Les retombées économiques et politiques de la
soudaine annonce faite par JPMorgan Chase jeudi dernier selon laquelle la
banque avait perdu plus de 2 milliards de dollars en paris spéculatifs de
dérivés de crédit ont continué de se multiplier lundi. La plus grande banque
américaine a annoncé le départ forcé à la retraite d’Ina Drew, qui a dirigé
le principal Service d’Investissement (Chief Investment Office) sis à
Londres et qui avait misé sur la solvabilité d’une série d’entreprises
américaines. On s'attend à ce que d’autres hauts responsables et opérateurs
de marché soient licenciés ou rétrogradés.
Les actions de la banque ont dégringolé de 3,2
pour cent supplémentaires, faisant passer ses pertes de la capitalisation
boursière à près de 19 milliards de dollars en deux jours. Le Wall Street
Journal a rapporté que JPMorgan se préparait à une perte totale de plus
de 4 milliards de dollars au cours de la prochaine année en raison de sa
participation mal venue en dérivés (« credit default swaps ») – le même
moyen d’investissement qui avait joué un rôle crucial dans l’effondrement de
Lehman Brothers et dans le plan de sauvetage du géant de l’assurance
American International Group (AIG) en septembre 2008.
Dans une interview accordée dimanche à l’émission
« Meet the press » sur NBC, le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon, a cherché à
présenter la perte comme une faute innocente résultant d’« erreurs, de
maladresse et d'un manque de jugement. » Il y a à peine un mois, Dimon, qui
avait dirigé la campagne publique de Wall Street contre des restrictions
même les plus minimes des pratiques spéculatives des banques, avait fait fi
des mises en garde contre les paris massifs faits par le principal Service
d’Investissement comme étant « une tempête dans un verre d’eau. »
L’ampleur des pertes et les démentis qui les ont
précédés soulèvent la probabilité que les régulations et les lois bancaires
contre la fraude et la tromperie des investisseurs n’ont pas été respectées.
Le président Obama s’est toutefois précipité pour
prendre la défense de JPMorgan et de Dimon, en déclarant lundi lors d’une
émission-débat télévisée que JPMorgan était « l’une des banques la mieux
gérée qui existe » et que Dimon était « l’un des banquiers les plus
intelligents qui soient. » Dans le même temps, il a cité les pertes de la
banque comme une justification de la loi Dodd-Frank de réforme de la finance
qu’il avait promulguée en juillet 2010. « C’est pour cela que nous avons
adopté la réforme Wall Street, » a-t-il dit.
En fait, la débâcle de JPMorgan prouve que près de
quatre ans après le krach de Wall Street rien n’a changé pour l’aristocratie
financière. Aucune mesure n’a été prise pour maîtriser les banques qui ont
bénéficié de milliers de milliards de dollars en fonds gouvernementaux, en
garanties et en prêts bon marché. Les mêmes formes de spéculation et
carrément d’escroquerie qui avaient conduit à l’effondrement financier et à
la pire crise économique depuis la Grande Dépression se poursuivent de
manière inchangée.
Les grandes banques, telles JPMorgan, ont accru
leur mainmise sur l’économie américaine. Elles ont enregistré des bénéfices
record en restreignant le crédit des consommateurs et des petites
entreprises, en maintenant un taux élevé de chômage tout en spéculant sur
les Credit Default Swaps (couverture de défaillance) et autres instruments
financiers toxiques qui ponctionnent les ressources de l’économie réelle.
Sur cette base, les responsables de la banque et les courtiers, dont ceux
des institutions renflouées, ont continué à engranger des plans
d’indemnisation à huit chiffres. L’année dernière, Ina Drew avait gagné 14
millions de dollars et Jamie Dimon avait encaissé 26 millions de dollars.
La loi Dodd-Frank claironnée par Obama est une
escroquerie, une tentative de donner l’apparence d’une réforme financière
tout en permettant aux banques de poursuivre leurs activités parasitaires et
criminelles. On peut citer pour exemple la soi-disant Règle Volcker (Volcker
Rule) du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale américaine et
conseiller économique d’Obama à la Maison Blanche, Paul Volcker.
Cette Règle, intégrée dans la loi Dodd-Frank et
qui serait l’une de ses plus audacieuses dispositions, interdit apparemment
le négoce contre l’intérêt de leurs clients – la spéculation d’une banque
pour son propre compte – de la part de banques commerciales dont les dépôts
des clients sont garantis par le gouvernement fédéral. L’idée est d’empêcher
les banques qui sont assurées par le gouvernement de spéculer avec l’argent
des déposants.
Mais, la Règle telle qu’elle a été rédigée par les
régulateurs fédéraux – sous pression de la Réserve fédérale et du secrétaire
au Trésor, Timothy Geithner, ainsi que des banques – permettrait en fait le
genre de pari spéculatif fait par JPMorgan sous forme d’une couverture
(« hedge ») pour compenser le risque encouru par l’ensemble du portefeuille
d’investissement de la banque.
La Règle Volcker dont la forme exacte n’a pas
encore été annoncée, ne fera rien pour stopper la spéculation des banques
soutenues par le gouvernement, utilisant l’argent des petits dépositaires.
Le scandale de JPMorgan a aussi mis en relief
l’échec du gouvernement à poursuivre les responsables de l’effondrement
financier de 2008. En dépit de preuves écrasantes des méfaits et de la
criminalité découvertes au cours de deux enquêtes fédérales l’année
dernière, les responsables ont été mis à l’abri de toute poursuite.
Lorsque le sénateur de l’Iowa, Charles Grassley, a
soumis en début d’année une lettre au Département de la Justice pour
demander combien de responsables des banques avaient été poursuivis suite à
la crise financière, le Département de la Justice a répondu qu’il ne le
savait pas parce qu’il ne tenait pas de liste.
Selon une étude réalisée par l’université de
Syracuse, toutefois, les poursuites fédérales pour fraudes financières ont
chuté sous le gouvernement Obama à leur niveau le plus bas en 20 ans et ont
diminué de 39 pour cent depuis 2003. Sous Obama, le nombre de procès pour
fraudes financières a chuté d’un tiers par rapport à l’époque du
gouvernement Clinton.
Ces faits montrent la dictature de facto exercée
par l’aristocratie financière sur l’ensemble du système politique et des
deux principaux partis. Le gouvernement Obama en particulier est
l’instrument des plus puissantes institutions financières. Il concentre ses
efforts sur la protection et l’accroissement de la fortune de l’élite
privilégiée tout en utilisant la crise pour constamment réduire
drastiquement les salaires et le niveau de vie de la classe ouvrière.
Durant une grande partie du mandat d’Obama, Jamie
Dimon était connu pour être le « banquier préféré » de la Maison Blanche.
Selon les carnets de la Maison Blanche, Dimon s’est rendu au moins 18 fois à
la Maison Blanche, souvent pour s’entretenir avec son ancien adjoint chez
JPMorgan, William Daley, qui avait été nommé par Obama secrétaire général de
la Maison Blanche après la déroute des Démocrates aux élections de 2010.
Les relations incestueuses et corrompues entre
Wall Street, le gouvernement Obama et l’ensemble du système politique
souligne la nécessité pour la classe ouvrière de construire son propre
mouvement de masse socialiste afin de défendre ses intérêts contre l’élite
dirigeante.
Les banquiers responsables de la crise financière,
y compris Dimon et ses co-conspirateurs, doivent être passibles de
poursuites criminelles pour leur manquement à la loi et être tenus pour
responsables de la souffrance sociale provoquée par leurs actions. Les
milliers de milliards mal acquis et accumulés par les banques doivent être
expropriés, avec une pleine protection pour les petits dépositaires et les
petites entreprises, dans le but de fournir des emplois et des logements
décents, des soins de santé et une éducation à tous.
Il n’y a aucun moyen de maîtriser les banques et
leurs activités socialement destructrices dans le cadre du système
capitaliste. La seule voie pour stopper la fraude et le parasitisme qui se
poursuivent tous les jours à Wall Street est de nationaliser les banques et
de les gérer comme des services publics démocratiquement contrôlés.
(Article original paru le 15 mai 2012)