A l'issue du premier tour de l'élection
présidentielle le 22 avril, Nathalie Arthaud, la candidate de Lutte Ouvrière
(LO) a suggéré, dans une consigne de vote tortueuse, qu'elle ne s'opposait pas
à un vote pour Hollande, le candidat du Parti Socialiste (PS). Celui-ci s'est
avéré le candidat gagnant au deuxième tour.
Arthaud
a expliqué qu'elle laissait ceux qui avaient voté pour elle, « voter selon
leur conscience », puis elle a indiqué qu'elle considérait bien un vote
pour Hollande comme une option envisagée.
Elle a écrit : « Aucun
travailleur conscient ne peut évidemment voter pour Nicolas Sarkozy, le
président des riches, cet homme qui, pendant les cinq ans de son pouvoir, a été
le fidèle serviteur des groupes capitalistes et des banquiers. Certains de mes
électeurs, confrontés au choix pipé entre un ennemi ouvert des travailleurs et
un faux ami, s'abstiendront ou voteront blanc. D'autres, pour se débarrasser de
Sarkozy, voteront pour François Hollande ».
Arthaud s'est ainsi rangée derrière la
campagne de presse menée par le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et le
Nouveau Parti Anticapitaliste, qui-en se fondant sur les mêmes arguments
qu'Arthaud-ont appelé ouvertement à un vote pour Hollande.
Ceci
résume ce qu'a finalement représenté sa campagne : un apport d'un demi
pour cent de voix à François Hollande. LO a obtenu 0,56% des voix, moins de la
moitié de son score de 2007 et dix fois moins qu'en 2002.
Cette position de LO est particulièrement
cynique et réactionnaire : LO laisse entendre qu'il peut comprendre un
vote de ses électeurs pour Hollande, tout en annonçant à tous que la victoire
de Hollande amènera une politique d'austérité et la montée des néo-fascistes.
Arthaud l'a elle-même reconnu dans sa
déclaration le soir du 22 avril : «Plus sera grand le mécontentement
provoqué par les mesures d'austérité que Hollande sera amené à prendre sous la
pression des milieux financiers, plus cela renforcera l'extrême droite. »
Ceci soulève une question importante :
pourquoi, sachant qu'un gouvernement Hollande attaquera les conquêtes sociales
et renforcera les éléments fascistes, LO appelle-t-il à soutenir le PS et ses
satellites ? Pourquoi est-ce que LO n'avertit pas les travailleurs du
danger représenté par un tel gouvernement et de la nécessité pour la
classe ouvrière d'une politique indépendante de la « gauche »
bourgeoise?
Ancré dans la bureaucratie syndicale et une
partie du milieu étudiant, LO fait tout son possible pour que n'émerge aucune
perspective de lutte contre un candidat PS en tous points réactionnaire. Ces
couches ont, en fait, co-organisé les attaques du gouvernement Sarkozy contre
les conquêtes sociales de la classe ouvrière.
LO
envisage, sous prétexte de lutte contre l'extrême droite, une alliance avec les
forces qui soutiendront le PS dans la période suivant l'élection
présidentielle. Commentant la montée du vote néo-fasciste, Arthaud dit :
« Seul le renforcement des forces qui se situent sur le terrain des
intérêts politiques de la classe ouvrière peut constituer un contrepoids au
renforcement de l'extrême droite et l'empêcher de s'arroger le monopole de
l'opposition ».
LO
continue de traiter le PS de parti de « la gauche », une formule
destinée à créer l'illusion que par des manifestations ou éventuellement des
grèves sous l'égide des syndicats, le PS répondrait à la pression.
C'est
bien dans cette seule optique que LO envisage une « lutte ». Arthaud le
formule ainsi : « Pour LO, les moments électoraux ne
sont pas essentiels. Ce qui est fondamental, c'est que le peuple descende dans
la rue, comme en 1995, en 1968, ou en 1936 ».
En
1995, les manifestations et grèves de masse ont abouti, entre autre grâce au
rôle joué par l'ex-gauche radicale, à l'élection du gouvernement de la
« gauche plurielle » qui a fait plus de privatisations que la droite.
En 1968, la grève générale fut trahie par les staliniens et les rênes du pays
remis aux mains de la bourgeoisie. En 1936 le Front populaire a décapité un
mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière à la veille de la Deuxième
guerre mondiale.
Passant sous silence les tentatives répétées
de la classe ouvrière de s'opposer aux attaques lancées contre elle par la
bourgeoisie depuis le début de la crise en 2008, ni Arthaud ni les autres
dirigeants de LO ne veulent vraiment voir de lutte. Avec à l'arrière-plan les
images montrant des nuées de drapeaux rouges, on pouvait entendre les
représentants de LO déclarer qu'en fait, il n'y avait pas de lutte
actuellement.
Derrière
les hymnes de LO à la classe ouvrière « force considérable et
irrésistible » (éditorial de Lutte Ouvrière en date du 26 mars), il
y a une pratique démobilisatrice et démoralisée.
La raison même donnée par Arthaud pour sa
campagne reflétait le conservatisme d'un parti pour lequel tout peut arriver,
sauf une révolution. Tout ce qu'on peut faire, selon elle, c'est « porter
le flambeau » du communisme, pour que la classe ouvrière puisse le
« reprendre dans une situation de lutte » dans un avenir éloigné
et entièrement hypothétique.
Dans
une interview (Le Monde du 13 avril) Arthaud élabore sur la notion de
« porter le flambeau » : « A LO, nous sommes des passeurs, c'est
ainsi que nous nous vivons. Bien sûr que le "grand soir", je le
voudrais pour demain, mais en attendant, je me bats. Marx a vu l'écrasement de
la Commune, pas la révolution ouvrière, et moi, je ne verrai peut-être rien du
tout ».
Etant
donné qu'elle a 42 ans et qu'elle peut donc s'attendre statistiquement à vivre
encore 40 ans, une telle déclaration de la part d'Arthaud est tout à fait
remarquable. Selon sa projection, la misère créée par la crise économique,
l'austérité et la catastrophe engendrée par les guerres de la France, des
Etats-Unis, et d'autres puissances impérialistes devront continuer jusqu'en
2050.
Alors
que le monde se trouve au seuil d'une guerre généralisée au Moyen-Orient et que
le gouvernement français pousse à une attaque imminente de la Syrie, Lutte
Ouvrière ne juge pas nécessaire de le dénoncer. Son refus de le faire revient à
un soutien tacite qui correspond au caractère résolument nationaliste de sa
campagne.