France : Thibault pense abandonner la direction
du syndicat CGT
Par Anthony Torres
31 janvier 2012
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Le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault a
annoncé dans une lettre à la direction nationale du syndicat, datée du 24
janvier, qu’il ne sera pas candidat à sa propre réélection lors du 50e
congrès de la CGT.
La succession de Bernard Thibault au poste de
secrétaire de la CGT reste ouverte, mais la presse évoque deux candidats
principaux : EricAubin et Nadine Prigent, tous deux des proches de Thibault.
Thibault se retire après avoir été discrédité
auprès des travailleurs par sa collaboration avec le président Nicolas
Sarkozy, notamment lors de la trahison de la grève de l’automne 2010 contre
la réforme des retraites. Le remplacement de Thibault par Aubin ou Prigent
ne ferait rien pour changer le caractère anti-ouvrier de la politique de la
CGT.
Aubin et Prigent ont tous deux joué un rôle
important lors de la trahison des grèves de 2010 par la CGT. Eric Aubin est
un ancien cadre et est actuellement secrétaire de la fédération de la
construction. Il s’est fait connaître en tant que négociateur pour la CGT
lors de la réforme des retraites. Quant à Nadine Prigent, infirmière et
responsable de la fédération de la santé, elle était représentante de la CGT
dans l’intersyndicale lors du mouvement des retraites.
La réforme des retraites de 2010 visant à allonger
la durée de cotisation des travailleurs fut très impopulaire auprès des
travailleurs. Des millions de travailleurs étaient descendus dans la rue
pour protester contre cette réforme, suite aux appels de l’intersyndicale à
des journées d’action. Cependant, l’intersyndicale n’avait aucunement
l’intention de bloquer des réformes qu’elle avait négociées avec Sarkozy.
Le gouvernement avait été affaibli lorsque les
travailleurs des raffineries s'étaient mis à occuper leurs usines, et que
les travailleurs portuaires avaient bloqué les dépôts pétroliers, provoquant
ainsi des pénuries de carburant dans toute la France. Thibault avait lâché
les grévistes, refusant de mobiliser la classe ouvrière contre
l’intervention des forces de l’ordre qui cassaient leurs blocages.
Bernard Thibault avait insisté à l’époque pour
dire que le mot d’ordre de grève générale était « abstrait » et « abscons »,
préférant négocier avec Sarkozy la mise en place de la réforme des
retraites.
La « gauche » bourgeoise, qui se rassemble
derrière le candidat présidentiel du Parti socialiste (PS), François
Hollande, cherche un successeur à Thibault qui pourra collaborer avec
Hollande s’il est élu. Hollande compte améliorer la compétitivité de la
France face à ses concurrents en s’attaquant au niveau de vie des
travailleurs, reprenant la politique d’austérité que les gouvernements
sociaux-démocrates à travers l’Europe, Papandréou en Grèce et Zapatero en
Espagne, ont menée après le début de la crise économique mondiale.
Sur le site officiel de François Hollande, Aubin
intervient dans un article daté du 28 août 2010, intitulé « La question
sociale au cœur du projet socialiste », qui traite précisément de cette
question. Aubin explique que la réforme des retraites de Sarkozy était
« injuste », « inefficace » et qu’il voulait « une autre réforme, sous le
signe de la ‘retraite choisie’ ».
Aubin n’explique pas pourquoi il avait conclu un
accord avec Sarkozy mettant en place une réforme des retraites qu’il avait
qualifiée d’ « injuste », alors même que le mouvement des travailleurs
contre cette réforme continuait. Il ment cyniquement, en laissant entendre
qu’il était contre la réforme des retraites menée par Sarkozy, tandis qu’un
plan de relance sociale du PS préserverait les acquis sociaux des
travailleurs. Son but est manifestement d’aider Hollande à mener à bien une
autre réforme anti-ouvrière.
La bourgeoisie et la CGT craignent cependant une
trop forte continuité syndicale entre le premier quinquennat de Sarkozy et
un éventuel quinquennat de Hollande. Evoquant la continuité syndicale,
Thibault indique dans sa lettre : « Il faut cependant veiller à ce qu’elle
ne se transforme pas au fil du temps en un handicap dans la capacité à
percevoir les nouveaux enjeux ».
D’éventuelles négociations entre Hollande et
Thibault, qui a négocié toutes les principales réformes avec Sarkozy,
révéleraient très clairement la continuité fondamentale entre la politique
de Sarkozy et du PS. Ainsi, la démission de Thibault comme secrétaire
général tente de cacher aux travailleurs le caractère réactionnaire de la
politique de la « gauche » bourgeoise.
La carrière de Bernard Thibault à la direction de
la CGT et ses quatorze années en qualité de secrétaire général ont marqué la
fin définitive d'une période durant laquelle la CGT fonctionnait comme un
bras politique du Parti communiste français (PCF). Durant la Guerre froide,
les secrétaires généraux de la CGT étaient membres de la direction nationale
du PCF. Mais avec la dissolution de la bureaucratie soviétique de l'URSS en
1991, la revendication des staliniens d'un lien historique avec la
Révolution d'octobre s'effondra, le PCF entra en déclin vertigineux et la
CGT minimisa publiquement la poursuite de ses liens avec le PCF.
Bien que Thibault soit resté membre du PCF et que sa politique ait reçu
l'aval du parti, il a agi en premier lieu non pas tant sous l'égide du PCF
mais comme le partenaire direct de l'Etat dans les négociations visant à
imposer les coupes sociales à la classe ouvrière. C'est en tant que
dirigeant de la fédération CGT des cheminots qu'il est venu sur le devant de
la scène la première fois, durant le premier mouvement de grève majeur après
l'effondrement de l'URSS, à savoir la grève des cheminots de 1995 contre les
coupes dans les retraites et qu'il avait aidé à trahir. Mais son rôle le
plus important politiquement a été celui de partenaire clé de Sarkozy dans
les négociations de ces cinq dernières années.
Ceci a montré que la période historique durant laquelle les syndicats
pouvaient être considérés comme des organisations de la classe ouvrière,
bien que purement défensives, a pris fin.
En 2008, la CGT et la CFDT mettaient en place un accord, la Position
Commune, destiné à accroître l’influence des syndicats les plus importants.
Cet accord donnait à l’Etat une bureaucratie plus centralisée pour faire la
police dans la classe ouvrière et imposer les programmes d’austérité. Cet
accord a permis le passage de la première réforme des retraites du
quinquennat Sarkozy, celle de 2008.
(Voir :
Fin de la semaine de 35 heures en France : la victoire était garantie à
Sarkozy par les syndicats et les partis "de gauche")
Lors de son assassinat par un agent de Staline en 1940, Léon Trotsky
préparait une ébauche sur les syndicats. Dans cet article, « Les syndicats à
l’époque de la décadence impérialiste », il analyse l’intégration
grandissante des syndicats dans l’appareil d’Etat, déclarant : « A un
certain degré de l’intensification des contradictions de classe dans chaque
pays et des antagonismes entre les nations, le capitalisme impérialiste ne
peut plus tolérer une bureaucratie réformiste (au moins jusqu’à un certain
point) que si cette dernière agit directement comme actionnaire, petite mais
active, dans les entreprises impérialistes, dans leurs plans et dans leurs
programmes, au sein même du pays aussi bien dans l’arène mondiale ».
L’analyse de Trotsky concernant
le rôle des syndicats et leur intégration dans l’appareil d’Etat est
toujours d'actualité, car cette intégration s’est puissamment développée
dans la période qui a suivi la rédaction de ce texte. Actionnaire des
programmes des entreprises impérialistes, la bureaucratie syndicale est
aujourd’hui complice du programme que leur impose la crise : rétablir leur
compétitivité en attaquant massivement le niveau de vie des travailleurs.
Ceci souligne la nécessité pour
la classe ouvrière de rompre avec les syndicats et de créer sa propre
organisation révolutionnaire.