Les élections de dimanche dernier en
Grèce ont constitué un référendum populaire sur les mesures d'austérité dictées
par l'Union européenne. La coalition dirigeante précédente composée du PASOK et
de Nouvelle Démocratie (ND), partis responsables de l'application des mesures
d'austérité, n'a recueilli qu'un tiers des suffrages. De plus, près de 40 pour
cent des électeurs n'ont pas pris la peine d'aller voter.
Le pourcentage des suffrages exprimés
Les représentants de l'UE ont réagi à
l'élection grecque en insistant agressivement pour que soient introduites les
mesures d'austérité sans se soucier du sentiment populaire. Ils ont clairement
fait entendre qu'ils n'accepteront pas de renégociation du pacte fiscal mais
qu'ils préfèrerait voir le pays le pays expulsé de la zone euro.
« Si elle veut rester membre de la
zone euro, la Grèce doit savoir qu'il n'y a pas d'alternative au programme de
restructuration qui a été adopté, » a dit au journal Handelsblatt,
Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne.
Le président de la commission
européenne, José Manuel Barroso, a menacé le pays d'un « défaut de
paiement désordonné » s'il n'acceptait pas les décisions de l'UE. Le
président du parlement européen, Martin Schulz (du Parti social-démocrate
allemand), a spécifiquement fait référence aux négociations de coalition :
« Les partis grecs devraient être conscients qu'un parti stable qui respecte
les accords est une condition préalable à tout nouveau soutien de la part des
pays de la zone euro. »
Selon le Süddeutsche Zeitung, la
troïka, qui rassemble la Commission européenne, la Banque centrale européenne
et le Fonds monétaire international, a annulé sa visite prévue mi-mai à
Athènes. Entre-temps, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a
annoncé qu'il retiendrait un milliard d'euros sur la tranche de prêt prévue de
5,2 milliards d'euros et qui sera allouée jeudi.
L'UE a menacé que tout nouveau
gouvernement, quelle que soit sa composition, devra se conformer à ses dictats.
L'alternative est une faillite de l'Etat aux conséquences catastrophiques. Les
retraites, les salaires et les prestations sociales ne pourraient plus être
versés. L'expulsion de la zone euro aurait pour résultat une hyperinflation,
anéantissant du jour au lendemain les économies et les salaires.
La manière dont les représentants de
l'UE refusent de regarder les résultats des élections pointe en direction de
formes gouvernementales dictatoriales et autoritaires. Ceci soulève la
nécessité de la mobilisation de la classe ouvrière à travers l'Europe en
opposition au patronat et à l'élite financière. Toutefois, aucun des partis
ayant remporté dimanche des sièges au parlement n'est prêt à s'opposer aux
exigences dictatoriales des banques. Au lieu de cela, des négociations ont lieu
sur la manière de mettre en place un gouvernement stable dans l'intérêt de l'UE
et de la classe dirigeante grecque.
Lundi on a demandé en premier à Antonis
Samaras, président du parti conservateur Nouvelle Démocratie, de former un
gouvernement. ND n'a émergé que de justesse comme le parti le plus fort, avec
son pourcentage de votes chutant de 33,8 pour cent en 2009 à seulement 18,8
pour cent. Malgré ce quasi effondrement, il remplace le PASOK social-démocrate
en tant que parti recueillant le plus de voix. En vertu de la loi
antidémocratique du pays ceci signifie qu'il bénéficie de 50 sièges
supplémentaires au parlement.
Les sièges au parlement
En conséquence, et bien que Nouvelle
Démocratie ait perdu de la moitié de ses suffrages, le nombre de ses sièges au
parlement est passé de 91 à 108. Ceci lui confère plus d'un tiers des 300
sièges et un droit de veto effectif sur n'importe quelle coalition
gouvernementale. Les deux partis de l'ancienne coalition, ND et PASOK, tout en
ayant été répudiés à l'élection et totalisant à peine 30 pour cent de voix à
eux deux, contrôlent 149 des 300 sièges, soit une quasi majorité.
Samaras n'a pas vraiment cherché lundi à
sérieusement persuader un autre parti de rejoindre le gouvernement. Au bout de
quelques heures seulement, il a dit que ses efforts avaient échoué et a
sollicité le président de demander au parti arrivé second de constituer le
gouvernement. Ce parti est la Coalition de la Gauche radicale (SYRIZA), dirigée
par Alexis Tsipras.
Mercredi soir, les médias ont rapporté
que les ouvertures faites par Tsipras avaient échoué et qu'il transférait la
responsabilité de la formation d'un nouveau gouvernement à Evangelos Venizelos
du PASOK, le troisième plus fort parti. S'il échoue lui aussi, des négociations
finales dirigées par le président Karolos Papoulias auraient lieu entre les
représentants de tous les partis. Au cas où ces négociations échoueraient elles
aussi, alors de nouvelles élections devraient se tenir, au plus tard le 17
juin.
Le fait même que Tsipras ait accepté le
mandat de former un nouveau gouvernement est significatif. Il cherche à trouver
un mécanisme politique pour contrôler la colère populaire grandissante tout en
appliquant parallèlement les exigences de l'UE sur la base de quelques
changements cosmétiques. C'est ce qu'indique sa volonté de rencontrer, au cours
des négociations sur la constitution d'un nouveau gouvernement, le nouveau
président français, François Hollande - qui s'est engagé à appliquer les coupes
budgétaires en France.
Tsipras a cherché à rassembler une
majorité de gauche comprenant SYRIZA, le Parti communiste (KKE) et Gauche
démocratique (DIMAR), qui avait fait scission d'avec SYRIZA par la droite.
Toutefois, pour obtenir une majorité, une telle coalition aurait besoin besoin
du soutien du PASOK et des populistes droitiers Grecs Indépendants, scission de
Nouvelle Démocratie.
Mardi, la secrétaire générale du Parti
communiste, Aleka Papariga, a dit que le KKE ne voulait pas rejoindre une
alliance avec SYRIZA. L'unique option restante pour Tsipras était de collaborer
avec le parti conservateur Nouvelle Démocratie qui soutient résolument les
mesures d'austérité et qui les a appliquées ces derniers mois en tant que
membre du gouvernement sortant.
Suite au refus du KKE, Tsipras a proposé
de coopérer à la fois avec ND et PASOK. Avant même les négociations de mercredi
soir, il leur a demandé d'envoyer une lettre à la commission de l'UE pour
annuler leurs engagements aux mesures d'austérité.
De plus, il a soumis un plan en cinq
points comme base aux négociations pour la constitution d'une coalition. Les
deux premiers points réclament la cessation de toutes les prochaines coupes
sociales et attaques contre les salaires et les conditions de vie. Le troisième
point cible l'immunité des ministres qui les protège de poursuites et le
quatrième point exige une enquête sur le secteur bancaire. Il devrait aussi y
avoir un moratoire sur le paiement des dettes dans l'attente d'une enquête
internationale sur les causes de la dette souveraine grecque, a dit Tsipras.
Ce plan révèle les intentions de
Tsipras. Durant la campagne électorale, SYRIZA avait déclaré vouloir revenir
sur toutes les coupes sociales. A présent, Tsipras exige seulement que soient
interrompues les coupes futures. L'orientation politique de SYRIZA est
toutefois claire de par sa position sur l'UE. Le parti a, à plusieurs reprises,
souligné ne vouloir en aucun cas accepter une sortie de l'UE.
La reconnaissance de l'UE a sa propre
logique. Elle signifie la reconnaissance des dictats de la troïka. Alors que
les représentants de l'UE refusent de voir les résultats d'un vote démocratique
et menacent publiquement les députés élus, Tsipras veut s'asseoir à une table
avec eux et renégocier les modalités des mesures d'austérité. Prétendre que
ceci est possible est un exercice délibéré de duplicité.
Le fait que Tsipras veuille négocier
avec ND et le PASOK montre que son principal souci est de former un
gouvernement stable qui soit en mesure de faire passer les coupes requises
contre les travailleurs. Il compte en cela, tout comme PASOK, sur les syndicats
avec lesquels il a déjà eu des entretiens mercredi.
Cette approche obéit à la logique de
toute l'évolution de SYRIZA et qui va de pair avec d'autres partis tels Die
Linke en Allemagne ou Rifondazione Comunista en Italie, qui, tous deux, ont
déjà été impliqués dans des gouvernements qui ont imposé des coupes sociales.
SYRIZA a joué un rôle similaire dans des coalitions locales et régionales avec
PASOK.
SYRIZA s'est appuyé sur des couches plus
aisées d'universitaires et de la classe moyenne ce qui explique son score
électoral traditionnellement faible. Lors de ces élections, le groupe a gagné
les voix de vastes couches affectées par les coupes. Il est arrivé en tête à
Athènes, au Pirée et à Thessalonique, les trois plus grands centres urbains.
Selon le journal Süddeutsche Zeitung, la coalition a fait un bon score
parmi les médecins dans les hôpitaux, les pharmaciens et avant tout les
fonctionnaires qui votaient précédemment pour PASOK.
Il ne fait pas de doute que
l'augmentation des voix pour SYRIZA exprime la profonde opposition à la contre-révolution
sociale appliquée au cours de ces dernières années par l'UE et l'élite grecque.
SYRIZA ne satisfera pas le moins du monde ces attentes. Tout gouvernement
auquel il participera, sera rapidement confronté à une opposition massive de la
part de la classe ouvrière.