WSWS :
Histoire et
culture
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme
1973-1985
Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale
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Troisième partie : l’effondrement du WRP
40. Le Dixième congrès du Comité international
41. Les dix stupidités de Cliff Slaughter
42. Le WRP rompt avec le trotskysme
43. Conclusion
40. Le Dixième congrès du Comité international
Deux faits politiques intimement liés l’un à l’autre ont dominé le Dixième
congrès du Comité international de la Quatrième Internationale, tenu en janvier
1985, bien qu’aucun de ces faits n’ait été discuté. Le premier était la crise
politique dévastatrice au sein du WRP et le second la suppression des
divergences politiques ayant surgi au sein du Comité international au cours des
trois années précédentes.
La dégénérescence politique du WRP était à l’origine de la crise du Comité
International. Non seulement la section britannique avait abandonné sa
responsabilité d’assurer la direction théorique, politique et organisationnelle
du mouvement mondial, mais elle représentait maintenant la source principale de
la politique révisionniste et de la désorientation au sein du Comité
International. Son travail dans le Comité international était devenu une
opération de sabotage universel. Pour Healy, le Comité international s’était
transformé en une simple source de revenus financiers et de prestige politique.
Au delà de ces considérations toutes pragmatiques, il était hostile à ce qu’il
continue d’exister. Quant à Slaughter, le Comité international était pour lui un
divertissement occasionnel et une agence de voyages utile pour ses vacances
d’été, sans plus.
Ni Healy, ni Banda, ni Slaughter – les principaux délégués britanniques au
Dixième congrès – ne se tenaient au courant ni des détails du mouvement ouvrier
international, ni de la vie politique quotidienne d’aucune des sections du
Comité international en dehors de la Grande-Bretagne. Aucun d’eux ne suivait
systématiquement ni la presse des sections du CI, ni ne lisait leurs documents.
Au cours du Dixième congrès, il est apparu que Banda laissait traîner sur son
bureau depuis plus d’un an un document important écrit par des camarades
canadiens sans l’avoir lu. La correspondance des sections du CI et des
sympathisants d’autres pays restait le plus souvent sans aucune réponse. Healy,
qui avait maintenu une correspondance considérable avec la Workers League entre
1966 et 1974, n’a pas écrit plus de deux courtes lettres à David North pendant
la décennie suivante. En revanche, Healy écrivait régulièrement à divers
dirigeants bourgeois nationaux du Moyen-Orient.
A partir de 1975, les dirigeants du WRP ont réduit au minimum leurs visites
aux sections internationales. Avant la scission avec Wohlforth, au sein de la
Workers League, Healy s’était rendu régulièrement au Canada pour maintenir le
contact avec les dirigeants de l’organisation américaine. Mais, après 1974,
Healy n’a plus jamais visité le continent nord-américain pour rencontrer le
Comité central de la Workers League. Une fois, en 1979, il s’était rendu en
Alaska en avion pour rendre visite à Vanessa Redgrave en déplacement pour le
tournage d’un film, « Bear Island ». Une réunion avec la Workers League
était pourtant prévue à Toronto au cours du voyage de retour de Healy à Londres.
Les camarades américains versèrent donc une caution après avoir trouvé des
logements appropriés. Sans aucune explication, Healy annula l’escale à la
dernière minute pour rentrer directement à Londres.
Les rapports avec les autres sections n’étaient pas meilleurs et, dans
certains cas, même pires. Le Bund Sozialistischer Arbeiter (BSA), la section
allemande du Comité international, n’a pas reçu une seule visite de Slaughter
après 1975. On empêcha ses dirigeants de mener un travail politique systématique
en Allemagne. Au contraire, on se servit d’eux année après année pour organiser
de longues marches à travers l’Europe, qui se terminaient inévitablement par des
rassemblements à Londres, servant les intérêts politiques immédiats du WRP. La
section britannique a pillé leurs réserves par dizaines de milliers de marks. En
1980, Healy s’est présenté à Munich pour une exposition de machines d’imprimerie
et a obligé de jeunes camarades allemands à engager leur section à acheter une
rotative pour un prix de plusieurs centaines de milliers de livres sterling.
Pour faire face à leurs obligations, ils furent obligés de contracter des prêts
énormes qui ont paralysé l’organisation. En fin de compte, ils furent obligés de
résilier le contrat. Le WRP qui, lui, négocia la résiliation du contrat avec
l’entreprise d’imprimerie en tira bien du profit. Comme la Commission
internationale de contrôle devait l’apprendre ultérieurement, Healy a menti aux
Allemands au sujet du montant définitif de l’accord avec la société Solna et
empocha à peu près 35 000 marks (17 500 euros).
La section sri lankaise, une des plus anciennes du Comité international,
après être sortie de la lutte contre la trahison historique du LSSP, reçut sa
dernière visite d’un dirigeant politique du mouvement britannique en 1972. Elle
reçut ultérieurement la visite d’Alex Mitchell et de Corin Redgrave dont la
valeur politique pour la Revolutionary Communist League sri lankaise n’était que
ce à quoi l’on pouvait bien s’attendre. La correspondance des dirigeants de la
RCL restait souvent sans réponse et ils étaient tenus dans l’ignorance quant au
travail du Comité international et de la plupart de ses réunions. Aux yeux du
WRP, les ressources restreintes des trotskystes sri lankais ne méritaient pas
qu’il perde son temps.
La section australienne a reçu deux fois des visites au cours d’une décennie
– mise à part la tournée théâtrale de Vanessa Redgrave en 1982, qui s’avéra
particulièrement lucrative pour le WRP, mais qui faillit ruiner la Socialist
Labour League (SLL). De plus, la tournée de Redgrave a empoisonné les rapports
entre la section australienne et la communauté arabe car, nombre d’entre eux la
considérait comme une opportuniste qui se servait de la cause palestinienne pour
collecter des fonds.
Dans d’autres pays, des sections très prometteuses furent détruites. Un
groupe de militants portugais qui s’était rapproché du Comité international de
la Quatrième Internationale après la Révolution d’avril 1974 était perdu sans la
moindre explication. La section espagnole qui, à un moment donné, comptait
plusieurs dizaines de membres actifs lors de l’effervescence politique qui
suivit la mort de Franco, se trouvait réduite en 1985 à trois membres actifs au
plus. Le groupe irlandais avait simplement été abandonné. Non moins criminelle
fut l’attitude de Healy vis-à-vis de la construction d'un mouvement en France.
Une jeune camarade dévouée fut chargée de passer tout son temps à gérer en
France une petite société ; soi disant que cela poserait des bases sûres pour
l’établissement d’une section. Ce travail était placé sous le contrôle personnel
de Healy et il était impossible d’aborder ce sujet au sein du CIQI.
De jeunes camarades très prometteurs de différentes sections étaient
convoqués et gardés à Londres où ils étaient intégrés à l’appareil de Healy et
retenus dans le pays durant des années. Pire encore, leur activité revêtait la
plupart du temps un caractère technique et apolitique. Lorsqu’ils étaient enfin
renvoyés dans leurs sections – le plus souvent, sur dénonciation de Healy pour
une faute imaginaire – ces camarades se trouvaient dans un état de
désorientation politique complète et la plupart d’entre eux ne tardaient pas à
quitter le mouvement révolutionnaire.
Ces pratiques organisationnelles horrifiantes étaient inséparables du
sabotage politique mené par la direction Healy-Banda-Slaughter. Fonctionnant
comme une clique au sein du CI – ils n’ont jamais fait part de leurs divergences
au cours des réunions du Comité international – ils étaient, soit indifférents
aux questions soulevées par les sections, soit ils intervenaient délibérément
dans leur travail pour imposer des lignes politiques désastreusement fausses.
La ligne radicale de gauche inventée par le WRP en 1975 fut imposée aux
autres sections en Europe et en Australie où il existait de grands partis
sociaux-démocrates. La revendication du renversement des gouvernements
travaillistes et sociaux-démocrates fut transformée en stratégie universelle, ce
qui eut des effets catastrophiques pour les sections concernées. Le BSA fut
presque détruit par cette politique ; la classe ouvrière allemande répondant
avec hostilité à cette absurdité radicale de gauche. L’imposition de la même
ligne a produit la même désorientation politique au sein de la SLL australienne.
Il faut mentionner tout particulièrement le rôle joué par Banda – le prétendu
expert de la théorie de la Révolution permanente – minant le travail des
camarades sri lankais. En 1972, Banda leur avait dit que leur position de
soutien du droit à l’autodétermination de la nation tamoule était fausse et
devait être révisée. En 1977, après que le mouvement de libération ait gagné un
soutien considérable auprès des masses et ayant ainsi établi sa légitimité, la
position initiale du RCL s’est avérée correcte. C’est à ce moment que Banda
suggéra que la section sri lankaise change sa ligne. Cependant, lorsqu’une
tendance ouvertement singhalaise et chauvine émergea au sein de la RCL pour
s’opposer à cette rectification indispensable et tardive, Banda s’aligna avec la
minorité de droite contre la direction de la RCL. En préparation du Dixième
congrès du CIQI, la RCL avait soumis un important document de perspectives pour
la discussion qui se basait sur la théorie de la Révolution permanente. Banda
dénonça les camarades de la RCL pour lui avoir fait perdre son temps avec un
document de 50 pages – leur demandant de façon sarcastique s’ils pensaient
préparer une thèse de doctorat ; il refusa de le faire circuler parmi les
délégués internationaux.
Après le Septième congrès en 1977 – la dernière réunion du CIQI qui traita de
près où de loin des problèmes de perspectives internationales – il était devenu
pratiquement impossible de discuter de questions politiques avec les
Britanniques. A partir du Huitième congrès en 1979, chaque rassemblement
important du CIQI était transformé en théâtre de provocations déloyales
fomentées par Healy et avec l’aide de Banda et Slaughter. Ces provocations
avaient pour but d’empêcher toute discussion des documents politiques et du
travail pratique des sections, ainsi que d’étouffer toute critique éventuelle du
travail du WRP qui aurait pu exister au sein du CIQI. Des incidents sans
importance et sans aucune signification politique étaient exagérés pour prouver
que telle ou telle section était « hostile » au WRP. En revoyant chacune de ces
expériences, on peut y déceler une réelle tentative de sabotage de toute
discussion politique à l’intérieur du CIQI. Healy ne s’intéressait plus aux
questions politiques en dehors de la Grande-Bretagne. Il lisait les journaux des
autres sections que très rarement et seulement quand il cherchait un prétexte
pour lancer une attaque fractionnelle.
L’attitude de la direction du WRP à l’égard du Comité international était
dominée par un chauvinisme presque incroyable qui déterminait chaque aspect de
ses relations avec les sections. Exploitant l’autorité politique acquise par
leur rôle dans la lutte contre le pablisme dans les années 1960, ils ont
subordonné consciemment tout le travail du mouvement international aux besoins
pratiques immédiats de la section britannique. Leur propre participation à la
vie interne du CIQI avait un caractère privilégié et exceptionnel. Ils ne
préparaient aucun rapport politique concernant leur propre travail. Ils ont
caché et menti sur la vraie nature de leurs relations avec la bourgeoisie arabe.
Pendant les séances du CIQI leurs délégués se déplaçaient comme bon leur semble.
La seule chose dont ils discutaient longuement était leurs fantastiques succès
organisationnels: ventes de 17 000 exemplaires du News Line par jour, un
nombre d’adhérents approchant les 10 000 et de vastes ressources. Le secret de
leurs réussites, du moins le prétendaient-ils, se résumait maintes et maintes
fois en une phrase : « Nous savons comment construire » qui était opposée
aux problèmes de toutes les autres sections. Il aura fallu du temps, en raison
du manque d’expérience des sections, mais le CIQI a fini par comprendre ce que
construisait Healy – un tas de fumier centriste !
Il faut dire que la dégénérescence politique du WRP dans les années 1970
avait créé une situation dans laquelle le CIQI ne pouvait pas se développer
politiquement en tant qu’organisation homogène. Aucune des sections fondées
après 1973 n’a adhéré au CIQI sur la base d’un véritable accord sur des
questions de principes. Les sections du CIQI ne fonctionnaient pas sur la base
d’un programme international commun. A partir de 1975, Healy travaillait
consciemment au sein du CIQI pour empêcher une véritable clarification sur le
plan international. Lorsque des différends surgissaient, ils étaient réglés de
manière bureaucratique. En Grèce, la direction qui a soulevé des divergences
politiques – erronées, il est vrai – fut exclue pour de faux motifs
organisationnels. Le dirigeant qui remplaça D. Toubanis fut aussi expulsé, sans
discuter au préalable les divergences politiques avec le CIQI. Savas Michael
était le malheureux produit de ce processus, qu’on pourrait le mieux qualifier
de survivance du plus inapte. Plus tard, comme on l’a déjà expliqué, Healy et
S. Michael ont élaboré une ligne internationale vis-à-vis du régime iranien qui
était en contradiction complète avec la position programmatique officielle du
CIQI. La direction du mouvement espagnol, qui s’était développée pendant une
période d’illégalité, fut expulsée à son tour, après que les différences
politiques aient été exagérées au maximum. Dans ce cas précis, la manoeuvre
était liée aux sordides affaires personnelles de Healy.
Après la scission Healy et son associé Michael ont tenté de présenter
l’opposition au sein du Comité international comme une rébellion illégale contre
les décisions du Dixième congrès – d’une manière à peu près semblable à celle
dont Pablo dénonça la Lettre ouverte de Cannon, comme une attaque contre
le « Troisième congrès historique ». S. Michael de la Workers Internationalist
League et E. Romero de la section espagnole ont publié un communiqué commun,
justifiant leur refus d’assister à une réunion du CIQI convoquée selon les
statuts. Dans ce communiqué, ils déclaraient « notre loyauté au Dixième
congrès mondial du CIQI en tant qu’instance suprême du CIQI et ses politiques et
résolutions ne peut être changé que par un autre congrès ». Ils en
appelaient au « camarade Gerry Healy, en tant que dirigeant historique de ce
mouvement, de dirigeant du Dixième congrès mondial et en tant que combattant le
plus éminent pour ses perspectives, de convoquer une réunion d'urgence du Comité
International. Nous ne reconnaîtrons pas d’autre réunion fractionnelle convoquée
frauduleusement au nom du CIQI. »
L’histoire ne peut décerner à Healy de châtiment plus terrible qu’en le
condamnant à avoir la réputation d’être le « combattant le plus éminent »
pour les perspectives du Dixième congrès – qui était, sans aucun doute, le
document le plus lamentable jamais produit dans l’histoire du CIQI. Par
comparaison, le projet de programme du VIe congrès du Komintern apparaîtrait
comme un chef-d'oeuvre de littérature marxiste.
Ce document était né sous des auspices peu favorables. A l’origine, rédigé
par Slaughter afin d'être discuté lors de la réunion du CIQI en février 1984, il
fut critiqué et rejeté par la Workers League. Une section supplémentaire – qui
était supposée traiter de la crise économique mondiale – avait été rajoutée à
temps pour le Septième congrès du WRP qui l’avait voté avant la convocation du
Dixième congrès du CIQI.
Ce document représentait un monument vivant à l’éfigie des suppressions de
discussions politiques au sein du CIQI par Healy, Banda et Slaughter. En dépit
du fait que le dernier congrès du CIQI avait eu lieu en février 1981, ce
document ne traitait aucun des développements majeurs de la situation politique
et économique mondiale survenus au cours des quatre années précédentes. Toutes
les expériences stratégiques de la lutte de classe internationale, du CIQI et de
ses sections étaient passées sous silence. Entre février 1981 et janvier 1985,
il y avait eu trois guerres importantes : l’invasion israélienne du Liban, la
guerre des Malouines et la conflagration continuelle entre l’Iran et l’Irak. Le
sous-continent indien était en ébullition : il y avait eu l’assassinat de Gandhi
et la crise du Punjab, les pogromes sanglants au Sri Lanka et l’expansion de la
lutte des Tamouls pour l’autodétermination, une série de coups d’Etat au
Bangladesh et les manifestations massives au Pakistan.
En Afrique, il y avait eu le coup d’Etat au Nigeria, l’intervention
impérialiste au Tchad et, surtout, la croissance énorme du mouvement
révolutionnaire en Afrique du Sud. En Amérique latine et aux Caraïbes, il y
avait eu la chute de la junte militaire en Argentine, l’apparition du pouvoir
civil au Brésil, l’amplification du mouvement de guérilla Sendero Luminoso
(Sentier Lumineux), l’invasion par les Etats-Unis de l’île de Grenade et les
menaces continuelles de l’agression impérialiste au Nicaragua. En Europe, Pasok
resta au pouvoir en Grèce et le Parti socialiste a gagné les élections en
France, mais ailleurs, dans les pays du Marché commun, la tendance vers des
régimes de centre droite prédominait.
En Australie et en Nouvelle-Zélande, les Travaillistes étaient élus et aux
Philippines l’assassinat d’Aquino a commencé l’agonie du régime Marcos.
La crise du stalinisme en URSS et en Europe de l’Est a atteint d’immenses
proportions avec la répression de Solidarnosc en Pologne et la crise prolongée
de la direction au sein de la bureaucratie soviétique avec la guerre qui
s’éternisait en Afghanistan. En Chine, la direction de l’ère de l’après Mao
continuait sa politique économique de droite et signait un accord qui
l’engageait à préserver la domination capitaliste à Hong-Kong.
En Amérique du Nord, les conservateurs sont arrivés au pouvoir au Canada et
Reagan était réélu pour un deuxième mandat.
Et enfin et surtout, il y avait eu la grève des mineurs britanniques.
La plupart de ces événements étaient passés sous silence, quant aux autres,
ils avaient droit à une phrase au plus. Pas un seul développement politique
n’était concrètement analysé – et ce même pas dans les pays où le CIQI avait des
sections. La partie du document traitant de la situation objective mondiale se
limitait à neuf petites pages imprimées – consistant en généralités, platitudes,
banalités et en grosses bévues théoriques.
La thèse centrale du document déclarait qu’il existait sur la planète une
situation révolutionnaire universelle et indifférenciée « caractérisée avant
tout par le fait que la classe ouvrière et toutes les masses opprimées se sont
maintenant engagées sur la voie de la lutte contre l’Etat capitaliste, dans des
conditions telles que, chaque jour, la nécessité de la conquête révolutionnaire
du pouvoir d’Etat leur est posée. Du prolétariat des pays capitalistes européens
aux travailleurs des Etats-Unis, des masses latino-américaines à celles de
l’Asie du sud-est, s’établit le même niveau de la lutte de classe
révolutionnaire. » (Resolution on International Perspectives, p. 1)
Cette « analyse » n’était établie ni sur la base d'une analyse spécifique, ni
sur un examen concret de la lutte de classe dans chaque pays mais se basait
plutôt sur des références abstraites faites « à l’action nécessaire des lois
objectives et des contradictions historiques accumulées du système capitaliste
mondial. » (Ibid., p. 2)
Il n’y avait aucune analyse concrète de la crise économique s’appuyant sur un
examen sérieux du commerce international, de la production industrielle, du
chômage, de l’impact des développements technologiques, etc. Au lieu de cela, la
résolution déclarait simplement que les contradictions économiques « ont
maintenant rompu le ‘ barrage ‘ de Bretton Woods avec une force inexorable et
que rien, ni personne ne peut reconstruire ce barrage. C’est là la clé de la
situation internationale et c’est là le contenu de la lutte politique dans tous
les pays. » (Ibid., p. 3)
41. Les dix stupidités de Cliff Slaughter
Le document niait toute conception du développement inégal de l’économie
mondiale et de la lutte de classe (dont est tirée la loi du développement
combiné). Ainsi, la résolution rédigée par Slaughter pendant ses heures de
loisirs présentait les affirmations suivantes :
1. « Les lois objectives du déclin capitaliste agissent maintenant sans
aucun frein. Elles ont rompu les digues. » (Ibid., p. 4)
Cela ne peut que signifier que tous les autres facteurs subjectifs, à savoir
l’intervention consciente de la bourgeoisie, ont été surmontés et que l’économie
capitaliste s’engouffre avec fracas dans l’abîme telle une cascade. Mais comme
le montre l’histoire et comme Trotsky l’a expliqué, la bourgeoisie n’est jamais
une victime passive des « lois objectives du déclin capitaliste » mais
intervient dans ce processus objectif pour contrecarrer et influencer l’action
de ces lois objectives. Ce n’est que dans le cadre d’une étude scientifique
abstraite, comme c’est le cas dans le premier tome du Capital, qu’on peut
étudier le mouvement abstrait « sans aucun frein » des lois objectives du déclin
capitaliste. Dans le tome 3, Marx traite déjà des formes plus complexes à
travers lesquelles ces lois sont médiatisées dans la société capitaliste. Dans
la société les lois du déclin capitaliste agissent par l’intermédiaire de
classes, qui, à leur tour, agissent sur elles et influencent leurs cours. Il
suffit d’indiquer que la loi la plus importante régissant le déclin capitaliste,
celle de la baisse tendancielle du taux de profit, n’agit pas « sans frein »
mais est soumise à toute une série de facteurs, aussi objectifs que subjectifs,
agissant en sens inverse. C’est pourquoi, la déclaration citée plus haut et qui
constitue le fondement « théorique » de tout le document est absurde et on ne
peut l’expliquer que par le fait que le WRP rejetait toute nécessité d’un
travail sérieux pour le développement de perspectives marxistes.
2. « Ce qui caractérise essentiellement la situation politique dans chaque
pays, c’est la domination ouverte de ces lois objectives de la crise historique
du capitalisme à l’échelle mondiale. » (Ibid.)
Cette déclaration était déduite de la précédente et constituait une
transition vers la conclusion suivante :
3. « La classe capitaliste se voit confrontée – et cela est unique dans
les annales de l’histoire – à une classe ouvrière qui malgré un chômage de masse
grandissant fait face à des expériences révolutionnaires comme une classe
invaincue. Les luttes révolutionnaires de masse des mineurs britanniques et
d’autres ouvriers européens ont lieu en même temps que la résistance
grandissante des masses en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient et en
Asie provoqués par la même crise insoluble du capitalisme. » (Ibid.)
C’est en effet sans précédent dans l’histoire, parce qu’une situation telle
que décrite dans le paragraphe précédent n’a jamais existé et n’existera jamais.
Toutes les relations entre les différents pays et entre les luttes qui s’y
déroulent étaient avant tout et seulement des constructions de la langue
britannique. Monsieur le professeur Slaugher décrétait même, de façon tout à
fait olympienne, que le chômage n’était plus un facteur significatif dans les
conditions concrètes de la lutte de classe de chaque pays.
4. « La réalité, c’est que les batailles révolutionnaires décisives
ont déjà été engagées. » (Ibid., p. 5)
Cette affirmation était présentée comme une vérité universelle applicable à
tous les pays. Elle signifiait que ceux qui prenaient ce document au sérieux,
devaient prendre chaque lutte, si isolée et minoritaire fut-elle, pour une des
luttes décisives de la révolution et signifiant donc un combat immédiat pour la
vie et pour la mort. Il n’y a, par conséquent, pas de différence essentielle
entre une grève des mineurs dans les mines d’or d’Afrique du Sud, les
manifestations de masse en Haïti et les grèves aux Etats-Unis auxquelles ne
participent qu’un petit nombre d’ouvriers. Une telle perspective ne pouvait
conduire ceux qui appuyaient sur elle leur travail politique qu’aux aventures
les plus insensées et les plus téméraires.
5. « Chaque jour est un mouvement du flot révolutionnaire de
développements – la question n’est pas que quelque chose ‘ se développe ‘ pour
l’avenir. » (Ibid.)
Cela signifiait que la situation révolutionnaire se trouvait déjà partout
dans le monde pour ainsi dire dans son « neuvième mois » et que le mouvement des
masses avait déjà atteint dans chaque pays son niveau de développement maximal.
6. « La lutte politique – dans laquelle se trouve à présent la classe
ouvrière et les sections du Comité international – sont des luttes dans
lesquelles la question de la conquête du pouvoir est déjà directement
posée et pour laquelle il faut trouver une réponse. » (Ibid.)
Slaughter était capable d’écrire de telles lignes et, tout comme Trotsky
l’avait remarqué à propos des universitaires petits-bourgeois, de les remettre
dans sa serviette, les oublier et s’en aller d’un pas insouciant vers
l’université de Bradford le jour suivant. Mais, pour ceux qui dans les diverses
parties du monde avait ont lu ces lignes, leur signification avait des
conséquences plus sérieuses. Alors qu’elles ne coûtaient à Slaughter pas plus
d’un après-midi passé dans son bureau, elles pouvaient, le cas échéant, coûter
la vie à d’authentiques révolutionnaires.
7. « Les lois objectives prédominent et la lutte pour le pouvoir est à
l’ordre du jour dans chaque pays, que ce soit sous la forme d’un développement
contenu dans la lutte pour organiser la grève générale en Grande-Bretagne, ou
sous une autre forme. » (Ibid.)
Cette phrase établissait une identité de toutes les formes de luttes. Non
seulement, elle ne tenait pas compte du stade de développement de chaque lutte
mais, ce qui n’était pas moins important pour la stratégie du CIQI, elle ne
tenait pas compte non plus des forces de classe qui les dominaient. Avec cette
formule « sous une autre forme » une identité politique était créée entre
des luttes menées par différentes couches sociales. On leur accordait le même
poids et la même importance historique dans la perspective du Comité
International. On ne pouvait par conséquent pas faire de distinctions entre des
manifestations d’agriculteurs américains et des grèves d’ouvriers des abattoirs
du Minnesota ou entre des grèves menées par les cheminots en Inde et
l’occupation du Temple d’or par les Sikhs ou l’attentat à la bombe de l’IRA à
Brighton et la grève des mineurs. Toutes ces luttes n’étaient présentées que
comme différentes « formes » de la même essence universelle. La perspective
historique du CIQI se trouva ainsi détournée de son axe prolétarien.
8. « Le prolétariat invaincu des Etats-Unis entre dans des luttes de
nature révolutionnaire en même temps que celui du reste du monde. » (Ibid.
p. 7)
Au moment où ces lignes furent écrites, les grèves se trouvaient à leur
niveau le plus bas de toute la période d’après-guerre et ceci pour la troisième
année consécutive. Depuis 1981, il n’y avait pas eu une seule manifestation de
masse de la classe ouvrière. Suite aux trahisons répétées de l’AFL- CIO, le
nombre de travailleurs organisés dans les syndicats avait atteint son niveau le
plus bas depuis plus d’une génération. A la mi-1985, débuta une série de grèves
– parmi elles, la première grève dans la sidérurgie depuis 25 ans. Ces grèves, à
caractère essentiellement défensif, étaient dirigées contre des baisses de
salaires et d’autres détériorations dans les conventions collectives. Aucune des
grèves n’était politique mais, dans une résolution, on plaçait la lutte de
classes aux Etats-Unis au même niveau que celles se déroulant en Afrique du Sud,
au Brésil ou en Grande-Bretagne. Si cela avait été le cas, il aurait fallu
abandonner la perspective de la lutte pour la construction d’un parti ouvrier
aux Etats-Unis en tant que premier pas vers l’indépendance politique de la
classe ouvrière – vu qu’il n’y aurait pas eu de nécessité pour ce stade
intermédiaire de développement.
En fait, depuis 1983 le WRP avait constamment fait pression sur la Workers
League pour qu’elle abandonne sa revendication en faveur de la construction d’un
parti ouvrier aux Etats-Unis. Dans sa lettre de décembre 1983, Slaughter avait
attaqué la Workers League parce qu’elle plaçait cette question au centre de son
travail et, en février 1984, Healy prétendit, sans produire le moindre élément
de preuve pour étayer ses reproches, que la Workers League transformait la
revendication pour un parti ouvrier en un but stratégique et, de cette manière,
liquidait la lutte pour la construction de la Workers League. La véritable
intention de Slaughter et de Healy était de forcer la section américaine à
abandonner son orientation prolétarienne et à se tourner vers le mouvement de
protestation en faillite de la petite-bourgeoisie radicale.
9. « La confrontation révolutionnaire entre les classes, la lutte pour le
pouvoir, le développement de toute une série de luttes interconnectées, à
développement inégal mais unifiées en vue de la conquête du pouvoir – ont déjà
commencé et ne peuvent être considérées comme à venir. » (Ibid., p. 8)
Cette phrase est à peine une variation du même thème avec un peu plus de
confusion en sus. Eu égard à son âme théorique, Slaughter ajouta – et cela ne
lui coûta que quelques gouttes d’encre de plus – les mots « développement
inégal ». Mais, après avoir affirmé que les luttes unifiées et interconnectées
pour le pouvoir ont maintenant commencé et ne sont pas seulement à
venir, ces mots « développement inégal » ne pouvaient être rien d’autre qu’un
verbiage sans signification. En tout cas, aucun de ces exposés n’était
concrètement illustré par des exemples dérivés soit de l’histoire, soit du
développement actuel vivant de la lutte de classe. Ainsi, Slaughter n’expliquait
pas la différence entre une lutte déjà « commencée » et une lutte « à venir »
pour le pouvoir d’Etat. Il n’éprouvait pas la nécessité de qualifier le moment
historique où la lutte anticipée pour le pouvoir devient la lutte déjà en cours.
Les abstractions supra-historiques de Slaughter, déconnectées du
développement actuel de la lutte de classe, n’étaient pas simplement le produit
de son propre appauvrissement théorique. La direction du WRP avait besoin de ce
type de document précisément parce qu’elle ne pouvait tolérer une analyse
concrète des expériences stratégiques du parti et de la lutte de classe
internationales durant la décennie précédente.
10. « Toutes les tâches politiques du CI et de ses sections dérivent de ce
contenu révolutionnaire des luttes dans lesquelles la classe ouvrière est
irrémédiablement engagée. » (Ibid., p. 9)
Par ces mots, Slaughter tentait de jeter un énorme filet. Tandis qu’il
parlait de « toutes les tâches... » Slaughter n’en élabora même pas une seule –
pour le Comité international, pour une seule section ... même pas pour une
cellule. Malgré sa tentative de transformer les Cahiers philosophiques de
Lénine en une plate-forme factionnelle contre le Comité international, aucun des
charlatans antimarxistes dans la direction du WRP n’était capable d’une
véritable analyse dialectique. Ils ne pouvaient comprendre pourquoi Lénine
citait de plein accord cette « formule magnifique » tirée de la
Logique de Hegel: « Pas seulement abstraitement un universel, mais
l’universel qui englobe en soi la richesse du particulier, de l’individuel, du
singulier ». (V. I. Lénine, Oeuvres, Editions sociales et Ed. du
Progrès, tome 38, p. 96)
Il est à peine surprenant qu’après la scission du CI Healy et ses amis
renégats de la section grecque se soient réclamés de l’autorité de la résolution
du Dixième congrès. C’était le genre de document qui fournirait à tout démagogue
petit-bourgeois suffisamment de vocabulaire ronflant pour une année entière.
Aussi bien par son style que par son contenu, cette résolution ressemblait
étrangement à celle que Pablo avait préparée et qui constituait l’orientation
fondamentale du Troisième congrès en 1951 :
« La situation est prérévolutionnaire partout à divers degrés et se
développe dans une période relativement courte en une situation
révolutionnaire. »
Le document du Dixième congrès caractérise l’apogée de la fureur
anti-internationaliste de la clique Healy-Banda-Slaughter. La fraction
trotskyste du Comité international de la Quatrième Internationale avait pour
tâche élémentaire de récuser cet exercice réactionnaire de faiseurs de phrases
radicaux petits-bourgeois.
Le Dixième congrès était historique en ce sens : il prouvait que le WRP avait
perdu toute légitimité de diriger le Comité international de la Quatrième
Internationale.
Sept mois après la conclusion du Dixième congrès, les délégués du Comité
International furent sommés de se rendre d’urgence à Londres, pour assister à un
meeting tenu le 17 août 1985. Ce dernier fut présidé par Banda, Healy prit la
parole ainsi que Corin Redgrave et Dot Gibson, responsable de la trésorerie du
WRP. Ils prétendirent qu’ils se trouvaient dans une sérieuse crise financière
dont la cause résidait dans les taxes inattendues exigées par le gouvernement.
Aucune référence n’était faite à la crise politique faisant rage au sein du WRP
- la désertion de Jennings, les allégations contre Healy et la requête
concernant l’établissement d’une commission de contrôle afin de procéder à un
examen minutieux de ses activités. Le WRP promettait de rembourser toutes les
sommes prêtées et collecta 84 000 livres sterling en obligations. Entre-temps,
vu que la crise approchait de son dénouement, les relations avec le Comité
International avaient dégénéré au point d’atteindre le niveau du vol et de
l’extorsion de fonds.
42. Le WRP rompt avec le trotskysme
Les sections du Comité international prirent connaissance de la crise au sein
du WRP à différentes période de septembre et octobre 1985. Jusqu’au moment où
toutes les sections avaient appris ce qui se passait, les accusations contre
Healy et les mesures en faveur de son expulsion avaient déjà été proposées au
Comité central et votées à 25 voix contre 12. Une tentative d’expulsion de tous
ceux qui avaient voté contre la motion d’expulsion ne fut stoppée que grâce à
l’intervention de plusieurs délégués du CI, arrivés plus tôt à Londres, et qui
refusèrent instamment que des mesures organisationnelles soient prises dans le
but de clarifier les questions politiques.
Le spectacle qui s’offrit aux délégués du CI, quand ils s’assemblèrent pour
un meeting d’urgence fin octobre à Londres, défie toute description. Ce qui
avait eu l’apparence d’une machine aux rouages bien huilés, avait explosé en
projetant ses débris incandescents dans tous les sens. L’ancien appareil qui
servit de fondement au despotisme de Healy, était en train de se désagréger et
produisait le plus horrifiant de tous les spectacles sociaux, la course paniquée
de petits-bourgeois devenus enragés. La terrible dégénérescence politique du WRP
sous la direction de Healy se reflétait très clairement dans la confusion et la
désorientation politique de ceux qu’il avait prétendu éduquer.
Le CIQI chercha à établir une base principielle pour la résolution de la
crise au sein du Workers Revolutionary Party. Mais, il lui fallut tout d’abord
régler des problèmes dans ses propres rangs. Les sections grecque et espagnole
avaient tenu leur propre réunion fractionnelle à Barcelone le 21 octobre 1985 et
avaient expliqué qu’elles ne reconnaissaient pas d’autre autorité dans le CIQI
que celle de Gerry Healy. Lui seul, affirmaient-elles, avait le droit de
convoquer des réunions. Elles se refusaient pour cette raison à participer au
meeting de Londres. Le 23 octobre 1985, une majorité des sections s’était réunie
à Londres. Elles analysèrent que la source de la crise au sein du WRP a été la
répudiation opportuniste des principes trotskystes et son refus de se
subordonner au Comité international.
Après avoir examiné les preuves établissant l’abus grossier d’autorité de
Healy, les sections du CI se mirent d’accord sur le fait que son expulsion était
nécessaire – mais elles analysèrent sa dégénérescence de façon tout autre que
Slaughter et Banda ne l’avaient fait. Dans ses efforts pour empêcher une
clarification politique dans le WRP, Slaughter commença consciemment et
cyniquement à alimenter une fièvre fractionnelle parmi les éléments
petits-bourgeois. L’aspect sexuel de la dégénérescence de Healy fut placé au
centre de la discussion. Slaughter introduisit la théorie selon laquelle Healy
et la minorité étaient « presque des fascistes ». L’implication de cette
monstruosité théorique résidait dans le fait qu’une analyse politique de la
dégénérescence du WRP n’était pas réellement nécessaire. Les délégués du CI
rejetèrent cette position, car ils reconnurent que les crimes de Healy n’avaient
pu avoir lieu que dans une organisation où la direction centrale avait abandonné
le trotskysme et la lutte pour les principes marxistes dans la classe ouvrière.
Les délégués du CI reconnurent aussi que le refus du WRP de se soumettre à la
discipline du mouvement international était la principale caractéristique de sa
dégénérescence. L’analyse provisoire du CI fut résumée dans deux documents
rédigés avant la réunion du Comité international du 25 octobre 1985. Le premier
document expliquait les raisons de l’expulsion de Healy du CIQI. Nous le citons
en entier :
« Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) exclut
G. Healy de ses rangs et soutient la décision du Comité central du Workers
Revolutionary Party de l’exclure de la section britannique.
« Healy abusa de son autorité politique durant une longue période et de façon
grave en se servant des cadres du CIQI et du WRP à des fins personnelles et en
violant leurs droits.
« Il abusa en cela de la grande confiance politique que toutes les sections
du CIQI avaient placée en lui.
« Les pratiques auxquelles il s’est livré constituent une attaque contre les
cadres trotskystes sélectionnés historiquement.
« Le CIQI est en possession de preuves flagrantes justifiant les motifs pour
l’exclusion de Healy.
« Le CIQI n’est en rien ni oublieux ni indifférent à la contribution
politique apportée par G. Healy, mais ces abus sont si graves qu’il est du
devoir et de la responsabilité du CIQI de procéder ainsi.
« La corruption n’est pas tolérable dans le CIQI. Tous les dirigeants sont
responsables de leurs actions et ne peuvent pas agir contrairement aux statuts
du parti.
« Healy n’a à aucun moment tenté d’entrer en contact avec le CIQI pour tenter
de rejeter les accusations ou pour prendre position contre son expulsion.
« Au contraire, dans les derniers temps, il a mené une lutte fractionnelle
sans principe au sein du CIQI en exploitant des liens personnels dans le but de
se poser en victime d’une conspiration politique et de procéder à une vile
campagne de calomnie contre des membres dirigeants du CIQI.
« En expulsant Healy, le CIQI n’a aucunement l’intention de nier les
contributions politiques qu’il a faites dans le passé, en particulier la lutte
contre le révisionnisme de Pablo dans les années 1950 et 1960.
« En vérité, cette exclusion est le résultat final de son rejet des principes
trotskystes sur lesquels ses luttes passées s’étaient fondées et de son
adaptation aux formes d’opportunisme les plus vulgaires.
« On peut expliquer clairement la dégénérescence politique et personnelle de
Healy par la séparation de plus en plus manifeste qu’il faisait entre les gains
pratiques et organisationnels du mouvement trotskyste en Grande-Bretagne et les
luttes menées au niveau international, basées sur des perspectives historiques
contre le stalinisme et le révisionnisme, dont ces gains étaient le produit.
« La subordination croissante des questions de principe aux besoins pratiques
immédiats était basée sur le souci d'accroître l’appareil du parti ce qui
dégénéra en opportunisme politique, minant de façon constante ses propres
défenses politiques et morales contre la pression de l’impérialisme dans le plus
vieux pays capitaliste du monde.
« Dans ces conditions ses grandes faiblesses subjectives jouèrent un rôle de
plus en plus dangereux.
« Tandis qu’il agissait de façon de plus en plus arbitraire aussi bien dans
le WRP que dans le Comité international, Healy attribuait de plus en plus les
progrès du Parti mondial, non pas aux principes marxistes de la Quatrième
Internationale et à la lutte collective de ses cadres, mais plutôt à ses propres
capacités personnelles.
« L’autoglorification de ses jugements intuitifs conduisait nécessairement à
une grossière vulgarisation de la dialectique matérialiste et à sa propre
transformation en un idéaliste subjectif et un pragmatiste complet.
« Son intérêt passé pour les problèmes complexes du développement des cadres
du mouvement trotskyste international fit place à une pratique presque
complètement dominée par le développement de relations sans principe avec des
dirigeants nationalistes bourgeois et les réformistes des syndicats et du Parti
travailliste en Grande-Bretagne.
« Son style de vie personnel a connu une semblable déchéance.
« Sous la pression de l’ennemi de classe, ceux qui, comme Healy, abandonnent
les principes pour lesquels ils se sont une fois battus et refusent de se
subordonner au CIQI en ce qui concerne la construction de ses sections
nationales, sont voués à la même dégénérescence.
« Il ne peut y avoir aucune exception à cette loi historique.
« Le CIQI affirme qu’aucun dirigeant ne se trouve au-dessus des intérêts
historiques de la classe ouvrière. »
La seconde résolution ébauchait les moyens politiques qu’il fallait mettre en
oeuvre pour surmonter la crise et pour sauver le WRP en tant qu’organisation
trotskyste. Elle cherchait à éviter une deuxième scission dans l’organisation
britannique et à créer les conditions nécessaires pour une clarification
politique :
« La situation politique présente dans le Workers Revolutionary Party a
produit la crise la plus importante que le Comité international ait connu depuis
sa fondation, en 1953.
« Tous les gains acquis au cours d’une lutte qui a duré des décennies pour
construire le mouvement trotskyste en Grande-Bretagne et internationalement,
sont maintenant en danger. Aucun de ces gains n’aurait pu être obtenu sans une
lutte difficile et prolongée contre le stalinisme et le révisionnisme pabliste
dans laquelle la direction du WRP et de son prédécesseur, la Socialist Labour
League, a joué un rôle décisif.
« La formation de toutes les sections du CIQI a eu pour origine la lutte des
camarades britanniques contre la tentative du révisionnisme pabliste de liquider
le trotskysme.
« Les racines de la crise actuelle qui éclata quand les pratiques corrompues
de Healy et les tentatives de les camoufler de la part du Comité politique du
WRP furent démasquées, sont à chercher dans le fait que la direction du WRP
s’est détournée durant une longue période de la tâche stratégique de construire
le Parti mondial de la révolution socialiste pour se tourner vers une
perspective et une pratique de plus en plus nationalistes...
« Le premier pas pour surmonter la crise dans le WRP consiste, pour la
direction et les membres, à reconnaître le fait qu’il leur faut une
collaboration politique des plus étroites avec les camarades ayant les mêmes
idées dans le CIQI.
« Dans le passé, le WRP appela correctement ses camarades internationaux à
commencer à tout moment par les nécessités du Parti mondial et non par les
étroites considérations nationales.
«A présent, le CIQI appelle tous les dirigeants et les membres du WRP, en
dépit de leurs divergences légitimes concernant le programme et les
perspectives, à se soumettre à la discipline de notre mouvement international et
à maintenir son autorité ».
C’est pourquoi le CI proposa trois mesures pour résoudre la crise :
« 1. Un nouvel enregistrement des membres du WRP sur la base d’une
reconnaissance explicite de l’autorité politique du CIQI et de la subordination
de la section britannique à ses décisions.
« 2. Une collaboration complète de chaque membre du WRP avec une Commission
de contrôle internationale devant examiner la corruption de G. Healy, la
tentative de camouflage de la part du Comité politique et la crise financière du
WRP, sans pour autant s’y limiter.
« 3. Toutes les accusations portées contre des membres des factions de la
minorité ou de la majorité et faites à la suite de l’éclatement de la crise dans
le parti doivent être formulées devant la Commission de contrôle internationale.
« Tous les points litigieux sont des questions internes du WRP et du CIQI et
doivent le rester...
« Nous sommes conscients du fait que nos camarades britanniques travaillent
dans des conditions d’énormes pressions de classe, produites par la classe
dirigeante du plus ancien des pays capitalistes. Celles-ci ne peuvent être
surmontées que par une pratique véritablement internationaliste.
« Nous faisons appel encore une fois à tous les membres du WRP pour qu’ils
reconnaissent leur responsabilité historique vis-à-vis de la Quatrième
Internationale, les implications internationales de leurs décisions et, par
conséquent, acceptent ces propositions ».
Ces résolutions montrent clairement que le CIQI ne se laissa pas submerger
par les événements et qu’au milieu de toute l’hystérie subjective et de tout le
tumulte, il fut en mesure de comprendre et d’expliquer la crise du WRP en termes
objectifs et marxistes. Il ne céda pas à la panique engendrée par les
petits-bourgeois enragés des deux camps. Ce fait à lui seul était une puissante
confirmation de ce que le Comité international avait eu son propre développement
politique, indépendamment du WRP. En affirmant l’autorité de la Quatrième
Internationale sur le WRP, le Comité international, après tant d’années, se
mettait à l’œuvre pour établir à nouveau le travail de la section britannique
sur des bases trotskystes.
Lors de sa réunion du 25 octobre 1985, le Comité international lutta pour que
les propositions avancées par le CIQI pour résoudre la crise soient acceptées
par la délégation du WRP. Des quatre délégués du WRP, Dave Hyland–
l’organisateur du WRP dans le Sud-Yorkshire et qui avait lutté pendant tout
l’été contre la façon dont le Comité politique avait masqué les abus de Healy
vis-à-vis des cadres trotskystes – était le seul à soutenir sans réserve ces
propositions. Bien que n’étant ni en mesure de donner une explication politique
quelconque de la crise du WRP, ni d’élaborer les questions litigieuses de
programme et de principe, Banda, Slaughter et Peter Jones s’opposèrent
violemment à toute clarification des questions dans le parti. Ils prétendirent à
de nombreuses reprises que la seule question à discuter était celle des
pratiques sexuelles de Healy.
Mais ce à quoi ils s’opposaient le plus, c’était la nécessité pour le WRP de
reconnaître l’autorité du CIQI. Ni Slaughter, ni Banda n’étaient prêts à
abandonner l’autonomie nationale du WRP, c’est-à-dire la liberté d’agir comme
bon leur semble en Grande-Bretagne et dans le mouvement ouvrier international.
Le CIQI fit clairement comprendre que si le WRP n’acceptait pas l’autorité du
Comité international, il n’y aurait alors plus aucune base pour la poursuite
d’une collaboration fraternelle. Après de longues heures de discussion, Banda,
Slaughter et Jones changèrent brusquement d’avis et se déclarèrent d’accord.
Plus tard, ils devaient changer d’avis en déclarant – et pour une fois, ils
étaient sincères – que leur décision d’accepter les résolutions était uniquement
dictée par des considérations tactiques en relation avec leur lutte contre les
partisans de Healy.
Le lendemain matin, le CIQI prit contact avec Ben Rudder, un représentant de
la fraction pro-Healy pour lui faire savoir qu’il était prêt à une rencontre
avec la minorité afin de lui présenter une proposition qui évitait une scission
et organisait une discussion sous l’égide du Comité international. En réponse,
Rudder indiqua que la fraction pro-Healy ne se considérait plus comme faisant
partie du Comité international. Le CIQI fixa néanmoins une heure et un endroit
pour rencontrer la minorité, mais elle ne se présenta pas. Au lieu de cela, elle
publia une déclaration dénonçant le Comité international et proclamant la
scission. La preuve était ainsi donnée que les partisans de Healy n’étaient
prêts à travailler dans le Comité international que dans la mesure où ils
pourraient l’utiliser pour leurs objectifs nationalistes. Le lendemain, 27
octobre 1985, eut lieu la conférence extraordinaire du WRP qui adopta les
résolutions du CIQI à une écrasante majorité, sans une seule voix contre et avec
seulement quelques abstentions.
Il fut toutefois bientôt clair que la faction de Banda et Slaughter n’avait
pas l’intention d’accepter la subordination du Workers Revolutionary Party au
Comité international. Elle viola immédiatement la résolution en convoquant la
presse capitaliste au centre de Clapham pour fournir à la bourgeoisie une
version effrayante de la crise du WRP. Puis ils interrompirent, sans aucune
discussion dans le Comité international, la parution du quotidien. En même temps
une campagne haineuse contre le Comité international fut déclenchée dans le WRP.
Il s’agissait de la continuation du même anti-internationalisme qui avait existé
sous Healy. C’est Cliff Slaughter qui prit la direction de cette campagne en
faisant appel à tous les éléments chauvins et arriérés qui se trouvaient aussi
bien à l’intérieur qu’à l'extérieur du WRP. Afin de gagner du soutien pour sa
campagne contre le Comité international, Slaughter organisa, sous le couvert
mensonger de la « morale révolutionnaire », un meeting à Londres au cours duquel
il serra la main d’un stalinien notoire, Monty Johnstone, et remit en question
toute l’histoire de la Quatrième Internationale.
Pendant ce temps, la Commission de contrôle du CI rassemblait les preuves
illustrant l’incroyable trahison commise par le WRP vis-à-vis du Comité
International et sa trahison des principes fondamentaux de classe. Le rapport
intérimaire de la Commission de contrôle fut présenté au CIQI le 16 décembre
1985. Ce rapport démontrait que le WRP avait eu des relations de mercenariat
avec les Etats bourgeois du Moyen-Orient et avait vendu ses principes pour de
l’argent. Se basant sur ces preuves, le CIQI résolut de suspendre le WRP. Trois
des délégués du WRP, Slaughter, Tom Kemp et Simon Pirani, votèrent contre la
résolution. Seul Dave Hyland vota avec les délégués des autres sections du CI.
La suspension n’était pas simplement une mesure disciplinaire. Le Comité
International expliqua clairement que si cette trahison avait pu avoir lieu,
c’était parce que la direction du WRP avait abandonné le trotskysme. C’est
pourquoi, si le WRP devait continuer à travailler dans le Comité international,
ce ne pouvait être qu’en mettant un terme aux relations sans principe qui
avaient existé sous Healy durant la décennie précédente et en rétablissant un
véritable accord programmatique avec le Parti mondial, fondé sur
l'internationalisme.
Le CIQI proposa pour cette raison une autre résolution où il exhortait les
délégués britanniques à confirmer leur accord avec les fondements historiques du
mouvement trotskyste. Ces fondements furent définis dans la résolution de la
manière suivante : « les décisions des quatre premiers congrès de
l’Internationale Communiste (1919-1922), la Plate-forme de l’Opposition de
gauche (1927), le Programme de Transition (1938), la Lettre ouverte (1953) et
les documents de la lutte contre la pseudo-réunification du SWP et des pablistes
(1961-1963). »
La résolution concluait ainsi :
« Le CIQI et le Comité central du WRP collaboreront désormais étroitement
afin de surmonter aussi rapidement que possible les problèmes existant qui
constituent l’héritage de la dégénérescence nationaliste ayant eu lieu sous
Healy afin de réaffirmer les principes fondamentaux de l’internationalisme dans
le WRP et, sur cette base, de faire en sorte que ce dernier redevienne membre à
part entière du Comité international. La structure organisationnelle de ces
relations doit s’appuyer constamment sur les principes léninistes du centralisme
démocratique, tels qu’ils sont définis dans les statuts de la Quatrième
Internationale. »
A l’exception de Hyland, les délégués du WRP – Slaughter, Tom Kemp et Simon
Pirani – votèrent contre cette résolution. Cela confirmait le fait que la
dégénérescence du WRP venait essentiellement de son rejet de toute la base
programmatique du trotskysme. Les raisons pour lesquelles la direction tout
entière avait approuvé toutes les trahisons de Healy apparaissaient désormais
clairement. Ce rejet de la résolution signifiait aussi qu’ils n’avaient pas
l’intention de corriger ces positions et de faire revenir le WRP sur la voie du
marxisme révolutionnaire. Pour finir, ce vote révélait que le WRP avait décidé
de scissionner officiellement avec la Quatrième Internationale. Loin d’avoir
rompu avec Healy, Slaughter et Banda développèrent sa ligne anti-trotskyste
jusqu’à son inévitable conclusion politique.
Cinq semaines plus tard, le 26 janvier 1986, le Comité central du WRP vota
deux résolutions par lesquelles il proclamait officiellement sa rupture avec le
Comité international de la Quatrième Internationale. Deux semaines avant
l’ouverture de son Huitième congrès, le Comité central – mis à part Hyland et
deux autres membres de la tendance minoritaire qu’il dirigeait votèrent contre –
répudia la résolution qui avait été adoptée pendant la Conférence extraordinaire
du WRP le 27 octobre 1985.
La première résolution déclarait que : « le CI n’est ni le Parti mondial,
ni même le noyau du Parti mondial » et poursuivait : « le CI ne peut
prétendre à une autorité politique en tant que direction internationale. Aucune
section ne peut par conséquent être soumise à une discipline définie par le
CI. »
La deuxième résolution répudiait le réenregistrement des membres du WRP sur
la base de la reconnaissance de l’autorité politique du CIQI.
Ces résolutions montraient que le WRP était revenu au point de départ : il
rejetait toute la tradition internationaliste sur laquelle avait été construit
le mouvement trotskyste en Grande-Bretagne. L’analyse du Comité international du
25 octobre 1985 se trouva confirmée avec une étonnante précision. Citons encore
une fois : « Les racines de la crise actuelle... sont à chercher dans le fait
que la direction du WRP s’est détournée durant une longue période de la tâche
stratégique de construire le Parti mondial de la révolution socialiste pour se
tourner vers une perspective et une pratique de plus en plus nationalistes. »
Deux semaines plus tard, le WRP appela la police pour empêcher la minorité,
qui soutenait le Comité international, d’accéder au Huitième congrès. Monsieur
C. Slaughter entra au congrès sous escorte policière. L’effondrement politique
et moral de ce qui jadis avait été la section britannique du Comité
International de la Quatrième Internationale était achevé. Le WRP était devenu,
avec ses multiples sous fractions, un appendice nationaliste et centriste de
plus de l’impérialisme britannique.
Ceux qui avaient été exclus de la conférence parce qu’ils avaient défendu le
Comité international se réunirent dans un autre endroit où ils tinrent le
Huitième congrès légitime de la section britannique. Le mois suivant, ils
fondèrent le Parti Communiste Internationaliste.
43. Conclusion
L’examen par le Comité international de la ligne politique du WRP depuis sa
fondation en 1973 prouve que l’effondrement de cette organisation en été et en
automne 1985 était la conséquence logique de leur politique opportuniste. Cette
trahison du trotskysme s’est surtout exprimée par le fait qu’ils ont subordonné
les intérêts de la révolution socialiste aux besoins pratiques et immédiats de
l’organisation britannique. La montée du chauvinisme dans le WRP reflétait la
pression immédiate de l’impérialisme britannique sur le parti, plus
particulièrement sur sa direction. Healy, Banda et Slaughter considéraient le
Comité international comme un mini-Commonwealth qui pouvait être utilisé comme
une source financière et qu’on pouvait manipuler suivant les exigences de la
politique extérieure du WRP.
Dans les années 1980, les méthodes avec lesquelles ils dominaient le Comité
International ne différaient en rien de celles que la bourgeoisie britannique
utilise depuis des siècles, à savoir le parjure le jour et la falsification de
documents la nuit et ce au sens propre. Même après que le conflit des factions
du Comité politique eut commencé à ressembler à une rixe de cabaret, ces mêmes
factions étaient encore capables de collaborer en parfaite harmonie et avec
sérénité en août 1985 pour extorquer des milliers de livres sterling au Comité
International.
Il est naturellement impossible de déterminer le « moment » précis du début
de la dégénérescence. De toute façon, de tels processus ne se développent pas de
façon rectiligne. Il y a des jours où même un moribond étonne par sa vitalité sa
famille et ses amis. Mais, ce qui est sûr, c’est que la désintégration politique
du WRP est intimement liée à son abandon de la lutte contre le révisionnisme –
qui constitue la source théorique de la construction du Parti mondial – abandon
que l’on pourrait situer au début des années 1970.
Les gains pratiques que la Socialist Labour League avait réalisés en
Grande-Bretagne au cours de la lutte contre les Tories lui firent oublier et
négliger les luttes théoriques et politiques qu’il fallait mener au sein du CIQI
– particulièrement contre le centrisme de l'OCI. Et c’est précisément au moment
où l’essor du mouvement de masse exigeait de ses dirigeants et de ses cadres une
conscience et un niveau théorique des plus élevés que la section britannique se
trouva désarmée. Ils s’adaptèrent au niveau de conscience spontané et
syndicaliste des ouvriers. Ensuite, cette adaptation trouva une expression
programmatique dans les documents de fondation du WRP, qui contenaient une
sérieuse déviation opportuniste. Puis, les changements politiques qui prirent
place dans le mouvement ouvrier à la suite de l’élection du gouvernement Wilson
produisirent des différenciations au sein du WRP et que la direction était
incapable de confronter objectivement. Cette guerre de fractions, qui éclata à
l’intérieur du parti sous l’énorme pression de la social-démocratie britannique,
eut pour résultat le déplacement de l'axe de classe du WRP. La ligne politique
qui en découlait, oscillait constamment entre l’aventurisme politique
d’ultra-gauche et un opportunisme de droite, dont les zigzags durant les 15
années passées pourraient être comparés aux convulsions d’un malade atteint de
malaria.
En 1979, les erreurs catastrophiques commises par Healy, Banda et Slaughter
pendant les cinq années précédentes avaient déjà, dans une grande mesure, coupé
le WRP de toute vie véritable du prolétariat britannique et leur ligne politique
exprimait de moins en moins les nécessités historiques du mouvement ouvrier. Le
Comité politique de Healy avait dégénéré en une clique démoralisée de courtisans
rampants et de béni-oui-oui dont Banda représentait l’exemple le plus parfait.
S’apercevant que le parti était au bord du précipice, ils s’accrochèrent
désespérément aux cordes pourries de la bureaucratie syndicale et de différents
régimes du Proche-Orient.
Durant les cinq années s’effectua la métamorphose complète d’un fier
mouvement trotskyste en un appendice corrompu de la social-démocratie. Personne
n’exprima plus tragiquement et plus complètement cette transformation que Healy
lui-même. Au début des années 1970, il a commis une erreur fatale pour un
révolutionnaire : il se contenta de petits succès. Pire encore, il a oublié que
les acquis du mouvement britannique n’étaient pas seulement le produit de son
propre travail et de celui des camarades de la SLL, mais de l’ensemble du
mouvement trotskyste mondial. Il a oublié que rien n’aurait été possible sans
les luttes de générations entières de révolutionnaires qui, au prix de leur vie
ont mené ces luttes de par le monde et qu’incarne le génie de Trotsky et les
principes pour lesquels il a lui-même lutté.
Healy était d’avis qu’il pouvait duper impunément l’histoire et qu’il avait
découvert un raccourci tactique pour la révolution. Il alla même jusqu’à
s'imaginer pouvoir mener une vie double : en public, prêcher la discipline
révolutionnaire et en privé, mener une vie de débauché. Mais cette illusion
présomptueuse s’écroula en 1985. Tous les acquis développés durant une période
de 40 ans étaient ruinés. Jamais il n’y eut de révélation plus horrifiante des
suites lamentables de l’opportunisme. Healy qui a cru pouvoir violer impunément
les principes de la vraie morale révolutionnaire, a fini dans le caniveau
publiquement couvert de vase et de boue. L’homme, qui avait nourri le plus grand
mépris à l’égard des « groupuscules trotskystes » du Comité international, fut
chassé à juste titre de son quartier général de Clapham par des membres ulcérés
munis de bâtons et de pierres et ne put se réfugier que dans un bunker secret
fourni par Vanessa Redgrave.
La seule force qui aurait pu empêcher le WRP et Healy de tomber aussi bas,
était le Comité international de la Quatrième Internationale. En effet, les
problèmes de la section britannique n’auraient pu être discutés et analysés
nulle part ailleurs d’un point de vue objectif, non pas de façon isolée mais
dans le contexte de la lutte de classe mondiale, et en relation avec le
développement historique du mouvement trotskyste international.
Il y eut sans aucun doute sur le plan historique un développement politique
inégal à l’intérieur du Comité international. Depuis les années 1950, c’est
l’opportunisme politique et non pas l’isolement du mouvement ouvrier qui a causé
des dommages au mouvement trotskyste. Le pablisme a détruit des sections en
pleine expansion dans le monde entier. En 1963, la désertion du SWP porta un
coup traître à la Quatrième Internationale. Pendant quelques années, les seules
sections ayant de l’expérience et étant profondément ancrées dans les traditions
historiques du mouvement trotskyste furent la SLL en Grande-Bretagne et l’OCI en
France. Les autres sections du CI, fondées en cette période, étaient menées par
des directions très jeunes et qui avaient peu d’expérience dans le mouvement
révolutionnaire. De là provenait leur dépendance quasi-totale de la SLL et de
l’OCI pour leur développement politique et théorique. C’est dans ces conditions
que la scission de 1971 permit à l’organisation britannique d’exercer une
influence considérable au sein du Comité international.
Il était donc tout naturel que Healy et le WRP exercent leur autorité au sein
du CIQI pendant un certain temps en tant que « premier parmi des égaux ». Leur
but aurait dû être de surmonter ces inégalités dans les rangs de
l’Internationale et d’oeuvrer à la construction d’une direction internationale
homogène. Au lieu de cela, les dirigeants du WRP commencèrent à utiliser de plus
en plus consciemment ce développement inégal. Les dirigeants du WRP
transformèrent donc ce qui était le résultat d’un processus historique réel en
un facteur purement négatif. Ils oublièrent le caractère relatif de ces
« inégalités », ces dernières auraient pu être la source dialectique de
l’éducation de toute l’Internationale.
Les sections les plus importantes et les plus expérimentées sont
irrémédiablement vouées à la stagnation et à la dégénérescence si elles
n’étudient pas constamment les problèmes théoriques et politiques du mouvement
international. Mais le WRP cessa entièrement de s’occuper des problèmes
politiques complexes avec lesquels les diverses sections de l’Internationale
étaient chaque jour confrontées. Les dirigeants du WRP se vantaient sans cesse
de leurs importants moyens matériels mais ils oublièrent de tenir compte de
l’important travail théorique mené dans les sections du Comité international. En
effet, contrairement au WRP qui, à cause de ses moyens financiers importants,
pouvait dissimuler (un certain temps durant) sa crise politique, les autres
sections du CI ne pouvaient exister que par la lutte politique quotidienne pour
une orientation politique correcte.
Les sections du CI ont eu un autre avantage sur le WRP, celui de placer au
centre de leur raison d’être, l’internationalisme. Cela ne s’appliquait pas
seulement à une poignée de dirigeants mais à l’ensemble des membres des
sections. Par contre, l’axe politique de la vie politique du WRP était avant
tout britannique. Une bonne partie des membres du WRP – et il n’est pas exagéré
de dire la majorité – ne savait absolument rien de la vie interne des autres
sections de l’Internationale. En effet, comme cela fut dévoilé plus tard par le
CI, les journaux des différentes sections ne circulaient pas à l’intérieur des
cellules du WRP. Pire encore, les dirigeants eux-mêmes ignoraient presque
entièrement le travail des sections – à l’exception des querelles fractionnelles
qu’ils essayaient d’utiliser, le cas échéant, pour semer la zizanie à
l’intérieur des sections. Cette arrogance provinciale insinuait dans l’ensemble
de la direction. Pour ne citer qu’un exemple, Tom Kemp enseigna un an durant
dans une université américaine et n’essaya pas une seule fois de prendre contact
avec la Workers League. Cette dernière ne l’apprit qu’après son départ. On
découvrit plus tard qu’il avait écrit des articles pour un magazine stalinien
américain.
Après la scission, Slaughter inventa la théorie qu’il y avait eu une
« dégénérescence uniforme et égale » de toutes les sections du CI. Cette
calomnie abjecte – inventée dans le seul but de dissimuler les crimes de
l’ensemble de la direction du WRP – rencontra un problème. Face à une mise en
demeure, ni Slaughter ni personne d’autre dans le WRP, ne put prouver ses
allégations sur la base d’une véritable analyse politique du travail des
sections. C’est à peine qu’ils auraient su par où commencer. D’autre part, les
erreurs politiques vraiment sérieuses commises par les sections étaient
directement dues à la confusion créée lors des rencontres du CIQI par Healy,
Banda et Slaughter au cours de leurs interventions insidieuses.
Pendant les années 1980, les sections du CI commencèrent à comprendre que
quelque chose n’allait pas dans le WRP. Le fait qu’en 1982, le WRP se soit
opposé à faire circuler les documents contenant la critique de la Workers League
signifiait que Healy, Slaughter et Banda craignaient que les vues formulées par
cette critique ne soient partagées par de nombreuses sections. Cela fut par la
suite historiquement confirmé. Ce qui, en 1982, apparaissait comme l’opinion
d’une minorité entièrement isolée devint en l’espace de trois ans, une fois les
documents soigneusement étudiés, celle de la majorité des cadres et des
dirigeants du CI.
Il est cependant nécessaire de noter que la domination du CI par le WRP a
duré des années, bien après que des signes infaillibles de dégénérescence
politique se soient manifestés. Dans des conditions idéales, le CI aurait pu
intervenir immédiatement et aurait pu imposer une discussion déjà au milieu des
années 1970 et même avant. A cela on ne peut que répondre : quiconque a une
connaissance quelconque du mouvement ouvrier sait combien il est difficile de
corriger une direction ancienne – particulièrement lorsqu’on l’identifie à des
années de luttes.
Résoudre la crise de la direction révolutionnaire est loin d’être une simple
formule. Il s’agit en effet d’une partie organique de processus historiques
complexes et profonds du développement politique de la classe ouvrière
internationale. En dernière analyse, c’est l’essor de la lutte de classe en
Grande-Bretagne qui a fourni l’impulsion sociale pour la victoire sur la clique
de Healy, Banda et Slaughter et, avant tout la grève des mineurs qui, en
l’espace d’un an, a détruit la stabilité de l’appareil de Healy en ouvrant la
brèche au travers de laquelle l’opposition dans le CI et le WRP a pu se frayer
un passage.
Lorsqu’on analyse le caractère de classe des divisions qui surgirent dans les
rangs du WRP et du CI, il est important de noter que le centre de l’opposition
de principe contre la clique de Healy, Banda et Slaughter au sein du WRP s’est
développée parmi les membres ouvriers du Sud-Yorkshire et de Manchester. Cette
opposition a été dirigée par Dave Hyland qui a lutté sans relâche pendant la
grève des mineurs. C’est parmi ces forces prolétariennes ainsi que dans la
direction des Jeunes Socialistes que le Comité international a trouvé un soutien
solide et puissant. Ce sont ces mineurs qui ont assuré la sécurité des meetings
du CI en 1985. Ils menacèrent même une fois Banda, à l’époque encore secrétaire
du WRP, d’intervenir directement s’il continuait à organiser des provocations
contre les membres du CI. Plus tard, dans les semaines qui menèrent à la
scission définitive entre le CI et le WRP, les dirigeants de la faction
Slaughter-Banda purent à peine réfréner leur haine de classe contre la tendance
représentée par Hyland. C’était comme si la grève des mineurs se répétait au
sein du WRP.
Le Comité international de la Quatrième Internationale a survécu et infligé
une défaite aux attaques les plus pernicieuses portées contre le trotskysme
depuis 1953 et, en cela, a confirmé de façon puissante la continuité historique
des principes sur lesquels se base le CIQI. Bien que le WRP ait disposé d’un
appareil important et de puissants moyens matériels, Healy, Banda et Slaughter
n’ont pas réussi à extirper le marxisme du Comité international. Chacune des
sections du CIQI est en train d’assimiler les leçons de ces quinze dernières
années, acquises au cours d’une lutte longue et âpre et ces leçons ne tomberont
jamais dans l’oubli. Elles serviront à l’éducation fondamentale de tous ceux et
de toutes celles qui entrent dans le mouvement trotskyste. Les acquis de l’année
dernière sont en train d’être systématiquement consolidés. Une base
programmatique solide est en train d’être rétablie pour souder les cadres de
chaque section et les sections entre elles. Une lutte implacable contre les
liquidateurs, leur scepticisme et leur cynisme pernicieux est engagée. Les
grandes idées libératrices de Léon Trotsky sont à nouveau fermement ancrées dans
le Comité international de la Quatrième Internationale.
Le 9 juin 1986
Peter Schwarz, Ulli Rippert (Bund Sozialistischer Arbeiter, République
fédérale d’Allemagne)