Un an après la triple catastrophe – le séisme du 11 mars, le tsunami et la fusion nucléaire – le spectacle de désolation demeure. La reconstruction a à peine commencé dans les villes côtières entièrement détruites. Des montagnes de gravats et de décombres n'ont toujours pas été évacuées. Un périmètre de 20 km à la ronde autour de l'usine nucléaire endommagée de Fukushima est inhabitable et le restera des années durant. Les réacteurs abîmés de la centrale ne seront pas entièrement démantelés et enlevés avant les 30 à 40 prochaines années.
La tragédie humaine est immense. Plus de 15.000 personnes sont mortes lors de la catastrophe et 3.000 autres manquent toujours à l'appel. Des communautés entières ont été détruites, ainsi que les emplois, les commerces et les habitudes de vie des gens. Plus de 300.000 personnes vivent encore dans des logements de fortune, essayant de recommencer leur vie brisée. De nombreux jeunes gens ont été forcées de quitter la région de Tohoku au Nord de l'île pour rechercher un emploi ailleurs.
Les forces naturelles qui se sont déchaînées le 11 mars 2011 étaient incontrôlables mais l'impact de la catastrophe a été grandement amplifié par des procédures de sécurité et d'urgence inadéquates, par la réaction chaotique du gouvernement et le manque d'argent mis à disposition pour le secours et la reconstruction. Les conséquences terribles sont un réquisitoire contre le capitalisme, et ce d'autant plus que le Japon, en tant qu'économie industrielle sophistiquée, arrive au troisième rang mondial.
La subordination des besoins sociaux des gens ordinaires au profit du patronat a été très clairement révélée dans la crise qui s'est produite à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Malgré les avertissements des scientifiques, les plans d'urgence de l'entreprise Tokyo Electric Company (TEPCO) ne prenait pas en considération la possibilité d'un tsunami massif. La vague qui a submergé l'usine et coupé l'approvisionnement en courant électrique a déclenché une chaîne d'événements qui ont conduit à une fusion partielle de trois des six réacteurs.
TEPCO a minimisé l'étendue de la catastrophe pour réduire l'impact sur les cours de ses actions et sur ses profits. Malgré son bilan négatif de défaillances à la sécurité, suivi de camouflage, le gouvernement du premier ministre Naoto Kan a laissé l'entreprise en charge de la situation. Un rapport publié dernièrement a révélé que Kan et les hauts responsables du gouvernement ont été obligés de considérer le pire scénario possible impliquant une « réaction en chaîne démoniaque » de fusions nucléaires des réacteurs et nécessitant une évacuation de 30 millions de personnes du Grand Tokyo. Et pourtant, le public a été délibérément maintenu dans l'ignorance.
A chaque stade, le gouvernement a placé les intérêts de TEPCO avant ceux de la population laborieuse. Ses agences de régulation nucléaire ont relevé de 100 à 250 millisieverts la dose limite annuelle légale de radiation pour les employés, mettant ainsi en danger la santé de centaines de travailleurs qui luttaient pour maîtriser les réacteurs. Il aura fallu des mois pour que l'agence Nuclear and Industrial Safety Agency reconnaisse publiquement que Fukushima a été la deuxième plus importante explosion après celle de Tchernobyl en 1986, la pire catastrophe nucléaire du monde à ce jour. Le gouvernement a injecté plus d'un millier de milliards de yens (12 milliards de dollars US) dans le renflouement de TEPCO, l'une des plus grandes compagnies d'électricité du monde.
La crise nucléaire à Fukushima a été symptomatique d'un processus plus général. En dépit du fait que le Japon est sujet à des tremblements de terre et à des tsunamis, les mesures visant à protéger la vie se sont révélées totalement inadéquates. Les médias ont dénoncé l'indifférence de l'opinion publique mais un grand nombre des victimes ont été leurrées dans un faux sentiment de sécurité. L'ancien chef scientifique de l'US National Ocean Service, Bruce Parker, a récemment signalé que 40 pour cent du littoral japonais est protégé par des digues mais la plupart n'ont pas été construites pour faire face à un scénario du pire. « La hauteur de ces digues était tributaire de questions financières, » a-t-il écrit.
« Cela ne coûte pourtant pas grand-chose de désigner des régions d'évacuation sûres, » a remarqué Parker. « Curieusement, un grand nombre des soi-disant zones d'évacuation sûres n'étaient pas situées suffisamment en hauteur et/ou suffisamment à l'intérieur des terres et beaucoup de personnes qui se sont rendues dans ces zones d'évacuation sont mortes. Le plus important peut-être c'est qu'un grand nombre de ceux qui sont morts ne savaient pas ce qu'il fallait faire en cas de tsunami. »
Sous l'effet de la rupture de la chaîne d'approvisionnement, de fermetures d'usines et de dégâts causés à l'agriculture, à la pêche et au tourisme, la triple catastrophe a accentué l'impact de la crise capitaliste mondiale sur l'économie japonaise. L'année dernière, l'économie n'avait progressé que de 0,7 pour cent et l'on s'attend cette année à une progression de 2 deux pour cent. Le financement de la reconstruction par le gouvernement est bien inférieur à ce qui est requis car il est soumis aux pressions du capital financier pour une réduction de l'énorme déficit de la dette extérieur du pays.
La méfiance et l'hostilité publiques quant à la réaction du gouvernement face à la catastrophe se sont ajoutées à des décennies d'aliénation par rapport à l'ensemble de l'establishment politique. Au Japon, un grand nombre de gens croient à juste titre qu'on leur a menti. Des doutes à propos des déclarations du gouvernement sur les niveaux de radiation ont activé ce qui est connu sous le nom de « mouvement de mesure » - la ruée pour acquérir des compteurs Geiger et des dosimètres afin de mesurer indépendamment le degré de radioactivité.
Le Parti démocrate du Japon (PDJ) au pouvoir a remplacé en août dernier Kan au poste de premier ministre par Yoshihiko Noda dans une tentative d'endiguer les dégâts politiques. Mais Noda n'a guère fait mieux dans les sondages en partie en raison de sa plaidoirie pour le redémarrage dès que possible des centrales nucléaires. Le Parti libéral démocrate (PLD), qui est dans l'opposition, est considéré avec la même suspicion pour avoir établi, durant ses cinquante années antérieures de régime, des relations confortables entre les gouvernements et l'industrie nucléaire.
La colère provoquée par la réaction de l'establishment politique à la catastrophe a jusque-là été limitée. Des milliers de personnes se sont jointes aux protestations « adieu au nucléaire » qui font porter la responsabilité de la catastrophe nucléaire de Fukushima sur la technologie plutôt que sur le système de profit.
Les leçons politiques qui doivent être tirées de la triple catastrophe au Japon est que le capitalisme s'est révélé incapable d'améliorer l'impact dévastateur des forces de la nature. Comme dans le cas du tsunami asiatique qui a ravagé en 2004 l'Indonésie, le Sri Lanka, l'Inde et la Thaïlande, et l'ouragan Katrina qui a détruit en 2005 une grande partie de la Nouvelle Orléans, les besoins vitaux des travailleurs ont été sacrifiés au nom des profits privés.
Ce n'est que par l'abolition du capitalisme par la classe ouvrière internationale et la mise en place d'une économie socialiste mondiale planifiée que l'on pourra mettre fin à de telles tragédies.
(Article original paru le 16 mars 2012)
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