses propres intérêts à la défense des régimes en place, qui ont auparavant été
définis comme l’ennemi principal de l’impérialisme anglo-américain.
Cette subordination de la classe ouvrière était ensuite justifiée par une
évaluation politique de l’histoire du Moyen-Orient qui ne tenait compte que du
seul ennemi extérieur des masses arabes – le sionisme – tout en ignorant les
contradictions sociales internes par lesquelles sont médiatisés les intérêts de
l’impérialisme. Ainsi, Banda écrivait : « Jamais l’impérialisme n’eût de
meilleur instrument que l’immigration sioniste. » (Ibid.) Cette
déclaration évitait toutes les questions fondamentales d’une analyse marxiste
des tâches du prolétariat au Moyen-Orient. Outre que l’immigration sioniste
était une conséquence directe des trahisons du stalinisme et de la
social-démocratie qui menèrent à la victoire du fascisme dans les années 1930 et
à l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale impérialiste, l’incapacité des
dirigeants arabes de défendre les droits nationaux du peuple palestinien et
d’avancer une stratégie pour vaincre le sionisme, soulève la question de la
crise de la direction révolutionnaire – internationalement ainsi qu’au
Moyen-Orient. Ayant rejeté cette considération de classe primordiale – le point
de départ pour l’élaboration d’un programme révolutionnaire et d’un plan
d’action – le document du Quatrième congrès dégénérait en une glorification
journalistique petite-bourgeoise de la politique étrangère de la bourgeoisie
arabe.
Plutôt que d’éduquer les travailleurs arabes les plus conscients à prendre
une attitude critique face à la politique des Etats bourgeois du Moyen-Orient –
en expliquant l’incapacité organique, même pour les régimes les plus radicaux,
de mener une politique anti-impérialiste conséquente, en s’opposant aux
illusions naïves nourries vis-à-vis des instruments de l’impérialisme comme les
Nations unies, et en démasquant chaque geste perfide commis par la bourgeoisie
envers la classe ouvrière et les masses opprimées de tous les pays arabes – le
document mettait l’accent sur leurs soi-disant conquêtes diplomatiques, élevant
ces parodies politiques soigneusement orchestrées au rang de véritables
victoires des ouvriers et des paysans. Cette méthode petite-bourgeoise mena à
une trahison de fait de la lutte anti-impérialiste, et particulièrement de celle
des masses palestiniennes.
Ainsi, « Grâce à l’intervention du régime Baath irakien qui s’est opposé
de façon conséquente à ce qu’Israël soit jamais reconnu et qui a supporté la
révolution palestinienne dans les jours sombres de la guerre civile au Liban, le
complot de Camp David fut déjoué. » Quelle pathétique myopie !
Ce n’est pas tout. Inspiré par les astuces politiques du Moyen-Orient, Banda
déclarait : « Au sommet de Bagdad en novembre 1978, l’OLP et les régimes
radicaux de la Syrie, de l’Irak, de la Libye, de l’Algérie et du Sud-Yemen se
sont assurés l’appui des Etats conservateurs de l’Arabie Saoudite, de la
Jordanie et des Emirats arabes pour rejeter l’accord de Camp David et réaffirmer
le droit de l’OLP à être le seul représentant du peuple palestinien. La promesse
d’un soutien financier et politique à la révolution palestinienne par les Etats
producteurs de pétrole a été un coup dur porté aux rêves réactionnaires de Sadat. »
(Ibid., p. 16)
Il suffit de regarder les événements sanglants des huit dernières années – au
cours desquels l’OLP et le peuple palestinien ont été les victimes
d’innombrables actes de trahison de la part de leurs « frères arabes » – pour se
rendre compte du peu de valeur de cette estimation. Durant cette période, Healy
et Banda étaient en contact constant avec l’OLP et leurs analyses furent un lien
objectif de la chaîne des événements qui menèrent au désarmement et à
l’isolement du mouvement palestinien. Depuis 1978, chacun des Etats cités dans
le panégyrique de Banda a poignardé l’OLP dans le dos et a oeuvré pour anéantir
physiquement ses chefs et ses cadres.
En fait, le WRP a participé en pratique à la conspiration vicieuse dirigée
contre l’OLP. L’objectif politique principal de Healy au Moyen-Orient n’était
pas d’assurer les droits nationaux du peuple palestinien mais d’entretenir des
relations rémunératrices pour le WRP avec les Etats arabes « enrichis par le
pétrole ». Lorsqu’il était forcé de choisir entre les deux, Healy protégeait
invariablement ses liens avec les régimes arabes. C’est Banda qui fournit la
couverture politique de ces manoeuvres de mauvaise foi et sa résolution du
Quatrième congrès qui s’énonçait comme suit : « Le sommet de Bagdad a mis un
terme aux luttes de factions sanglantes au sein de l’OLP et a jeté les bases
pour une coordination de la politique étrangère et de la politique de défense
irakienne et syrienne, de même que celles d’une possible réunification des deux
partis baassistes. » (Ibid.)
Dans ce passage se manifestait le réel mépris de la direction du WRP pour
l’OLP. L’acceptation de l’hégémonie irakienne dans les affaires internes de
l’OLP était une violation du principe de l’autodétermination. La référence faite
en passant par Banda à la fin des « luttes de factions sanglantes au sein de
l’OLP » signifiait que le WRP soutenait la suppression des droits démocratiques
pour les tendances politiques qui existent parmi les masses palestiniennes. Il
était politiquement évident que les Baassistes réprimaient justement les
tendances qui entraient en conflit avec les relations entretenues par les
dirigeants irakiens avec l’impérialisme et la bureaucratie soviétique.
Quant à la spéculation sur les relations entre les sections syrienne et
irakienne de la monstruosité politique baassiste, pourquoi une telle perspective
d’unité entre ces politiciens bourgeois soulevait-elle l’enthousiasme des
dirigeants du WRP ? Depuis quand les trotskystes encouragent-ils de telles
manoeuvres politiques ? Cette spéculation démontrait la crédulité
petite-bourgeoise de Healy et Banda à l’égard de la viabilité historique du
nationalisme bourgeois. En l’espace de quelques mois, tous les pourparlers en
faveur de l’unité furent enterrés sous une nouvelle vague de luttes intestines
sanglantes entre les sections nationales rivales du baassisme.
Quant à ses relations avec l’OLP, la direction du WRP alliait la duperie
politique à la malhonnêteté sur le plan théorique. Invoquant son appui
inconditionnel à l’OLP face à l’impérialisme – un principe trahi à plusieurs
reprises par Healy – le WRP minimisait le rôle décisif du prolétariat au
Moyen-Orient. Healy, Banda et Slaughter attribuaient de façon malhonnête à l’OLP
un rôle qu’elle ne jouera pas, ni ne pouvait jouer : « La puissance de la
classe ouvrière et de la paysannerie est directement reflétée dans la croissance
de l’OLP et dans sa montée comme direction de la lutte pour
l’émancipation de toute la nation arabe. » (Ibid., caractères gras
ajoutés)
Cette déclaration représentait la répudiation la plus complète de la théorie
de la Révolution permanente, qui affirme qu’à l’époque de l’impérialisme seul le
prolétariat, armé d'un programme marxiste et sur la base de la lutte de classe,
peut mener à bien les tâches démocratiques d’unification et de libération
nationales face à l’impérialisme. En outre, la véritable unification des peuples
arabes est historiquement liée à la liquidation des frontières actuelles qui
bloquent le progrès économique et perpétuent les anciennes divisions tribales et
féodales, de même que celles fomentées par l’impérialisme. Loin de se présenter,
sur la base de son programme, comme l’unificateur de toute la nation arabe du
Maghreb au golfe Persique, l’OLP s’est traditionnellement définie comme le seul
représentant légitime du peuple palestinien et a explicitement reconnu
l’existence de plusieurs tendances sociales dans ses propres rangs.
C’est vainement qu’on cherche parmi toutes les formulations anti-marxistes de
ce document une référence quelconque au rôle historique du prolétariat au
Moyen-Orient. Le problème de l’unité des travailleurs arabes et juifs – un
problème d’importance stratégique sur lequel la Quatrième Internationale avait
insisté dans les années 1940 tout en s’opposant à la création d’Israël – n’était
bien sûr pas mentionné.
Dans une autre de ses productions journalistiques nauséabondes, Banda
affirmait que « l’OLP avait surmonté tous les obstacles se trouvant sur son
chemin, avait uni le peuple palestinien et était reconnue comme son unique
représentant. » (Ibid.)
Il s’agissait là de la pire des traîtrises : se servir de viles flatteries
sous les dehors d’une analyse scientifique, pour mentir au peuple palestinien.
Il n’est guère nécessaire de réfuter l’affirmation selon laquelle l’OLP « a
surmonté tous les obstacles se trouvant sur son chemin... » Seuls des imbéciles
pourraient prendre au sérieux ce genre d’affirmation. Les assertions suivantes
cependant, méritent du point de vue théorique qu’on les considère avec plus
d’attention. Il n’est pas seulement impossible, pour les raisons que nous avons
mentionnées plus haut, à l’OLP d’unifier la nation arabe, mais aussi, dans un
sens marxiste, que l’OLP unisse véritablement le peuple palestinien. Elle est
aussi incapable de le faire que la Ligue Awami d’unir les masses du Bangladesh,
ou encore, que le Front patriotique d’unir les masses du Zimbabwe. A moins de
définir quelles sont concrètement les différentes classes en présence à
l’intérieur du mouvement national, toute référence à la nation palestinienne est
une abstraction politique qui, encore une fois, sert à nier le rôle décisif de
la classe ouvrière. Quant à la définition qui veut que l’OLP soit « le seul
représentant légitime » du peuple palestinien, elle est acceptable pour défendre
publiquement l’OLP contre les intrigues de l’impérialisme, du sionisme et de la
bourgeoisie arabe. Mais lorsqu’elle est présentée dans un document
programmatique du mouvement trotskyste comme une définition politique, elle ne
peut que semer illusions et confusion. La seule conclusion qu’on puisse tirer
d’une telle définition est que le WRP s’opposait à la construction du CIQI au
sein d’une classe ouvrière palestinienne qui grandissait rapidement. En d’autres
termes, le trotskysme n’a aucun rôle à jouer dans l’émancipation des masses
palestiniennes.
Une fois encore, c’est Banda qui fournit la justification théorique de cette
capitulation liquidatrice devant la bourgeoisie palestinienne. La résolution du
Quatrième congrès dit :
« Ce qui caractérise l’OLP, c’est la lutte armée qui a pris la forme d’une
guérilla prolongée, l’accent qu’elle met sur la mobilisation des masses en
opposition au terrorisme individuel et sa détermination à mener la lutte sur
tous les fronts.
« Cette lutte s’exprime dans leur cri de guerre : ‘ Révolution jusqu’à la
victoire ‘ » (Ibid., p. 16-17)
On se servit pour caractériser politiquement l’OLP de la même théorie de la
« lutte armée » que celle dont on se servit pour masquer la nature de classe du
Front patriotique au Zimbabwe. Cette fausse théorie allait avoir au Moyen-Orient
des conséquences encore plus tragiques qu’au Zimbabwe. On substitua la « lutte
armée » et une abstraite « mobilisation des masses » à l’organisation d’un parti
prolétarien pour établir l’indépendance de la classe ouvrière face aux régimes
bourgeois arabes. Le développement ultérieur de la lutte de classe au
Moyen-Orient, surtout après l’invasion sioniste du Liban en juin 1982, démontra
le caractère fallacieux du concept de « lutte armée » défendu par l’OLP.
Au Liban même, l’OLP ne fut jamais en mesure d’avancer un programme pour
l’unification des masses palestiniennes et libanaises. L’organisation de parades
militaires à Beyrouth s’est avérée nuisible, ne servant qu’à provoquer le
nationalisme libanais. Malgré tout leur héroïsme, les unités militaires de l’OLP
n’ont pas pu arrêter la percée des forces sionistes. Le vrai défi, celles-ci
l’ont finalement rencontré lorsqu’elles furent repoussées par le soulèvement des
ouvriers et des paysans libanais qu’elles ont elles-mêmes provoqué – ce qui a
démontré que la principale faiblesse de l’OLP, inhérente à sa nature même, fut
son incapacité à formuler un programme pouvant, bien avant 1982, mobiliser cette
grande puissance pour la défense du droit des Palestiniens à
l’autodétermination. Pour un marxiste, la perspective de la lutte de classe est
au coeur de son programme. Elle n’est pas un « cri de guerre ».
La résolution cherchait ensuite à apporter une justification théorique à
l’adulation du régime de Kadhafi en Libye. Dans un passage important se référant
aux pressions croissantes de l’impérialisme au Moyen-Orient et à ses efforts
pour obtenir l’appui de l’Egypte et du Soudan, la résolution affirmait que
« ces manoeuvres d’approche de l’impérialisme ne peuvent que conduire à
accroître les tensions à l’intérieur du mouvement national et pousser les
éléments les plus radicaux du mouvement national arabe à reconnaître que
‘ l’arme historique de la libération nationale ne peut être que la lutte de
classe. ‘ (Ibid., p. 17)
Dans ce passage, la réalité était mise à l’envers. On transformait la lutte
de classe, qui est le résultat objectif du développement du capitalisme au
Moyen-Orient, en une politique adoptée subjectivement par la bourgeoisie
nationale sous les pressions de l’impérialisme. A l’aide de cette formulation,
Banda apportait une justification au caractère bonapartiste de régimes bourgeois
dans des pays sous-développés, qui se tiennent en équilibre de façon précaire
entre l’impérialisme et la classe ouvrière nationale. De tels régimes, dont les
dirigeants haranguent les masses de leurs balcons, cherchent habituellement à
adapter la lutte de classe aux besoins pratiques de leurs marchandages avec
l'impérialisme.
Pour le WRP, le but immédiat de cette formule subtile était de se donner un
couvert à son double jeu politique au Moyen-Orient ; elle permettait au WRP de
prétendre que la personne du Colonel Kadhafi incarnait le mouvement national
radical et la lutte de classe prolétarienne et que la Jamahiriya libyenne se
transformait en un Etat socialiste.
La résolution prétendait que la trahison de l’OLP par Sadat avait démontré la
justesse du « bloc politique entre le Workers Revolutionary Party et le
Congrès Populaire de la Jamahiriya arabe libyenne et socialiste » et que le
bloc « avait été formé dans le cadre de tâches pratiques, strictement
définies et avec le maintien de l’indépendance complète de notre propre
organisation... » (Ibid.)
Mais cette affirmation était démentie par la nature du bloc qui se basait sur
des tâches d'un caractère essentiellement propagandiste – « avertissant les
peuples arabes et la classe ouvrière européenne du changement de tactique opéré
par l’impérialisme et du contenu contre-révolutionnaire de la politique
étrangère de Sadat et du roi Khaled. » (Ibid.) Or, comme le disait
L. Trotsky avec insistance : « Mais c’est précisément dans le domaine de la
propagande qu’un tel bloc est inadmissible. La propagande doit s’appuyer sur des
principes clairs, sur un programme précis. Marcher séparément, frapper ensemble.
Le bloc n’est créé que pour des actions pratiques de masse. Les transactions au
sommet sans base de principe ne mènent à rien, sauf à la confusion. » (Léon Trotsky,
Comment vaincre le fascisme, Editions Buchet/Chastel, Paris, 1973,
p. 163)
De la confusion ... et de l’argent ! Healy et A. Mitchell auraient pu dire en
protestant que leur bloc avec la Libye concernait des tâches pratiques comme
l’organisation de piquets devant les ambassades égyptienne et américaine à
Londres. Mais, était-il nécessaire pour des trotskystes de former un front uni
afin d’accomplir un geste de solidarité anti-impérialiste aussi élémentaire ?
Est-ce qu'un travailleur membre du syndicat demanderait d’abord un front uni
avec la bureaucratie syndicale avant d’accepter d'accomplir sa tâche en tant que
piquet de grève ? En fait, c’est dans le domaine de l’analyse politique que le
bloc du WRP avec la Libye fut conclu – c'est-à-dire qu’il engageait le WRP à
dire uniquement les choses que la Jamahiriya voulait avoir dites ou voulait
entendre.
22. Les suites du congrès
Le Quatrième congrès ouvrit les portes à une vague d’opportunisme sans
précédent dans l’histoire de la Quatrième Internationale. Quelques semaines
après le congrès, une délégation du WRP, comprenant Healy, Mitchell et Redgrave,
s’envola pour le Moyen-Orient afin de se livrer à une des tournées politiquement
dépravées, de collecte de fonds.
Bien que la résolution du Quatrième congrès ait condamné les régimes du
Golfe, cela ne pouvait empêcher Healy de frayer avec les dirigeants féodaux et
les grands bourgeois de Qatar, d’Abu-Dhabi et du Koweït. La « saveur » politique
de ce périple pouvait être appréciée par la note suivante rédigée par Healy sur
son séjour au Koweït. Nous citons ces lignes extraites d’un document écrit et
signé par Healy, daté du 14 avril 1979, résumant les résultats de ce voyage.
Cette note fut découverte par la Commission internationale de contrôle en
novembre 1985 : « Nous avons travaillé étroitement avec l’Organisation de
libération de la Palestine même si nous ne leur demandions pas de nous soutenir
sur le plan financier. Selon l’opinion de la délégation, c’était là la tâche des
cheiks du Koweït et de leurs ‘ amis ‘ parmi les Palestiniens riches. »
La collaboration de Healy avec ces forces réactionnaires était reflétée de
manière frappante dans un incident décrit comme suit dans son rapport :
« Le 31 mars, la délégation fut invitée à dîner avec un groupe
d’oppositionnels de gauche dirigé par la famille du Sultan. L’objet de cette
réunion fut présenté par Najjat Sultan à Vanessa Redgrave comme une invitation
‘ pour expliquer les raisons réelles de votre visite au Koweït ‘. La délégation
refusa d’accepter cette invitation étant donné que nous ne souhaitions pas
intervenir dans les affaires politiques du Koweït. »
Après avoir éconduit les trouble-fête radicaux, Healy pouvait rapporter qu’il
avait pu se procurer de vastes sommes d’argent venant « de dirigeants du
Koweït, incluant des chèques d’un montant considérable signés par le prince
héritier, le gouverneur de Ahmadi » ainsi que d’autres dirigeants féodaux.
23. La Libye : A quoi ressemblait le bloc dans la
pratique
Il serait impossible dans les limites de cette analyse de reproduire tous les
articles dans lesquels le News Line a glorifié les acquis du régime
libyen. Cependant, nous allons donner les exemples les plus frappants de la
manière dont Healy a prostitué le marxisme et s’est transformé, lui et ses plus
proches acolytes, en mercenaires à la solde de cet Etat bourgeois.
En accord avec le bloc de propagande formé avec Kadhafi et sa « théorie » de
la lutte de classe prolétarienne menée par la bourgeoisie nationale, le News
Line du 4 septembre 1979 comportait un article de deux pages sur la Libye
intitulé « Des masses d’ouvriers prennent le contrôle des usines ».
L’article rapportait, sans critique aucune, que des ouvriers « suite à un
discours tenu par le secrétaire général du Congrès général du peuple, le Colonel
Muammar Kadhafi », auraient pris « le contrôle total de la production ».
Sans émettre la moindre réserve, l’article citait l’affirmation de Kadhafi
que « la Jamahiriya annonçait une transformation radicale des bases de
l’ordre politique et de la structure sociale du monde entier ».
Le 29 août 1979, le News Line publiait un supplément spécial en
couleurs de quatre pages qui célébrait le dixième anniversaire de l’accession au
pouvoir de Kadhafi et dans lequel figurait un article intitulé « La richesse
du pétrole reconquise pour le peuple ». L’article affirmait carrément que « Les
grandes avances faites par les masses libyennes n’auraient pas été possibles si
le Conseil révolutionnaire n’avait pas défié et vaincu les géants
pétroliers internationaux ».
Si on considère le fait que ce sont les trotskystes britanniques qui ont
naguère mené la lutte contre la capitulation théorique du pablisme devant le
castrisme, cet article était une expression condensée du mépris cynique des
dirigeants du WRP pour les questions de principe. Tout en affirmant que la Libye
avait vaincu les trusts pétroliers, l’article omettait de dire que la plupart de
leurs holdings n’ont jamais été expropriées, ni nationalisées. Au lieu de cela,
les acquis bien plus modestes des Libyens – centrés sur la renégociation des
conditions dans lesquelles les compagnies étrangères dirigent leurs opérations à
l’intérieur du pays – étaient décrits avec toute la rhétorique ronflante du
journalisme.
Une semaine plus tard on pouvait lire dans le News Line du 5 septembre
1979 cette trahison du marxisme : « La révolution dirigée par le Colonel
Kadhafi lutte sans cesse contre toutes formes de bureaucratie. La Jamahiriya
libyenne a démenti de façon concluante ce mensonge bourgeois cynique selon
lequel la bureaucratie est un produit inévitable de la révolution. La
bureaucratie n’est pas inévitable, sauf dans certaines conditions historiques.
L’expérience de la révolution libyenne a démontré que la lutte pour la
révolution socialiste mondiale peut détruire – et détruira à tout jamais la
bureaucratie. »
Ces lignes ont fait de Kadhafi l’égal de Trotsky. La profonde analyse
historique faite par ce dernier sur les origines de la bureaucratie a été
rejetée avec mépris et remplacée par une vulgaire fantaisie qui ne mérite aucune
considération sérieuse. Le seul but de ces idioties antimarxistes était de
corroder les fondations théoriques de la section britannique et de démoraliser
ses cadres qui, après avoir consacré leur vie à la lutte contre la bureaucratie
dans le mouvement ouvrier, pouvaient maintenant lire dans le News Line
que Kadhafi avait découvert, en Libye, une potion magique qui rendait superflu
le travail historique de la Quatrième Internationale. Qui pouvait bien avoir
besoin de la Révolution trahie dès lors qu’il y avait le Livre Vert,
accessible à tous grâce à l’imprimerie du WRP à Runcorn !
Dans le News Line du 9 octobre 1979, on glorifiait le Livre Vert
de Kadhafi par un article de deux pages signé par Mitchell. Décrivant le
déroulement d’un séminaire sur la signification de cet oeuvre Mitchell
écrivait :
« Au total 60 pages ont été traduites et distribuées pour la discussion,
pages qui traitaient des divers aspects de la crise mondiale de la démocratie,
du bipartisme, de l’accroissement de la bureaucratie et du transfert du pouvoir
aux masses...
« Ce furent Kadhafi et un petit groupe d’universitaires libyens qui firent
les contributions les plus excitantes et les plus incisives. Ils ont patiemment
et fermement expliqué chaque étape du développement des théories du Livre vert,
qui consistent à créer une société dans laquelle les anciennes formes de
gouvernement et de démocratie bourgeoise sont remplacées par les comités
populaires et par la concentration, dans les mains des masses armées, de la
propriété, du contrôle et de l’autorité.
« Dans la Jamahiriya, ont-ils expliqué, les droits démocratiques sont
assurés, car les salariés sont devenus des partenaires dans leurs usines et
leurs bureaux et l’exploitation a été par conséquent abolie. »
Dans ce chef d’oeuvre de servilité journalistique, Mitchell ne suggère nulle
part qu’il est en désaccord avec ces imbécilités utopiques. Il n’a pas non plus
ressenti le besoin de différencier entre la position du Parti et celle du Livre
Vert au sujet du marxisme et de l’URSS. Au contraire, sans tenter la moindre
critique, le reportage se poursuivait ainsi :
« Ils dirent que le marxisme est un produit de la révolution industrielle et
qu’il a été mis en pratique dans la révolution ouvrière en Union soviétique.
« Mais ils considèrent que la révolution soviétique n’a pas su réaliser la
démocratie pour les masses. Ils dirent que la Troisième théorie universelle
libyenne est née d’une analyse des deux principales tendances dans le monde – le
soi-disant capitalisme ‘ libéral ‘ et le marxisme. »
Il est impensable que Lénine ait permis qu’une telle description du Sun
Yat-senisme soit publiée dans les pages de la presse des bolcheviques. Mais,
bien entendu, Healy était très loin de Lénine.
En 1980, Healy a essayé de démontrer au régime de Kadhafi que le programme du
Workers Revolutionary Party était fondamentalement identique à celui de la
Jamahiriya libyenne. Dans un document découvert par la Commission de contrôle
internationale, intitulé « Notes sur le programme, stratégie et tactiques du
Workers Revolutionary Party », document soumis au gouvernement libyen et
daté du 30 avril 1980, Healy écrivit :
« Nous sommes d'accord avec la Jamahirya [sic] sur :
« a) Le rôle populaire des Comités révolutionnaires (Livre Vert) comme base
de la manifestation du pouvoir révolutionnaire démocratique des masses. Ces
comités pourraient prendre d’autres noms correspondant aux traditions
organisationnelles des masses, mais leur contenu et leurs buts seront ceux des
Comités révolutionnaires.
« b) Le Workers Revolutionary Party est d’accord avec la Jamahirya [sic] sur
le rôle des partenaires dans une société socialiste (voir nos notes déjà
soumises au sujet de la Deuxième partie du Livre Vert). »
Healy était désormais prêt à faire de Kadhafi le dirigeant de la classe
ouvrière libyenne et du Livre Vert un substitut au marxisme. Un projet de
résolution voté le 28 juillet 1980, par le Comité politique du WRP déclara que
« le Workers Revolutionary Party salue la lutte infatigable et courageuse du
colonel Kadhafi dont le Livre Vert a guidé la lutte pour instaurer le contrôle
ouvrier sur les usines, les ministères et services diplomatiques et pour
dévoiler les manoeuvres réactionnaires de Sadat, Beigin et Carter... Nous sommes
prêts à mobiliser les ouvriers britanniques pour la défense de la Jamahiriya
libyenne et à répandre les enseignements du Livre Vert comme partie intégrante
de la lutte anti-impérialiste. »
Le 12 décembre 1981, le Comité politique du WRP publia une déclaration qui
proclamait : « Lorsque Kadhafi et les officiers unionistes libres ont saisi
le pouvoir populaire en 1969, ils ont conduit la Libye sur le chemin du
développement et de l’expansion socialistes... Kadhafi a politiquement évolué
dans la direction du socialisme révolutionnaire et a refusé tous les palais et
les harems de certains autres dirigeants arabes. »
Ce travail d’agent publicitaire en faveur de la bourgeoisie libyenne, financé
par Kadhafi, conduisit directement en un peu plus de six mois à une trahison
politique de l’OLP. Lors de l’invasion israélienne du Liban, au cours de l’été
1982, tandis que les bombes pleuvaient sur Beyrouth, la contribution de Kadhafi
à la lutte antisioniste fut d’appeler Arafat à se suicider ! Même une
déclaration de ce genre ne put provoquer une attaque politique sérieuse de la
part du WRP.