Visitez le site anglais du
WSWS SUR LE SITE :
AUTRES
LANGUES
|
wsws : Nouvelles et analyses : Histoire et culture Les origines du bolchevisme et Que faire?Partie 1 | Partie 2 | Partie 3 | Partie 4 | Partie 5 | Partie 6
Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur Voici la sixième partie de la conférence « Les origines du bolchevisme et Que faire? » prononcée par le président du World Socialist Web Site, David North, à l'occasion du camp d'été du Parti de l'égalité socialiste (Etats-Unis) et du WSWS qui s'est déroulé du 14 au 20 août 2005, à Ann Arbor, au Michigan. La conférence est mise en ligne en sept parties. La science, la société et la classe ouvrière Cela nous amène à la question théorique et philosophique centrale qui sous-tend non seulement la conception de Lénine sur le rôle du parti, mais aussi tout le projet marxiste. Si, comme le soutient Harding, les perceptions et les opinions générées dans la conscience des travailleurs sur la base de leur expérience immédiate ne sont pas moins valides et légitimes que la connaissance développée sur la base d’une élucidation des lois du développement social, alors les travailleurs n’ont pas besoin d’avoir de parti politique qui lutte pour rendre leur pratique conforme aux lois tendancielles découvertes par la science. Permettez-moi d’ajouter que n’importe qui peut, en se basant sur les arguments d’Harding, nier toute utilité à la science. La science existe par la distinction entre la réalité telle qu’elle se manifeste dans la perception immédiate des sens et la réalité qui émerge par un processus complexe et prolongé d’analyse et d’abstraction théorique. La question essentielle à laquelle nous sommes confrontés est la suivante : Est-ce que la réalité sociale – en admettant l’existence d’une telle réalité (qui pour les académiciens est un gros « si ») – peut être comprise par un travailleur individuel ou par la classe ouvrière dans son ensemble sur la base de l’expérience immédiate ? C’est une question à laquelle Lénine a dédié une quantité incroyable d’études, spécialement lorsqu’il s’était engagé, plusieurs années plus tard, à écrire une brochure théorique nommé Matérialisme et Empirio-Criticisme. Lénine a écrit : « Dans toutes les sociétés de diverses complexités – et particulièrement dans la société capitaliste – les gens dans leurs rapports ne sont pas conscients des types de relations sociales qui sont formées, selon quelles lois elles sont développées, etc. Par exemple, un paysan qui vend son grain entre dans des "rapports" avec les producteurs mondiaux de grains sur le marché mondial, mais il n’en est pas conscient ; il n’est pas plus conscient des types de relations sociales qui sont formées sur la base de cet échange. La conscience sociale reflète la condition sociale – c’est l’enseignement de Marx. Un reflet peut être une copie semblable de ce qui est réfléchi, mais dire qu’il est identique est absurde. » [24] « …Tous les producteurs individuels dans le système économique mondial réalisent qu’ils introduisent tel out tel changement dans les méthodes de production ; chaque propriétaire réalise qu’il échange certains produits pour d’autres ; mais ces producteurs et ces propriétaires ne réalisent pas qu’en agissant de la sorte ils changent la condition sociale. La somme de tous ces changements et de toutes leurs ramifications dans l’économie capitaliste mondiale ne peut même pas être saisie par soixante-dix Marx. La chose la plus importante est que la logique objective de ces changements et de leur développement historique a été découverte dans ses caractéristiques principales – objective, pas dans le sens où une société d’êtres ou de gens conscients puissent exister et se développer indépendamment de l’existence d’êtres conscients (et c’est seulement sur ce genre de bagatelle que Bogdanov met l’accent dans sa « théorie »), mais dans le sens que la condition sociale est indépendante de la conscience sociale des individus. Le fait que vous vivez et dirigez votre entreprise, élevez vos enfants, produisez des produits et les échangez donne lieu inévitablement à une chaîne objective de développements qui est indépendante de votre conscience sociale et qui n’est jamais complètement saisie par elle. La plus grande tâche de l’humanité est de comprendre cette logique objective de l’évolution économique (l’évolution de la vie sociale) dans ses caractéristiques les plus fondamentales pour qu’il soit possible de lui adapter la conscience sociale de quelqu’un et la conscience des classes avancées de tous les pays capitalistes de la manière la plus définie, la plus claire et la plus critique possible. » [25]
Quand les gens vont au travail, jusqu’à quel point sont-ils conscients du vaste réseau d’interrelations économiques globales dont leur propre emploi n’est qu’un élément parmi des milliers ? On pourrait raisonnablement présumer que même le travailleur le plus brillant n’aurait qu’une vague impression des relations entre son emploi, sa compagnie ou les processus immensément complexes de la production transnationale moderne et des échanges de biens et de services. Aussi, le travailleur individuel n’est pas dans une position pour pénétrer les mystères de monde financier capitaliste internationale, du rôle des capitaux à risques et des manières secrètes et souvent impénétrables (même pour les experts en la matière) par lesquelles des dizaines de milliards de dollars en capital financier traversent les frontières internationales chaque jour. Les réalités de la production capitaliste moderne, du marché et des finances sont tellement complexes que les leaders politiques et économiques sont dépendants des analyses et des conseils des grandes institutions économiques qui, plus souvent qu’autrement, sont divisées entre elles quant à la signification des données mises à leur disposition.
Mais le problème de la conscience de classe va plus loin que les difficultés évidentes reliées à l’assimilation et à la maîtrise de ce phénomène complexe qu’est la vie économique moderne. À un niveau plus fondamental et plus essentiel, la nature précise de la relation sociale entre le travailleur individuel et son employeur, sans parler de la relation entre toute la classe ouvrière et la bourgeoisie, n’est pas et ne peut pas être saisie au niveau de la perception sensorielle et de l’expérience immédiate. Même un travailleur qui est convaincu qu’il est exploité ne peut pas, sur la base de sa propre expérience, percevoir les mécanismes socioéconomiques sous-jacents à cette exploitation. De plus, le concept d’exploitation n’est pas un concept qui peut être facilement compris ou qui peut être directement relié au sens instinctif qu’une personne n’est pas payée suffisamment. La travailleuse qui remplit un formulaire pour un emploi ne perçoit pas qu’elle est en train d’offrir sa force de travail ou que l’unique qualité de cette force de travail est sa capacité à produire une quantité de valeur plus grande que le prix (le salaire) auquel elle a été achetée et que, conséquemment, le profit est tiré de la différence entre le coût de la force de travail et la valeur qu’elle a créée.
Un travailleur n’est pas plus conscient que lorsqu’il achète un produit pour une somme définie d’argent, la nature de cet échange n’est pas une relation entre des objets (un manteau ou un produit pour une somme définie d’argent) mais entre des gens. En fait, il ne comprend pas la nature de l’argent, comment elle a émergé historiquement en tant qu’expression de la forme valeur et comment elle sert à masquer, dans une société ou la production et l’échange de biens se sont universalisés, les relations sociales sous-jacentes de la société capitaliste.
Ce que je viens juste de dire pourrait servir d’introduction générale à ce qui pourrait être considéré comme la fondation théorique-épistémologique de l’ouvrage le plus important de Marx : Le capital. Dans la dernière section de l’important premier chapitre du premier volume, Marx introduit la théorie du fétichisme de la marchandise, qui explique la source objective de la mystification des relations sociales dans la société capitaliste – autrement dit, la raison qui explique pourquoi, dans ce système économique particulier, les relations sociales entre les gens apparaissent nécessairement comme des relations entre des choses. Ce n’est pas, et ça ne peut pas être apparent aux travailleurs, sur la base de la perception sensorielle et de l’expérience immédiate, que toutes les valeurs des marchandises sont l’expression cristallisée de la somme de travail humain dépensée dans sa production. La découverte de la nature objective de la forme valeur représente un événement historique marquant dans la pensée scientifique. Sans cette découverte, ni les fondations socioéconomiques objectives de la lutte de classe ni leurs implications révolutionnaires n’auraient pu être comprises.
Cependant, même si un travailleur peut ne pas aimer les conséquences sociales du système dans lequel il vit, il n’est pas dans une position pour saisir, sur la base de l’expérience immédiate, soit ses origines, ses contradictions internes ou le caractère historiquement limité de son existence. La compréhension des contradictions du mode de production capitaliste, de la relation d’exploitation entre le capital et le salariat, de l’inévitabilité de la lutte de classes et de ses conséquences révolutionnaires découle d’un travail scientifique réel, auquel le nom de Marx sera à jamais associé. Les connaissances acquises par cette science et par la méthode d’analyse utilisée dans la réalisation et l’approfondissement de ces connaissances doivent être introduites dans la classe ouvrière. Voilà la tâche du parti révolutionnaire.
Si Lénine était un élitiste, alors la même étiquette doit être posée sur tous ceux qui ont combattu sous la bannière de la vérité scientifique contre d’innombrable formes d’obscurantisme. Est-ce que Thomas Jefferson n’a pas écrit qu’il avait juré de s’opposer éternellement à toute forme d’ignorance et de tyrannie sur l’esprit humain ? L’accusation d’élitisme doit être portée contre ceux qui dénigrent et s’opposent à l’éducation politique et culturelle de la classe ouvrière et qui la laisse ainsi à la merci de ses exploiteurs.
Finalement, penchons-nous sur l’accusation selon laquelle l’insistance mise par Lénine sur la nécessité d’une lutte contre les formes de conscience de la classe ouvrière générées spontanément dans la société capitaliste ainsi que son hostilité à l’opinion publique vulgaire qui prend forme sous le bombardement des organes de propagande des médias de masse était « antidémocratique » et même « totalitaire ». Ce qui sous-tend ces accusations est une forme d’amertume sociale, profondément enracinée dans les intérêts de classe et les préjugés sociaux, provoquée par les efforts du mouvement socialiste pour créer une forme d’opinion publique différente, non-bourgeoise, dans laquelle les intérêts politiques et historiques véritables de la classe ouvrière puisse trouver expression.
Il n’y a pas de projet plus profondément démocratique que celui exprimé dans l’effort du mouvement marxiste pour développer la conscience de classe de la classe ouvrière. Tout le travail politique de plus d’un quart de siècle avant les évènements de 1917 a été fait pour élever la pensée sociale des sections avancées de la classe ouvrière russe au niveau de la science. Et, dans cette tâche, le parti bolchévik a réussi. Dans l’accomplissement de cette tâche, Lénine représentait, comme John Reed l’a noté, « un leader populaire inhabituel – un leader purement en vertu de son intellect… avec la capacité d’expliquer des idées profondes dans des termes simples, d’analyser une situation concrète et de combiner avec la perspicacité, la plus grande audace intellectuelle. » [26]
Ce n’était pas Lénine qui avait le premier proclamé la nécessité d’amener la conscience socialiste dans la classe ouvrière. Ses dénonciations des économistes pour avoir glorifié « l’élément spontané » reposaient sur une lecture profonde du Capital de Marx et une compréhension de la manière par laquelle le capitalisme, en tant que système de production établissant des relations parmi les gens, masque les mécanismes réels et socialement ancrés de l’exploitation. L’originalité de Lénine en tant que penseur politique ne trouve pas son expression dans son insistance sur le besoin d’introduire la conscience dans la classe ouvrière – cela était largement accepté dans toute l’Europe – mais dans la régularité et la persistance avec laquelle il appliqua ce précepte et dans les conclusions d’une vaste portée politique et organisationnelle qu’il en tira.
À suivre
Notes:
Copyright
1998 - 2012 |