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Nathan Steinberger meurt à 94 ans Une vie dédiée à la lutte contre le fascisme et le stalinismePar Verena Nees Utilisez cette version pour imprimer Le 26 février, Nathan Steinberger est mort à l'âge de 94 ans dans un hôpital de Berlin. Sa femme Edith était décédée quatre ans plus tôt. Nathan et Edith Steinberger figuraient parmi les derniers membres d'une génération qui a vécu lors d'une époque marquée par des bouleversements révolutionnaires et les défaites tragiques du mouvement ouvrier. Leurs vies furent imprégnées des terribles expériences du fascisme et de la terreur stalinienne, pendant lesquelles, en tant que membre du Parti communiste allemand (KPD) demeurant en Union soviétique, ils ont tout juste pu épargner leurs vies. Né en 1910 à Berlin, Nathan était le plus jeune enfant d'une famille juive orthodoxe et il a grandi dans une relative pauvreté. Ses premières impressions du monde ont été modelées par la guerre et la famine ainsi que par les luttes révolutionnaires des travailleurs berlinois. En même temps, il a été influencé par le regain culturel des années vingt. À cinq ans, il faisait la queue pour acheter des billets d'opéra et de théâtre pour sa soeur aînée. Quant à son frère aîné, il répétait à la maison avec groupe de théâtre Dada. Nathan lui-même s'était fait de l'argent de poche en travaillant comme figurant dans différentes productions et, à l'aide de ses connaissances en littérature et en peinture, il fut capable de divertir amis et visiteurs jusqu'à ses vieux jours.
Nathan et Edith Steinberger en 1997 Lorsque la Première Guerre mondiale débuta, Nathan avait quatre ans ; lorsque la Révolution bolchévique est arrivée, il avait sept ans. À 90 ans, après qu'une question lui eut été posée sur ses mémoires d'enfance, Nathan affirma : « Berlin tourbillonnait dans la Révolution russe. Tout le monde parlait de Lénine et de Trotsky. De mes souvenirs de cette époque, je peux dire en toute certitude que les évènements en Russie avaient eu un impact énorme sur la vie à Berlin et dans toute l'Allemagne. » Quelques unes des manifestations et des batailles de rue les plus importantes de la Révolution de novembre 1918 sont survenues à proximité de l'appartement de la famille Steinberg. Nathan et son frère Leo s'amusaient souvent avec des cartouches de balles vides qu'ils ramassaient durant des trêves de combats armées entre les supporteurs de la Spartakusbund (La Ligue spartasiste révolutionnaire qui est devenue plus tard une des composantes essentielles du Parti communiste allemand, dirigée par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht) et les soldats des Freikorps (des organisations paramilitaires réactionnaires). Souvent, Nathan se joignait aux manifestations après l'école et, en soirée, il se sauvait de la maison pour assister à des débats politiques houleux entre des travailleurs du KPD, du USPD (le Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne) et le SPD (le Parti social-démocrate allemand) qui organisait des discussions près des salles de réunions. Sous l'influence de son plus vieux frère Adolf, qui fut plus tard tué par les nazis dans le camp de concentration de Mauthausen, Nathan s'est rapidement joint au mouvement communiste. À l'âge de 14 ans, il est devenu membre de la Fédération des jeunesses communistes (KJVD) et s'impliquait dans la construction de la KoPeFra (Kommunistische Pennälerfraktion-Faction des étudiants communistes des lycées) et de la Fédération des écoliers socialistes (SSB), dans laquelle il a joué un rôle de premier plan. Nathan est aussi entré en contact très tôt avec les problèmes du mouvement ouvrier allemand et il a fait l'expérience de ses tentatives de reproduire la Révolution russe en Allemagne. Il a décrit l'année 1923 comme étant une année de grands espoirs et de tensions parmi les travailleurs du Parti communiste et du Parti social-démocrate. Il y avait eu des grèves tout au long de l'année. « Il y avait un sentiment palpable dans l'air-tout le monde qui était conscient politiquement sentait que ça allait arriver bientôt ! » a-t-il rappelé. « Nous tous, les travailleurs de Berlin et la jeunesse, anticipions fiévreusement la Révolution d'octobre allemande. Je sentais cela très clairement. » La déception fut tout aussi grande lorsque le Parti communiste allemand hésita tellement longtemps qu'il manqua le point culminant du mouvement. « Un jour, j'ai réalisé que tout était fini. Soudainement, il y a eu une sorte de paralysie. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais toute l'excitation avait soudainement disparu et la déception se répandait. Les travailleurs qui n'étaient pas membres du KPD étaient particulièrement déçus. Il y a eu un silence déroutant pendant plusieurs jours. » À l'aube des luttes qui émergèrent dans le Parti communiste russe entre la faction stalinienne et l'Opposition de gauche menée par Léon Trotsky, des conflits ont aussi éclaté dans le KPD en 1923. Même s'il était trop jeune pour comprendre toutes les questions politiques, Nathan et toute sa cellule furent expatriés de la Fédération des jeunesses communistes en 1926. Le prétexte qui avait été amené était que la cellule était sous l'influence de Karl Korsch, qui était parmi ceux qui critiquaient le plus fermement la ligne du parti. Nathan Steinberger resta actif au sein de la Fédération des écoliers socialistes. Lui et ses amis ne discutaient pas uniquement de politique, mais organisaient aussi des discussions avec des écrivains comme Erich Kästner, Arnold Zweig et d'autres en plus de faire des débats sur des sujets en rapport à la psychologie et à la sexualité. En 1929, après avoir réussi son examen d'admission pour entrer au collège, Nathan s'est inscrit à la faculté de médecine à l'université dans l'espoir d'être en mesure de poursuivre dans sa branche favorite, c'est-à-dire la psychologie. Mais, il a, par la suite, bifurqué vers l'économie politique. Il s'est spécialisé dans les sciences agricoles et a étudié dans l'ombre du célèbre scientifique Karl Wittfogel, qui à cette époque était un représentant de l'Institut international d'agronomie de Moscou. Malgré son expulsion de la Fédération des jeunesses communistes, Nathan est devenu un membre du KPD en 1928. Cette année a marqué le début de disputes violentes dans le KPD à propos de la « théorie du social-fascisme » mise de l'avant par Staline et ses supporteurs. Selon cette théorie, il n'y avait aucune différence entre la social-démocratie et le fascisme. Le résultat de cette politique suicidaire a été de prévenir toute lutte commune parmi les travailleurs communistes et sociaux-démocrates contre l'influence grandissante des fascistes. Nathan a rejeté cette position. Comme il l'a rappelé plus tard : « Cette position ultragauchiste relevait de l'ignorance politique. La grande majorité de ceux qui avaient vécu les expériences révolutionnaires de 1918 et de 1923 rejetaient la supposée équivalence entre le Parti social-démocrate allemand et les fascistes. Quant à moi, en aucun cas je n'ai utilisé l'expression « social-fascisme » lorsque je faisais de l'agitation dans la rue. » C'est durant cette période que Nathan Steinberger est entré pour la première fois en contact avec les écrits de Léon Trotsky, qui appelait pour un front commun des travailleurs du KPD et du SPD contre l'influence grandissante des nazis. Peu de temps après, la vie de Nathan Steinberger devait changer de façon dramatique. Sur la recommandation de Karl Wittfogel, il fut diplômé à l'Institut international d'agronomie de Moscou en 1932, avant même qu'il ait fini tous ses cours. Il fut accompagné par sa copine Edith, qui était aussi une membre active du KPD. Leur séjour à Moscou était supposé durer seulement deux ans, mais lorsque Hitler a pris le pouvoir en 1933, le jeune couple ne pouvait retourner en Allemagne. Non seulement ils étaient membres du KPD, mais ils étaient aussi Juifs. Nathan et Edith furent secoués par la défaite du mouvement ouvrier et par la victoire du fascisme en Allemagne. Au même moment, ils ont découvert que l'Union soviétique sous le régime de Staline n'avait rien de commun avec l'optimisme révolutionnaire des années vingt qui les avait tous les deux attiré vers la politique. À l'Institut d'agronomie, les collègues plus âgés informèrent Nathan des évènements violents qui avaient eu lieu dans les comtés ruraux pendant le processus de collectivisation forcée. Il a rencontré de vieux bolcheviks comme Fritz Platten, un révolutionnaire suisse et un proche collaborateur de Lénine, et il s'est rendu compte comment Platten et d'autres vieux membres du parti étaient de plus en plus isolés. À ce moment, Trotsky et ses supporteurs étaient déjà soit exilés ou soit emprisonnés. Il n'y avait pratiquement aucune discussion politique aux réunions du parti auxquelles Nathan assistait. La démocratie du parti était de plus en plus étouffée par le bureaucratisme et les complots. En 1935, Nathan reçu son doctorat. Sa thèse de doctorat sur « Les politiques agraires du national-socialisme » fut publié, mais, peu de temps après, son oeuvre scientifique pris fin de façon abrupte. Après que Kirov, le secrétaire du parti à Leningrad, fut assassiné, les purges ont commencé. Non seulement pour les opposants connus, mais aussi pour un nombre de plus en plus grand de membres du parti qui, après avoir été de loyaux supporteurs de Staline, sont tombés dans les griffes de la Guépéou, la police secrète stalinienne. Nathan fut congédié de l'Institut d'agronomie en 1936 et, en donnant des cours d'allemand, il essaya d'abord et avant tout de faire vivre sa famille qui comptait maintenant une fille, Marianne, née en 1935. Après les premiers procès de Moscou, la vague d'arrestations a aussi emporté des émigrés allemands qui avaient fuit les nazis. Regardant son passé, Nathan a mis en évidence le fait que « Staline réprimait n'importe qui pouvait être un critique potentiel de ses politiques. Également, il savait que la défaite en Allemagne était d'abord et avant tout le résultat de ses politiques. » La veille du 1er mai 1937, Nathan fut arrêté. Sa femme Edith a suivi le même chemin en 1941, c'est-à-dire au début de l'invasion allemande en Union soviétique. Leur fille de six mois fut prise en charge par une famille juive qu'ils connaissaient. Le calvaire qui venait de débuter devait durer jusqu'en 1956. Nathan fut tout d'abord incarcéré dans la fameuse prison de Butyrky et fut ensuite transporté vers Kolyma en Sibérie. Il fut accusé « d'activités trotskystes contre-révolutionnaires », sa « culpabilité » étant augmenté, entre autres, par son expulsion de la Fédération des jeunes communistes à l'âge de 15 ans. Sa femme fut déportée dans un camp de travail au Kazakhstan, où elle a tout juste réussi à survivre. Dans la prison de Butyrky, Nathan a réalisé que les arrestations n'étaient pas arbitraires. Elles étaient d'abord et avant tout dirigée contre les membres du parti qui avaient participé activement à la Révolution d'octobre. Nathan a partagé sa première cellule de prison avec le fils de l'opposant de gauche Zinoviev et avec le vieux bolchevik et historien du parti Vladimir Ivanovich Nevsky, qui avait participé à la préparation militaire de la révolution de 1917 en tant que membre du Comité révolutionnaire de Petrograd et il fut aussi le ministre des transports dans le premier gouvernement ouvrier sous Lénine. Seulement quelques semaines après l'arrivée de Nathan à Butyrki, on vint cherché Nevsky dans sa cellule et on le tua. Contrairement à presque tous leurs amis de l'époque, Nathan et Edith Steinberger ont réussi à survivre. À nouveau réunis avec leur fille, ils ont eu la permission de retourner à Berlin (Est) en 1956, mais ils durent garder le silence absolu dans la République démocratique d'Allemagne (RDA). Ils n'avaient pas le droit de dire un seul mot sur les camps de concentration staliniens. C'est seulement après l'effondrement de la RDA et la dissolution de l'Union soviétique qui a suivi que Nathan Steinberger a pu commencé à raconter ses expériences sous la terreur stalinienne. Contrairement à plusieurs survivants des goulags, il n'a pas adhéré à des politiques de droite, mais est demeuré fidèle aux idéaux socialistes de sa jeunesse. Nathan a saisi toutes les opportunités qui se sont présentées à lui afin d'expliquer que le stalinisme n'équivalait pas au socialisme. À l'occasion de son quatre-vingt dixième anniversaire, qu'il avait célébré en compagnie de plusieurs amis et connaissances, Nathan Steinberger a résumé les conclusions qu'il avait dressées de sa vie avec les mots suivants : « Je veux aider les jeunes à comprendre ce que le stalinisme était vraiment. Le socialisme doit être débarrassé une fois pour toute des méfaits de la falsification et de la censure, il doit être débarrassé une fois pour toute du stalinisme. Les régimes dans l'Union soviétique et sa sphère d'influence n'ont rien à voir avec le socialisme. » Les dernières années n'avaient pas été
faciles pour Nathan Steinberger. Il a perdu sa femme et de plus
en plus de vieilles connaissances, incluant Max Kahane, un vieil
ami qu'il avait connu pendant les années de la Fédération
des écoliers socialistes. Il avait de la misère
à écrire et sa difficulté à entendre
lui rendait la vie difficile. Ce qu'il a gardé, cependant,
en plus de son sens de l'humour et de ses vieux amis, c'était
la conviction qu'une nouvelle génération tirerait
les leçons des années 1930 et mènerait une
lutte pour bâtir une meilleure société.
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