Réalisé par Anton Corbijn, scénario de Matt Greenhalgh,
à partir du livre Touching from a distance, de Deborah Curtis.
Présenté en première au Festival de Cannes de
2007, Control est le premier long métrage d’Anton Corbijn, inspiré
de la vie et de la mort de Ian Kevin Curtis, leader décédé du groupe post punk,
Joy Division. Control fait partie des quelques films sortis ces
dernières années sur Joy Division, dont un documentaire éponyme de 2007.
Très différent d’un classique « film biographique
rock’n’roll », le film de Corbijn peut être considéré comme
une œuvre d’art sérieuse. Le réalisateur campe le portrait de Ian Curtis,
de sa femme et de ses amis en tant qu’êtres humains obligés de vivre et de
travailler dans l’environnement lugubre de la Grande-Bretagne de la fin
des années 70 ayant pour seule échappatoire le rêve de devenir une célébrité
pop. Sam Riley, qui joue le rôle de Ian Curtis, rend très bien ce à quoi
ressemble la vie d’un jeune homme morose, confronté à la pression de
grandir dans un monde déroutant et hostile. Il fait du personnage qu’il
incarne une personnalité tridimensionnelle avec de vrais problèmes et de vrais
soucis.
Corbijn, à l’origine photographe
professionnel, d’origine néerlandaise, a travaillé étroitement avec le
groupe de Curtis, les photographiant au cours des années 70 et il a également
réalisé plusieurs de leurs vidéos musicales. Pour cette raison, Control était
pour Corbijn un projet très personnel, l’incitant à payer de ses propres
deniers la moitié du coût de production.
Filmé de façon très esthétique en noir et
blanc, le film débute en 1973 dans la ville peu attractive de Macclesfield, au nord-ouest
de l’Angleterre. En 2004, le Times décrivait Macclesfield comme la
ville la plus inculte de Grande-Bretagne du fait de l’absence de théâtre,
de cinéma ou d’autres centres culturels. A l’âge de 17ans, Ian
habite avec ses parents dans un immeuble sinistre.
Le seul refuge de Ian est sa chambre où il
écoute David Bowie, où il fume des cigarettes avec sa « bande » et où
il se met du eye-liner pour imiter ses héros séduisants du monde du rock. Il a
également développé un don pour la poésie, ce qu’il partage avec ses
amis.
Dans la vie réelle, Curtis a bénéficié à 11
ans d’une bourse d’études pour aller à la King’s School de Macclesfield.
Par la suite il a choisi de ne pas continuer une carrière classique, pour
s’intéresser aux arts et à la littérature et finalement à la musique.
Curtis souffre d’épilepsie, ce qui l’isole
un peu et le rend déprimé. Il rêvasse en classe jusqu’à oublier le monde
autour de lui, avec le temps, il souffre de crises incontrôlables.
Au lycée, il rencontre Deborah (jouée par
Samantha Morton) et ils tombent rapidement amoureux l’un de l’autre
après un concert de Bowie. Il ne tarde pas à la demander en mariage ce
qu’elle accepte. Quand ils se marient Ian à 19 ans, Deborah, 18. Presqueinévitablementles
choses prennent une tournure très différente de ce qu’ils avaientprévu. Ian s’aliène très rapidement de sa
femme, il écrit des poèmes dans sa chambre, tandis qu’elle décore la
maison.
En 1976, la musique punk, évocatrice et
vibrante de colère, traduisant l’aliénation et la frustration des jeunes
de la classe ouvrière s’empare de l’imagination du public.Après avoir assisté à un concert des Sex Pistols à
Manchester, Ian rencontre Bernard Summer (James Anthony Pearson), Peter Hook (Joe
Anderson) et Terry Mason ( Andrew Sheridan). Quand ces trois garçons se plaignent
de leur chanteur d’alors, Ian propose de prendre la place de ce dernier.
Ils acceptent et ils recrutent Stephen Morris (Harty Treadway) comme batteur, et
Mason devient le manager du groupe. Le nouveau groupe prend le nom de Warsaw.
Se sentant plus confiant de sa valeur, et
après avoir inscrit le mot « Hate » (Haine) au dos de sa veste, Ian se
rend à son travail d’employé à l’Agence nationale pour
l’emploi. Le groupe se lance à enregistrer une démo, pour laquelle lan et
Debbie paient 400 livres. C’est seulement à ce moment-là qu’ils
prennent le nom « Joy Division ».
Le nom du groupe provient des bordels gérés
par les nazis dans plusieurs camps de concentration. Curtis ne flirtait pas
avec le néo-nazisme, mais certains autres membres du groupe ont indiqué
qu’à cette époque-là ils étaient fascinés par le fascisme, et tous ces
éléments évoquent un manque de sérieux et de responsabilité en même temps
qu’un nihilisme social montant.
La pochette de démo EP « An ideal for
living » représentait un membre des jeunesses hitlériennes jouant du
tambour. A l’intérieur, on voit la tristement célèbre photo de Juifs, les
mains en l’air en signe de reddition lors du soulèvement du ghetto de
Varsovie.
Ian a expliqué « Cette pochette me plaît.
Elle pousse à la réflexion. » Cette mise au point importante
n’empêche pas les concerts du groupe d’être envahis par des
skinheads, ni les accusations de fascisme dont le groupe fait l’objet.
On a beaucoup parlé du son évocateur et triste
de la musique de Joy Division. On décrit souvent cette musique comme
déprimante. Pour d’autres, cette musique est cathartique. Telle une
présence non avouée, le fait de savoir que Curtis allait plus tard se suicider,
plane sur la musique du groupe et sur le film comme une ombre pesante.
L’histoire rappelle beaucoup celle de Kurt Cobain et de son groupe
Nirvana qui ont tout d’abord connu la célébrité pour ensuite affronter le
désenchantement.
Pendant ses concerts, Curtis danse d’une
manière étrange et robotique, balançant les bras, pratiquement dans des
crispations violentes. Lors d’autres concerts, Ian s’évanouissait et
avait une attaque alors que le public, pensant que cela faisait partie du
spectacle applaudissait. Personne ne prend vraiment ces épisodes trop au
sérieux, ils ne font qu’ajouter à la notoriété du groupe.
A son travail, Ian remarque une jeune femme qui
a une crise d’épilepsie. Quelques jours après, Ian se rend à
l’hôpital pour prendre de ses nouvelles. Il apprend qu’elle est
morte. En souvenir d’elle, il écrit une chanson « She’s lost
control » (elle ne maîtrise plus rien) qui est également l’origine
du titre du film.
En fait, un grand nombre de ses chansons sont
autobiographiques. Par exemple la chanson « Isolation » avec les
paroles « Mother I tried, please believe me. I’m
doing the best that I can. I am ashamed of the things I’ve been put
through. I’m ashamed of the person that I am » (Mère, j’ai essayé,
crois-moi s’il te plait. Je fais tout mon possible.
J’ai honte des choses que j’ai vécues. J’ai honte de
moi-même) On peut se demander pourquoi si peu de gens ont mesuré à quel point
cette chanson était révélatrice.
Il faut se replacer dans le contexte
spécifique de cette époque pour comprendre la musique de Joy Division. En 1974,
le retour au pouvoir des travaillistes avait créé une nouvelle situation
politique. Alors que les travaillistes avaient dit que la politique du
précédent gouvernement tory serait complètement changée, la classe ouvrière fut
confrontée à la déflation et à une augmentation considérable du chômage. Les
tentatives du gouvernement travailliste d’imposer un blocage des salaires
déclenchèrent les grèves de « l’hiver du mécontentement » de
1977 – 1978, par exemple l’arrêt de travail le plus important
depuis la grève générale de 1926. La trahison des travaillistes et
l’opportunisme de la « gauche » britannique ouvrit la porte aux
tories et à Margaret Thatcher, qui bénéficièrent d’un virage à droite
d’une partie de la classe moyenne et de la désillusion des ouvriers.
On peut considérer à juste titre que Joy
Division était en avance sur son temps, aussi bien pour leur son que pour leur
esthétique. Le désespoir et, par-dessus tout le sentiment d’isolement
qu’ils ont essayé de transmettre, étaient une mise en garde de ce qui
allait venir – ou plus précisément, de la réaction de certaines couches
de la population par rapport aux choses à venir.
En ce qui concerne Ian Curtis, il semble que ce
pessimisme profond faisait partie de ce qui l’a conduit à sa perte. Au
fur et à mesure que son groupe devenait de plus en plus célèbre, la dépression
de Curtis ne faisait qu’empirer. Les effets secondaires des médicaments
qu’il prenait contre ses crises d’épilepsie provoquaient des sautes
d’humeur, de l’anxiété et un sentiment d’inutilité.
Les médicaments, ajoutés à des tournées
permanentes et à l’alcool, n’amélioraient pas sa résistance
physique et mentale.
Après un concert à Londres, Ian rencontre une
jolie belge, Annik (Alexandra Maria Lara) qui vient l’interviewer pour un
magazine. Ils débutent une liaison.
Pendant ce temps, devoir mener de front un
groupe, une liaison, son épilepsie, et maintenant un bébé avec Déborah pèse
lourdement sur son travail quotidien. Il s’endort au bureau, son patron
le réveille et l’informe qu’il devra choisir entre continuer sa
musique ou bien son travail à l’agence.
Il décide de continuer sa musique, même si
cela signifie un revenu irrégulier pour sa famille.
Lors d’un concert, il refuse clairement
de monter sur scène, malgré l’impatience de la foule. À contrecœur,
il finit par monter sur scène, mais pas pour longtemps. Il est incapable de
terminer une chanson et il quitte la scène, provoquant le jet de bouteilles sur
la scène par une foule en colère. Le spectacle se termine par une
mini–émeute.
Il explique à son manager : « Je ne
voulais rien de tout ça. Tout le monde me déteste, même les gens qui
m’aiment me détestent. »
Son mariage avec Deborah commence à se
désagréger. Elle découvre la liaison de Ian et veut divorcer, ce que refuse Ian
parce qu’il croit qu’ils peuvent résoudre leurs problèmes. Joy
Division prépare sa première tournée américaine, mais son leader est sur le
point de sombrer.
Ian fait une tentative de suicide par une
overdose de médicaments, en laissant un message pour Deborah avouant son amour
pour Annik. Quand il revient à lui, à l’hôpital ses amis essaient
d’intervenir. Mais, il semble que personne ne peut sauver Ian.
C’est là le principal point faible de Control.
On montre au spectateur quand et comment Ian est devenu suicidaire, mais
on n’explore jamais assez profondément les raisons les plus profondes de
ce désespoir. Pourquoi, à la veille d’une reconnaissance internationale,
un artiste de 23 ans se suiciderait-il ? Ian était entouré d’amis et
d’être chers. Il avait tant de choses à attendre de la vie, par exemple
sa fille nouvellement née.
Malgré cela, tout ceci n’a pas empêché
Ian Curtis de se pendre dans sa cuisine, dans sa ville natale de Macclesfield,
le 23 mai 1980. Parce qu’il devait jouer tant de rôles différents, parce
qu’il devait tellement faire semblant, lan s’épargnait la douleur de
n’être qu’une vulgaire célébrité de plus. Finalement, le
« succès » était bien la dernière chose dont un être sensible comme
lui avait besoin.
Corbijn a précisé lors d’une
interview : « C’est en fait l’épilepsie de Ian qui a
causé le problème. Il se sentait responsable du groupe. Il pensait que
s’ils allaient en Amérique et qu’il avait des crises sur scène,
cela menacerait l’avenir du groupe. Il avait l’impression que ces
problèmes s’amplifiaient dans son esprit. »
Ceci n’est pas exact. La relation entre
le climat social et une tragédie personnelle est complexe, mais dans le cas
d’un personnage public sensible à l’extrême comme Curtis cette
relation est évidente. Les caractéristiques de l’époque, la nature de cette
industrie du spectacle, avide d’argent… On pourrait évidemment en
dire davantage.
Le film se distingue par ses nombreuses
qualités artistiques. Son approche légère et discrète compense le sujet assez lugubre,
mais on aurait souhaité que le film approfondisse les questions de la vie et de
la mort qu’il soulève. Plus d’un quart de siècle s’est écoulé
depuis les évènements décrits dans le film. Pourquoi ce film a-t-il été fait et
produit maintenant ? Pourquoi les thèmes évoqués ont-ils une telle
résonance ? Peut-être parce qu’en 2008, beaucoup de gens de par le
monde sentent qu’ils ne maîtrisent plus rien.