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WSWS : Histoire et culture

Control : Le destin de Ian Curtis, chanteur de Joy Division

Par Kevin Martinez
23 septembre 2008

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Réalisé par Anton Corbijn, scénario de Matt Greenhalgh, à partir du livre Touching  from a  distance, de Deborah Curtis.

Présenté en première au Festival de Cannes de 2007, Control est le premier long métrage d’Anton Corbijn, inspiré de la vie et de la mort de Ian Kevin Curtis, leader décédé du groupe post punk, Joy Division. Control fait partie des quelques films sortis ces dernières années sur Joy Division, dont un documentaire éponyme de 2007.

Très différent d’un classique « film biographique rock’n’roll », le film de Corbijn peut être considéré comme une œuvre d’art sérieuse. Le réalisateur campe le portrait de Ian Curtis, de sa femme et  de ses amis en tant qu’êtres humains obligés de vivre et de travailler dans l’environnement lugubre de la Grande-Bretagne de la fin des années 70 ayant pour seule échappatoire le rêve de devenir une célébrité pop. Sam Riley, qui joue le rôle de Ian Curtis, rend très bien ce à quoi ressemble la vie d’un jeune homme morose,  confronté à la pression de grandir dans un monde déroutant et hostile. Il fait du personnage qu’il incarne une personnalité tridimensionnelle avec de vrais problèmes et de vrais soucis.

Corbijn, à l’origine photographe professionnel, d’origine néerlandaise, a travaillé étroitement avec le groupe de Curtis, les photographiant au cours des années 70 et il a également réalisé plusieurs de leurs vidéos musicales. Pour cette raison, Control était pour Corbijn un projet très personnel, l’incitant à payer de ses propres deniers la moitié du coût de production.

Filmé de façon très esthétique en noir et blanc, le film débute en 1973 dans la ville peu attractive de Macclesfield, au nord-ouest de l’Angleterre. En 2004, le Times décrivait Macclesfield comme la ville la plus inculte de Grande-Bretagne du fait de l’absence de théâtre, de cinéma ou d’autres centres culturels. A l’âge de 17ans, Ian habite avec ses parents dans un immeuble sinistre.

Le seul refuge de Ian est sa chambre où il écoute David Bowie, où il fume des cigarettes avec sa « bande » et où il se met du eye-liner pour imiter ses héros séduisants du monde du rock. Il a également développé un don pour la poésie, ce qu’il partage avec ses amis.

Dans la vie réelle, Curtis a bénéficié  à 11 ans d’une bourse d’études pour aller à la King’s School de Macclesfield. Par la suite il a choisi de ne pas continuer une carrière classique, pour s’intéresser aux arts et à la littérature et finalement à la musique.

Curtis souffre d’épilepsie, ce qui l’isole un peu et le rend déprimé. Il rêvasse en classe jusqu’à oublier le monde autour de lui, avec le temps, il souffre de crises incontrôlables.

Au lycée, il rencontre Deborah (jouée par Samantha Morton) et ils tombent rapidement amoureux l’un de l’autre après un concert de Bowie. Il ne tarde pas à la demander en mariage ce qu’elle accepte. Quand ils se marient Ian à 19 ans, Deborah, 18. Presque inévitablement les choses prennent une tournure très différente de ce qu’ils avaient prévu.  Ian s’aliène très rapidement de sa femme, il écrit des poèmes dans sa chambre, tandis qu’elle décore la maison.

En 1976, la musique punk, évocatrice et vibrante de colère, traduisant l’aliénation et la frustration des jeunes de la classe ouvrière s’empare de l’imagination du public. Après avoir assisté à un concert des Sex Pistols à Manchester, Ian rencontre Bernard Summer (James Anthony Pearson), Peter Hook (Joe Anderson) et Terry Mason ( Andrew Sheridan). Quand ces trois garçons se plaignent de leur chanteur d’alors, Ian propose de prendre la place de ce dernier. Ils acceptent et ils recrutent Stephen Morris (Harty Treadway) comme batteur, et Mason devient le manager du groupe. Le nouveau groupe prend le nom de Warsaw.

Se sentant plus confiant de sa valeur, et après avoir inscrit le mot « Hate » (Haine) au dos de sa veste, Ian se rend à son travail d’employé à l’Agence nationale pour l’emploi. Le groupe se lance à enregistrer une démo, pour laquelle lan et Debbie  paient 400 livres. C’est seulement à ce moment-là qu’ils prennent le nom « Joy Division ».

Le nom du groupe provient des bordels gérés par les nazis dans plusieurs camps de concentration. Curtis ne flirtait pas avec le néo-nazisme, mais certains autres membres du groupe ont indiqué qu’à cette époque-là ils étaient fascinés par le fascisme, et tous ces éléments évoquent un manque de sérieux et de responsabilité en même temps qu’un nihilisme social montant.

La pochette de démo EP « An ideal for living » représentait un membre des jeunesses hitlériennes jouant du tambour. A l’intérieur, on voit la tristement célèbre photo de Juifs, les mains en l’air en signe de reddition lors du soulèvement du ghetto de Varsovie.

Ian a expliqué « Cette pochette me plaît. Elle pousse à la réflexion. » Cette mise au point importante n’empêche pas les concerts du groupe d’être envahis par des skinheads, ni les accusations de fascisme dont le groupe fait l’objet.

On a beaucoup parlé du son évocateur et triste de la musique de Joy Division. On décrit souvent cette musique comme déprimante. Pour d’autres, cette musique est cathartique. Telle une présence non avouée, le fait de savoir que Curtis allait plus tard se suicider, plane sur la musique du groupe et sur le film comme une ombre pesante. L’histoire rappelle beaucoup celle de Kurt Cobain et de son groupe Nirvana qui ont tout d’abord connu la célébrité pour ensuite affronter le désenchantement.

Pendant ses concerts, Curtis danse d’une manière étrange et robotique, balançant les bras, pratiquement dans des crispations violentes. Lors d’autres concerts, Ian s’évanouissait et avait une attaque alors que le public, pensant que cela faisait partie du spectacle applaudissait. Personne ne prend vraiment ces épisodes trop au sérieux, ils ne font qu’ajouter à la notoriété du groupe.

A son travail, Ian remarque une jeune femme qui a une crise d’épilepsie. Quelques jours après, Ian se rend à l’hôpital pour prendre de ses nouvelles. Il apprend qu’elle est morte. En souvenir d’elle, il écrit une chanson « She’s lost control » (elle ne maîtrise plus rien) qui est également l’origine du titre du film.

En fait, un grand nombre de ses chansons sont autobiographiques. Par exemple la chanson « Isolation » avec les paroles « Mother I tried, please believe me. I’m doing the best that I can. I am ashamed of the things I’ve been put through. I’m ashamed of the person that I am » (Mère, j’ai essayé, crois-moi s’il te plait. Je fais tout mon possible. J’ai honte des choses que j’ai vécues. J’ai honte de moi-même) On peut se demander pourquoi si peu de gens ont mesuré à quel point cette chanson était révélatrice.

Il faut se replacer dans le contexte spécifique de cette époque pour comprendre la musique de Joy Division. En 1974, le retour au pouvoir des travaillistes avait créé une nouvelle situation politique. Alors que les travaillistes avaient dit que la politique du précédent gouvernement tory serait complètement changée, la classe ouvrière fut confrontée à la déflation et à une augmentation considérable du chômage. Les tentatives du gouvernement travailliste d’imposer un blocage des salaires déclenchèrent les grèves de « l’hiver du mécontentement » de 1977 – 1978, par exemple l’arrêt de travail le plus important depuis la grève générale de 1926. La trahison des travaillistes et l’opportunisme de la « gauche » britannique ouvrit la porte aux tories et à Margaret Thatcher, qui bénéficièrent d’un virage à droite d’une partie de la classe moyenne et de la désillusion des ouvriers.

On peut considérer à juste titre que Joy Division était en avance sur son temps, aussi bien pour leur son que pour leur esthétique. Le désespoir et, par-dessus tout le sentiment d’isolement qu’ils ont essayé de transmettre, étaient une mise en garde de ce qui allait venir – ou plus précisément, de la réaction de certaines couches de la population par rapport aux choses à venir.

En ce qui concerne Ian Curtis, il semble que ce pessimisme profond faisait partie de ce qui l’a conduit à sa perte. Au fur et à mesure que son groupe devenait de plus en plus célèbre, la dépression de Curtis ne faisait qu’empirer. Les effets secondaires des médicaments qu’il prenait contre ses crises d’épilepsie provoquaient des sautes d’humeur, de l’anxiété et un sentiment d’inutilité.

Les médicaments, ajoutés à des tournées permanentes et à l’alcool, n’amélioraient pas sa résistance physique et mentale.

Après un concert à Londres, Ian rencontre une jolie belge, Annik (Alexandra Maria Lara) qui vient l’interviewer pour un magazine. Ils débutent une liaison.

Pendant ce temps, devoir mener de front un groupe, une liaison, son épilepsie, et maintenant un bébé avec Déborah pèse lourdement sur son travail quotidien. Il s’endort au bureau, son patron le réveille et l’informe qu’il devra choisir entre continuer sa musique ou bien son travail à l’agence.

Il décide de continuer sa musique, même si cela signifie un revenu irrégulier pour sa famille.

Lors d’un concert, il refuse clairement de monter sur scène, malgré l’impatience de la foule. À contrecœur, il finit par monter sur scène, mais pas pour longtemps. Il est incapable de terminer une chanson et il quitte la scène, provoquant le jet de bouteilles sur la scène par une foule en colère. Le spectacle se termine par une mini–émeute.

Il explique à son manager : « Je ne voulais rien de tout ça. Tout le monde me déteste, même les gens qui m’aiment me détestent. »

Son mariage avec Deborah commence à se désagréger. Elle découvre la liaison de Ian et veut divorcer, ce que refuse Ian parce qu’il croit qu’ils peuvent résoudre leurs problèmes. Joy Division prépare sa première tournée américaine, mais son leader est sur le point de sombrer.

Ian fait une tentative de suicide par une overdose de médicaments, en laissant un message pour Deborah avouant son amour pour Annik. Quand il revient à lui, à l’hôpital ses amis essaient d’intervenir. Mais, il semble que personne ne peut sauver Ian.

C’est là le principal point faible de Control. On montre au  spectateur quand et comment Ian est devenu suicidaire, mais on n’explore jamais assez profondément  les raisons les plus profondes de ce désespoir. Pourquoi, à la veille d’une reconnaissance internationale, un artiste de 23 ans se suiciderait-il ? Ian était entouré d’amis et d’être chers. Il avait tant de choses à attendre de la vie, par exemple sa fille nouvellement née.

Malgré cela, tout ceci n’a pas empêché Ian Curtis de se pendre dans sa cuisine, dans sa ville natale de Macclesfield, le 23 mai 1980. Parce qu’il devait jouer tant de rôles différents, parce qu’il devait tellement faire semblant, lan s’épargnait la douleur de n’être qu’une vulgaire célébrité de plus. Finalement, le « succès » était bien la dernière chose dont un être sensible comme lui avait besoin.

Corbijn a précisé lors d’une interview : « C’est en fait l’épilepsie de Ian qui a causé le problème. Il se sentait responsable du groupe. Il pensait que s’ils allaient en Amérique et qu’il avait des crises sur scène, cela menacerait l’avenir du groupe. Il avait l’impression que ces problèmes s’amplifiaient dans son esprit. »

Ceci n’est pas exact. La relation entre le climat social et une tragédie personnelle est complexe, mais dans le cas d’un personnage public sensible à l’extrême comme Curtis cette relation est évidente. Les caractéristiques de l’époque, la nature de cette industrie du spectacle, avide d’argent… On pourrait évidemment en dire davantage.

Le film se distingue par ses nombreuses qualités artistiques. Son approche légère et discrète compense le sujet assez lugubre, mais on aurait souhaité que le film approfondisse les questions de la vie et de la mort qu’il soulève. Plus d’un quart de siècle s’est écoulé depuis les évènements décrits dans le film. Pourquoi ce film a-t-il été fait et produit maintenant ? Pourquoi les thèmes évoqués ont-ils une telle résonance ? Peut-être parce qu’en 2008, beaucoup de gens de par le monde sentent qu’ils ne maîtrisent plus rien.

(Article original anglais paru le 26 août 2008)


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